Chapitre IV : la sorcière au lourd passé

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NOUR

MINISTRE - 8h12 :

Rapport attendu. Rappel : retour fixé au 11/10/30. Cordialement. V. Garnier, Ministre de Loras.

Pr. BLACKMOON - 8h14 :

Bonjour Monsieur. Inopiné trouvée. Nous serons rentrés dans les temps. Cordialement.

MINISTRE - 8h15 :

Bon travail, professeur. Des informations supplémentaires ?

VOUS - 8h20 :

Bonjour Monsieur le Ministre. L'Inopiné n'appartient à aucun groupe mais on sait qu'elle possède les Ski bouclier, de la force et des lasers. Elle ne les contrôle pas. Elle a dix ans. Elle parle peu. Elle a un passé vague. Cordialement.

VOUS - 8h21 :

PS : En échange de sa garde, nous avons promis un logement, un revenu et une visite à Loras dans cinq ans à sa famille (soit trois Occamy). Cordialement.

MINISTRE - 8h23 :

Bon travail, Nour. Retour immédiat ordonné. Cordialement. V. Garnier, Ministre de Loras.

Pr. BLACKMOON - 8h32 :

Ordre reçu. Nous partons. Cordialement.


Nour, ses compagnons et l'Inopiné avaient enfourché les balais des sorciers depuis maintenant quatre heures. May, qui semblait s'amuser comme une folle à jouer la grande-soeur, avait décrété avec un grand sourire que ce serait elle qui partagerait son balais avec Cécile. Que l'Inopiné soit une gamine avait ses avantages en fin de compte vu que May, qui avait passé le mois précédent à se plaindre du manque d'hygiène gâchant apparemment sa beauté, avait enfin trouvé une occupation pour se distraire l'esprit. Pourtant, Nour avait quelques difficultés à mettre tous les désavantages qui découlaient de l'âge de Celle Qui Devait Tout Arranger de côté, à commencer par son immaturité et par son inexpérience qui allait leur faire perdre un temps précieux. 

Parfois, elle se questionnait sur l'utilité de tout calculer, de toujours faire de son mieux si irrémédiablement un imprévu se glissait par une faille oubliée (ou ignorée) pour tout faire caboter. Se laisser porter par le courant lui paraissait tellement plus simple. En plus, en cas d'échec, aucun regret n'était envisageable étant donné qu'ils n'auraient rien fait pour empêcher la catastrophe. Mais bon, elle se doutait bien qu'un dirigeant ne pouvait pas tenir un tel discours à son peuple : - « Stop ! On cesse tout ! On fait plus rien ! De toute manière, il y aura toujours un couac, alors pourquoi continuer à se démener ? Reposez-vous, mes amis, respirez, observez et voyez où cela vous mène ! » - sans perdre toute crédibilité. 

Le professeur Blackmoon vira à droite dans un virage serré et lorsqu'elle l'imita, Nour sentit ses oreilles siffler. Ils survolèrent une dernière ville espagnole avant que la mer Méditerranée ne leur ouvre son étendue, à commencer par les îles Baléares et en direction de l'Italie. Le vent émit une bourrasque plus puissante que les précédentes et la jeune fille dut employer toute sa volonté pour ne pas se laisser emporter, les mains agrippées au manche de son balais. Son organisme parvenait à rejeter toute forme de souffrance, lui permettait de supporter ce voyage sans mal, contrairement à l'Inopiné qui paraissait souffrir du froid et du contact du manche du balais avec son corps frêle. Au dessus d'eux, les nuages prenaient une teinte de plus en plus grisâtre et elle prédit qu'ils se prendraient une averse en pleine face dans quelques heures s'ils ne posaient pas une escale d'ici-là. 

D'un coup de talon, Nour accéléra, dépassa May et se rangea à côté de son professeur. Inquisiteur, Albus se tourna vers elle, radieux malgré les conditions météorologiques : 

- L'Inopiné est absolument craquante, ne trouves-tu pas ? cria-t-il pour couvrir le rugissement du vent - une habitude bien enracinée empruntée de la période où il séjournait à Insania. 

