JEUDI 1 / 9 HEURES 30

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Confinement troisième saison.

La veille, et pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, Ninon avait loupé l'allocution. Ni télévision, ni radio, ni veille intensive des réseaux sociaux. C'était à peine si elle avait tiqué quand Louis lui avait envoyé un message alarmé. Le Président parlait ! Les écoles fermaient ! Pour autant, Ninon n'avait pas mis son podcast sur pause. Mieux, elle avait allumé une bougie à la vanille et respiré l'air teinté d'arômes. Elle se souvenait avoir ouvert la porte vitrée du salon, celle qui donnait sur le patio et s'être assise sur la crémone. Le jour tombait, le soleil disparaissant derrière les ombres des ormes d'en face. Confinement troisième saison, Ninon ne ressentait rien d'autre qu'un fatalisme las. Oui, c'était dans l'ordre des choses. Jamais deux sans trois, comme disait l'adage.

Son portable avait sonné. Ninon avait été le chercher sur la table basse. Personne ne l'appelait, c'était une alarme. Des gestes robotiques, Ninon se dirigea vers la commode dans sa chambre, elle avait ouvert un tiroir, fouillé tout au fond, parmi les culottes et les soutiens-gorges et en avait sorti le flacon en plastique. Du bout de ses ongles, elle avait rompu le comprimé sécable à l'endroit prédéfini et l'avait avalé.

Mince prix à payer pour une vie de liberté.


Louis la réveilla, ce matin-là. Elle ne l'avait pas entendu rentrer. Il s'était assis sur son lit et lui avait caressé les cheveux en douceur. Ninon émergea, la lumière du jour filtrait à travers les rideaux opaques. Soudain, elle se souvint : ils devaient prendre la route, elle avait loupé le réveil ! Les yeux grands ouverts, Ninon se redressa dans son lit, son front heurta la pommette de Louis.

― Aïe ! maugréa-t-il.

― Pardon, pardon !

Elle massa la peau de Louis quelques secondes, avant de s'affoler de plus belle, se dégageant des draps et cherchant de quoi s'habiller.

― Je suis carrément en retard, pardon. J'avais mis un réveil à 7 heures pourtant !

Pendant qu'elle enfilait un pantalon, son petit orteil se prit dans le trou aux genoux. Ninon perdit l'équilibre et tomba sur le lit, de côté. Résignée à subir le sort, elle resta couchée là, son pantalon à mi-cuisses. Un long soupir s'échappa de ses lèvres. Louis rit :

― Eh, calmos ! On n'est pas du tout en retard. Prends ton temps.

Allongée, le visage de son petit ami lui apparut à l'envers. Louis lui planta un baiser de bonjour sur le front.

― Je suis passé acheter des croissants.

― Tu... s'étonna-t-elle. Arrête d'être parfait !

― Je suis pas vraiment parfait... j'ai tout mangé sur la route, il ne t'en reste qu'une moitié.

Ninon sourit.

― Ça ira, merci. Dis-moi, tu peux arroser les plantes le temps que je m'habille ?

― Comme je fais ça ?

― Avec de l'eau, Louis.

― Je vais les flinguer !

― Mais non, lui assura-t-elle. Allez, dégage, normalement, tu n'as pas le droit de me voir au réveil.

Louis obéit, il ne manqua pas de glisser un clin d'œil avant de partir. Ninon resta une poignée de secondes couchée là, les yeux se baladant sur le plafond. En vérité, elle n'avait pas envie de l'accompagner dans sa famille, elle était terrifiée à l'idée de rencontrer ses parents et préférerait rester chez elle, à ne rien faire. Elle avait accepté en voyant l'étincelle dans les yeux de Louis et son air de chiot enjoué quand il avait tenté de le convaincre. Ninon contracta les abdominaux pour se relever, en vain. Elle fut obligée de rouler sur le côté avant de se redresser.

Son jean passa difficilement ses hanches. Elle sautilla sur place pour terminer de l'enfiler. Depuis qu'elle ne travaillait plus, qu'elle n'arpentait plus la ville pour sauter de métro en bus et qu'elle profitait de sa période de chômage pour cuisiner, Ninon avait pris du poids, surtout des fesses. Rien de grave, il fallait juste qu'elle le perde avant de revoir sa mère. Sinon, bonjour les remarques déplacées et la cure de raisin forcée. Heureusement, elle n'avait pas prévu de la retrouver de sitôt.

Ninon gagna la lutte contre son jean, le boutonna, zippa la braguette et tendit l'oreille. Louis faisait couler de l'eau pour les plantes. Ninon s'empressa de prendre la flacon de comprimés dans sa commode, d'en avaler un quart et de mettre le reste dans son sac de voyage, au pied de son lit. Elle intercepta son portable avant qu'il ne sonne, trois minutes plus tard.

