1

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng


Les vacances d'été touchaient à leur fin, et Tim ne souhaitait qu'une chose : remonter le temps. Il voulait revenir quelques mois en arrière, quand tout allait bien dans sa vie, quand il n'était pas coincé dans une chambre aux murs jaunes à s'interroger sur son existence.

Il avait toujours connu la côte Ouest des États-Unis, à Los Angeles : du soleil toute l'année, une bande d'amis et une famille qui venaient le voir à tous ses matchs. Le pied. Il avait même eu une super petite amie ; la rupture avait été compliquée, mais il était persuadé de pouvoir la récupérer. Puis, du jour au lendemain, tout avait changé. Sans lui demander son avis, sa mère l'avait envoyé chez sa tante. Il l'avait rencontrée deux fois, elle vivait dans le fin fond de l'Ohio.

Officiellement, il était là pour tenir compagnie à cette femme, seule depuis la mort de son mari. En fait, Tim soupçonnait ses parents de vouloir l'éloigner de ses copains. Surtout depuis la nuit passée en garde à vue pour vandalisme dans un lieu public – une longue histoire. La police avait été clémente, mais ses parents beaucoup moins. Pourtant, ils n'étaient pas stricts, au contraire : ils faisaient partie de cette vague d'informaticiens branchés travaillant pour les grandes firmes et jouant au baby-foot pendant leurs pauses. Mais leurs enfants leur donnaient du fil à retordre. Noa, la cadette, vivait pour son reflet, et Tim n'en loupait pas une : ses résultats étaient en baisse depuis son entrée au lycée. L'ambition de ses parents de le voir entrer dans l'une des meilleures universités du pays fléchissait de jour en jour. La garde à vue avait été de trop. Direction l'Ohio. Il réfléchirait à sa conduite et reviendrait à Los Angeles pour terminer le lycée.

Tim avait mal pris la situation. Il n'était pas habitué à être puni, encore moins aussi brutalement. Il avait eu l'été pour s'y faire, profitant des dernières soirées au bord de la piscine et des ultimes escapades au fast- food au milieu de la nuit. Puis il s'était envolé vers un territoire lointain, où la population des vaches devait être plus nombreuse que celle des hommes.

Il était arrivé la veille de la rentrée scolaire. Sa tante l'avait accueilli avec chaleur, lui assurant qu'il se trouverait bien à Delphos. Elle s'était occupée de tout : sa chambre, son inscription au lycée, ses fournitures scolaires. Dans son euphorie, elle lui avait acheté des tee-shirts trop petits et l'avait inscrit au théâtre. Tim avait gardé le silence : sa tante était si heureuse d'avoir enfin de la compagnie, elle qui n'avait jamais réussi à avoir d'enfants.

Le soir, allongé sur son nouveau lit, dans sa nouvelle chambre, il avait fixé ce plafond jaune, sali de quelques taches d'humidité. Sa nouvelle vie commencerait le lendemain. L'ancienne lui manquait déjà.


**


Le lycée public de la ville était un bâtiment dépourvu de personnalité, aux murs en briques et aux allées droites. Un jardinier au volant d'une tondeuse à moteur entretenait la pelouse. Le parking s'étendait, immense ; de chaque nouvelle voiture qui s'y engageait sortait un élève. Tim les regardait avec le sentiment étrange que ces jeunes n'étaient pas comme lui. Ils étaient plus fades, s'habillaient tristement, ne souriaient pas. Il pensa à ses amis, à quelques milliers de kilo- mètres, qui vivraient la même rentrée dans un décor plus coloré et plus joyeux. Tim les enviait.

Voyant qu'il traînait à sortir de la voiture, sa tante lui glissa des mots de réconfort :

— Tu verras, les gens sont très gentils ici.

Il n'en doutait pas. Rassemblant son courage, il ouvrit enfin la portière pour sortir et prit une longue inspiration. Une douleur irradia dans le côté droit de

son corps. Il se plia en deux, pressant une main contre ses côtes. Sa tante s'enquit, inquiète :

— Tout va bien ?

— Ça va, la rassura-t-il. Je dois reprendre le sport, c'est tout.

Il avait passé son été à se la couler douce sur la plage ou dans son lit, mettant de côté l'entraînement. Il comptait s'y remettre sérieusement, et profiter de cette année d'ennui pour devenir l'athlète que toutes les universités s'arracheraient. Il avait prévu de réus- sir les sélections de football. En espérant que ce lycée perdu aurait une équipe.

