MARDI 30 / 18 HEURES 20

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 Louis avait bien un appartement, mais il n'y était pas souvent. Celui de Ninon était tellement plus accueillant, avec ses plantes vertes et ses décorations, bougies, draperies, sets de tables, dessins et bibelots sans autre utilité que celle d'être beau. Chez lui, chaque objet avait une fonction, le rendu était austère. À force de passer des nuits chez sa petite amie, il laissait de plus en plus d'effet personnels.

Quand Ninon, agacée de voir ses vêtements traîner sur l'accoudoir du canapé, lui avait libérer une étagère dans son placard, Louis avait eu quelque appréhension. Quand elle lui avait donné un double des clés, il s'était demandé si tout n'allait pas trop vite. Cinq mois, n'était-ce pas trop rapide pour passer ce genre d'étapes ? Surtout, Louis craignait qu'un jour, Ninon pète les plombs, qu'elle lui avoue qu'elle étouffait et qu'elle voulait qu'il se casse. Il prenait le soin consciencieux de ne pas prendre ses aises. Par exemple, il ne laissait pas sa brosse à dents dans le verre de la salle de bain, il la transportait dans son sac à dos à chaque visite. De toutes façons, Ninon n'aurait pas apprécié de voir les poils mâchouillés de la brosse de Louis tous les jours, il en était certain.

Ce soir-là, ils avaient prévu de le passer ensemble, à ne rien faire. Pour Louis, c'était le dernier jour de cours de la semaine – oui, mardi. En temps normal, il l'aurait passé à faire la fête avec ses camarades de promo, mais en temps normal, il n'avait pas de copine. Louis avait une question à poser, il patientait, attendant que Ninon arrête de stresser sur le résultat du test.

Les deux se prélassaient dans le patio de la résidence. Sur des dalles de pierres desquelles dépassaient des mauvaises herbes sombres, le bailleur avait disposé deux chaises longues en plastique. Ninon les avait décapées de leurs taches jaunes de moisissure, elles avaient retrouvé leur éclat d'antan. Le soleil rasant baignait le jardin d'une lumière rosée, au-dessus de leur tête, plusieurs locataires fumaient leur cigarette au balcon. Louis, des lunettes noires aux yeux, leur adressait parfois des signes, quand un nouveau venu pointait son nez.

Soudain, Ninon se redressa.

― J'ai reçu mes résultats.

La seconde d'après, elle avait disparu pour récupérer ses codes d'identification. Elle revint vers Louis, et lui annonça avec soulagement :

― Je suis négative.

Louis lui montra un pouce en l'air. Lui n'en avait pas douté une seule seconde. La psychologue de Ninon était tombée malade, et elle s'était montée le crâne comme quoi elle était cas contact, alors que toutes les séances respectaient les gestes barrières et le port du masque. Mais bon... Louis n'avait rien dit. Si Ninon avait besoin de se rassurer...

Le téléphone de Louis ne cessait de vibrer, au rythme des messages d'une conversation de groupe. Une grosse soirée se préparait pour fêter les vacances, une soirée à laquelle il ne participerait pas... Revenant s'asseoir dans la chaise longue d'à-côté, Ninon souffla :

― Tant mieux, ça me préoccupait cette affaire. J'avais peur de l'avoir refiler à une mamie au supermarché.

Louis écoutait d'une oreille distraite. Sur la conversation, les messages affluaient. On donnait l'adresse, l'arrêt de métro, de bus, le chemin à prendre, on décomptait les invités et qui ramenaient quoi. Son inattention ne passa pas inaperçu, Ninon l'interpella :

― Ça va ?

― Mmh ? Ouais, ouais. Des gars de mon TD font une soirée, c'est tout. Je lis la conv.

Il pensait être parvenu à dissimuler le regret dans sa voix. Il dut se tromper, car Ninon devina :

― Tu veux y aller ?