- M'en parle pas, grogna Nour. On va mettre des années à la former ! Et même là, elle sera incapable de tenir plus de trente secondes debout face à l'Ennemi. Elle est beaucoup trop jeune ! 

- Quel pessimisme ! Elle va progresser, Nour et à ce moment-là, plus personne ne pourra l'arrêter. 

- Et elle se rangera du côté de l'Ennemi. Excellente nouvelle !

Albus éclata de rire.

- Par l'ancêtre du Poumon, je n'espère pas ! 

En guise de réponse, Nour sourit, ne riant qu'à moitié. Ils étaient terriblement inconscients de mettre un tel pouvoir dans les mains d'une gamine manipulable ! Pourtant, elle savait aussi qu'ils n'avaient plus le choix. Désireuse de changer de sujet, elle aborda la raison de son rapprochement :

- Il va pleuvoir, déclara-t-elle. On pourra s'arrêter dans un abri en Italie ?

- Depuis quand es-tu consciencieuse ? Que me caches-tu ?

Ce fut au tour de son élève de s'esclaffer :

- Tu es beaucoup trop perspicace, toi ! J'aimerais simplement passer aux toilettes.

- Nous nous arrêterons d'ici trois heures alors.

- Même au milieu de l'eau ?

- Qui sait, ça pourrait être marrant ! Tu ne veux pas retrouver notre bonne vieille May bougonnante, toi ?

- Je ne suis pas sourde ! leur rappela l'intéressée derrière eux.

Ils rirent une nouvelle fois de bon cœur. Nour eut même l'impression que le ciel se découvrait un peu et que les nuages prenaient des formes pittoresques pour faire écho à leur bonheur. 

***

Lorsque le petit groupe survola enfin l'île de Sardaigne aux alentours de seize heure, la pluie avait pris le partie de Nour car ils n'avaient pas reçu la moindre goutte d'eau. Ils atterrirent sur la péninsule de Sinis à Oristano, la plus grande ville de la région, et les étrangers furent immédiatement saisi par la différence architecturale de l'Italie comparée à la France ou à l'Espagne. 

Bien qu'elle ait comme tout Insania été très touchée par la troisième guerre multiespèce, Oristano en ressortait plutôt fièrement, les façades de ses bâtiments magnifiquement peintes dans des teintes vives devant lui donner au crépuscule une allure romantique. Malheureusement, la cité n'était plus qu'un pâle reflet de ce qu'elle avait pu être il y a de cela deux siècles ; autrefois paradis de la nature, elle devait désormais se contenter de ne pas faire partie des millions de villes en vigilance pollution*. 

Et malgré cela, ses habitants ne semblaient pas s'être remis de la destruction, de l'éloignement et du changement que leur avait fait subir la guerre. En effet, les rues étaient quasiment désertes en dépit de l'heure et les rares humains que Nour apercevait avaient la tête baissée, le pas rapide et une sensibilité accrue. Elle assista à une drôle de confrontation entre un jeune et une vieille dame : le jeune avait effleuré son aïeul par mégarde ; celle-ci avait alors violemment sursauté comme si elle ne l'avait pas entendu approcher et s'en était allée d'un pas trop rapide pour son âge avancé en oubliant son sac sur le sol, alors même que le jeune avait déjà décampé depuis belle lurette.

Les humains avaient peur. Ils craignaient une nouvelle attaque de magiciens et soupçonnaient même leurs propres enfants. Ce ne fut donc pas un euphémisme de dire que les quatre magiciens furent tout sauf bien accueillis lorsqu'ils franchirent le seuil d'un supermarché Basko, qui déjà - fait incroyable ! - n'était pas en ruine :

- Vous êtes des étrangers ? aboya en italien le vendeur en guise de salutation.

Il tremblait, le pauvre.

Albus ne recula pas face à l'agressivité de l'homme, s'acharnant à demeurer impassible. Il se contenta de traverser un rayon de nourriture surgelée pour accéder aux portes de service du fond :

- Vous faîtes quoi ? insista l'humain en les rejoignant courageusement.