D'un signe de la main, il salua sa tante. Elle ne quitta pas le parking avant de l'avoir vu entrer dans le bâtiment.

Dans les couloirs bruyants, Tim ne se sentait pas à sa place. Il mesurait une tête de plus que la moyenne, et était persuadé que le mot « nouveau » était écrit sur son front. Dans une petite ville comme celle-ci, les élèves devaient tous se connaître. Il se débrouilla comme il put pour trouver sa salle, suivant les indications sur les panneaux. Malgré ça, il se perdit et arriva en retard à son premier cours. L'année commençait bien.


En fin de matinée, il avait ce fameux cours de théâtre auquel sa tante l'avait inscrit, pensant bien faire. Tim était obligé d'y aller, au moins pour rayer son nom de la liste des élèves. Jusqu'ici, son expérience du lycée de campagne n'avait pas été glorieuse. Il n'avait sympathisé avec personne, et la menace de manger seul à la pause du midi planait sur lui. En seize ans d'existence, cela ne lui était jamais arrivé. Ce n'était pas aujourd'hui que la situation allait changer. Il devait vite trouver quelqu'un afin d'éviter de passer pour un loser, quitte à choisir un de ces gamins bizarres qui faisaient du théâtre.

Devant l'auditorium, des élèves patientaient. Les portes s'ouvrirent quand Tim arriva à leur hauteur. L'enseignante qui les accueillit était l'archétype même de l'ancienne étudiante en arts dramatiques qui n'avait jamais décroché un rôle. Des lunettes carrées à monture verte, une tunique orange et des sandales à lanières. Des yeux globuleux qui semblaient en perpétuelle quête de talent et un sourire qui laissait entrevoir des dents jaunes. Tim eut un frisson, mais choisit de lui donner une chance. Il allait rester jusqu'à la fin du premier cours, pour être poli, et dans l'espoir de se lier avec quelqu'un. Il suivit le mouvement jusqu'à la scène, chercha où s'asseoir. Les autres élèves s'installaient déjà en groupe. Ses yeux se posèrent sur une fille dans le fond, adossée à une malle noire. Elle était plutôt mignonne, avec une queue-de-cheval et un tee-shirt à manches courtes par-dessus un autre à manches longues. Elle semblait n'attendre personne. Bingo, se dit-il. Tim alla la voir.

— Je peux m'asseoir ? demanda-t-il.

Elle leva furtivement les yeux de son téléphone et haussa les épaules, l'air de dire qu'elle s'en fichait. Tim, un peu blessé par son indifférence, s'installa. La fille continua de tapoter sur son téléphone pendant que la professeure rassemblait ses notes avec maladresse. Tim tenta une approche :

— Tu trouves pas qu'elle ressemble à la prof dans Harry Potter ? Celle qui les fait lire leur avenir dans les tasses de thé ?

— Je n'ai pas vu Harry Potter, répliqua la fille.

Elle lui faisait comprendre, sans méchanceté, qu'il l'embêtait.

— Oh... souffla Tim. D'accord.

Il hésita à changer de place, à s'immiscer dans l'un des groupes, mais le cours commençait. Tim se retrouvait coincé avec une fille qui ne levait pas les yeux de son écran. À tous les coups, il allait manger seul.

Le cours était soporifique. L'estomac de Tim gargouillait déjà. En regardant sa montre, il constata qu'il restait une bonne heure à tuer.

— Le miroir, lança l'enseignante d'un ton mystérieux.

Les élèves acquiescèrent d'un air entendu, Tim eut l'impression d'être le seul abruti à n'avoir aucune idée de quoi elle parlait.

— Prenez votre voisin, et choisissez un humain et un miroir. Lorsque l'humain fait un geste, le miroir devra l'imiter. Puis parlez ! Parlez entre vous, apprenez à vous connaître ! Nous sommes dans cette classe pour créer du lien, rétablir la confiance entre les individus !

Tim n'avait pas envie de faire cet exercice stupide, d'autant qu'il ne comptait pas revenir, mais il fit un effort. Doucement, il se tourna vers sa voisine. À sa grande surprise, elle lui demanda, complaisante :

— Tu veux jouer quel rôle ?

— Je m'en fiche, je n'ai qu'à être le miroir.

La fille acquiesça. Elle était peut-être plus mal à l'aise que lui, se dit Tim devant son visage fermé. Ils firent l'exercice d'abord en silence, sa camarade levant une main, Tim l'imitant. Mais bientôt, ce silence devenant trop pesant, elle le brisa, au soulagement du garçon :

— Tu es nouveau, non ? 

