Chapitre 2

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— Chérie, as-tu pensé à t'entraîner à prononcer les noms de chaque invité ? m'interpelle Elasia, relevant la tête d'un catalogue de chaussures.

Nous sommes dans un salon aux fauteuils confortables et où un excellent thé nous est servi. Il me suffit d'esquisser un geste de la main pour qu'un plateau me soit conduit dans la seconde. Elasia m'a proposé ce petit "temps de repos" avant l'intronisation de demain et je n'ai pas osé lui répondre que ça fait désormais trois semaines que je ne fais rien d'autre que me reposer. Elle considère peut-être que faire les allers-retours entre mon lit et les toilettes est une activité de la plus haute fatigue donc bon...

— Dit-on vraiment "Caroli" ? je demande en pointant du doigt le nom d'une invitée sur ma liste. Pourquoi se compliquer la vie avec un "ey" si c'est juste "i" ?

Caroley d'Astrialle est la fille de Benjamin d'Astrialle, le représentant royal de la communauté astrale d'Europe. Elle fait le déplacement avec son frère Alexeï spécialement pour l'intronisation de demain.

— Caroley, répond Elasia en prononçant "i" et en articulant avec précision les autres syllabes. Je te conseille d'éviter de te tromper... Les représentants d'Astrialle ont beau être des gens adorables, ils ne viennent pas souvent à Astriad, donc autant leur faire bonne impression pour les années à venir. Et pour son frère, c'est "Alexeille". Évite les "Alexéi".

Je prends note en griffonnant les bonnes prononciations sur ma liste tandis qu'Elasia demande un verre de jus de citron avec des glaçons à un domestique. Si j'ai pour ma part du mal à donner des ordres, elle le fait avec des manières si délicates que même si elle demandait à quelqu'un de lui baiser les pieds, cela passerait pour une requête adorable de Sa Majesté.

Lorsqu'elle tourne la page de son catalogue avec une grâce exemplaire, faisant voler la page d'un geste exquis, et que je repose les yeux sur ma liste, l'absurdité de la situation me prend de pleine face : nous sommes occupées à discuter de prononciation de noms, à siroter des breuvages divins, à nous languir dans des fauteuils dorés... Et je n'en étais même pas choquée quelques secondes plus tôt. Et si je m'habituais à cette vie de soie plus facilement que je ne le voudrais ? Et si, moi, qui l'année dernière encore n'étais qu'une humaine sans histoire, je devenais vraiment la princesse Isaluna que tout le monde attend que je sois ?

Une bouffée de panique m'envahit soudain et je trouve l'atmosphère de la pièce bien trop oppressante. Trop dorée, trop enfermée, trop artificielle... Trop tout. Je me lève subitement, ce qui fait sursauter Elasia.

— Tout va bien, ma chérie ? s'inquiète-t-elle dans un parfait froncement de sourcils.

La regarder ne fait qu'augmenter mon mal-être. J'ai l'impression d'avoir mon reflet vieilli de quelques années en face de moi et c'est beaucoup plus perturbant qu'on ne peut l'imaginer.

— J'ai besoin d'air, j'articule en portant ma main à ma poitrine.

— Je peux t'accompagner dans les jardins, si tu veux. Ça t'aidera à...

— Non, je l'interromps dans un souffle. Je veux sortir de l'enceinte du palais. Aller dehors. Vraiment dehors.

Un voile de tristesse passe sur le visage d'Elasia. Elle pose son catalogue aux couleurs trop criardes et pousse un long soupir.

— Je comprends ce que tu ressens, confie-t-elle en triturant une de ses mèches de cheveux aux reflets blonds entre ses doigts. Crois-moi, j'étais comme toi à ton âge. Passer mes journées entières ici m'était insupportable mais tu finiras par t'habituer et...

— Il faut vraiment que je sorte, je la coupe une nouvelle fois, un sentiment insupportable continuant à monter en moi. Ce n'est pas un caprice, c'est un besoin. Ça fait trois semaines que je suis ici et je n'ai vu personne à part toi. Non pas que je n'en sois pas heureuse mais il faut que je sorte. Demain je deviendrais vraiment Son Altesse Isaluna et ce sera encore pire. Alors s'il te plaît.

