N.

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j'écris cette lettre négligemment allongé sur mon lit. j'écris comme un adolescent, comme le jeune homme que j'ai laissé auprès de toi. j'écris en sachant que je n'aurai pas de réponse — telle est la funeste destinée des lettres d'amour, je le crains. 
j'ai écrit beaucoup de lettres dans ma vie, je sais à quel point écrire le premier mot est dur. il est tendu, lourd, pesant, je le déteste toujours. mais ce soir, c'est pire. c'est pire parce que c'est toi. c'est toi, N. 
je ne pensais pas t'écrire une lettre un jour. je ne pensais plus pouvoir t'écrire de lettre d'amour — tu ne m'aimes plus. mais, j'ai rencontré un homme et je lui ai parlé de toi sans te détester. je lui ai parlé de toi sans me détester. alors je me dis que le moment est venu de t'écrire une lettre — une lettre d'adieu à l'amour.

j'espère que tu ne me détestes plus, j'espère que tu ne m'aimes plus. 
je ne veux plus de sentiments entre nous. je pense qu'il est venu le temps des souvenirs. je veux voir fleurir des souvenirs de papier entre nous. nous méritons une paralysie du temps, une immobilité du monde, pour nous souvenir de nous-mêmes. je ne veux pas laisser mourir ce qui a existé entre nous. seuls les sentiments sont éphémères. 
alors, N, j'aimerai savoir si tu te souviens. te souviens-tu de notre première nuit ensemble ? enfin la première nuit d'amour. je me demanderai toujours comment tu as pu boire tout mon chagrin, tout absorber, tout rendre plus beau et moins douloureux. tu as été un magicien avec mon cœur, N.

tu te souviens ; de l'amour sur tes mains lorsque que tu me caressais les cheveux, des tasses de thé à 2h du matin — thé vert gingembre citron pour toi, thé noir fruits rouges pour moi — des couchers de soleil depuis la terrasse, des séances de cinéma à 21h30 au cinéma du coin, des fleurs dans les vases partout dans l'appartement, et puis des fleurs séchées encadrées dans la chambre, de la mort de basilic — j'ai envie d'adopter un nouveau chat mais j'ai peur qu'il me rappelle trop basilic — de l'odeur infâme du produit de ménage dans le hall de l'immeuble, de l'amour avec les fenêtres ouvertes et du vent dans les rideaux, du grain de beauté dans le coin de ton oeil gauche et celui, symétriquement placé dans le coin de mon oeil droit, des allers retours à berlin — parce que cette ville était comme notre chez nous - des soirées dans les bars avec les ami.es, de toi toujours avec ton appareil photo autour du cou, des nuits passées tous les deux, quand on laissait l’art et l’amour nous priver de sommeil, de la première fois où tu as lu l’un de mes textes — on avait treize ans, avais-tu compris que je parlais de toi ? — et puis de la dernières fois où tes yeux ont embrassé le papier, le papier de qui je suis - un poème pour me faire pardonner — des vacances chez ta grand mère, de la mer et de l’écume sur tes lèvres, de mon premier chagrin d’amour - il s’appelait E, tu te souviens ? il a déménagé peu de temps après notre premier baiser — de toutes les fois où tu m’as sauvé la vie — au bord de la piscine de M, pendant tous mes états d’âme, quand tu me sauvais de moi-même — de ta voix, douce, parfois cassée, qui venait se lover contre mes mélodies à la guitare, de ta peau contre la mienne, dans une symbiose sans faille, des musées à l’heure d’ouverture, dans une aube encore quasi pleine, des livres abîmés et décorés de post-it et de stylo qui traînaient dans tout l’appartement, des baisers volés déposés sur nos lèvres sèches et tremblantes, des preuves d’amour dans les yeux, dans la floraison des lèvres, de l’extase des concerts partagés ensemble, des moments de solitude, quand l’autre devenait souvenir et poussière quelques temps, du jour où tu m’as dit c’est fini, L, quand tu m’as bercé avec tendresse alors que tu venais de me quitter, du moment où tu t’es dit c’est trop, je n’en peux plus, je ne peux plus vivre avec lui, des fleurs que je t’ai offertes ce dernier jour, de mes affaires sur le pas de la porte, de cette porte fermée, close, verrouillée — tu as sans doute déménagé depuis — de qui j’étais ; tu te souviens de qui j’étais — de qui je suis ? 

N, tu te souviens de nous ?

les souvenirs, c'est quelque chose qui m'obsède. j'ai cette manie, cette envie folle et prenante de tout écrire — pour ne rien oublier. j'ai écrit notre amour de tellement de façons, je l'ai déversé sur le papier tant de fois. je t'ai insulté, dans l'amour oui. j'ai amassé bon nombre de feuilles froissées, déchirées et pleines de ratures sur lesquelles je te méprisais, te haïssais. j'ai écrit pour toi parce que tu m'étais unique. il y a une nécessité de tout conserver dans mon écriture, quelque chose de terrassant. j'ai besoin de conserver tout ce qui a fait que nous étions nous-mêmes, que nous nous aimions. je veux condamner à la lumière nos habitudes, nos rituels, nos petits détails, ce qui nous a reliés pendant 9 années. mon écriture se nourrit avec avidité de la moindre présence de l'amour, de chaque objet sur lequel il s'est échoué, de chaque mot dans lequel il a écouté le silence.
c'est pour cela, sans doute, que je veux savoir si tu te souviens. si tu te souviens comme je me souviens, de la même façon que moi, indispensable. je me souviens parce qu'il m'est brusquement impossible d'oublier ; tout en moi hurle de rage à cette seule pensée.
ma mémoire est désuète, N. elle est un animal blessé, se voyant mourir de jour en jour sans pouvoir se résigner à laisser partir l'amour. il y avait une vie en nous, une vie que je ne laisserai pas oublier. je ne veux pas avoir la conscience funeste et morbide de ma mémoire qui brûle, qui devient poussière et néant. je me veux vivant, même quand je serai mort.
tu comprends, n'est-ce pas ?

