Je dépose dans l'immense évier noir de la cuisine ma vaisselle sale. Puis, remonte l'escalier pour aller dans ma chambre, prendre une douche bien chaude afin d'enlever l'odeur d'alcool qui me colle à la peau.

Je suis dans le cadre de porte de ma chambre lorsqu'on m'interpelle.

-Skylar! Dans mon bureau, maintenant ! Hurle West, les sourcils froncés.

Je ferme les yeux en soupirant, puis fais demi-tour. En me dirigeant dans l'antre de mon frère, mon cœur s'accélère, mes mains tremblent et je deviens légèrement nerveuse. Mon frère n'est pas l'un de ses grands méchants que l'on voit dans les films, du moins pas avec moi. Toutefois, je sais que ce ne sera pas une partie de plaisir lorsque la grande porte de bois taillé se fermera dans mon dos. Il n'a plus vraiment de tact depuis la mort de Kaiden, il n'a plus de pitié tout simplement. Il va tenir son discours habituel, son discours blessant comme si son cœur avait été enterré en même temps que notre frère.

Je le vois dans ses yeux à quel point il est détruit, mais il enfile son masque de grand méchant loup pour masquer cette peine qu'il n'arrive pas à exprimer autrement que par la colère. Il va finir par blesser les autres, les perdants pour toujours, mais c'est aussi lui-même qu'il va finir par détruire. J'ai beau comprendre qu'il fait partie des plus grands chefs des organisations criminelles de ce pays. J'ai beau comprendre qu'il y a de l'influence et qu'il doit garder la tête haute, imposer une certaine prestance malgré les évènements. Mais je vois aussi qu'on est en train de perdre Westley, notre Westley avec un peu d'humanité.

Arrivée au pas de la porte, je prends une grande respiration, puis entre dans cette pièce où la pénombre règne, où la fumée des cigarettes flotte près du plafond et où trône mon frère tel un roi sur son gigantesque fauteuil de cuir noir.

Je m'avance vers le centre de la pièce suite à l'indication de mon frère pour m'installer sur une chaise juste en face de lui. Comme prévu, la lourde porte se ferme dans un claquement sourd qui me fait légèrement sursauter. Westley se racle la gorge en se levant, écrase sa cigarette et puis s'appuie sur son bureau de bois brut pour me surplomber de sa grandeur.

-Donc, si je comprends bien tu t'enfuis avec ta moto je ne sais trop où, à la quête de je ne sais trop quoi. Aux petites heures du matin, j'entends qu'on t'a retrouvé, telle une ivrogne, dans un bar pas très fréquentable. Et qu'en suit un homme-t-a accosté pour te proposer je ne sais quel fantasme il voulait réaliser et que tu l'as envoyé à l'hôpital, le nez cassé. Tu veux bien me dire à quoi tu joues? Me crache-t-il comme si je n'étais qu'une simple inconnue qui avait désobéi aux ordres du grand boss.

Je le fixe dans les yeux, un air insolent sur le visage, avant de lui répondre sur le même ton.

-Rien, je ne joue à rien Westley. Je vis simplement ma vie. Si ça te pose un problème, abstint toi de ton discours réprobateur, j'en ai rien à foutre de ce que tu peux penser.

Mon frère vire au rouge, la colère lui monte au visage. Ses sourcils se froncent encore plus qu'ils ne l'étaient déjà et sa mâchoire est tellement contractée qu'il pourrait se casser les dents. C'est lorsque son poing vient s'écraser contre le bureau sous lui et que ses yeux virent aux noirs que je sursaute légèrement, un frisson de peur travers alors mon dos. Il rit nerveusement, passe sa main dans sa barbe, un tic nerveux lorsqu'il est très en colère. Il se redresse me faisant maintenant dos.

-Alors... Dit-il en riant légèrement encore une fois. Je ne suis pas là pour jouer au plus con, alors tu vas ouvrir ta grande bouche et tu vas me dire ce qu'il te prend. Tu vas m'expliquer ce que mon insolente de sœur peut bien faire de sa vie, ce que mon alcoolique de sœur fout de ses soirées entourées d'hommes qui ne veulent que son cul ? Explique-moi !

-Et bien ton insolente de sœur veut vivre pour Kaiden, parce que lui il ne peut plus...

-Ne parle pas de lui ! Me cri-t-il à tue-tête.

-Je ne fais que t'expliquer ce que je fais de ma vie mon cher frère.

Il soupire, se retourne pour me faire face et vient imposer toute sa grandeur face à moi en restant silencieux.

-Et puis, ta chère sœur, attends tu as dit ton alcoolique de sœur excuse-moi... Dis-je sur le ton de l'ironie. Elle passe ses soirées dans les pubs à la recherche d'un peu de réconfort, à défaut d'avoir chez elle des gens qui la prendront dans leur bras. Tu sais Westley il y a des gentils hommes, d'un grand réconfort, dans les bars qui sont prêts à partager leur lit par l'échange mutuel d'un peu de jouissance.

-Ferme là ! Cri de nouveau Westley.

-Malheureusement je ternis ta triste image, monsieur le grand chef. J'en suis terriblement désolée... Dis-je sur un ton des plus ironique. C'est ce que tu aimerais tant que je te dise, mais soit en certain qu'aucuns de ses mots ne sortira de ma bouche West, jamais.

-Tu n'es qu'une incapable, une irresponsable. Toujours là à vouloir chercher l'attention, à vouloir faire ton intéressante pour qu'on s'occupe de toi. Tu sais quoi Skylar, tu vas récolter ce que tu vas semer. Ne t'engage même plus à vouloir mettre les pieds en dehors de cette maison, aussi non tu sais très bien ce qui va t'attendre...

-Des menaces maintenant ?

-Oui, parce que c'est comme ça que tu arrives à enregistrer ce qu'on te dit. Oh, est-ce tu préfères que je te laisse t'occuper tout de suite de ce qui s'est passé dans le hangar hier ?

Mon sang se glace, un vertige me prend. La scène d'hier me revient en tête, le sang, les cris, les pleurs, les corps, les armes, tout resurgit comme une claque en plein figure. Mon visage se ferme sous le sourire méchant de Westley. Je retire ce que j'ai dit, mon frère est l'un de ces grands méchants comme dans les films. Ceux qui n'ont aucun regret à écraser leur victime au sol, ceux dont le sang et les cris de peur les font frémir d'excitation, ceux que les gens fuient à tout prix. Mon frère s'est transformé en l'un de ses montres horribles qui ont jeté leur cœur en enfer...

-Non. Est-ce que je peux partir ? Dis-je sans la moindre émotion dans la voix, il n'est plus question de lui tenir tête ou d'être arrogante.

Il fait le tour de son bureau et s'installe dans son fauteuil tel un prince des ténèbres. Il a effacé ce sourire que je déteste tant, affichant sur son visage un air fermé tout comme le mien, une expression qui renferme toutes les émotions à l'intérieur. Puis, il me fait un signe de tête, m'autorisant la sortie. C'est à grandes enjambées que je quitte, sans me retourner, cette pièce étouffante.

Je m'appuie sur le mur à la sortie, puis j'essaye de reprendre mon souffle maintenant saccadé. La peur, la colère, l'angoisse ou peut-être bien la tristesse, m'étrange la gorge. Je ne sais trop quelles émotions mouillent mes yeux, puis inondent mes joues. Je marche à petits pas sur mes jambes chancelantes vers la chambre que j'occupe depuis trois mois maintenant. Puis, je m'y enferme telle une princesse prise au piège dans la tour du grand méchant de l'histoire. Tu n'es qu'une incapable, une moins que rien Sky, ton frère a bien raison...