J'ai eu beaucoup de mal à tutoyer Elasia mais cette fois, c'est venu naturellement. C'est la requête d'une fille à sa mère. Enfin, si on peut voir les choses comme ça...

— Tu veux aller à la villa Nightsun ? soupire Elasia. Pas seulement sortir, mais aller là-bas.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle aille jusque-là. Rien que l'allée du palais aurait suffi mais si elle propose la villa...

— Oui, j'acquiesce d'un murmure pitoyable. C'est tout ce que je demande.

— Va mettre quelque chose de plus habillé que ton short et ton débardeur, fais Elasia avec un geste de la main dépité. Quelqu'un te conduira là-bas en voiture. Les carrosses sont surveillés par des journalistes et tu n'as pas besoin de ça.

Je la remercie brièvement et demande à un garde de me guider à ma chambre. Je ne me repère toujours pas dans ces couloirs... Je m'empresse d'enfiler la première robe que je trouve et arrange mes cheveux du mieux que je peux. Princesse ou pas, je me suis pas mal laissée aller sur mon apparence étant donné que je ne croisais personne. On me dirige ensuite vers un garage où une voiture déjà démarrée m'attend et sans plus de cérémonie, mon chauffeur file par une sortie arrière du domaine.

***

Les crépitements des pneus sous les cailloux de la cour de la villa Nightsun me font encore plus ressentir ce manque, ce mal du pays, si on peut dire. La bâtisse qui s'élève devant moi m'a l'air d'une cabane familière à côté de ce colosse de Palais-Royal et le dôme de verre surplombant la villa me ramène dans la chambre de Wren.

Sortant de la voiture, je respire profondément et sens enfin cet air qui m'avait tant manqué. Nous ne sommes qu'à quelques kilomètres du centre d'Astriad et du palais mais c'est comme si j'avais changé de continent. L'humidité est plus supportable et les vrais arbres sauvages qui m'entourent me raniment. C'est comme si j'avais dormi pendant des semaines et que je me réveillais enfin.

À peine le moteur de la voiture est-il éteint que la porte d'entrée de la villa s'ouvre sur Alec.

— Luna ?! s'exclame-t-il avec un sourire éclatant.

N'y tenant plus, je cours vers lui et me jette dans ses bras. Sentir enfin quelqu'un avec moi fait tellement de bien !

— Comment as-tu fait pour venir ? demande-t-il. Nous comptions aller au palais demain, pour ton intronisation, Wren et moi.

M'accrochant à lui comme à une bouée, je refuse de le lâcher.

— Je n'en pouvais plus. Je n'aurais jamais cru te dire une chose pareille un jour mais ta maison me manquait, ma chambre me manquait et surtout, vous me manquiez.

— Je dois dire que tu as aussi laissé un vide incroyable, avoue-t-il avec un sourire dans la voix.

— Trois semaines ! s'exclame la voix de Wren. Trois petites semaines sans nous et tu dépéris !

Par-dessus l'épaule d'Alec, je le vois, adossé à la porte d'entrée. Il affiche son petit sourire amusé et je ne résiste pas non plus et saute dans ses bras, le déséquilibrant sous l'effet de la surprise.

— Wow, s'exclame-t-il, ils t'ont enfermée dans un cachot ou quoi ?

— Non, mais je ne pense pas que ça aurait été pire, je réponds en me détachant de lui à regret, la chaleur de son corps me manquant déjà. 

— Il va falloir que tu nous racontes.

Nous nous installons dans un salon de la villa qui m'avait lui aussi incroyablement manqué sans que je ne m'en rende compte. Wren me propose une de ses boissons exotiques mais je crois avoir suffisamment bu de breuvages raffinés ces trois dernières semaines. Je leur raconte à quel point Elasia est gentille mais aussi l'ennui que je ressens au quotidien au sein de ce palais gigantesque sans queue ni tête.

— Tu n'as qu'à demander à Elasia de revenir définitivement ici, suggère Wren comme si c'était évident, installé en travers d'un fauteuil, comme à son habitude.

— Je ne peux pas, j'objecte. Même si jusque-là, tout ce que j'ai eu à faire a été de choisir la décoration pour la salle de mon intronisation, je devrais accomplir d'autres tâches en tant que princesse. Je ne suis plus libre.

— Je ne vois pas ce que ça change que tu sois là ou au palais, continue-t-il. Nous n'avons qu'à transformer cet endroit en palais princier.