― Non ! s'empressa-t-il. Non, ils sont au courant que je reste avec toi. T'inquiète.

― Tu peux y aller, insista Ninon. Je suis négative.

Louis considéra l'idée. Il faisait beau, son pote avait une super maison avec jardin et des résidences secondaires pour voisinage. Louis n'était pas en manque de fête, honteusement, il avouait avoir continué à se rassembler avec ses amis. Ils commençaient à 19 heures et arrêtaient le lendemain. Tout le monde le faisait, se disait-il, puis, ils étaient jeunes. S'ils restaient entre eux, le risque s'amenuisait.

Par souci de tenir sa parole, il comptait refuser. Il avait dit à Ninon qu'il passait la soirée avec elle, il n'allait pas la planter. Puis, il avait un truc à lui demander...

Ninon fit une proposition étonnante. Ses plans volèrent en éclat.

― On peut y aller tous les deux, si tu veux.

Louis crut rêver. Ninon ? Aller à une fête ? Cela semblait déjà un miracle en soit, mais d'autant plus dans cette période d'accélération de la crise sanitaire. Partout, l'on évoquait une prise de parole imminente, un reconfinement généralisé, la fermeture des écoles. Et Ninon qui proposait une soirée ? Mince, peut-être le test était-il corrompu, peut-être était-elle malade pour de bon ? Louis se redressa, et fit mine de scruter Ninon sous toutes ses coutures.

― Quoi ? s'inquiéta-t-elle. J'ai un truc ?

― Non, rien. Je m'assure que c'est la bonne, c'est tout.

Elle le frappa gentiment. Un éclat de rire résonna comme un écho dans le bruit blanc du patio. Quelques oiseaux s'envolèrent de leurs branches, pris par surprise.

― Si tu veux, on peut y aller. On ne sera pas beaucoup, si ça t'inquiétait. Mais...

Louis regarda sa montre.

― Il faut y aller maintenant pour y être avant le couvre-feu.

À la place de sa réponse, Ninon se précipita à l'intérieur pour se préparer. Elle avait longtemps quitté le patio qu'un sourire béat restait sur les lèvres de Louis.


**


Quel plaisir de se promener le soir sous un soleil crépusculaire ! Le début du printemps avait amené les beaux jours et les chaudes températures. Dans la voiture, pendant qu'il conduisait, les informations à la radio conjecturaient sur les mesures prises dans les prochains jours. Louis écoutait d'une oreille distraite. À la fenêtre ouverte, son bras bronzait. Déjà, il avait pris quelques couleurs.

Se reconfiner... pensa-t-il. Quel gâchis ! Personne ne le respecterait, personne ne voudrait s'enfermer à cette saison. Enfin, l'année dernière, ils l'avaient bien faits... À ce moment, ils n'avaient pas idée du poids de la pandémie et des mois éprouvants devant eux. Ils n'avaient obéi qu'à la perspective que tout serait temporaire. Désormais, les gens étaient las. Las de ne plus vivre, las de vivre dans l'incertitude, las de ne pas en voir la fin. Le masque, les mains fripées de gel hydroalcoolique, les distances de sécurité, de tout cela, il s'accommodait. Mince effort pour protéger les autres. Mais du reste : être isolé, ne rien faire d'autre que travailler, partir à l'aventure pas plus loin que sa salle de bain... Voilà le plus éreintant. Se reconfiner... Non, Louis n'y croyait pas.

Sur le siège passager, Ninon jouait avec ses bagues, signe qu'elle était stressée. Louis lui attrapa la main d'un geste rassurant, il passa la troisième vitesse leurs doigts entrelacés.

Son copain habitait en périphérie de la ville, dans une maison qu'il partageait avec trois colocataires. La nuit tombait dans une chaleur poisseuse, difficile de croire que l'on sortait de l'hiver. Il gara sa voiture dans l'allée, mais ne bougea pas. Ninon attendait l'impulsion pour y aller, elle le fixait de grands yeux interrogateurs. Louis sourit, murmura :

― Ça me fait plaisir que tu sois là.