- Bonjour monsieur, répliqua le professeur de Nour calmement, dans un italien parfait. Pourrions-nous utiliser vos toilettes s'il vous plaît ?

Son interlocuteur dévisagea ses clients avec suspicion, s'attardant sur la boue maculant leurs vêtements qui détonnaient fortement de sa propre tenue, sur les iris roses de l'Inopiné, sur ceux trop gris de May, sur l'accent impeccable d'Albus et sur l'immobilité invraisemblable de Nour. La réalité s'imposait d'elle-même et le visage du vendeur se décomposa lorsqu'il comprit. Alors, pensant sans doute bêtement prendre trois immortels par surprise, il attrapa vivement un paquet de pâtes et le lança sur Albus, espérant apparemment l'assommer avec ou au moins le faire fuir. Bien qu'il ait dû suivre facilement la trajectoire du projectile à l'instar de Nour et de May, le sorcier ne bougea pas, laissant le paquet rebondir sur sa tête et retomber dans un son plat, se contentant stoïquement de regarder son agresseur. Dans une nouvelle vague d'adrénaline, ce dernier hurla : 

- Dégagez de mon magasin ! Vous n'êtes pas les biens venus ici ! 

Albus le fixa encore quelques secondes sans bouger, puis opina du chef et se dirigea vers la sortie sans se presser, les adolescentes sur ses talons. Une fois dehors, ils cherchèrent une autre boutique et il s'avéra que de toute la rue commerçante, seuls deux marchands n'avaient pas mis la clé sous le porte. L'autre occupait une ancienne boutique miteuse dédiée à la pêche au coin de la rue. Il devait bien y avoir des toilettes et des humains plus commerciaux. Du moins, c'est ce qu'espérait Nour car elle avait une envie pressente de soulager sa vessie. 

Deux hommes se tenaient derrière un comptoir. Le premier avait des cheveux roux lui arrivant aux épaules, un piercing à l'oreille droite et devait bien mesurer pas moins de deux mètres. Le second était chauve, avait une peau presque aussi sombre que son t-shirt noir et des tatouages suivaient les muscles bien dessinés de ses bras. Les deux humains ne devaient pas avoir plus de vingt-cinq ans. C'était des racailles à l'état pur, et si Nour n'avait pas été une sorcière, elle aurait déjà tourné les talons.

- Bonjour messieurs, mesdames, dit l'homme de gauche dans un italien presque menaçant, appuyant sur les "gno" de "signori" et de "signore"  et en souriant - Comment un sourire pouvait-il être aussi terrifiant par l'ancêtre du Poumon ! - Que puis-je faire pour vous ?

Te transformer en gentleman serait une bonne option, merci.

Luttant contre son instinct lui hurlant de fuir, Nour s'efforça de se calmer. Quelque chose clochait forcément. Elle ne pouvait pas avoir peur de deux humains. Même avec des faces de crapule. Impossible.

- Serait-il possible d'emprunter vos toilettes s'il vous plaît ? répondit Albus, le visage indéchiffrable. 

Comment pouvait-il être aussi serein ?

- Bien sûr. Suivez-moi. 

Je rêve ou l'homme de droite vient de passer une main sous le bar pour mettre quelque chose dans sa poche ?

La jeune fille suivit le premier vendeur à contrecœur, restant à l'écart pour surveiller le deuxième homme du coin de l'œil. Son angoisse ne fit qu'augmenter à mesure qu'elle s'enfermait dans les toilettes, qu'elle se lavait les mains et qu'elle retournait dans le magasin. 

Je suis juste trop parano. Il ne va rien se passer. Calme-toi, Wendy. Allez, respire.

- Voulez-vous acheter quelque chose ? s'enquit l'homme roux sans se départir de son sourire qui ne montait pas jusqu'aux yeux.

Je t'en conjure, Albus, dis-non.

- On va voir ça, merci. 

Et merde. 

Le monde était vraiment ligué contre elle, ce n'était pas possible. Alors qu'Albus s'engageait dans un rayon où deux ou trois bocaux de miel se battaient en duel avec un ou deux paquets de pâtes excessivement lentement, Nour remarqua enfin que l'Inopiné se tenait elle-aussi à l'écart, fixant l'homme aux tatouages froidement. Mais peut-être n'était-ce qu'une surinterprétation de sa part, peut-être que la fillette s'ennuyait juste de ne pas comprendre leur conversation.