— Je viens juste de réapparaître dans la vie d'Elasia. Je ne vais pas m'en aller comme une voleuse. Elle fait des efforts avec moi.

Wren part d'un rire franc et je ne peux m'empêcher de sourire. Ne pas l'entendre rire, ça aussi, c'était horrible.

— Elle s'est débrouillée dix-sept ans sans fille ni princesse. Je ne pense pas que ça soit mortel pour elle si tu ne vis pas au palais et si tu viens la voir au moins une fois par semaine.

— Sans vouloir casser ton enthousiasme, Wren, intervient Alec, si Luna est intronisée demain, elle sera définitivement engagée dans la famille royale et sera l'héritière de la couronne.

Oh. Mon. Dieu. Déjà que je ne me vois pas princesse, comment pourrais-je ne serait-ce qu'envisager devenir reine ? J'y avais déjà songé mais si l'intronisation de demain rend tout cela encore plus réel... J'aurais peut-être dû réfléchir à toutes les conséquences en acceptant cette cérémonie.

— Annule tout, propose Wren en se resservant un verre. Ils trouveront bien une autre solution avant la mort d'Elasia qui, je suppose, ne risque pas d'arriver avant un bon bout de temps.

— Tu oublies quelque chose, je le contredis.

— Quoi ?

— Luna-Rose. Ou Rona, comme tu veux.

— Ça fait six mois que nous n'avons aucune nouvelle d'elle. Elle est peut-être passée du bon côté de la force, lance-t-il en haussant les épaules avec sérieux.

— Tu crois au Père Noël ? lui rétorque Alec. Elle doit préparer un mauvais coup avec ses Malfaçons. Elle est la nouvelle Alma.

— Et si je refuse de prendre ma place en tant que princesse et héritière, je renchéris, elle revendiquera cette position et je te laisse imaginer le chaos.

— Ce sera le chaos dans tous les cas, affirme Wren comme si c'était la chose la plus normale du monde. Tu crois peut-être que Luna-Rose te laissera tranquillement devenir la reine du Peuple des Astres ? Elle cherchera à te détruire. Par tous les moyens. Donc autant te désister tout de suite, sans sang versé.

Il n'a pas tort sur tous les points mais comment pourrais-je avoir l'égoïsme de laisser le Peuple des Astres dans les mains de Rona rien que pour sauver ma peau ? Elasia a sacrifié ses filles et son bonheur pour empêcher Alma de régner.

— C'est quand même elle qui a lancé le serpent sur toi, lui rappelle Alec. Je ne dis pas que Luna doit devenir princesse pour sauver tout le monde mais imagine un peu ce qu'elle fera aux gens si elle prend le pouvoir.

Le serpent. Rien qu'entendre ce mot me fait passer des frissons. La blessure de Wren, ce noir d'encre qui s'était répandu dans les veines de son cou, la certitude qu'il allait mourir... Tout cela à cause de Rona, et non d'Alma.

— Nous n'aurons qu'à quitter le Peuple des Astres, répond simplement Wren. La vie parmi les humains ne doit pas être tellement pire qu'une vie sous le règne d'une Malfaçon débile.

À sa manière de tenir son verre négligemment et de sa posture avachie dans son fauteuil, j'ai vraiment l'impression de retrouver l'ancien Wren. Je ne sais pas si on peut vraiment parler "d'ancien" mais il s'est transformé, ces six derniers mois. Plus attentionné, moins dans ses bouteilles et moins taquin avec Alec et moi... Il a toujours ses remarques sarcastiques et ses sourires dans la voix bien à lui mais... Il est différent. Du moins il l'était, jusqu'à ce soir.

— Il est dépressif ? je questionne Alec.

— Tu crois être la seule à avoir crevé d'ennui ces trois dernières semaines ? me lance Wren à sa place. Tout seul avec lui, j'ai cru devoir enfoncer les portes du palais pour qu'ils acceptent enfin de me recevoir.

— Attends, tu es venu au palais ? je m'exclame en fronçant les sourcils.

Aucune visite ne m'a été signalée et je pensais que le silence des Nightsun était pour que je m'habitue à ma vie au palais mais...

— Dès le troisième jour, m'informe-t-il. Alec venait de me traiter "d'évier à rhum".

