Chapitre 3

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JOLAN

Je n'avais jamais pensé à tuer Autumn.

Enfin, je n'y avais jamais pensé sérieusement. Pour être honnête, j'avais déjà imaginé le faire. Voire envisagé. Comme pour à peu près toutes les personnes de mon entourage. Je l'avais menacée, aussi, un nombre incalculable de fois. Un jour, je l'avais poussée dans les escaliers (elle avait cru que c'était pour la protéger d'un sort égaré — et elle n'avait écopé que d'un bleu). Un autre, je lui avais lancé mon couteau dessus (elle l'avait attrapé au vol en riant ; j'étais certain que c'était seulement parce qu'elle partageait l'habileté de Jean-Luc au badminton qu'elle en avait réchappé).

Tout ça, même mes tentatives avortées, cela ne voulait rien dire. Je l'avais fait sans y penser. J'avais improvisé. Ce n'était significatif que lorsque je planifiais réellement le meurtre – j'avais des dossiers dédiés à mes potentielles mauvaises actions au-dessus de mon bureau, rangés par ordre de gravité (j'aimais l'organisation).

Le dossier d'Autumn avait connu plusieurs emplacements au fil des années. Il se situait en ce moment dans le rayon « à briser le cœur » ; je n'avais pas eu le courage de l'enlever, même après mon récent échec.

Mais il n'avait jamais été classé « à tuer ». Je m'étais sûrement dit que le jeu n'en vaudrait pas la chandelle. Elle n'avait pas grande importance dans la fondation, pas de position politique particulière, pas de rôle héroïque dans la guerre (était-ce une guerre ?). Pas de volonté propre, pour résumer ; elle se contentait de graviter autour des autres. Autour de moi.

Quitte à assassiner quelqu'un, autant que cela ait un réel impact.
Ou au moins, une utilité.

C'était pour ça que mon choix s'était arrêté sur Jean-Luc. Il remplissait toutes les conditions pour que sa suppression fasse de moi un authentique méchant : c'était le chef des gentils, le meilleur instructeur de la fondation, l'auteur de Magie : les dix points essentiels à savoir absolument (je l'avais lu à douze ans, c'était plutôt concis) et de My vampire love (aussi lu à douze ans, c'était franchement médiocre), et un grand influenceur parmi nos semblables. À cette époque-là, même si ce point passait très loin derrière les autres en terme d'importance, c'était également l'oncle de ma petite-amie.

Autumn.

Qui ne m'avait rien reproché, quand elle avait appris ce que j'avais fait. Qui s'était au contraire inquiétée pour moi. Qui m'avait dit qu'elle comprenait mon geste -- mot ridiculement banal pour qualifier un meurtre avec préméditation -- , et qu'elle était désolée que cette lourde responsabilité me soit revenue. « Tu endures tellement de choses, depuis tellement longtemps. C'est trop pour une seule personne. »

Elle avait pleuré, seul lot de consolation dans ma sensation d'échec cuisant. J'avais essayé de multiples fois d'arriver à ce résultat, mais c'était la première fois qu'elle pleurait à cause de moi. Ce n'était par contre pas la première fois qu'elle pleurait pour moi. « Quoiqu'il arrive, je serais toujours de ton côté, Jolan ».

Elle était si niaise. Peut-être qu'elle ferait une bonne cible, finalement.

Tuer quelqu'un de parfaitement bon et innocent comme elle pouvait sans doute contribuer à faire de moi ce que je recherchais. Ce n'était qu'un pis-aller, mais j'avais de tout façon raté ma meilleure chance. Bien sûr, ce n'était de ma faute si Jean-Luc était un traître. En revanche, c'était bien de la mienne si je ne m'en étais pas rendu compte. Tout le monde était persuadé que j'avais vu clair dans son jeu, mais, et cela me coûtait de l'avouer, j'avais été aussi aveugle qu'eux. Et encore une fois, mon plan avait raté.

Mon ascenseur émotionnel de cette nuit-là m'avait conduit dans les sous-sols de la déception. Mes parents avaient remarqué ma baisse de moral et avaient voulu me forcer à voir une psy. "Syndrome post-traumatique" disait maman à papa dès qu'il s'apprêtait à me dire de débarrasser le lave-vaisselle ou de cesser de faire des essais de rituels à base de feux magiques dans le jardin (j'avais essayé pendant un temps de m'atteler à ressusciter Jean-Luc, mais le coeur n'y était pas). Je me demande si ce n'était pas ma mère qui avait soufflé à Ursule l'idée de la censure sur le mot mort. J'entendais mes parents parler de moi dans le salon, quand ils croyaient que je dormais. Je les entendais aussi me parler, parfois.