- Très bien. Si vous avez besoin de conseils, n'hésitez-pas.

La jeune se rapprocha tout de même de Cécile Pandora, et se penchant vers elle, elle lui glissa à l'oreille, en français :

- Tu as remarqué quelque chose de louche toi aussi ?

Inexpressif, l'enfant acquiesça et Nour sentit une vague de soulagement l'envahir : 

- Quoi donc ? 

- Je n'ai pas de Ski-Fée mais si Fel était là, elle humerait sans doute des auras de magiciens chez ces hommes.

L'Occamy aurait tout aussi pu déverser le contenu d'un seau d'eau froide sur la tête de la sorcière, celle-ci n'y aurait pas vu de différence avec ce qu'elle éprouvait à cet instant. Son mauvais pressentiment se confirmait beaucoup trop à son goûts.

- Comment l'as-tu deviné si tu n'es pas une Occamy Fée.

- Regarde le visage du meneur. Puis de l'autre.

Nour s'exécuta, passant de l'homme roux à l'homme aux tatouages de plus en plus rapidement. Puis le déclic se fit. 

- La lumière ne se réfléchie pas sur l'homme de droite, murmura Nour, abasourdie. Comment est-ce possible ? 

- Le Ski-Gemme d'un Occamy Gemme produit une faible lumière continue qui interfère avec celle des lumières artificielles. 

- Et comment l'as-tu remarqué ? C'est à peine perceptible ! Non, en fait, laisse-tomber, ce n'est pas important. Dis-moi plutôt, de quoi est capable un Occamy Gemme ?

Son informatrice parut étonnée :

- Bah de manipuler la lumière.

Nour essaya de rassembler les informations dont elle disposait pour essayer de trouver une marche à suivre, entortillant une de ses mèches de cheveux autour de son doigt sans s'en rendre compte. 

- Et... tu sais de quoi est capable l'autre homme ?

Cette fois-ci, Cécile secoua la tête. Alors qu'elle tordait légèrement le cou sur la droite, la jeune sorcière constata que les deux magiciens s'étaient rapprochés l'un de l'autre et discutaient à voix trop basse pour que ses sens d'immortels ne captent leurs propos. Pourtant, l'homme roux ne regardait pas son associé, ses yeux violets rivés sur les deux jeunes filles. Violets.

L'homme.

Avait.

Les.

Yeux.

Violets.

Comment était-il possible que Nour ne l'ait pas remarqué plus tôt ? Alors même qu'elle avait passé son temps à les surveiller ? Il n'existait bien sûr qu'une explication à cela : ils le lui avaient caché à dessein. Mais pourquoi avoir cessé de les camoufler à cet instant précis ? Avaient-ils senti que l'Inopiné les avait démasqués ? 

Elle se tourna de nouveau vers Cécile pour lui partager ses interrogations et ne put que constater qu'elle avait... disparu. Frénétiquement, elle sonda la boutique du regard sans trouver une seule trace de la fillette, et dans un coin flou de son champ de vision, l'homme aux tatouages fronça les sourcils.

- Hé ! lui lança-t-il d'une voix bourrue, très grave et en français. Où est ta pote, ma jolie ?

- Là où je pense, répliqua-t-elle froidement.

L'interpellation de l'Occamy était la manière la plus certaine de se trahir. Pourquoi avoir pris un tel risque ? Quel était son objectif ? Quoiqu'il en soit, Albus ressortir du rayon presque vide et l'expression de son visage, plus du tout impassible en dit beaucoup : il avait parfaitement saisi. D'un signe de la main, il appela May et avant que Nour n'ait pu leur crier que l'Inopiné avait disparu, son amie tournait déjà la poignée de la porte de la boutique et... verrouillée. La porte refusait de s'ouvrir. Ils étaient pris au piège. 