Il savait ce que cela représentait pour elle, d'être cernée d'inconnus. Il soupçonnait que ce soit un exercice donné par sa psychologue, quand bien même, Louis appréciait l'effort. En guise de réponse, Ninon déposa un baiser sur sa joue. Avant de sortir, le jeune homme passa le masque qui pendait à son rétroviseur.

― On met le masque ? s'étonna sa copine.

― Bah... oui. On le retire quand on boit et quand on mange.

Elle parut stupéfaite.

― Tu croyais qu'on était des jeunes irresponsables qui s'embrassaient et buvaient dans les verres de chacun ? Non, non, on respecte les gestes barrières, nous madame !

Il se garda d'ajouter que cette responsabilité nouvelle datait d'une soirée où l'un avait contaminé toute la maisonnée. Louis était passé entre les mailles du filets, mais l'un de ses camarades avait envoyé son père à l'hôpital... Alors depuis, oui aux soirées, mais masqués.

Ils claquèrent leurs portières, frappèrent à la porte, entrèrent. Autour d'une table basse, les gens s'étaient assis en cercle, baignant dans un nuage de fumée de cigarette et dans le halo bruyant des conversations. Il fallut quelques secondes à Louis avant de remarque les moitiés de visages manquantes. Fou comme le masque faisait partie du paysage, fou comme on ne le voyait plus. Au contraire, c'était quand quelqu'un le retirait, pour fumer, pour siroter son verre, que Louis tiquait. Ah ouais ? Il ressemble à ça celui-là ?

On leur fit une place dans le cercle, on leur proposa une bière. En voyant Ninon la décapsuler avec un briquet sorti de sa poche, Louis haussa un sourcil. Son geste fluide laissait croire qu'elle avait fait ça toute sa vie ! Lui même n'y arrivait pas. Il n'avait jamais connu Ninon dans un contexte de fête, pandémie mondiale oblige.

Et si cela avait le cas, il serait tombé amoureux bien plus vite ! Ninon était ouverte, à l'écoute, sympathisait sans problème avec des plus jeunes qu'elle, leur offrait les conseils de quelqu'un qui avait terminé ses études. Louis ne pouvait plus en placer une, et à un moment, il céda sa place à une fille avec qui elle parlait au-dessus des bouteilles depuis cinq minutes. Louis, plutôt, s'installa dans le canapé avec ses copains et riait à leurs blagues stupides, euphorique et bientôt ivre.

Malik lui désigna Ninon :

― C'est elle la coloc ?

Quand il posa cette question, Louis eut dix secondes d'hésitation. Putain, oui ! La coloc. Ninon était la coloc avec qui, un an auparavant, il était confiné. Avec tout ce qu'ils avaient vécu, il l'avait presque oublié.

― Ouais, c'est elle la coloc.

Un jour, malade comme un chien, Louis avait dit à Malik qu'il tombait amoureux. C'était au bout d'une semaine de confinement.

― Eh bah, sacrée meuf.

Louis n'aurait pas dit mieux. Ses yeux se perdirent dans les traits de sa petite amie, son nez tacheté de roux, le piercing à sa narine, la mèche de cheveux qu'elle rejetait sans cesse en arrière. Elle s'habillait simplement, avec le style d'une nouvelle maman débordée : jean larges et chemisiers fluides. Louis, les bras croisés sur sa poitrine, se fondit en contemplations.

Lui, Louis, il sortait avec une fille pareille !

Ninon attrapa ses yeux, et fronça des sourcils confus. D'un signe de tête, il lui proposa d'aller prendre l'air. Trois heures avaient passé, pas une fois il ne lui avait parlé.

