S.

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mon cher S,
j'ai rêvé de toi la nuit dernière. ton souvenir m'est revenu comme une évidence, une cascade d'images et de sensations qui ne m'ont jamais quitté. j'ai rêvé de toi dans ton champ, entouré d'herbes folles et de soleil. tu étais nu, entièrement et pleinement nu et ta peau était tiède de l'été. tu sentais l'écume, le sel et la chaleur ocre du soleil. tu écrivais dans ton éternel carnet noir aux pages couleur crème. le bruit du stylo sur le papier m'a hanté toute la journée. il y avait sur toi, paisiblement installée dans le creux de ton corps, une légère brise estivale. elle faisait des vagues dans tes cheveux blondis et je voulais y glisser mes mains moites. si tu savais comme j'étais amoureux de toi dans ce rêve.
ton corps était comme une statue, quasiment immobile dans l'effort immense que représente l'écriture. les cicatrices qui le parcouraient ressortaient sous les lueurs du soleil, vives et rosies. ton corps est une bénédiction, S. au soleil, picoré par les fleurs des champs, il semblait être fait de marbre. ton torse paraissait rougir sous le désir qu'il ressentait à l'idée de m'accueillir en son sein et tes jambes musclées se préparaient déjà à se tordre sous les éclats du plaisir. et puis il y avait ton sexe, en retrait mais pourtant si présent dans l'immensité de ta beauté et de mon désir. il était pleinement et intensément là, prêt à me faire chavirer. ton corps, je le crois, était de l'or.

je dis était, oui. je parle de toi au passé. tu es mort, S. il y a onze jours, tu es mort. mort mort mort mort mort mort mort mort mort. ton corps n'est plus que cendres. tu ne voulais pas être enterré. je te remercie pour cela. je ne sais pas comment j'aurai pu vivre avec ton corps moisissant, périssant, mourant, loin de moi et du soleil italien. je n'aurais pas pu vivre si ton corps n'avait été que noirceur. j'ai voulu disperser tes cendres, les laisser s'envoler dans notre champ en italie et regarder ton corps, ton toi disparaître mais ta femme m'a dit que je n'étais pas le bienvenu. je n'ai pas pu assister aux funérailles. je n'ai pas pu te dire adieu. je n'ai pas pu t'écrire.

alors je le fais maintenant. après avoir rêvé de toi, après t'avoir raconté à anton. tu ne connais pas anton. tu ne le connaîtras jamais. vous êtes des inconnus. mais j'ose penser que lui pourra te connaître ; je me plais à lui dire qui tu étais — pour moi. j'aime lui parler de toi et le regarder te désirer d'une envie irrésistible que tu faisais naître en moi. il me dit souvent que tu devais être beau. je ne sais pas s'il pense ça parce que je te trouvais beau et que la description de toi est biaisé ou s'il te trouverait réellement et pleinement beau. 

tu aurais beaucoup aimé anton — à part peut-être le fait qu'il soit prêtre — et il t'aurait beaucoup aimé — à part peut-être le fait que tu parlais peu. anton aime les paroles et il raffole des mots qui volent dans la bouche, qui effleurent toutes les langues et les infinités de vies qui existent.
quand je lui parle de toi, je lui dis qu’entre nous les mots ne valaient rien. entre nos deux corps, pour nos corps, il n’y avait besoin que d’une étincelle de désir et puis du soleil pour nous draper de douceur. tu me manques S. lorsque j’ai appris ta mort, j’ai pleuré sur le texte que tu m’avais écrit. aujourd’hui je connais son entière signification et je tombe éperdument amoureux de toi dès que je le lis. j’ai pleuré sur tes mots, pour ton corps, pour l’absence que tu laisses à ce monde. j’aimerai avoir tes cendres dans mes mains, les étaler sur ma peau et te sentir pleinement en moi. j’ai le désir fou, tordu même, de déposer quelques-unes de tes cendres sur le bout de ma langue et puis de les laisser s’échouer, s’enfouir en moi. j’aimerai te revoir.

quand j’y repense, je ne parviens pas à savoir pourquoi nous ne nous sommes jamais revus après cette nuit dans une église en 95. tu étais avec ta femme, j’étais avec N et pourtant nous nous sommes dévorés dans l’amour. pourquoi n’avons-nous pas tout laissé tomber pour être ensemble ? je nous en veux pour notre lâcheté sans faille, notre manque de courage et notre peur si vive et défigurée. comme j’aurai voulu soigner ta honte, la prendre près de moi et la consoler doucement. j’aurai voulu te dire on s’en fout de ce que pense le monde ; le monde maintenant c’est nous. mais je ne l’ai pas fait alors nos derniers mots n’ont jamais été des adieux. certes, c’était des mots d’amour, des mots dans l’amour, des mots de l’amour, mais tu méritais des adieux. j’aurai voulu te dire au revoir, dire au revoir à ton corps. 
j’aimerai déposer tes cendres sur mon corps, comme si tu me délivrais une chaleureuse étreinte, une dernière étreinte - de celles qui font pleurer l’amour - et puis leur demander, te demander me pardonnes-tu ? 

cette lettre est vide de sens, dépourvue de but et sans destinataire. c’est une lettre solitaire, destinée au silence et à l’abomination. mais je devais t’écrire ; il fallait que je laisse des mots sur ta mort. j’ai tes mots et les souvenirs de ton corps pour la vie, pour le reste de ma vie. j’ai des restes d’amour au creux de mon cœur et même le temps est incapable de les détruire. je crois bien que tu ne parlais pas beaucoup parce que tu es fait pour être écrit. tu es mon inspiration au soleil, ma muse des jours froissés, en quelque sorte. 

S, je t'aimerai,
L.

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