Nour fit volte-face. L'homme roux contournait le bar, les yeux brillants d'une délectation évidente : 

- Vous êtes presque trop facile à duper ! s'exclama-t-il joyeusement, abandonnant l'italien pour repasser au français. C'est d'un ennui...

Albus lui rendit son sourire moqueur.

- Tu es juste stupide, Andro. Croyais-tu réellement pouvoir me mystifier ? 

Lorsque l'intéressé se forgea une expression faussement surpris, le professeur de Nour rit jaune.

- Dis-moi plutôt : comment es-tu tombé si bas au point de te reposer sur un Occamy ?

- Au moins, les fugitifs ne sont pas rouillés, cracha le dénommé Andro. Ils ont été capables de fuir un gouvernement dictatorial. Révolte que nous avons salués alors même que nous ne bougions pas le petit orteil dans notre chère cité prétendument parfaite. Super lâche de notre part si tu veux le fond de ma pensée. Nous valons à peine mieux que notre Ennemie, celle que nous nous plaisons tant à haïr. 

- Est-ce donc cela ta motivation ? Régler le conflit de ta patte ? Ce n'est pas en te cachant dans une ville humaine pour nous fuir que tu vas réussir si tu me permets le conseil. 

- Je ne me cache pas ici, sombre crétin. Je viens juste récupérer mon dû.

Le regard d'Albus rencontra celui de Nour, une question dans les yeux et celle-ci ne put qu'hausser les épaules, impuissante. Le "dû" s'était fait la malle elle ne savait où.

- Et quel est-il ?

- Ne joue pas au bluffeur avec moi, je t'en prie, Blackmoon. Je veux l'Inopiné des Occamy et tu vas me faire le plaisir de me la remettre sans discuter. 

- Sinon quoi ?

Tout se passa alors très vite. Andro disparut pour se rematérialiser derrière May, glissant un couteau sous sa gorge délicate. L'homme aux tatouages, quant à lui posa ses obscènes mains de violeur autour de la taille de Nour et la ramena contre son torse pour l'empêcher de bouger.

- Un geste et tu meurs, minauda-t-il doucement à l'oreille de la jeune fille, son souffle empestant l'alcool et la cigarette caressant la fine peau de son lobe. Contente-toi de te tenir à carreaux, ma jolie. 

- Tu as ta réponse, Blackmoon, reprit Andro, qui n'était plus dans le champ de vision de Nour. Je me suis montré assez convaincant ?

Toujours aussi inébranlable, Albus ne paraissait pas s'inquiéter de la tournure que prenait la situation. Au contraire, il semblait presque amusé et la jeune fille dut se retenir de lui hurler qu'une brute menaçait May d'une arme tandis qu'un pervers la maintenait immobile et que l'instant n'avait donc absolument rien de risible. Avait-il remarqué un détail qui lui avait échappé ?

Elle baissa alors la tête pour feinter le désespoir et rassemblant toute sa concentration, elle abaissa ses défenses mentales. Elle capta l'esprit de Blackmoon un peu plus loin et appliqua une légère pression sur son bouclier mental pour requérir un accès. Il la reconnut et elle put déboucher dans son centre mental, se retrouvant enfermée à l'intérieur. Les pensées de son professeur se mirent alors à valser autour d'elle, mais sa conscience se détacha vite du brouhaha ambiant et s'enroula autour de la sienne. 

- Regarde attentivement derrière le comptoir et tu comprendras mon comportement, lui transmit-il après avoir analysé la raison de son trouble. 

Confuse, Nour divisa sa conscience, une partie d'elle revenant violemment dans le présent et rectifia imperceptiblement l'orientation de sa nuque pour permettre à ses yeux de pivoter en direction du bar. Au début, elle ne trouva rien de suspect, et si elle n'avait pas senti le léger picotement continu que produisait Albus à l'arrière de son esprit pour l'inciter à persévérer et ses forces qui se vidaient lentement, elle aurait abandonné. Puis, enfin, elle la vit. Accroupie dans l'ombre du bureau, ses bras frêles enroulés autour de ses cuisses, l'Inopiné contrôlait un laser étincelant qui se mouvait dans sa main au gré de sa volonté et des indications qu'elle devait lui donner. 

