Chapitre 4

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JOLAN

Je détestais le jardinage. J'aurais donc aimé pouvoir prétendre que je n'avais pas la main verte, mais cela aurait été d'atroce mauvaise foi.

Il suffisait que je regarde une fleur pour qu'elle s'épanouisse instantanément. Les fleuristes essayaient toujours de m'attirer dans leur boutique pour que je requinque leurs plantes par ma simple présence. Malgré les feux et autres carnages qu'il abritait régulièrement, notre jardin était le plus beau de la résidence.

Maman réclamait souvent mon aide quand un de ses parterres manquait de couleurs ou que des insectes étaient en train de saccager ses rosiers ; je refusais, bien évidemment, mais comme je ne pouvais éviter de passer à côté, je finissais toujours par régler ses problèmes malgré moi. Elle était inscrite au concours Jardin Fleuri de la ville depuis que j'étais en quatrième, et elle gagnait chaque année (sauf l'an dernier. Mais c'était parce que le mari de Mme Gontrand, l'éternelle deuxième, était mort peu avant la compétition. Elle lui avait laissé la première place, par gentillesse. Ma génitrice manquait cruellement d'instinct de compétition, pour une femme qui avait fait médecine.)

Au collège, des plantes finissaient toujours par pousser mystérieusement là où je m'installais – sous la table, contre le mur, ou carrément le long des pieds de ma chaise. Quand je l'avais remarqué, je m'étais dit que la femme de ménage me détesterait pour le travail que je lui donnais en plus. Cet espoir n'avait pas duré longtemps : elle s'était mise à laisser des paquets de bonbons sur ma table. J'avais appris dans le journal du lycée qu'à force d'offrir mes fleurs à l'élue de son cœur (la nouvelle prof de sport), elle avait fini par l'épouser. Si j'avais eu le bon sens d'arrêter de lire ce torchon à ce moment-là, j'aurais échappé, le mois suivant, à la découverte d'un article sur moi intitulé « Jolan, celui qui murmurait à l'oreille des fleurs ». J'en étais toujours traumatisé, même après avoir réussi à faire virer l'auteur de cette ignominie. Autumn m'avait révélé (après coup, l'idiote) qu'il harcelait plusieurs élèves. C'était sans doute pour ça que j'avais reçu plus de lettre de Saint-Valentin que d'habitude, cette année-là.

Avec tout ça, on pouvait facilement imaginer dans quel état se trouvait ma chambre.

La première année, j'avais tout essayé pour me débarrasser des fleurs envahissantes : sécateur, magie, herbicide, intimidation. Rien ne fonctionnait : elles revenaient aussitôt. J'avais aussi tenté de dormir dans le salon pendant une époque, mais cela avait trop fait plaisir à ma mère ; je faisais pousser des espèces qu'elle-même ne connaissait pas entre deux coussins. J'étais retourné dans mon antre sans tergiverser.

Puis, un jour béni, j'avais eu l'idée géniale de rempoter les spécimens au lieu de les laisser sur mon parquet, mon matelas, ou mon clavier d'ordinateur. Elles avaient adoré. Maintenant, tant que j'avais suffisamment de pots de fleurs dans la pièce, les autres me laissaient tranquille. (Pour mon image sociale, et mes projets personnels, je cultivais principalement des plantes toxiques. Malheureusement, cela n'empêchait pas des papillons de se croire tout permis et de s'installer chez moi. Si leur temps de vie n'était pas déjà ridiculement court, j'aurais réfléchi à un génocide.)

Parce que la vie aimait me compliquer inutilement les choses, je devais tout de même régulièrement chasser des fleurs non invitées. J'étais justement en train de m'occuper de débarrasser mon armoire d'un bouquet de pivoines (à l'aide de la magie, parce que mon vernis noir méritait bien mieux qu'un ingrat désherbage) quand ma porte s'ouvrit. Je cessai de fusiller du regard les végétaux et trouvait une nouvelle cible en la personne de ma mère.

« Je t'ai déjà dit de frapper avant d'entrer.

- Oui mon petit ange. Dis-moi, tu devrais descendre, ton amie t'attend en bas.

- Mais je n'attends personne, et ce n'est pas mon amie.

C'était Autumn. J'avais entendu sa voix un peu plus tôt (« Bonjour Madame Bonamour, est-ce que Jolan est là, s'il vous plait ? »). Je savais qu'elle viendrait à un moment ou un autre. Cela faisait trois jours que je n'étais pas passé les voir, et j'avais ignoré tous ses sms. J'avais besoin de comploter au calme.