Il rit.

— C'est quoi qui t'a mis la puce à l'oreille ?

— On commence à tous se connaître. Personne ne choisit le théâtre en option. À part nous.

Tim haussa les épaules, posant son bras sur son crâne pour mimer la fille.

— C'était une erreur. Je ne pense pas continuer.

— Je comprends, acquiesça-t-elle.

— Ça n'a pas l'air de te passionner, remarqua Tim. Pourquoi tu restes ?

— Je suis chargée des décors chaque année. Personne d'autre ne veut les faire, alors je suis tranquille dans mon coin et ça me fait une bonne note à la fin.

C'était une raison légitime.

— Tu t'appelles comment ? demanda le garçon.

— Jude.

— Jude, OK, moi, c'est Tim

— Enchantée, Tim. Au plaisir de ne plus jamais te voir ici.

Il sourit. Elle était marrante, à la réflexion. Froide, mais marrante.


Une fois le cours terminé, Tim voulait proposer à Jude de manger avec lui. Mais à peine eut-il le temps d'aller informer la professeure qu'il arrêtait l'option qu'elle avait disparu. Tim se résigna à engloutir le sandwich préparé par sa tante dans un coin de la cour, à l'ombre d'un arbre. À la moitié du premier jour de sa nouvelle vie, il n'allait pas bien. Il était loin de sa famille, de ses amis, dans un lycée où les gens ne l'abordaient pas.

Tim n'avait jamais eu de mal à se faire des amis. Toujours entouré, filles, garçons, peu importe. Les gens connaissaient son nom. Il était invité aux fêtes, aux sorties, aux soirées jeux vidéo. Il n'avait jamais appris à aller vers les autres, car les autres venaient vers lui, d'habitude. Ce jour-là, livré à lui-même, il n'avait que son téléphone pour lui tenir compagnie, et il ne pouvait pas appeler ses amis à cause du décalage horaire.

Tim déprimait.

Il lui restait une heure à tuer avant la reprise. Pour se dégourdir les jambes, il fit le tour du lycée. Sur le stade, il aperçut un attroupement. Une bande masculine se regroupait autour d'un autre gars, impressionnant de charisme. Il était taillé comme une armoire à glace, des épaules imposantes et une mâchoire carrée. Il brandissait une feuille et un crayon.

— On a très peu de places, cette année, et on ne prendra pas les bons, on prendra les meilleurs. Les sélections sont demain à 14 heures. Vous êtes en retard, vous êtes exclus d'office.

— C'est pour quoi ? glissa Tim à un garçon sur sa gauche.

— Les sélections pour l'équipe de football.

Tim haussa les sourcils, surpris. On faisait ça dans un coin du lycée, à la volée, comme si on s'inscrivait pour un club très secret. Tant mieux s'il était tombé dessus par hasard. Le gars déposa papier et crayon sur une table pour que chacun y écrive son prénom. Tim nota le sien parmi les derniers, et, en avisant le gorille en face de lui, il crut lire un certain jugement dans ses yeux. Tim bomba le torse avec fierté. Il connaissait ses capacités. Il allait décrocher cette place, intégrer l'équipe et rendre sa nouvelle vie moins pourrie.


**


Par pur hasard, Jude était dans son cours de maths. Tim la croisa encore le lendemain juste avant le déjeuner. Le bureau derrière elle était libre. En posant son sac, il lui lança :

— Hey Jude !

Elle esquissa un sourire contrit ; il comprit.— On te fait souvent la blague ?

— Tout le temps, admit-elle.

— Génial, alors tu es déjà habituée.

Jude pouffa. C'était bon signe, elle voulait continuer de parler avec lui.

— Tu es partie vite hier, rappela-t-il. Je voulais te proposer de manger avec moi, mais je n'ai même pas eu le temps.

— Oh... Désolée.

— C'est pas grave. Tant mieux, en fait. Je suis tombé par hasard sur les inscriptions pour l'équipe de football.

— Tu veux rejoindre l'équipe de football ?

Il y avait du mépris dans la voix de Jude, et Tim se redressa, piqué au vif. Alors elle était de ces filles artistes qui trouvent tous les sportifs débiles ? Avec dédain, il répliqua :

— Quoi, tu n'aimes pas les joueurs de football ?

— Pas du tout, se défendit Jude. C'est seulement que... cette équipe de football, ici... Enfin, je vais rien te dire, je vais te laisser te faire ton propre avis.