— J'y suis retourné le lendemain, ajoute Alec sans tenir compte de la remarque de son frère. On nous a dit à chaque fois que tu étais en entretien privé avec la reine. Tu n'as pas été mise au courant ?

— Non, je souffle prise au dépourvu. Et j'ai passé les trois quarts de mon temps dans ma chambre. J'étais parfois avec Elasia ou en leçon de protocole mais j'avais précisé que j'acceptais quand même les visites.

Wren se met à glousser sans raison et lorsque je le questionne sur la raison de cette hilarité, il ne fait que s'esclaffer davantage.

— Des leçons de protocole ? finit-il par lâcher entre deux éclats de rire. Sérieux, ils ne pourraient pas plutôt entraîner tes pouvoirs en cas d'attaque ?

— Il a un peu raison, admet Alec en jetant toutefois un drôle de regard à son frère lorsque ce dernier renverse une boisson bizarre sur le tapis. Si tu pouvais travailler avec des gens vraiment capables de t'apprendre à connaître l'ampleur de tes pouvoirs ce ne serait pas plus mal mais pour en revenir aux visites, c'est étrange que tu aies été coupée du monde comme ça. Tu crois que c'est un ordre d'Elasia ?

Avec ses airs doux et aimants, difficile d'imaginer Elasia en train de comploter dans mon dos mais quand je repense à sa voix cristalline et à ses manières avant que j'apprenne qu'elle est ma mère, je me dis que je ne me suis peut-être pas assez méfiée.

Un bruit résonne alors depuis les étages supérieurs et Wren cesse subitement de rire. Le visage d'Alec se referme et j'oublie instantanément les affaires d'Elasia.

— Comment va Phoebe ? je demande en redoutant la réponse. Pas d'amélioration ?

L'état de Phoebe s'est dégradé durant les mois qui ont suivi son enlèvement. Les séquelles des tortures psychologiques que lui a infligées Alma se sont déclarées plus sévèrement et ce n'était pas beau à voir... Phoebe peut être parfaitement calme et maintenir une conversation normale et la seconde d'après, piquer une crise en hurlant et jetant des objets à quiconque se trouvant sur son passage. Enfermée dans sa chambre de la villa Nightsun, elle refuse de sortir et les rares fois où elle autorise quelqu'un à entrer, il est habituel que cette personne ressorte avec une balafre au visage. Nous avons fait venir tous les spécialistes que nous avons pu mais aucun n'a trouvé de solution. Selon Carlton, sa seule chance de s'en sortir est avec le temps, lorsque ses souvenirs d'Alma seront plus lointains.

— Rien, murmure Alec. Elle a jeté un éclat de verre sur Karlie, a projeté une chaussure sur Darwin et m'a balancé un coupe-papier. Je ne te parle pas du pot de fleurs sur Wren...

— Elle a bien failli m'assommer, grommelle Wren.

Néanmoins, il ne fait aucune remarque désobligeante. La culpabilité que j'ai ressentie — et que je ressens toujours, d'ailleurs — a été telle que je ne n'arrivais plus à sourire et encore moins à rire en sachant que Phoebe ne serait peut-être plus jamais comme avant à cause de ma stupidité. Si seulement je n'avais pas été voir Carlton pour cette fichue histoire de magnétisme !

— J'ai parlé d'elle à Elasia et elle m'a conseillé un centre spécial à Astriad. J'ai fait mon enquête auprès des femmes de chambre et elles m'ont expliqué que c'était un asile ! Phoebe n'en est pas à ce stade tout de même !

Ni Alec, ni Wren ne répondent mais je comprends à la manière dont ils fuient mon regard que si, Phoebe en est peut-être à ce stade. Alec rompt le silence en se levant pour aller chercher des gâteaux. Aussitôt a-t-il quitté la pièce que je me tourne vers Wren avec enthousiasme.

— J'ai accepté de rester au palais avec Elasia en lui imposant toutefois une petite condition : qu'elle te livre absolument tout ce qu'elle sait au sujet de tes origines.

Ses lèvres s'étirent doucement en un sourire irrésistible et son regard émeraude s'anime d'une étincelle captivante. Comment ai-je pu passer trois semaines sans ce spectacle ?

— Elle te reçoit quand tu veux.

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