- Tu veux dire que c'est... ta petite-amie ? gloussa ma mère en entrant plus franchement dans la chambre (elle piétina consciencieusement un calepin qui était tombé de mon bureau).

- Non.

J'avais rompu par message le jour de la St Valentin. Autumn m'avait répondu « pas grave bb, je comprends ». Avec un cœur. Cela faisait presque quinze jours, et elle agissait comme si rien n'avait eu lieu. Elle était sans doute dans sa phase de déni. C'était la raison pour laquelle je ne perdais pas espoir : elle avait peut-être vraiment le cœur brisé.

Mes parents n'avaient jamais vraiment été au courant pour nous deux, quand bien même cela avait duré six mois (j'avais défini cette durée pour être certain de lui faire vraiment de la peine).

- Oh, ne fais pas le timide, chaton ! Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Vous vous tourniez autour depuis des années ! Ton père disait que tu n'oserais jamais lui demander de sortir avec toi... C'est pour elle, les fleurs ?

- Non.

Elle me caressa la joue avec un sourire. C'était elle qui m'avait légué ses taches de rousseur (impossible à faire disparaitre, même sous fond de teint) et ses yeux noisettes, mais j'avais hérité des cheveux blonds de mon père. Pendant la moitié de l'école primaire, je m'étais persuadé d'être adopté. Ce n'était qu'une piètre tentative d'échapper à la réalité : j'étais le parfait mélange de mes deux parents.

- C'est bien que tu fréquentes enfin quelqu'un mon chéri. Je sais que tu te dévoues beaucoup pour la fondation, mais tu ne dois pas oublier de vivre à côté.

Avant que je n'ai décidé quelle réponse était le plus susceptible de la choquer (entre ce que je prévoyais de faire d'Autumn, ou le fait que je n'avais pas attendu celle-ci pour « fréquenter »), son téléphone sonna, et elle repartit aussi vite qu'elle était arrivé. À la porte, elle m'articula silencieusement de descendre au plus vite.

Je pris donc mon temps pour terminer d'enlever ces pivoines, les brûler, puis ajouter une couche supplémentaire de maquillage sous mes yeux (j'étais obligé de me créer des cernes artificiellement ; mes nuits de quatre heures n'avaient aucun effet négatif sur mon teint).

En bas, c'était effectivement Autumn qui patientait, appuyée contre un des accoudoirs du canapé. Elle portait une salopette en jean sur un épais pull en laine jaune. Sa vieille veste imperméable était nouée autour de sa taille. Elle avait mis ses grosses chaussures (celles qui couinaient), et ses boucle brunes étaient attachées en queue de cheval. Vêtue ainsi, elle ressemblait à une enfant de quatorze ans qui compilait des aesthetics tumblr.

Oui. J'avais un tumblr.

En me voyant, elle se leva d'un bond et accourut devant moi. Elle était plus petite d'une demie-tête. Ce qui m'aidait beaucoup à la regarder de haut.

- Jolan ! Je t'attendais. Je pense que tu n'as pas dû recevoir mes messages ?

- Si, j'ai juste pas répondu.

- Je me disais bien que tu étais occupé, mais... je me suis inquiétée.

- Tragique.

- Enfin, je ne suis pas venue que pour ça ! Comme tu n'étais pas là à la réunion, j'ai choisi tes tours de gardes pour toi. On en a un ce soir, et tu es avec moi.

- Quel curieux hasard.

Elle me fit un clin d'œil. Quand elle se décala enfin, je notifiai une seconde présence vers la porte d'entrée. Autumn intercepta mon regard, puis soupira silencieusement.

- Et avec lui. »

Antonio rougit. La brune haussa les épaules.

Finalement, j'aurais peut-être dû faire l'effort de rester à cette réunion.

*

Cela ne me dérangeait pas particulièrement de faire des gardes.

Parfois, il ne se passait rien de toute la nuit, et je pouvais rester tranquillement dans la bibliothèque pour faire des recherches sur les magies interdites, commander des nouvelles bottines sur internet, ou lire religieusement les pages WikiHow sur « comment jouer le rôle d'un méchant » ou « comment être un méchant garçon ».

Le plus souvent, cependant, nous étions appelés à l'extérieur pour résoudre tel problème ou défendre un incapable contre telle chose hostile. Là encore, cela ne m'était pas désagréable : je pouvais en profiter pour tester de nouveaux sorts, ou bien essayer de tuer mon coéquipier.

