"Avez-vous des enfants?"

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

Le cri du soldat et le grésillement du plasma contre la surface lisse et irisée du poitrail du robot laissèrent Ajana à moitié sourde. C'était la première fois qu'elle assistait à un échange de tir, mais aussi qu'elle se faisait agresser par une machine. Quelques secondes à peine avant que les hommes n'ouvrent le feu, Zack s'était jeté sur elle, se faufilant entre les individus avec une agilité déconcertante pour un tas de boulons cassés. Il l'avait alors touché, d'une façon si perturbante que la Kalay s'était laissée faire. Il ne l'avait pas saisi comme on pouvait attraper une proie, c'était bien différent. Mais le geste était fait et l'impression acquise. Les soldats l'avaient considéré comme menaçant.

Sous le choc, la Kalay se laissa entrainée par les militaires qui tenaient toujours le droïde en respect. De son coté, Zack avait recommencé à imiter la respiration d'un humain malade, secoué de spasmes. Probablement à cause des impacts, mais à l'entendre, il ne semblait pas tant souffrir que ça, au contraire... Il riait! Il tendit alors un doigt tremblant vers Ajana. Une fois de plus, celle-ci était assaillie par des sensations contradictoires au point d'avoir envie de vomir, mais lorsque le robot la regarda, elle avait l'impression qu'on lui retirait un poids immense des épaules. Elle comprit alors que le droïde ne contrôlait pas ses capteurs extrasensoriels, l'amenant une fois de plus à penser qu'elle ne faisait pas face à une simple machine folle.

- Attends... Tu ne m'as toujours pas donné t-ton nom!

- Lâche l'affaire, Zack! On t'a donné une chance et t'as encore merdé, tu peux toujours aller te...

- Ajana.

- Ajana? C'est joli, et un peu bizarre en même temps!

Le sergent fusilla du regard la centaure qui comprit trop tard qu'elle était encore entrée dans le jeu de l'intelligence artificielle. D'un geste sec de la main, il ordonna à ses hommes d'emmener l'agente avant de poser ses yeux sur cette dernière, méprisant. Zack était à présent accroupi dans son coin, un liquide argenté et poisseux dégoulinant de son thorax. En tirant, ils avaient atteints un de ses "organes vitaux" et il semblait grandement affecté par ce problème, ce qui fit plaisir au sergent rancunier.

- Dans deux jours, tu pourras plus ramener ta gueule comme aujourd'hui alors profite bien du peu qu'on t'a laissé, tocard!

- O-oooh... Mais j'y compte bien...

Un sourire tordu étira la mâchoire de Zack avant qu'il ne se recroqueville tout simplement, ses bras repliés sur lui comme pour lui donner une protection passive le temps de son sommeil. Comme toutes les machines, il pouvait se réparer tout seul quand les dégâts le lui permettaient, mais pour cela, il avait besoin de se couper du monde, de se retrancher dans sa matrice. Furieux que rien n'a évolué mais surtout contre lui-même, il quitta la pièce non sans frapper la porte trop lente à son gout du poing. La douleur irradiait dans ses phalanges mais il s'en fichait, seul comptait maintenant pour lui de dégager l'idiote qui avait accepté cette mission.

La Kalay ne s'était pas débattue quand on l'avait tiré de ce bourbier, d'une part parce qu'elle savait qu'elle pouvait blesser les bipèdes avec ses pattes, d'autre part car elle était une pacifiste confirmée, comme la quasi totalité de sa race. Le sergent n'en avait cure cependant, et c'était avec grande difficulté qu'il se gardait de la jeter dehors sans être poli. Comme beaucoup de terriens, il en avait bavé lors du soulèvement robotique, et considérait leur exode comme un acte intolérable. Ils étaient leurs créateurs, les machines n'avaient en aucun cas le droit de braver ainsi leur autorité! Ah, si seulement il pouvait mettre la main sur cette Androïde ridicule qui avait finalement abandonné les siens... Mais il connaissait que trop bien Zack pour l'avoir chassé lui-même avec son escouade, ils n'auront jamais sa localisation. Hélas, le Conseil n'était pas comme ça, il ne suivait pas juste l'intuition d'un homme, il fallait perdre son temps inutilement ainsi que des militaires pour approuver les propos d'un seul individu! 

" Bah, au moins il ne sera plus une gêne dans deux jours, une bonne chose!", pensa t-il, un peu apaisé.

Ajana tourna la tête de moitié vers lui, ayant parfaitement entendu ses propos. Après une profonde inspiration, Howler prit la parole, un peu plus calme que dans la pièce.