- Tu as saisi ? demanda Albus quelque part au loin. L'Inopiné est sur le coup et quand elle lancera... 

- Tu es bien silencieux tout à coup, constata soudain une voix grave près de l'oreille de Nour, la faisant perdre la maîtrise sur sa conscience qui se reforma. 

Elle grimaça sous le coup de la poigne l'homme et de la migraine qui enflait derrière ses paupières. 

- Tu essayes d'élaborer un plan de repli avec l'Inopiné, Blackmoon ? Où est-elle passée d'ailleurs ? 

Au même moment, l'intéressée bondit en dehors de sa cachette et visa Andro, qui menaçait toujours May de son laser acéré. Elle le projeta et il atteignit sa cible de plein fouet. La brute s'effondra, lâchant son couteau qui se planta dans le sol et Amandine sous le coup de la surprise. Profitant à son tour de la surprise de son assaillant, Nour se débattit en donnant des coups de pied dans tous les sens pour s'éloigner du corps imposant de l'homme. L'homme aux tatouages chancela légèrement, un éclat de fureur dilatant ses pupilles et elle se jeta sur lui avant qu'il n'ait pu le faire à sa place. 

Son esprit toujours ouvert capta instinctivement celui de l'Occamy et dépourvu de la moindre défense mentale, elle déboucha sans résistance dans son centre mental et, sans s'attarder, elle intercepta la fréquence de son cortex mental. Une fois à l'intérieur, elle propulsa son don d'hypnotiseuse et pu enfin prendre le contrôle de sa motricité. Elle voyait son pouvoir comme de l'art et elle façonna consciencieusement l'esprit de sa victime pour l'inciter à se saisir de l'arme rangée dans sa poche. 

En arrière plan, elle le sentit lutter avec ses propres capacités et lorsqu'elle resserra son emprise, sa migraine se fit plus violente, comme si on frappait au marteau dans son crâne. Enfin, telle une marionnette, il finit par obéir et par se tirer une balle dans la jambe. Le son tonitruant fit sursauter Nour malgré elle et lorsque l'homme hurla de douleur, elle dut se mordre la lèvre inférieure jusqu'au sang pour ne pas flancher, l'esprit bourdonnant et le cœur au bord des lèvres alors que l'odeur métallique du sang lui brûlait les narines. Elle sentit le sol se mouvoir sous elle lorsqu'elle entreprit d'arranger le cortex de son adversaire pour qu'il appuie une nouvelle fois sur la détente, cette fois en direction de son bras et la secousse suivante vu si soudaine que sa conscience se détendit, permettant à l'homme de se dégager de son emprise. 

La réalité la rattrapa violemment et ses sens hypersensibles se retrouvèrent très vite surchargés. Epuisées, ses jambes cédèrent et l'arrière de son dos percuta brutalement le sol, lui coupant le souffle quelques secondes sous le choc. L'odeur du sang lui emplissait les poumons, torturant son estomac. Les éclats des néons des lampes suspendues au plafond l'aveuglaient, poussant ses yeux à se remplir de larmes. L'ombre de l'Inopiné se mouvant au cœur de l'éclatante luminosité la perturbait sans qu'elle sache pourquoi. Le sol dur et incertain sous elle lançait des vagues de douleur dans tous ses muscles, et les bribes de conversations que son ouïe captait sans que son cerveau ne parvienne à les décoder l'empêchaient de se concentrer. 

Nour resta quelques secondes, là, sans bouger, étendue sur le dos. Lorsque sa tête lui tourna un peu moins, que son pouls se calma, que sa vue gagna en netteté, elle se força à se redresser, gémissant sous le coup de la douleur alors qu'elle appuyait sur ses coudes pour passer ses genoux sous ses fesses.

Ce ne fut donc qu'à cet instant qu'elle avisa la situation. La boutique était plutôt intacte ; elle avait simplement mal apprécié le laser que l'Inopiné avait lancé sur Andro, le mur derrière celui-ci étant désormais affuté d'une grande tâche roussie et en voulant se dégager de l'emprise de Nour, l'homme aux tatouages avait creusé une tranchée traversant la moitié du lieu. Albus et Amandine paraissaient indemnes, bien que le premier abordât une vilaine ecchymose sur la joue gauche et la seconde, des traces rouges dans le cou. Par contre, on ne pouvait décemment en dire autant des deux faux-vendeurs. 