En résumé, rester chez moi était devenu invivable.
J'avais décidé de faire une pause : je m'étais mis à aller en cours.


À présent, cela faisait six mois, et je n'avais quasiment pas touché à mes dossiers, par simple manque de motivation (non, je n'étais pas déprimé).

Ça me manquait. Il était peut-être temps de m'y remettre. De trouver un nouvel objectif. (Mon principal restait le même depuis des années, mais je me fixais toujours des buts intermédiaires. À ça, j'ajoutais des quêtes secondaires. Parce que c'était distrayant).

Si cet objectif était de supprimer Autumn, eh bien soit. Je m'en contenterai.
Mais je ne savais pas encore comment m'y prendre.

J'en avais assez que tout rate. J'en avais assez que l'on se méprenne sur mes intentions. J'avais d'autres ambitions que de gaspiller mon temps dans une autre vaine tentative.
Et Cassandre était la seule à pouvoir me mâcher le travail.

Je la trouvai dans la salle informatique. Elle n'avait de salle que le nom ; ce n'était toujours que trois ordinateurs relégués dans un des angles de la bibliothèque. Une cloison décorée d'affiches et de papiers en tous genres les séparaient du coin lecture, et des chaises dépareillées étaient disposées devant chaque poste. Cassandre était assise sur la plus éloignée, la tête entre les mains. Elle me tournait le dos.

« Dégage d'ici.

Elle ne m'avait même pas encore vu. Elle avait dû sentir ma magie. La sienne était quasiment indétectable, et je crus un instant qu'elle faisait exprès pour ne pas être retrouvée, puis je me rappelai qu'elle sortait d'une vision. Il fallait qu'elle récupère.

Elle devait se sentir extrêmement vulnérable, à chaque fois. J'aurais peut-être pu en tirer avantage, si ce n'était pas la seule personne qui refusait de se laisser manipuler par moi (et c'était d'autant plus ironique que je ne cherchais même pas particulièrement à manipuler les autres : ils m'appréciaient beaucoup trop pour se méfier).

Je pris place sur une autre des chaises. Ses épaules se crispèrent, mais elle ne se tourna pas vers moi pour autant.

- Tu ne devrais pas me repousser comme ça, enfin ! Je suis le seul à te croire, je te rappelle.

- Pour ce à quoi ça m'avance.

- C'est mieux que rien.

- Non.

Je ne distinguais pas son visage derrière le rideau de ses cheveux. Elle prétendait sans doute que tant qu'elle ne me voyait pas, je n'existais pas. Ce qui était une technique assez dépassée. Je m'apprêtais à le lui dire, puis je décidai que je m'en foutais.

- Je suis venu pour savoir. Donc raconte-moi tout.

- Je suis venue pour être seule. Donc retourne avec tes groupies.

J'avais vraiment des groupies, mais ce n'était pas les gens de la fondation. Heureusement. Je crois que j'aurais émigré au Pérou si c'était le cas.

- Dis-moi.

- Non.

- Cassandre.

- Non.

Elle se redressa et pivota finalement sur son siège pour me faire face. J'avais peur qu'elle pleure, mais ses yeux étaient secs. Logique. Je n'avais jamais vu Cassandre en larmes. Je ne l'avais jamais vu rire non plus. Je ne savais pas si ça lui était déjà arrivé dans sa vie. Elle ne connaissait que deux émotions : la colère et le dégoût. Si la haine envers moi comptait comme une émotion, on pouvait dire trois. Ah, et elle était blasée aussi. Souvent.

- Tu es la dernière personne à qui j'aurais envie de raconter ce que j'ai vu, cracha-t-elle.

Je crois qu'elle aurait vraiment craché sur moi si elle n'avait pas eu peur de me rater. Elle était trop bien élevée pour risquer de toucher un des ordinateurs.

- Tu veux pas me donner au moins un indice ?

- Va te faire voir.

- T'as une longueur d'avance sur moi. C'est pas du jeu.

Elle fronça les sourcils et détourna le regard, écœurée par ce que je disais. Ou par moi, tout simplement. On pouvait toujours compter sur elle pour avoir les bonnes réactions.

- Mais ce n'est pas un jeu, Jolan, s'écria-t-elle.

- Ça y ressemble. Je serais le boss final. Tu serais un pnj.