Un pull et des chaussettes après, elle revenait dans le séjour pour trouver un Louis accroupi, une éponge à la main. Une flaque d'eau s'était répandue autour du pot du yucca.

― Je te jure que j'ai rien fait ! J'ai mis de l'eau, ça a coulé d'un coup !

Ninon se contenta d'un sourire attendri, et plaça une assiette sous le pot de la plante.

― Celui-là n'avait peut-être pas soif.

― Comment je suis censé le savoir ? bougonna Louis. Fais ton truc, moi, je suis nul !

Alors, elle prit le relais de l'arrosage des plantes pendant que Louis faisait du café. Ils partiraient vers 10 heures, direction la maison d'enfance de Louis, à la frontière avec la Suisse. Si tout se passait comme prévu, ils arriveraient pour le déjeuner. Autant dire que Ninon n'était pas pressée d'y être...


La petite voiture de Louis avait vu d'autres longs trajets sous le ciel bleu. À l'entendre, il avait sillonné les routes de France au volant de ce vieux tacot. Ninon elle-même avait vécu de sacrées aventures sur ce siège passager, ils étaient partis se confiner à la montagne, ils s'étaient confié l'un à l'autre, ils s'étaient embrassés après être tombés en panne. Une fois de plus, cette voiture les menait vers une nouvelle étape de leur relation.

Ninon regardait le paysage défiler, laissant ses pensées divaguer. Les anxiolytiques réduisaient le stress et l'angoisse induits par la rencontre à venir mais n'empêchaient pas Ninon de s'interroger.

Que savait-elle de la famille de Louis ? Son père était un immigré polonais, chrétien orthodoxe, conservateur sur les bords. De sa mère, Louis n'avait pas dit grand-chose, mis à part qu'elle lui envoyait chaque mois un colis rempli de masques, de gel hydroalcoolique et de pâtes. Ses deux parents étaient médecins urgentistes et n'avaient pas eu une semaine de vacances depuis le début de la crise sanitaire. Ils étaient blindés de tunes. Louis était le cadet d'une sœur aînée nutritionniste, qui avait accouché l'été précédent. Dans son esprit, Ninon se figurait une famille bien rangée, qui possédait des tableaux d'art dans leur salon et mangeait bio. Plus elle dressait leur portrait, plus Ninon était convaincue de ne pas être à la hauteur. Bon sang, pourquoi avait-elle accepté ?

Ils venaient s'élancer sur l'autoroute, Louis ferma les vitres et appuya sur l'accélérateur. Le moteur vrombit dans un rugissement inquiétant. On aurait dit que la voiture allait leur claquer entre les pattes à tout moment.

― Bon, lança Louis. Faut que je te briefe un peu.

Ninon avait peur. Sur le volant, Louis levait un doigt à chaque nouveau point :

― Papa a un accent d'Europe de l'est, mais il parle parfaitement français. Tu verras, c'est perturbant au début, mais on s'y habitue vite. Maman va sûrement te demander où tu as acheté tes boucles d'oreilles, c'est possible qu'elle demande à ce que tu les lui vendes. Tu fais comme tu veux. Clémentine va te prendre de haut, ne t'inquiète pas, c'est une connasse.

Clémentine était sa sœur, Louis ne loupait pas une occasion de lui mettre des coups de poignards dans le dos. Ninon ne savait pas si c'était des chamailleries de fratrie ou s'ils ne s'aimaient vraiment pas.

― Comment s'appelle ton neveu, déjà ?

― Clothaire.

― Clothaire... répéta Ninon avec perplexité.

Louis lui fit signe de laisser tomber.

― Quoi d'autre ? Quoi d'autre ? Oh, mamie n'entend presque plus, n'hésite pas à hausser le ton. C'est possible que mon oncle refuse de te servir du vin, car il est super macho et pense que les femmes ne doivent pas boire. T'en fais pas, il a trois filles féministes, elles le traiteront de vieux croûtons.

Ninon tentait d'enregistrer toutes les informations. Elle avait de moins en moins envie d'être là. Louis pinça les lèvres, réfléchissant. Il termina d'achever sa petite amie quand il dit :

― Ah oui... Euh... Faudrait peut-être que tu enlèves ton piercing aussi.

― Mon piercing ?

― Je... C'est mieux. Juste pour le week-end, hein !

Message compris. Dans la famille de Louis, on ne portait pas de piercing. Docile, Ninon retira l'anneau à sa narine et le rangea dans sa coque de téléphone. Louis tourna la tête vers elle, et lui adressa un sourire furtif. Celui que Ninon lui rendit fut affreusement contrit.

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