Tim fronça les sourcils, intrigué, alors qu'elle se retournait. Le professeur demanda l'attention de la classe. Tim réussit tout de même à glisser à sa camarade dans un murmure :

— Du coup, ça te dit qu'on mange ensemble, ce midi ?

— Non, je ne peux pas, répondit Jude, évasive.

Tim soupira. C'était le deuxième vent qu'elle lui mettait. Et comme il n'était qu'un adolescent stupide, plus une fille le repoussait, plus il s'intéressait à elle.


Les sélections se déroulèrent sous un soleil étouffant. Vingt gars étaient alignés sur le terrain, à attendre de montrer ce qu'ils valaient. Tim était confiant : il était plus sportif et mieux bâti que les trois quarts de ses concurrents, et il avait cru entendre que l'équipe cherchait un ailier. C'était son poste, à Los Angeles. Il allait tout déchirer.

Le garçon de la veille était le capitaine de l'équipe. Tim le comprit en notant son air assuré et la manière dont il se campait aux côtés de la coach, comme s'il était le maître du monde. On annonça les consignes : un test physique d'endurance, quelques passes, puis des coups d'envoi et des dégagements pour les joueurs encore en lice.

Tim faisait partie du deuxième groupe. Il s'assit sur un banc pendant que la première dizaine de garçons faisait ses preuves. Parmi eux, il y en avait un en surpoids, qui tenait difficilement le rythme. Il traînait la patte derrière le peloton. À côté de lui, le capitaine s'agaça :

— Qu'est-ce qu'il s'imaginait, celui-là ? C'est dur de courir quand on a vingt kilos de gras en trop.

Tim ne tiqua pas. Dans un sens, il avait raison, mais il se montrait bien agressif. À la moitié du second tour de piste, le garçon s'arrêta, essoufflé, rouge et en sueur. Il fit signe à la coach qu'il cessait le test. Tim pensa qu'en réalité, il n'avait pas envie d'entrer dans l'équipe, qu'il avait juste tenté l'épreuve, par défi. Mais le capitaine ne partageait pas son avis. Il attrapa le candidat éreinté par le col et souleva sa tête comme un sac.

— T'es là pour nous faire perdre notre temps ? C'est ça ? Tu crois qu'on n'a que ça à faire de voir des clowns comme toi se traîner pendant dix minutes ? Pour qui tu te prends ? Reviens dès que tu auras pris un minimum de muscles sous toute cette graisse !

— Terence ! hurla la coach.

Le capitaine lâcha le garçon et s'éloigna, marmonnant des insultes. Tim, glacé, chercha dans les yeux de ses camarades l'assurance qu'il n'était pas le seul révolté, mais les autres candidats gardèrent un silence conciliant, et Tim, conformiste, se tut lui aussi. Seule la coach adressa quelques mots de réconfort à l'élève. Le capitaine revint au moment où le groupe de Tim s'engageait sur le terrain. Soudain, sa confiance retomba ; l'idée qu'au bord de la pelouse, on était en train de l'injurier sans qu'il le sache le paralysait. Il commença sa course à un rythme de croisière, emboîtant le pas au reste de la troupe. Mais au bout du premier tour, son souffle se fit court – lui qui enchaînait les kilomètres avant l'été ! Il avait dû sacrément s'encrasser en deux mois. Tim força, il connaissait ses limites et il était loin de les avoir atteintes.

Le deuxième tour fut éprouvant, le troisième une véritable torture. Tim avait les poumons en feu, et la même douleur que la veille, brûlant le côté droit de son torse, le cloua sur place. Il tomba à genoux, secoué par une violente quinte de toux. Les autres garçons lui passaient devant, la mine inquiète, sans pour autant s'arrêter. Tim toussait, et toussait encore, sans que sorte la boule coincée dans sa gorge. Chaque fois qu'il voulait prendre sa respiration, son souffle était de plus en plus saccadé. Quand, enfin, ce qui bloquait ses poumons remonta le long de sa trachée, il porta sa main à sa bouche, par réflexe, et cracha dedans. Sur sa paume s'étala un caillot de sang et de mucosités.

— Tout va bien ? entendit-il.

Tim s'empressa de fermer le poing et leva les yeux sur la coach et le capitaine. Le garçon hocha la tête, se releva, et fit de son mieux pour ne pas montrer que le monde tournait autour de lui.

— Je vais aller boire, dit-il.

Alors qu'il s'éloignait vers les vestiaires, il entendit dans son dos la voix railleuse du capitaine :

— On a décroché le pompon, cette année !

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro