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Un bruit de rideau réveilla Colin. La lumière matinale l'aveugla et la voix agaçante de sa mère acheva son supplice :

— Bonjour, mon sucre d'orge. Aujourd'hui, le soleil brille, les oiseaux chantent, et c'est le premier jour de ta dernière année au lycée !

Colin souffla dans son oreiller, fatigué. Il avait passé les vacances à se coucher tard ; se réveiller à 7 heures n'était plus du tout dans ses habitudes.

Comme il ne se levait pas, sa mère frappa dans ses mains et lui servit un monologue strident qui comportait la fameuse phrase : « Si tu t'étais décidé à reprendre le rythme un peu plus tôt, tu n'aurais pas autant de mal à te lever ! » Colin soupira lorsqu'elle quitta sa chambre. Pourquoi, alors qu'il avait dix-sept ans, ses parents s'obstinaient-ils encore à le réveiller ?

On frappa à sa porte. Fort. Beaucoup trop fort pour que ce soit sa mère. La voix de son père tonna :

— Au rapport dans deux minutes et habillé, s'il te plaît !

Cette fois, Colin sauta hors de ses draps. Il avait vu son père en action, il avait vécu l'horreur d'un lit retourné. La première règle de la famille Hogan était celle-ci : ne pas titiller le père. En quatrième vitesse, il enfila l'uniforme de son lycée et descendit, son blazer à la main.

L'ambiance du petit déjeuner était toujours calme. On était loin de la famille bruyante et pressée qui se disait bonjour entre deux gorgées de jus d'orange. Non, chez les Hogan, il y avait des traditions : manger en- semble, aller à la messe le dimanche, laisser papa dormir l'après-midi et ne jamais parler de sexualité, d'alcool ou de drogue. Sa mère lui servit une copieuse portion d'œufs brouillés pendant que son père lisait le journal.

— Allez, mange, une grosse journée t'attend. 

Colin obéit, mais il n'avait pas d'appétit. Il frémissait à l'idée de retourner au lycée, avec ses cours barbants, ses professeurs sévères et ses élèves hautains. Il se réconforta en se disant qu'il ne lui restait qu'un an. Une année avant la récompense de ses efforts ; en voyant le nom de l'établissement sur son dossier, les universités ne pourraient que l'accepter. Une année, et il quitterait Delphos pour toujours. Une année, et il pourrait être libre.

Son père le déposa à 7 h 40. L'endroit était désert, contrairement au lycée public. Personne ne traînait devant les grilles. Avant que Colin ne sorte de la voiture, son père l'interpella :

— Passe une bonne journée, et rapporte-moi les meilleures notes !

Colin eut un sourire contrit. Son père s'éloigna dans son vieux tacot au moteur tonitruant. C'était le prix à payer pour que Colin reste à Saint-John. Le lycée privé de Delphos était l'un des plus de l'État. Une mention dans le dossier multipliait la chance d'être accepté dans une prestigieuse université : Yale, Harvard, Brown... Tant de noms dont on avait seriné Colin depuis sa tendre enfance. Ses parents avaient même aménagé un coin sur le dessus de la cheminée, pour y poser une photo de sa cérémonie des diplômes, dans quelques années. Comment leur dire que Colin ne rêvait que d'une petite fac d'état, où il aurait la paix ? L'inscription à Saint-John coûtait une fortune, mais rien n'était trop beau pour le fils unique des Hogan. Colin détestait l'endroit : uniforme obligatoire, règles strictes et entraînement militaire deux fois par semaine. Il avait tenté de négocier avec ses parents, au moins pour prendre la littérature en option à la place du sport, mais ça aussi, c'était un sujet à ne pas aborder.

Avant d'entrer, Colin épousseta son blazer et redressa l'insigne accroché sur sa poitrine. Ce badge, on le lui avait remis solennellement avant l'été. Chaque année, une poignée parmi les élèves les plus âgés se voyaient attribuer le rôle prestigieux de médiateur de bonne conduite. Un titre pompeux qui octroyait la responsabilité de surveiller les autres adolescents et de distri- buer des heures de colle. Colin figurait sur le tableau d'honneur, n'avait jamais loupé un seul jour de cours, et son exemplarité était louée par tous ses professeurs. Il avait accepté le badge pour rendre fier son père et ordonner aux garçons qui le traitaient de fayot de faire des pompes.

La cour était vide. À cause de ses très bons résultats et du taux d'acceptation en université qui avait explosé tous les records l'année passée, l'administration du lycée avait décidé une augmentation des frais de scolarité. Certains de ses anciens camarades n'avaient pas pu suivre et se retrouvaient dans le système public. Colin aurait aimé y aller, lui aussi, mais...

Il s'arrêta : quelque chose clochait. Ça sentait le tabac, véritable hérésie. Dans un coin de la cour, à quelques mètres, un garçon était en train de se griller une cigarette. Ce mec n'avait pas peur ! Il n'était pas vieux, peut-être deux ou trois ans de moins que Colin. Ce dernier s'approcha. Le garçon n'était pas blanc. Un teint mat, des cheveux noirs, un air hispanique peu fréquent dans les rues de Delphos. À n'importe qui, cela n'aurait fait ni chaud ni froid, mais pas à Colin, qui avait grandi en étant une des seules personnes noires de sonlycée. L'adolescent se sentit d'autant plus responsable de ce gamin : il voulait l'empêcher de devenir le bouc-émissaire des surveillants. À Saint-John : on mettait vite les gens dans des cases.

— Tu n'as pas le droit de fumer ici.

Le gamin soutint le regard de Colin avec défi. Celui-ci ne céda pas. Le garçon écrasa son mégot contre le muret derrière lui, avant de se justifier.

— Je suis nouveau.

— J'ai bien compris, mais c'est écrit juste à l'entrée du lycée.

— Je n'ai pas dû le voir.

Colin n'y croyait pas. Sa sympathie dégringola rapidement. Le jeune avait l'air d'être une tête à claques, et non quelqu'un à protéger. Le coup de grâce fut porté quand il demanda à Colin :

— Toi aussi, tu es en seconde ? Colin répondit sèchement :

— Je suis en dernière année.

Bombant la poitrine pour faire ressortir son insigne, il indiqua le bâtiment principal, devant lequel d'autres élèves patientaient, et ordonna :

— Dépêche-toi de les rejoindre. Et ne t'avise plus de sortir une cigarette ici !

Le garçon leva les mains en signe de reddition. Après s'être assuré qu'il suivait bien ses instructions, Colin se dirigea vers la salle qui accueillait les dernières années. Les plus âgés du lycée étaient facilement repérables : ils affichaient un air décontracté, appelaient les surveillants par leur prénom et prenaient leurs aises avec l'uniforme. Colin s'adossa contre un mur, en retrait des discussions, conscient qu'il ne faisait pas partie de leur monde. La plupart étaient là grâce à papa et maman qui pouvaient se permettre de débourser des sommes exorbitantes, mais lui devait travailler d'arrache-pied pour rentabiliser le sacrifice de ses parents. C'était une pression bien différente. Tous ses amis dans le même cas étaient partis : il se retrouvait seul.

On les installa dans un amphithéâtre refait à neuf, avec un équipement sonore dernier cri et des prises électriques sous chaque siège. La directrice se présenta avec sérieux, dans le tailleur strict qu'elle avait sûrement acheté pour la rentrée. Elle leur servit le discours habituel – Colin l'avait entendu chaque année pendant quatre ans. Ils devaient s'estimer chanceux d'avoir accès à la meilleure éducation, les universités connaissaient le lycée et s'arrachaient ses élèves. Tout ce bla-bla mythifié. Colin écouta patiemment, jusqu'à ce qu'on les libère. Il allait rejoindre son premier cours quand la directrice l'interpella :

— Monsieur Hogan !

Il tiqua. Il n'aimait pas ses manières pompeuses.

— Pouvez-vous me suivre ?

Colin s'inquiéta. Avait-il commis une erreur ? La gorge nouée, il suivit la directrice jusqu'à son bureau. Il loupait l'entrée en classe, il devrait demander un mot écrit pour justifier son retard. La femme l'installa dans un fauteuil Louis XVI et le prévint qu'ils attendaient quelqu'un. La méfiance de Colin grandit. La conversation banale que la directrice entretenait n'arrangeait rien.

— Comment vous sentez-vous pour votre premier jour en tant que médiateur de bonne conduite ?

— Pour le moment, ça va, mais il n'est que 9 heures. 

Il ne voulait pas dénoncer le garçon à la cigarette. Il ne servait à rien de le mettre sous le radar. On frappa à la porte. Sur l'invitation de la directrice, un garçon entra. Quand il prit place à ses côtés, Colin haussa les sourcils : le gamin qui fumait. La directrice fit les présentations.

— Monsieur Hogan, voici Swann Valquez. Monsieur Valquez a intégré notre établissement grâce à une bourse nationale. Il a remporté le premier prix d'un concours pour étudiants organisé par la NASA !

— C'était un petit concours à l'intérieur de l'État, se justifia le garçon.

— Nous sommes ravis d'accueillir un esprit comme le sien. Comme nous souhaitons encourager nos élèves à dépasser leurs limites, Monsieur Valquez et moi-même sommes convenus qu'il était pertinent pour lui d'assis- ter à plusieurs cours de dernière année, notamment en physique et en maths.

Elle fixa Colin avec un sourire effrayant. Celui-ci fronça les sourcils, il ne voyait pas ce qu'il faisait là. La directrice continua :

— Je compte sur vous, monsieur Hogan, pour l'accompagner dans ces cours et l'aider à développer ses capacités. Vous êtes vous aussi un élève brillant, je ne doute pas que vous parviendrez à vous entendre. Puis en tant que médiateur, vous pourrez aider Monsieur Valquez à se familiariser avec Saint-John, qui est peut- être... plus strict que ce qu'il connaît.

Colin échangea un regard interloqué avec Swann avant de hocher lentement la tête. La directrice apposa sa signature sur deux feuilles volantes pour attester de leur présence dans son bureau puis les congédia en leur souhaitant une bonne journée.

Une fois dehors, Swann déclara :

— Je suis à peu près sûr que c'était raciste, ce qu'elle a dit.

