La voix des morts

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D'abord, il n'y eut que des grésillements, comme une radio sans canal.

Puis, imperceptiblement, sans que Watson ne décèle exactement le moment du basculement, les grésillements se changèrent en murmures.

Des dizaines de murmures aux paroles indistinctes.

Wells abaissa un levier.

Un murmure se détacha du groupe.

Une voix d'enfant.

-Il fait froid, ici.

L'écho répéta en déformant les paroles du petit garçon désincarné.

-Il fait froid, pleurnicha l'enfant. J'ai peur. Les oiseaux brûlent ! Ils brûlent ! Ils tombent, ils tombent ! Ils s'écrasent sur le sol ! J'entends leurs hurlements !

Ses sanglots déchirèrent l'atmosphère, saccadés, agressifs, bien plus fort qu'ils auraient dû l'être.

Watson déglutit et se rapprocha imperceptiblement de Holmes.

Wells activa un autre levier.

Les murmures augmentèrent, semblable au raclement des pierres dans le fond d'une rivière, ou au bruissements frénétique d'une tempête dans les branches d'un arbre.

Ils gonflèrent encore, et encore, arrivant par vagues monstrueuses jusqu'à engloutir totalement les pleurs de l'enfant.

Les murmures étaient maintenant si fort qu'ils emplissaient toutes la pièce, sifflant, mordant, crâchant à voix basse des mots familiers que la conscience ne pouvait saisir. Il sembla à Watson qu'ils étaient emplis de colère et de violence.

La voix de l'enfant se fit de nouveau entendre, mais loin en arrière plan, bien loin...

-Les oiseaux brûlent ! Les oiseaux brûlent ! Les oiseaux...

-Les miroirs, lança une nouvelle voix.

C'était une voix d'homme, grave, profonde et rocailleuse. Chacun de ses mots était tendus d'une angoisse énorme qui les faisait trembler.

-Il faut que vous évitiez les miroirs ! Ils peuvent vous voir à travers ! Ils peuvent vous voir !

Les murmures augmentèrent à nouveau, déchiquetant la voix de l'homme de leur sifflement plein de rage.

Watson avait froid. Très froid.

Il avait l'impression qu'une chape d'eau glacé avait recouvert son corps.

Un frisson s'était insinué jusqu'à son âme. Au grand jour, on a des certitudes. Des faits établis. On ne craint rien. Mais la nuit tombe, l'atmosphère change... Et le doute... Le doute lancinant...

-La mort, dit une nouvelle voix.

Elle semblait lasse, infiniment lasse. Impossible de savoir s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme.

-Comme c'est noir...

-Que quelqu'un vienne me chercher ! Coupa l'appel strident d'un adolescent. Aidez-moi ! Aidez-moi !

-Laissez-les, dit soudain une voix de femme. Ils sont venus pour moi. Je vous interdis de leur faire du mal.

Les murmures perdirent en intensité, grignoté par le silence.

Watson entendait l'écho de sa propre respiration se démultiplier dans la cave pour lui revenir déformée, comme celle d'un monstre.

-C'est toi ? Demanda la femme.

Un silence passa, énorme, taché de menace et de ténèbres habités.

-Pourquoi ne dis-tu rien ? Redemanda la femme désincarnée. Tu ne m'aimes plus ? Tu m'as aimé, pourtant. Réponds-moi.

Et soudain, Watson reconnu cette voix. Oui... Oui, il en était persuadé... C'était elle. C'était elle.

Il avait tout oublié, autour de lui. Wells. Holmes. Le phonographe. Seul comptait cette voix.

-Mary, dit Watson.

Il sentit la chaleur d'une larme sur sa joue.

-Ce n'était pas maintenant qu'il fallait venir, répondit le fantôme. C'était avant. Bien avant. Lorsque j'avais encore un corps. Pourquoi m'as-tu laissé partir ?

-Je... Je suis désolé, murmura Watson, bouleversé. Tu étais malade... Et je n'ai pas pu...