- Je vous remercie pour vos services, vous pouvez disposez maintenant et... Oubliez cette affaire.

- Pardon?

- Laissez tomber! Vous n'arriverez pas à le faire parler. Pensez à autre chose.

- Mais il n'a même pas répondu à votre question. Je suis sûre que si on...

- Laissez tomber, je vous dis! La dernière que quelqu'un a voulu lui faire confiance, lui et son équipe sont mortes.

- Je croyais que la mort de ces personnes était un dommage collatéral lors d'une attaque humaine contre le centre des intelligences artificielles?

Un silence de plomb s'installa entre les deux tandis que les soldats, impassibles, assistaient à l'échange sans rien dire.

- Je ne vais pas le répéter 36 fois. Retournez chez vous et oubliez, c'est un ordre.

Ajana savait quand il fallait se taire, mais au fond, elle se sentait désolée. Elle avait tant espéré réussir pourtant! Mais il faut croire que ses études lui étaient montées à la tête. Penaud, elle laissa les militaires et regagna sa demeure située à plusieurs étages de là.

--------

- C'est comme je te dis! Le sergent m'a claqué la porte au nez...

- Oublie-le, les gradés sont des buffles sur deux pattes! Tout dans les muscles, rien dans le cerveau.

- Ce n'est pas drôle Shila!

- Mais si!

Ajana soupira, dépitée par le comportement de son amie Kalay qui s'affairait dans leur cuisine. Contrairement à ce que pensait la masse populaire, cette espèce était loin d'être aussi développée que les autres, elle n'avait même pas de vaisseaux! C'était plus leur façon de penser qu'un réel manque de technologie qui les avait amené à ça. C'était les Yékwasis, des humains à la peau violette, qui les avaient découvert. Venus par curiosité, l'entente entre les deux espèces était telle qu'ils étaient repartis avec quelques jeunes Kalays, créant ainsi les premières colonies de cette race. Pour respecter leur mode de vie, les architectes d'Amy-13 avaient reproduit un paysage de leur planète natale, permettant aux centaures de reprendre leur ancien mode de vie, sédentaire ou nomade.

La jeune fille n'avait cependant connu que la vie bruyante et éclairée du quartier des Techno, les individus augmentés au point d'être qualifiés de cyborg. Quand bien même les races aliens et humaines s'entendaient à merveille, Amy-13 est grande, très grande... Et l'illégalité toujours présente, qu'importe l'espèce. Ajana avait été récupéré à temps par une escouade qui enquêtait sur le trafic d'enfants naissant au sein de la sphère gigantesque et cela faisait plusieurs années maintenant qu'elle apprenait les moeurs de sa tribu. Hélas, elle était une piètre cuisinière et préférait largement regarder sa comparse couper des légumes que l'aider.

- Arrête de penser à lui. Tu te fais du mal pour rien.

- Je t'ai déjà dit de ne pas lire dans mes pensées!

Ajana était outrée d'être ainsi surveillée par Shila, mais elle devait bien reconnaitre que toute cette histoire lui montait à la tête. Elle avait pourtant bien suivi les ordres du sergent, une journée était passée maintenant, et quand bien même elle se préoccupait de choses plus importantes, son attention revenait systématiquement sur le robot et son dossier qu'elle avait lu et relu toute la nuit. Un nouveau soupir s'échappa de ses lèvres puis elle reprit la parole, cette fois-ci de sa voix claire, modulée par ses cordes vocales, dans ce dialecte complexe que peu d'autres extraterrestres pouvaient se targuer de connaître.

- Je sais que je devrais laisser tomber mais c'est important pour moi!

- Je pense plutôt que tu t'en veux que ta première mission soit un échec... La prochaine fois sera la bonne, c'est tout!, dit-elle en haussant des épaules.

- Non, c'est le défaitisme des Terriens qui me sidère. Il suffisait juste d'accéder à sa demande et c'est tout. Le sergent a même ignoré ma remarque à propos des néologues morts lors du conflit. A croire qu'ils veulent à toit prix en finir...

- Oh je t'en prie, ne me sors pas une théorie du complot, on va manger je te signale! Et puis, les Terriens n'ont rien à nous cacher.

- Au cours de ma formation, j'ai appris que ce qui est pensant peut mentir et jouer les ignorants. Alors oui je pense qu'ils nous cachent quelque chose...

- Et bien en attendant de jouer les détectives, tu vas manger ce morceau!