Andro ne bougeait plus, totalement inerte et de ce que voyait Nour depuis sa position, il avait un bras complétement carbonisé. Il n'y avait vraiment plus aucun doute sur les indications qu'avait dû donner Cécile Pandora à son laser. Quand à l'homme aux tatouages, un des compagnons de Nour avait dû intervenir car en plus de sa jambes en sang, il paraissait presque assommé. La migraine de Nour atteignit soudain des sommets et, retrouvant des forces qu'elle n'avait pas, elle sauta sur ses pieds et courut aux toilettes pour vider son estomac. Lorsqu'elle revint dans le magasin, encore chancelante, Albus appliquait de la glace qu'il avait dû invoquée contre sa joue et May fixait un point au cerveau. 

- Que se passe-t-il ? s'enquit Nour d'une voix rauque, brisant ce silence interminable. 

- Cécile Pandora, murmura simplement May. 

La jeune fille suivit le regard de son amie et découvrit Celle-qui-devait-tout-arranger agrippée au plafond à la manière d'une araignée. Mais à en juger par le discret balancement de son corps, il aurait été plus juste de dire qu'elle flottait. Elle sentit une colère inexplicable gonfler dans sa poitrine en songeant à ce que cette capacité signifiait. 

- Et tu comptais nous le dire quand, Inopiné ? aboya-t-elle, se tordant le cou pour foudroyer l'enfant du regard, elle-même surprise par la proportion qu'avait prise son amertume. Tu t'en bien moquée de nous ! 

Cécile - pourquoi ne l'avait-elle pas fait avant ? - chuta et amortit sa chute au dernier moment, retombant fièrement sur ses pieds. En dépit du ton agressif de la sorcière, elle semblait sereine. 

- Je ne tiens pas sur la distance, expliqua-t-elle de sa voix froide. Je flotte, je ne vole pas. 

- Et que fabriquais-tu pendue au plafond comme une chauve souris ?

- J'évitais la destruction, éluda-t-elle. J'avais déjà fait ma part du boulot. 

Contre toute attente, l'Inopiné fit un pas en direction de Nour (elle faisait presque la même taille que l'adolescente, plus petite qu'elle de quelques centimètres seulement).

- Je sais que tu ne m'apprécies guère, dit-elle, ô combien perspicace. Pourtant, je ne demande qu'à apprendre à vous aider à renverser Sa Majesté de Veaudelune. Laisse-moi une chance, Nour Marvyn et si j'échoue, tu pourras me mépriser tout ton soûl. 

- Je ne sais pas ce que tu penses savoir de moi mais tu te trompes. 

Et Nour se détourna, un sourire triste aux lèvres. Autrefois, elle était la gamine à l'énergie illimitée, le bras droit de l'âme de la soirée, brillant de par son enthousiasme et de par son extravagance. L'enfant à l'imagination folle qui n'était jamais à court de bêtises. Elle était ce genre de personnes qui vous amènent à eux, qui jouent avec vos nerfs à cause de leur dispersion mais que vous ne pouvez pas vous empêcher d'aimer quand même. 

Maintenant, elle n'était plus qu'un corps vide, son âme et son cœur l'ayant délaissés depuis déjà trois ans. Les inconnus, comme le lui avait encore une fois montré Cécile à cet instant, ne voyait en elle qu'une adolescente réservée et distante, voir hostile et froide. Heureusement, ceux qu'elle aimait savaient que son comportement s'expliquait par la profonde et destructrice souffrance qui la dévorait un peu plus chaque jour.


Note.s : * l'échelle de la vigilance pollution est une comparaison, toutes les villes sur-polluées ne sont donc pas en vigilance pollution pour la simple et bonne raison qu'à cette époque, elles le sont toutes. Donc seules les villes plus polluées que d'autres sont en vigilance pollution ; et elles sont tout un paquet.

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