— Oui, souffla Colin. C'est peut-être quelque chose à quoi il faudra t'habituer.

Swann fronça les sourcils.

— Grosse ambiance ici, à ce que je vois.

Colin soupira. Pour dire vrai, il était agacé de devoir jouer les chaperons. Il avait déjà beaucoup à penser cette année, entre les admissions à l'université à préparer, ses responsabilités au lycée, les cours de catéchisme que le prêtre lui demandait d'assurer... Si en plus il devait jouer les baby-sitters !

— On devrait peut-être se caler un créneau hebdomadaire pour travailler ensemble, proposa Colin. Comme ça, on est sûrs d'être libres le reste de la semaine.

— Oh ! fit Swann. T'embête pas, je ne compte pas y aller, à ces cours, j'ai dit ça pour lui faire plaisir.

— Mais... tu n'as pas le droit de sécher.

— Oui, je sais. Ça veut pas dire que je ne le ferai pas. Si tu ne te présentes jamais, le prof ne peut pas savoir que tu es absent.

Swann tapota sa tempe comme pour signifier que c'était une réflexion révolutionnaire. Il passa la bandoulière de son sac sur son épaule et salua Colin. Celui-ci le regarda partir, se demandant s'il comptait se rendre en cours ou non.

— Ne fume pas dans le lycée ! lui rappela-t-il.

— Je vais essayer, rétorqua Swann.

Colin resta planté dans le couloir, perplexe. Au moins, il n'aurait pas à caser ce gamin dans son emploi du temps débordé. C'était déjà ça.


La journée avait été longue, remplie de discours officiels affirmant que cette année serait décisive, qu'il fallait donner son maximum. Colin marcha jusqu'à sa maison avec la perspective délicieuse d'avoir enfin un moment à lui. Avec l'été et ses deux parents au travail, il avait pu passer des journées à faire ce qu'il voulait. À traîner sur Internet et à regarder la télévision sans que personne le lui reproche. Il s'était prélassé des après-midi entiers dans le jardin, n'avait pas ouvert un manuel pendant deux mois, et, quand ses parents rentraient le soir, ils ignoraient tout de sa paresse. Avec la reprise du lycée, son temps de solitude était réduit à une heure – à peine. Colin devait en tirer le meilleur parti.

Quand il aperçut, de loin, la voiture de son père garée dans l'allée, il marqua le pas, déçu. Son père était dans la cuisine, il se préparait un sandwich. Colin lui demanda :

— Tu as déjà fini ta journée ?

— Les femmes au bureau avaient demandé à terminer plus tôt pour aller chercher leurs enfants à l'école le jour de la rentrée. Ils nous ont donné à tous notre après-midi, à rattraper bien évidemment.

— Ah, d'accord.

— Tu y crois, toi ? continua son père. On demande à tout le bureau de partir et de revenir demain plus tôt, pour cinq mamans. Cinq ! Ces démocrates veulent absolument leur donner les pleins pouvoirs, ça en devient ridicule.

— C'est pas une bonne chose ? demanda Colin. J'aurais bien aimé que maman vienne me chercher à l'école quand j'étais plus jeune.

— Et les autres travailleurs ? Ils s'en fichent bien. Il est loin le temps où seuls les plus méritants avaient du travail. Aujourd'hui, il faut se plier à tous les petits caprices de chacun. Enfin, bref. Et toi, ta première journée ? Comment ça s'est passé ?

Colin haussa les épaules. Il repensait à Swann et la manière désinvolte que celui-ci avait d'affronter le monde.

— Normal, répliqua-t-il. Il y a un nouveau, en seconde, qui, apparemment, est un génie. Il va prendre des cours de dernière année, la directrice m'a demandé d'assurer son suivi.

— C'est bien, ça. Tu dois garder son contact, il sera peut-être quelqu'un d'important plus tard !

Colin acquiesça en silence, comme chaque fois que son père lui donnait ce genre de faux conseils. Des phrases toutes faites, qui voulaient dire tout et son contraire à la fois. Il monta à l'étage et se débarrassa de son blazer, le lançant à travers la pièce. Le vêtement tomba mollement sur une chaise. Colin s'étala sur son lit, rincé de sa journée. Le soir même, il devait donner un cours de catéchisme aux enfants de la paroisse, et il n'avait pas envie d'y aller.

Une année, se répéta-t-il. Il partirait de cette ville paumée et vivrait enfin une vie sans barrière. Depuis ses quatorze ans, il comptait les jours jusqu'à sa délivrance. Colin en avait marre de cette routine harassante. Là- bas, dans sa future vie, ses parents ne seraient pas sur son dos, il ne serait pas obligé d'avoir les meilleurs résultats ou d'être le parfait chrétien. Il avait beau croire en Dieu, il ne trouvait plus de sens à tout ce qu'on lui demandait de faire : le bénévolat, les cours, ses petits boulots à la paroisse. Il n'osait pas en parler à sa mère, encore moins à son père. Ils auraient été horrifiés. On l'aurait renvoyé à ses études. Il ne servait à rien d'argumenter, dans cette maison.

Une année.

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