-Pourquoi m'as-tu laissé partir ?

-Mary...

-Pourquoi m'as-tu laissé mourir ? Tu aurais me sauver. Il y a rien ici. C'est un vide. Un gouffre immense, un néant noir emplit de chose affreuse.

-Je...

-Je te vois, tu sais. Je vois tout. J'ai vu ce que tu avais fait.

-Ce que j'ai fait ? Mais...

-Je croyais que tu m'aimais, le coupa la voix. Si tu m'aimais vraiment...

-Mais je t'aimais sincèrement, Mary ! s'exclama Watson sans voir le détective, à ses côtés, lui jeter un regard douloureux. Je t'aimais... Mais lui aussi. Je l'aime. Dieu me damne, mais je l'aime de tout mon être, plus que moi-même, plus que n'importe quoi dans cet univers !

-Tu n'aurais pas dû. C'est mal.

-Il n'y a aucun mal à aimer ! Tu le sais ! Tu me l'as toujours répété ! J'aime Holmes et je...

Watson sentit soudain des bras l'enserrer. Il se rendit compte qu'il pleurait.

-Vous en avez trop dit, mon cher, si cher Watson, murmura Holmes à son oreille d'une voix brisée.

Les voix se turent d'un coup. Une lumière crue inonda la pièce.

Le docteur Wells regardait les deux hommes enlacés d'un air triomphant. Trois lascars à la forte carrure l'entouraient.

-Eh bien et bien, railla Wells. Le détective le plus célèbre du monde, l'emblème de notre nation, la fierté de la reine, semble avoir des mœurs bien peu chrétiens... Imaginez un peu, si cela venait à se savoir ! Vous ne jouez pas que votre réputation ! Vous jouez aussi votre liberté et votre patrimoine. Songez au triste sort d'Oscar Wilde ! Et lorsque la tempête juridique sera passé, qui s'adressera encore à vous pour une enquête ? Non, Holmes, vous ne pouvez pas laisser ça arriver.

Holmes lâcha Watson et se plaça devant lui.

-Ça a toujours été une histoire de chantage, n'est-ce pas ? Vous espionnez les clients dans la salle d'attente, et vous estimez la raison de leur venue. Puis vous choisissez un enregistrement. Je suppose que vous en avez tout un panel. Pour veuf, pour veuve, pour femme ayant perdus leurs enfants, pour couple, pour célibataire... bref. Autant d'enregistrement qui n'ont qu'un seul but : faire révéler à votre victime son plus grand secret. Vous accueillez tous le gratin de la société ici. Vous devez vous faire une fortune en chantage.

-Pour un brillant esprit, railla Wells, je vous trouve un peu en retard.

-J'ai été distrait, ragea Holmes en songeant à la figure bouleversée de Watson et aux mots qu'il avait dit.

-Trêve de bavardages. Vous savez ce qu'il vous reste à faire. À combien estimez-vous votre liberté ?

-Je suppose que vous pouvez fournir des enregistrements de tout ce qui s'est dit dans cette pièce ?

-Vous supposez juste.

-Une dernière question : où sont Malone et Challenger ? Car ils sont venus ici, n'est-ce pas ? Malone est rusé. Il a gravé ses initiales sur le mur, dans la salle d'attente. Juste au cas-où.

-Beaucoup plus rusé que vous, en tout cas.

-Leur avantage était de ne pas avoir de défunt à déplorer, rétorqua Holmes. Ils n'ont pas été abusés par vos illusions, et vous n'avez pu leur extorquer aucun secret qui vous aurait permis de vous assurer leur silence. Soit vous les faisiez disparaître, soit vous étiez perdus.

-Devinez quelle option j'ai choisi ! Répondit le charlatant en faisant signe à ses hommes de mains.

Le plus costaud s'approcha de Holmes, une lourde barre métallique dans la main. Il la leva pour frapper...

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