MARDI 30 / 11 HEURES 40

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TOME 3

L'écume.

PARTIE UNE

MARS-AVRIL 2021



― Qu'est-ce qui vous amène ?

Face à son interlocuteur en combinaison intégrable, Ninon était nerveuse. Étrange comme couvrir quelqu'un de plastique le déshumanisait. Elle avait fait depuis longtemps le deuil de deviner les sourires derrière les masques et les tics qui tordaient les lèvres. Pour interagir avec les inconnus, elle comptait à présent sur les ridules au coin des yeux et les pliures inquiètes des fronts. Avec des lunettes de protection et une capuche enserrant le visage, impossible.

Ninon agrippa les rebords de la chaise, avant de se rappeler qu'elle ne devrait peut-être pas.

― Je suis cas contact.

― À quand remonte le dernier contact ?

― Sept jours.

Elle connaissait les réponses par cœur à force de les répéter à chaque acteur de la chaîne.

― Des symptômes ?

― Non.

― Est-ce que vous avez déjà fait un test ?

― Non.

Après avoir compilé toutes ses informations sur sa fiche de patient, le laborantin a attrapé son kit. Avec la lassitude de quelqu'un qui fait ça à longueur de journée, il lui a donné la procédure. Baissez votre masque sous le nez, ne bougez pas, c'est désagréable mais ça ne fait pas mal. Ninon prit une inspiration pour se donner du courage, elle était une grande fille, ce ne pouvait pas être si terrible que ce que tout le monde racontait.

Le bâton menaçant s'approcha de son nez, rentra par la narine droite et fouilla dans les tréfonds de ses sinus les précieux prélèvements. Ninon eut l'impression qu'on lui titillait le cerveau. Son œil droit tressauta, une larme perla au coin. Les dix secondes en parurent trente. Quand le laborantin retira la tige de son nez, la sensation resta au fond de sa narine.

Le prélèvement dans un flacon, Ninon fut congédiée avec courtoisie. Aussitôt sortie du box, elle entendit le pshit du désinfectant pulvérisé sur sa chaise, juste avant qu'on appelle le suivant. Sa carte vitale encore en main, elle ressortit. Dans l'entrée du laboratoire, contenus par des sangles, des gens faisaient la queue pour, comme elle, dix secondes de torture.

En sortant, le soleil d'avril lui parut plus brillant que vingt minutes plus tôt. Son nez gardait le souvenir du test.


Le printemps invitait chez Ninon la renaissance de ses plantes d'intérieur. L'hiver, la couleur des feuilles perdaient de son aplomb mais dès que la chaleur et les rayons du soleil revenaient, ses plantes arrêtaient de bouder. Ninon les bichonnait, les aspergeant d'eau fraîche et essuyant la poussière qui s'y déposait. Elle n'avait rien de mieux à faire, désormais qu'elle était au chômage.

Son job à la mairie s'était terminé en février, depuis elle passait par la case Pôle Emploi qui lui proposait des postes alimentaires et entretiens qui n'aboutissaient pas. « Votre profil est intéressant, mais on ne peut pas faire de promesse d'embauche pour le moment, vous n'êtes pas sans savoir à quel point la culture souffre de la crise. » Résultat, Ninon ne faisait rien de ses journées mis à part lire des articles angoissants et regarder de la télé-réalité pour décompresser de cette lecture. Et ses plantes, bien sûr.

Elle avait pensé à prendre un chat. Ou reprendre ses études et faire un BTS de comptable, histoire d'être sûre d'avoir un travail. L'un des deux. Elle n'avait pas encore tranché.

Pendant qu'elle cuisinait, elle avait ouvert les fenêtres de son appartement pour renouveler l'air. Depuis qu'on l'avait contactée et qu'elle s'était isolée pendant une semaine, elle profitait comme elle le pouvait du beau temps. Sans balcon, au rez-de-chaussée, l'ombre était abondante. Sa peau était si blême qu'on apercevait le réseau de ses veines bleutées. Le bruit du poulet et des oignons fricassant dans la poêle couvrait celui de la radio, Ninon monta le son à la mélodie de sa chanson du moment.