il faut que je te dise N, je partage de nouveau ma vie avec quelqu’un. il s’appelle anton et je ne veux jamais l’appeler A, je ne veux pas qu’il devienne un chagrin d’amour. inconsciemment, je veux lui rester précieux parce que je ne suis pas capable de vivre un autre tourment de sentiments sans toi. 
notre vie à deux est récente mais je vois déjà les comportements qu’il te partage, les détails qu’il t’emprunte - sans le savoir, sans même te connaître. il a le visage de l’amour, semblable à celui que tu avais lorsque nous étions ensemble. et puis parfois je le regarde avec attention et je vois ce qu’il a de différent avec toi, avec le souvenir que j’ai de toi. il a quelque chose de plus que ce dont je me souviens de toi ; il a, je le crois, des étincelles de vie dans les yeux. tu étais mort avec moi, N. je t’ai tué, je le sais. 
alors j’espère avec force et conviction que tu es heureux aujourd’hui, que tu as retrouvé ta vie et que tu la vois briller dans les yeux d’un autre, d’une autre, des autres. j’espère que peu importe où tu en es dans ta vie, tu as le regard du bonheur. je tiens très fort à toi, malgré tout. et cette passion que je ressens pour toi est invincible, je ne peux pas la tuer. c’est une sorte de fantôme, une ombre qui flotte autour de moi et me murmure dans le creux de l’oreille, dans la courbe de mon cou, que je ne peux pas oublier qui j’étais. notre passé ne peut pas nous échapper, je le crains. il faut vivre avec, comme une partie de nous parfois inerte et desséchée. je veux vivre en symbiose avec les souvenirs, les accueillir dans l’absence de ce que j’étais et l’éphémère de ce que je suis — je pense être. 

ce qui est mort entre nous ne mérite pas de laisser tomber la vie de ce qui reste. 

je veux parler de toi à tout le monde, rien que pour dire regardez je suis incapable de l’oubli, je ne connais que les souvenirs et pour me rappeler que je suis mon propre inconnu, que s’il faut aimer l’inconnu alors autant s’aimer soi-même. on ne se connaît plus N. je ne sais pas ce que tu es devenu et si tu lis cette lettre, tu ne sauras de moi seulement ce que j’ai bien voulu te dire — ce que j’ai réussi à t’écrire. on ne se connaît plus, N. nous ne sommes plus capables de savoir ce que l’autre est, comment il est, pourquoi il l’est. mais je crois que, quelque part, cela me convient. on ne peut pas tout connaître mais on peut tout imaginer. alors, je me permets d’imaginer que tu vas bien, que là où tu es il y a des étoiles et puis la mer. si on peut tout imaginer je me laisser tomber dans un affront que tu mérites, dans une forme d’hérésie ; imaginons qu’on prenne un thé ensemble, un de ces jours. si tu en as envie comme j’en ai envie, je pense que les souvenirs sauront parler pour nous. dans ce cas, on se retrouvera sans avoir à le prévoir dans le café en bas de notre ancien appartement, et tu prendras un thé vert citron gingembre et je prendrai un thé noir aux fruits rouges. j’imagine que nous serons gênés de se retrouver là, si épris de nos souvenirs et étonnés de voir que, malgré tout, l’amour sait partir sans laisser de blessures. 
mon imagination s’emballe parfois, alors si cela est trop pour toi, je le comprendrai. il n’y a plus rien de vivant, si ce n’est les souvenirs, entre nous alors je comprendrai tout. je te comprendrai tout. 
je suis désolé si jamais la lecture de cette lettre a été douloureuse, ou même si elle n’a fait fleurir aucun sentiment en toi. j'aurais voulu ne rien gâcher avec toi, ne jamais te faire du mal et même ne jamais croiser ta route si c’était le mieux pour toi. mais, je me dis que les regrets font de nous des cadavres, alors je préfère me laisser aller aux souvenirs. j’ai fait ce que j’ai fait, je n’ai pas fait les choses qu’il aurait fallu mais entre nous il y aura toujours le passage furtif et tendre de l’amour. je ne suis pas capable d’écrire des adieux sur ton prénom, sur qui tu es, qui tu étais. 

prends soin de toi N, tu mérites de vivre, de vivre comme si ta vie en dépendait, tu mérites le soleil, les fleurs, la joie et le temps. 
je te souhaite la vie, de façon douce et laissée au vent des choses ; je te souhaite tout ce que tu n’as jamais pu avoir à mes côtés. merci pour les années de bonheur, pour la consolation infinie que tu me donnais, pour ton corps qui a abrité le mien, pour les preuves d’amour, pour les étoiles, pour l’euphorie et l’extase, pour notre vie et pour ce qui en restera toujours intact et présent en moi — en nous, je l’espère.
je t’embrasse,
L. 

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