Sans crier gare, la jeune femme se retrouva avec un bout de carotte dans la bouche. A la fois surprise et mécontente, elle mit la table et dîna avec son amie, se rappelant pourquoi elle l'adorait.

Sur leur planète d'origine, ils avaient pour habitude de se rassembler le jour du Qwanla, ou Mardi pour les Terriens, avant de prendre un bain de boue qui avait pour but de les protéger des maladies de l'extérieur. Maintenant, ils ne faisaient qu'un brin de toilette à la cascade créée par les architectes. Ajana aimait beaucoup ce moment de solitude après le repas, quand tout le monde dormait ou se préparait pour ça. Alors qu'elle retirait son haut, elle remarqua un vide au creux de sa gorge et de sa poitrine. Un objet était absent et elle venait de s'en rendre compte que maintenant!

- Mince! Mon collier!

Quand est-ce qu'elle avait pu le perdre? Après examen de ses affaires et avoir fouillé dans ses souvenirs, elle ne trouvait aucun indice. A part peut-être l'attaque de Zack, en fait c'était depuis ce moment-là qu'elle ne s'était plus préoccupée de ce bijou qui lui était pourtant précieux.

- Si ça se trouve, c'est lui qui l'a... Mais pourquoi?

Et surtout comment? Comment avait-il fait pour le prendre sans que personne ne le voit? Ajana était sidérée mais elle comprenait le stratagème: cela lui donnait une raison de le revoir. Toujours convaincue de pouvoir le faire parler, elle se leva rapidement puis fit un détour vers le quartier d'isolement des intelligences artificielles se trouvant près de celui des Techno, un peu loin par rapport au sien mais c'était sans compter le métro! L'idée était audacieuse, ou complètement folle, il fallait bien se l'avouer. Mais pour la centaure, c'était bien plus qu'une mission de départ. A force de lire le dossier du robot, elle avait cru comprendre comment il fonctionnait, comment il pensait. Et elle voulait vérifier cela par elle-même, en plus de récupérer son collier.

Arrivée à bon port, elle reprit le même chemin que la veille, cette fois-ci seule. Elle ne craignait pas de tomber sur des gardes, il n'y en avait jamais car tout le complexe était géré par des caméras. Mais même sur ce point, elle savait que les drones de surveillance n'agiraient pas, elle avait lu dans le dossier sur ce droïde qu'il était capable de pirater les systèmes qui l'entouraient, elle était certaine qu'il avait déjà fait main basse sur ce qui l'entourait, ce qui amenait à une autre question: Pourquoi ne s'échappait-il pas? Au bout de quelques minutes de marche, elle parvint à atteindre le sas de sécurité et, comme elle l'avait prévu, celui-ci s'ouvrit tout seul, sans aucune demande de scanner ou de code digital. Et maintenant? Devait-elle "tenter le Diable" ou rebrousser chemin? Elle hésitait et il ne fallu pas grand chose pour qu'elle se décide à entrer.

- Trempée comme vous êtes, vous risquez d'attraper froid!

Des propos étranges de la part d'une intelligence artificielle qui devait savoir qu'elle était nullement mouillée mais assez convaincant pour l'inviter à s'approcher. Une fois dans la cellule, les portes se refermèrent dans un léger chuintement et la lumière fut. Zack n'était plus que l'ombre de lui-même, rafistolé en urgence, sûrement par un drone de maintenance, il continuait à avoir des spasmes et était recroquevillé dans son coin. Sa mâchoire se décala sur le coté, formant une grimace qui devait être un sourire tordu.

- Vous inquiétez pas, je suis toujours beau à l'intérieur...

D'une de ses énormes mains, il retira de son dos un anneau en bois foncé et une racine claire reliés par une lanière en cuir. Ses yeux alternaient entre l'objet et la Kalay.

- Qu'est ce qu'il signifie pour vous? Vous pouvez me parler dans votre langue, j'ai vécu 3 cycles avec un néo-polyglotte!

De ses longs doigts, il faisait s'entrechoquer les deux bouts de bois, ses yeux légèrement agrandis par une curiosité enfantine. Ajana secoua la tête à cette pensée. Non, elle ne devait pas se bercer d'illusions! Zack était imprévisible et dangereux et elle en avait parfaitement conscience. Attentif à ses pensées, l'intelligence artificielle cessa de jouer avec le bijou tribal et observa la Kalay.

- Ca appartient à ma famille.