Le couteau valsait sur la planche à découper, le chômage avait eu le mérite de l'obliger à mieux cuisiner. Si elle ne faisait rien de ses journées, autant bien manger. Souvent, c'était la pâtisserie, son dada. Dernièrement, elle s'initiait au dressage d'assiette. Ses visionnages intensifs de Top Chef n'y étaient peut-être pas pour rien.

Ninon fredonnait par-dessus la mélodie. Un cri la surprit :

― Cheffe ! Salade, tomates, oignon.

Elle sursauta, lâchant le couteau sur la planche à découper. Haletante, Ninon se tourna vers la fenêtre.

― Tu m'as fait super peur, ça va pas !

Ninon baissa le volume de la radio, Louis lui fit un clin d'œil. Même sous son épais masque noir, le sourire illuminait son visage. Il entreprit d'escalader le rebord de la fenêtre pour rentrer dans la cuisine. Le voyant faire, Ninon pesta :

― Louis, non, passe par la porte. Louis... Louis !

Comme un adolescent rebelle, il n'en avait rien à faire des ordres. Louis évita soigneusement d'écraser les plantes qui prenaient un bain de soleil sous la fenêtre et rentra. Son sac à dos à l'épaule, sa veste en jean à la main, il était en tee-shirt. Dès que les températures montaient au-dessus de quinze degrés, Louis sortait la collection printemps-été. Il déposa ses affaires au pied de la table à manger et attrapa Ninon par la taille. Elle se laissa faire, l'agacement de son insolence avait laissé place à la joie de le retrouver.

Il allait l'embrasser, mais se rappela du masque qui les séparait. Louis le retira et souffla :

― Coucou toi.

Alors, il l'embrassa, ses mains brûlantes dans le dos de Ninon. Leurs baisers de bienvenue étaient ceux qu'elle préférait – elle les aimait tous, mais ceux-là avaient une saveur particulière. Quand ils se séparèrent, elle lui chuchota :

― C'est pas très Covid, ça.

― Je suis pas très Covid, comme gars, plaisanta-t-il.

Elle fut tentée de lui faire la morale, de lui asséner de ne pas prendre les choses à la légère. Ce n'était pas parce qu'ils avaient fêté les un an du premier confinement le mois passé que tout était terminé, loin de là. Mais elle aurait gâché, et Louis était responsable. Quand la nouvelle du cas contact était tombée, il avait accepté de ne pas voir ses amis, de ne pas faire de soirées, juste pour rester avec elle. Il avait dit : « Je préfère ne voir que toi que ne pas te voir du tout. »

Louis lui déposa un baiser fugace sur la joue, avant de s'asseoir pour retirer ses chaussures. Ninon détestait qu'il les garde dans son appartement. Il déclara :

― J'ai la dalle ! Qu'est-ce que tu nous fais ?

Ninon réfléchit de longues secondes à la manière de tourner ses mots. Louis était comme ces petits enfants qui partaient défaitistes à la mention de simples légumes.

― Du poulet avec du lait de coco et du curry.

Elle se garda bien d'écarter les poivrons, les oignons et les champignons de ses explications. Silence. Elle précisa :

― C'est bon, tu verras.

Louis ne disait toujours rien. Ninon insista :

― Goûte au moins.

― J'ai rien dit ! se défendit-il soudain. Je goûterai.

Ninon leva les yeux au ciel dans un rictus. Elle changea vite la conversation vers un sujet moins épineux :

― Ça s'est bien passé ce matin ?

Il avait eu sa sacro-sainte journée hebdomadaire de cours en présentiel. Journée qui se transformait souvent en deux heures en fin de matinée.

― Impeccable. Le prof de TD nous a rendu nos partiels de mi-semestre.

La pause qu'il marqua était calculée, à tous les coups. Ninon demanda :

― Alors ?