Elle me regarda comme si elle allait m'arracher les membres. Puis me piétiner. Et me brûler dans un grand bûcher sur la place publique. Cassandre ne réservait ce regard que pour les grandes occasions. J'étais flatté d'être à l'origine de toutes lesdites occasions.

Elle expira longuement.

- Je t'empêcherai de lui faire du mal, lâcha-t-elle résolument.

Je mis un moment à réaliser qu'elle parlait d'Autumn. J'avais déjà oublié que c'était d'elle dont il s'agissait.

- Pourquoi ? Tu ne l'apprécies même pas.

- Je t'apprécie encore moins.

- Seems legit.

- Je t'en empêcherai, répéta-t-elle, mais cette fois-ci, cela sonna comme si elle se le promettait à elle-même.

- Comment ? Tu vas me tuer ?

Elle n'eut même pas la décence de paraître surprise. Visiblement, elle avait déjà envisagé cette possibilité (avait-elle un dossier sur moi ?). Elle secoua la tête à contrecœur.

- Non, ce n'est malheureusement pas prévu pour le moment.

- Pour le moment ?

- Oui. J'y travaille.

Elle avait définitivement un dossier sur moi. Je trouvais ça génial. Peut-être que je pouvais essayer de la cambrioler pour voir ce qu'elle avait marqué dedans.

- Tiens-moi au courant en cas de changement.

- Compte là-dessus.

Nous entendîmes les pas d'Autumn bien avant qu'elle ne fasse son apparition (elle portait des grosses chaussures en cuir qui couinaient comme des souris en pleine agonie ; je parlais en connaissance de cause). Cassandre et moi étions toujours en train de nous fusiller mutuellement du regard quand elle traversa la bibliothèque à toute vitesse.

- Je croyais bien vous avoir entendus ! nous lança-t-elle.

Et elle n'avait même pas pensé à nous espionner. Définitivement trop innocente. Sans Cassandre pour essayer de m'en empêcher, il n'y aurait aucun challenge à essayer de la tuer.

Autumn se jeta sur la troisième chaise, essoufflée. Elle avait dû nous chercher un peu partout. Dans les endroits où Cassandre aimait se réfugier, par exemple. Si elle avait eu un minimum de jugeote, elle aurait fait comme moi, et commencé par aller là où la blonde avait le moins de chance de se trouver. C'était le principe de vouloir être laissée seule : éviter qu'on vous retrouve facilement. (Cass n'était jamais dans la bibliothèque d'habitude, et encore moins dans la salle informatique. Cela s'expliquait par le fait que j'y passais la plupart de mon temps. En général, elle se contentait de venir chercher les livres dont elle avait besoin, me regarder méchamment, puis repartir pour les lire ailleurs.)

-Tu lui as raconté ? (Autumn se tourna vers moi sans attendre la réponse.) Elle t'a raconté ?

- Non.

Nous avions parlé en même temps. Cassandre leva les yeux au ciel.

- Mais enfin Cass, comment tu veux qu'on évite ce que tu as vu si tu ne nous en parles pas ?

- C'est vrai ça, dis-lui, Cass.

- Non.

La majorité des phrases de Cassandre étaient constituées de cette syllabe. C'était son plus gros défaut.

- Elle a le droit de savoir, insistai-je.

- Elle viendra tout te répéter.

- Elle a aussi le droit de répéter.

- Elle a un prénom ! nous coupa Autumn.

Nous l'ignorâmes.

Il était évident depuis le début que Cassandre ne nous dirait rien, mais cela valait le coup d'insister. Rien que pour voir si elle allait essayer de m'étrangler (c'était déjà arrivé). Ou de me mentir.  Malheureusement, elle devait être trop fatiguée pour tenter l'un ou l'autre. Elle en avait déjà trop dit, de toute façon. Sans elle, j'aurais peut-être mis des semaines avant de penser à Autumn de cette façon. Je savais que j'avais bien fait de refuser de consulter la psy de maman : il suffisait d'une vision de Cassandre pour retrouver de l'entrain.

Je me levai. Autumn, occupée à essayer de convaincre la blonde, ne le remarqua pas tout de suite. Cassandre, occupée à répéter son mot préféré en boucle, essaya d'en faire autant. Au moment où je quittai la pièce, j'entendis crier dans mon dos :

- Jolan, attends ! La réunion d'Ursule ! »

Je ne m'arrêtai pas. J'avais besoin de réfléchir.

Lorsque je rentrai chez moi, ma priorité fut de placer le dossier d'Autumn dans son nouvel emplacement.

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