Une terrasse donnait sur un jardin en friche, un potager envahi de mauvaises herbes s'étalait au fond, mais la frontière entre les hautes herbes et les fanes de carottes était difficile pour l'œil. Encore plus dans l'obscurité. L'air s'était rafraîchi, Ninon s'appuya contre le crépis blanc de la maison. Ils n'étaient que tous les deux, ils retirèrent leurs masques.

― Ça me fait bizarre, lui confia Ninon.

― De quoi ?

― De faire un peu la fête, de voir du monde. On se croirait en dehors de la vie.

Louis se contenta d'un sourire, il était paf, pas assez pour perdre le contrôle de lui-même, mais bien éméché. Depuis le matin, son humeur était teintée d'une mélancolie tracassée, il s'enfonçait dans une introspection inhabituelle. Peut-être Ninon l'avait-elle remarqué, mais elle n'avait rien dit. Du moins, pas jusqu'à cet instant.

― T'es sûr que ça va ?

Louis acquiesça, réfléchit, avant de se reprendre :

― En fait, il faut que je te demande quelque chose.

Un voile d'inquiétude passa sur les traits de Ninon. Plus Louis laissa traîner la révélation, plus elle paniquait.

― Quoi ? C'est grave ?

Il baissa les yeux. Un rire nerveux troubla le silence.

― Arrête, Louis, tu me fais peur. Qu'est-ce qu'il se passe ?

― Mon neveu se fait baptiser ce week-end. Il y a une réunion de famille pour fêter ça. Je voulais savoir si tu voulais y participer... Je... Mamie est vaccinée.

― C'est ça ta question ?

Ninon éclata de rire, son sourire lumineux rassura Louis. Il craignait qu'elle ne se fâche, pire, qu'elle refuse sans explications. Leurs mains se trouvèrent et Ninon l'attira à elle pour l'embrasser. Chaque baiser avait une saveur particulière. Six mois après leur premier, Louis ne s'en lassait pas. Leurs nez collés, Ninon lui proposa :

― Oui, bien sûr.

Il était heureux, elle avait dit oui.

― Tu verras, mes parents sont cools. Bon, ma sœur est chiante, mais avec un peu de chance, elle sera tellement stressée qu'elle ne te remarquera même pas.

Cela faisait quelques mois déjà qu'il mourait d'envie de présenter Ninon à ses parents. D'autant plus qu'il leur en parlait depuis novembre. Déjà, sa mère aurait voulu la recevoir pour Noël. Ce serait la première fille invitée à leur table, et Louis avait hâte qu'ils la découvrent. Elle avait fait de belles études, elle possédait de l'esprit, de l'humour, elle était super jolie... Il ne doutait pas un seul instant qu'ils l'adoreraient. Ce serait réciproque : ses parents, bien que sévères par moments, avait la fibre hospitalière. Chacun était le bienvenu chez eux. Ninon s'y sentirait bien.

― Louis...

― Mmh.

― Je sais qu'il y a le couvre-feu mais... j'ai quand même envie de rentrer. Je peux conduire, si tu veux.

Lui aurait passé toute la nuit là mais accepta. Ninon était déjà hors de sa zone de confort, il n'imaginait pas ce que lui avait coûté sa venue ici. C'était énorme qu'elle l'ait accompagnée, il lui devait bien ça.

― Il nous faut une excuse à mettre sur l'attestation.

Ninon réfléchit.

― C'est à cause du bébé.

― Le bébé ?

― Je suis tombée dans l'escalier, et on va à l'hôpital car on a peur pour le bébé.

Enfin, il comprit.

― Oh ! OK.

Ninon remit son masque et l'abandonna pour rassembler leurs affaires. Une fois seul sur la terrasse, la fin de la discussion laissa un goût amer dans la bouche de Louis. L'excuse était étrange... Enfin... ce n'était jamais rien d'autre qu'un pipeau à seriner aux policiers s'ils étaient arrêtés. Il passa son masque, et fit coulisser la baie vitrée.

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