L'expression sur son visage ne laissait rien paraître. Un moment, il se mordit la joue, et elle se dit qu'il s'était ramassé. Louis avait pourtant révisé de longues journées, elle avait passé des soirées à lui faire réciter son cours. Il le connaissait par cœur. Louis révéla :

― Et j'ai 17 ! La meilleure note, t'y crois ? J'ai eu la meilleure note. Même madame-je-sais-tout, toujours au premier rang en amphi, elle a eu moins.

― Oh mais c'est super, je suis grave contente pour toi !

Depuis qu'il avait découvert la psychologie de l'adolescence, Louis raflait la tête de son cours. Déjà, au premier semestre, il avait cartonné à l'examen malgré les heures en visio. Maintenant que le présentiel avait repris et que le cours continuait, il ne jurait que par ça. Ninon couvrait son plat de lait de coco quand Louis formula avec gravité :

― Je peux te parler d'un truc ?

― Mmh, ouais, bien sûr.

― Je crois que je sais ce que je vais faire l'année prochaine.

Ninon se tourna vers lui, intéressée. L'avenir de Louis était un de ces sujets qui revenaient sans cesse sur la table. Jusque là, il avait forcé dans une filière qui lui plaisait sans plus, et s'était accroché comme il pouvait aux bouées tendues par l'université. Ninon avait eu de la chance, la pandémie avait frappé lors de sa dernière année d'étude ; Louis, en revanche, était de ces étudiants qui avaient à peine connu une scolarité normale. Un an de licence sans problème, puis un, deux, trois confinements.

D'un regard, Ninon l'encouragea à s'expliquer :

― Éduc spé. Je sais pas... j'ai l'impression que ça fait sens. Au fond de moi, j'ai l'impression d'avoir la graine pour aider des gamins en déroute. Et les engueuler. J'ai une fibre pour engueuler les ados, moi.

― Ah oui ? se moqua gentiment Ninon.

Louis leva son majeur, elle rit.

― Si ça te correspond, suis tes envies. En plus, j'imagine qu'il va y avoir du boulot dans les prochaines années, avec tout ce que cette génération a vécu.

― Exactement !

Il vint à ses côtés, devant la gazinière et jeta un coup d'œil craintif au contenu de la poêle. Ninon racla un peu de sauce épicée du bout de sa cuillère en bois, et lui planta sous le nez pour qu'il goûte. Louis attrapa l'ustensile, et dans un effort poli, trempa sa langue sur le curry. Il grimaça, il devait le faire exprès, ce n'était pas si fort que ça !

― Arrête, s'agaça Ninon.

― Non, je déconne. Ça va, ça passe. C'est pas pire que le tofu.

― Tu en as mangé une fois, il y a trois mois ! Tu vas t'en remettre ?

― Jamais !

Quand ils étaient ensemble, Ninon ne pouvait effacer le sourire béat de son visage. Qu'ils en avaient fait du chemin ! Un an auparavant, elle n'aurait jamais cru en arriver à une telle histoire. Alors oui, elle n'avait pas de travail et son copain ne mangeait rien de ce qu'il cuisinait, mais il y avait pire dans comme vie. Par exemple, une vie sans Louis.



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Confinement saison 3 ! Les habitudes ont la vie dure, je vous propose de le passer une fois de plus accompagné.e.s de Louis et Ninon. En espérant que leurs prises de becs et leurs mièvreries sauront vous remonter le moral.

Les écoles étant fermées, j'ai moins de travail qu'en période scolaire, en revanche, je ne pense pas pouvoir tenir le rythme des tomes 1 et 2 d'un chapitre par jour. Je vous propose donc des chapitres plus longs, mais à raison de tous les deux voire trois jours. La timeline aura du retard par rapport à la vie réelle, puisque la première moitié du roman se déroule ce week-end de Pâques.

Je vous souhaite une bonne lecture à venir. Respectez les gestes de barrières, prenez soin de vous et de vos proches. On se retrouve à la fin ! 

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