D'ailleurs, à part Autumn (et Antonio), personne n'avait particulièrement envie de faire équipe avec moi. Selon les statistiques d'Ursule, faire un tour de garde en ma compagnie augmentait de 287% les chances de se faire attaquer. Je n'y pouvais rien si j'attirais les animaux ; et je n'y pouvais rien non plus si les animaux zombies ne faisaient pas exception à la règle.

Cette nuit-là, nous avions été appelés à l'extérieur. Un groupe d'ombres plus virulentes que la normale avait attaqué des civils. Cela n'arrivait pas, d'ordinaire. Déjà, parce qu'elles étaient trop imbéciles pour songer à se liguer à plus de deux ou trois, ensuite, parce qu'elles ne juraient que par la magie. (On parlait toujours d'elles comme si elles étaient des êtres intelligents, mais j'étais certain que cela n'était pas le cas. Elle obéissaient juste aux ordres de Von Schwarzkönig.)

À trois, cela n'avait pas été si compliqué de s'en débarrasser. J'avais quand même réussi à faire blesser Antonio. Autumn l'avait aussitôt soigné, mais je ne crachais jamais sur une joie éphémère.

Nous étions en train de rentrer à la fondation quand j'entendis du bruit derrière nous. Ma vague impression d'être observé se renforçait de minute en minute ; cette fois-ci, elle devint certitude.

« On est suivis.

- Comme d'habitude.

- Par quelqu'un d'humain, précisai-je sèchement.

Les mains d'Autumn tremblèrent un peu, et la lumière qu'elle projetait vacilla. Elle se rapprocha de moi. Antonio en fit autant, mais j'avais peur que cela ne soit qu'une grossière tentative pour me prendre la main. Ce qui se confirma quand je sentis ses doigts agripper les miens. Je me dégageai, et il rougit. Il avait passé la soirée à rougir. Et à essayer de me sourire.

- Tu crois que c'est lui ? chuchota la brune.

Je ne savais jamais si les gens avaient peur de prononcer son nom, ou s'ils avaient tout simplement un niveau d'allemand aussi médiocre que le mien.

Je secouai la tête. Von Schwarzkönig se montrait peu, et sa magie était tellement puissante que je l'aurais directement reconnue (parce qu'elle était basée sur le sang, et que je le jalousais atrocement pour ça).

J'avais ma petite idée de qui il pouvait s'agir, en revanche.

- On va tester quelque chose.

Je me dégageai (à quel moment s'étaient-ils autant collés contre moi ?) et pivotai pour leur faire face. Puis, sans préavis, j'attaquai Autumn.

Elle avait beau être niaise, il fallait lui reconnaître une qualité : elle avait de bons réflexes. Après tout, nous avions été à bonne école, tous les deux (si j'avais mis autant de temps avant de tuer Jean-Luc, c'était bien parce que j'attendais qu'il ait fini de tout m'enseigner.) Elle se protégea de justesse – et inconsciemment, à en juger par son air hébété. L'onde d'énergie se réverbéra dans la ruelle. Des fleurs se mirent à pousser le long des murs, et Autumn tomba par terre.

- Wild, commenta Antonio.

- Tu savais que j'étais là.

La voix de Cassandre, aussi aimable que d'habitude, retentit un peu plus loin. Sa silhouette se précisait au fur et à mesure qu'elle se rapprochait de nous. Ses cheveux blonds paraissaient blancs à cause de l'éclairage bleuté. Elle avait son téléphone portable à la main, et un air ma foi plutôt satisfait : elle ne fronçait pas les sourcils. Cela n'augurait rien de très bon, en général.

- Oui, tu n'es pas une espionne très discrète.

- Peu importe. J'ai tout filmé, annonça-t-elle en agitant son smartphone sous mon nez. Quand Ursule va voir ça, elle reconnaitra que tu es un danger pour Autumn.

- Ingénieux, reconnus-je.

- Stupide ! s'écria la concernée.

Elle se releva et s'épousseta, moins sonnée que ce que je pensais.

- Je réclame mon droit à l'image. Tu ne montreras cette vidéo à personne. D'ailleurs, je te somme de la supprimer.

Un instant de silence fut nécessaire pour comprendre qu'elle était sérieuse. Je n'eus même pas la force de repousser Antonio quand il se mit à me tenir la main (je broyai ses doigts à la place).

- J'essaye de te sauver, je te signale !

- Jolan n'est pas un danger !

- Bien sûr que j'en suis un !

- Il vient de t'attaquer, idiote !

- Droit à l'image, répéta-t-elle, butée.

Cassandre et moi eûmes le même réflexe. Nous fîmes un facepalm.

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