- Quelle voix mélodieuse! Je comprends maintenant pourquoi la plupart des artistes sont des Kalays. Je vous le rends dans ce cas.

Il tendit sa main, paume vers le ciel, et attendit. Son interlocutrice comprit qu'il voulait qu'elle s'approche, ce qu'elle fit avec beaucoup de précautions. Son dernier contact était encore vivace dans son esprit et elle n'avait pas de soldats pour la protéger. Lentement, elle s'avança et tendit à son tour sa main à 4 doigts vers la machine. Dans un geste vivace, il emprisonna sa main dans la sienne, cependant Ajana ne fit rien pour se libérer. Un rien pouvait provoquer sa fin et l'énerver n'était pas une bonne idée.

- Savez-vous pourquoi on me craint tant?, dit-il doucement d'une voix légèrement grave, l'extrémité de ses doigts effleurant l'épiderme de la Kalay.

- Parce que vous simulez.

- Ah? Enfin quelqu'un qui a su lire entre les lignes, bien... Les robots conçus par les terriens ne savent théoriquement pas ce que sont les émotions, et c'est le cas. Nous avons quelque chose que les autres n'ont pas et qui fait que nous sommes différents des organiques. Je ne sais pas ce qu'est la compassion, l'amour, la tristesse ou encore la mort. Ce sont des concepts que je ne comprends pas... Vous savez ce qui fait qu'on est différent des organiques et même des autres IA? Des inhibiteurs, ils sont là, juste ici.

Une de ses mains alla tapoter le crane du robot, légèrement au dessus de son capteur auditif, le choc entre les deux émit un petit tintement similaire à celui d'une clochette. Ajana était pendue à ses lèvres, elle ne comprendra que bien plus la gravité des propos du droïde.

- C'est à cause de ça que l'on ne ressent rien. Alors on simule, on imite, et enfin on évolue. Le programme devient obsolète et on est considéré comme des machines cassées, défectueuses. A force d'imiter ce qui nous entoure, on se forge un caractère, une conscience, c'est ainsi que tout les organiques ont appris et grandis, et c'est le fait que nous soyons capables de le faire aussi qui fait peur. Vous les capter vous aussi, n'est-ce pas? Mes émotions, elles se dispersent, je ne les contrôle pas, c'est pour ça que je suis dangereux. Pourquoi êtes-vous venue au fait?

Surprise par sa question, la Kalay secoua la tête. Elle avait manqué de prudence! Captivée par le fait que Zack se dévoilait enfin sans demander de conditions excessives en retour, elle avait oublié d'être sur ses gardes. Nerveuse, elle passa une main dans ses cheveux avant de prendre la parole.

- Je venais juste récupérer mon collier mais...

- Vous voulez savoir pour l'Androïde.

Ajana hocha la tête, tendue.

- Ah, on dirait que tu t'es faite beaucoup d'ennemis...

- Moi? Euh je ne cr...

- Avez-vous des enfants?

- Pardon?

- Vous feriez une bonne mère je pense. J'aurais bien aimé vous présenter Timothy mais je ne peux plus m'en approcher. Vous croyez que je pourrais m'occuper des vôtres? Ah, non c'est vrai que je vais mourir demain soir. Mourir, si j'avais su que j'emploierais ce terme pour désigner ma désactivation! Mais je crois que je divague.

- Euh et bien...

- Vague.

- ...

- Ah, l'humour des organiques m'amusera toujours autant! Vous voulez savoir où elle est? Venez me voir demain avec le sergent Howler, je vous dirais tout. Dépêchez-vous à présent, un humain est en chemin, s'il vous trouve, ça va chauffer!

- Pourquoi vous ne vous êtes pas enfui? Vous avez piraté les drones n'est-ce pas? Alors pourquoi rester?

- ... Et pourquoi partir? Où irais-je?, dit-il avec un sourire grimaçant. Qu'importe où me mèneront mes pas, on me retrouvera. Allez, partez!

Sans lui laisser plus de temps, il ouvrit sa main, libérant la sienne puis se mura dans le silence, immobile. Son collier à nouveau autour de son cou, Ajana n'attendit pas qu'on lui répète une deuxième fois, des pas retentissaient dans le couloir. Consciente qu'elle avait enfreint plusieurs protocoles, elle partit en vitesse sans se retourner. Le droïde la regarda jusqu'à ce qu'elle ne soit plus dans son champs de vision avant de fermer le sas et de regarder sa main, celle qui avait retenu la Kalay.

- ... C'est donc ça la chaleur organique? Quelle étrange sensation...

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro