Chapitre V : ... le début d'un autre

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CÉCILE

Vendredi 7 octobre 2730

Loras se situait sur un bout de terre entre les océans Pacifique et Indien, occupant la moitié ouest de ce que l'on appelait l'Australie avant la Troisième guerre multiespèce.

En dépit des ténèbres nocturnes qui engloutissaient le siège des sorciers, la forme insolite des gratte-ciel du cœur de Loras sauta aux yeux de Cécile lorsqu'Amandine atterrit, suivie de près par Nour. Défiants toutes les lois de la vraisemblance, des édifices en forme de caducée de la médecine encerclaient une tour encore plus imposante à la structure d'un balais. Sur son édifice, une inscription changeait de langue toutes les cinq secondes car bien que les sorciers parlent officiellement thébain, ils étaient avant tout polyglottes. Lorsque les mots s'affichèrent en anglais, Cécile put comprendre que cette administration était l'Institution de la démocratie ensorceleuse.

Amandine pressa doucement le poignet de la fillette pour l'inviter à la suivre à l'intérieur de l'Institution qui était tout en longueur dans ses premiers étages et tout en hauteur dans ses derniers - Cécile en dénombra au total 175. Éblouit par la luminosité soudaine, elle battit vivement des paupières pour adapter sa vision et distingua un long couloir assez vaste où s'alignaient des centaines de portes. Le hall ne comptait qu'un bureau d'accueil, des tableaux et une cage d'ascenseur, créant une drôle sensation de vide qui ne déplut pas à Cécile.

Blackmoon gagna le guichet derrière lequel se tenait un sorcier à la peau mate et aux dents étincelantes et Cécile choisit de rester en retrait pour admirer le lustre qui pendait au plafond. Amandine resta à côté d'elle, visiblement amusée par l'émerveillement de l'Occamy.

- Vous n'avez rien de semblable à Veaudelune ? s'enquit-elle en s'accroupissant pour fouiller dans son sac à dos.

- Sans doute, répondit Cécile à mi-voix. Mais je vivais dans un quartier reculé de Veaudelune, dans la partie dite populaire. Le quartier du centre pénitencier, je ne sais pas si tu connais... Il n'y avait rien de luxueux là-bas.

Elle imagina la peine qu'auraient renvoyés les yeux de Fel et sa gorge se noua.

Amandine sortit une brosse et se mit à démêler énergiquement ses cheveux. Cécile s'éloigna d'elle pour aller examiner le tableau d'un homme avec des cheveux noirs jusqu'aux épaules, un nez busqué et vêtu d'un costume. En dessous, étonnamment en français était donné son nom : Ministre Garnier, de Loras.

- Cécile ! l'apostropha Amandine, qui avait rangé sa brosse dans son sac.

La fillette s'empressa de rejoindre les sorciers au pied de la cage d'ascenseur, légèrement embarrassée.

- Tout va bien ? lui demanda Blackmoon en lui souriant.

Elle acquiesça, puis ajouta :

- Que faisons-nous ?

- Nous nous rendons dans les quartiers du Ministre.

- Monsieur Garnier ?

- Lui-même, opina le professeur en la regardant étrangement.

- Pourquoi donc ?

- Nous mettrons juste au clair ce que nous allons faire de toi.

Il parlait d'elle comme d'un fardeau alors qu'il prétendait qu'elle était attendue, mais Cécile préféra ne pas relever de peur d'être insolente.

L'ascenseur arriva à cet instant et ce ne fut qu'en rentrant à l'intérieur qu'elle se souvint vaguement de son passif avec les espaces clos. Lorsque les portes se refermèrent et que l'élévateur vombrit puis entama un mouvement ascendant, elle sentit son dos de couvrir de sueurs froides.

- Pour combien de temps en avons-nous ? murmura-t-elle en feignant la nonchalance.

Au regard de côté que lui jeta Amandine, elle catégorisa sa tentative comme lamentable.

- Quelques secondes, tout au plus, répondit Blackmoon. Un problème ?

Cécile secoua un peu trop énergiquement la tête et se détourna, essoufflée comme si elle venait de courir un marathon.

Alors qu'elle était assaillie de vertiges et que les muscles de ses jambes menaçaient de céder, elle s'agrippa à la barre de métal à côté d'elle dans l'espoir qu'un peu de fraîcheur éloigne la crise de panique qui risquait de surgir à tout moment. En vain parce que la prise chauffa rapidement, que des vagues de chaleur la happèrent et que les murs de l'ascenseur se mouvèrent sous ses yeux, se rapprochant dangereusement les uns des autres comme pour l'engloutir.

- Tout va bien, Cécile ? s'inquiéta Amandine. Tu es pâle comme un linge.

Cécile acquiesça difficilement. Sa tête pesait des tonnes. Elle chancelait au moment où les portes de l'ascenseur se rouvrirent et elle parvint miraculeusement à en sortir avant que ses jambes ne cèdent. Son estomac se convulsa alors, en quête d'air et elle gémit.

Elle allait mourir. Elle le sentait.

- Ça va ? s'exclama avec inquiétude Amandine, sa voix aiguë lacérant ses tympans. Qu'est-ce que tu as ?

Dans l'incapacité de lui répondre, Cécile se contenta de la regarder, la respiration lourde. La silhouette de Nour s'imposa soudain dans son champ de vision, s'accroupissant à son niveau.

- Respire, lui ordonna-t-elle fermement. Compte avec moi. Un... Deux... Un... Deux... Un...

La fillette s'exécuta et peu à peu, grâce aux indications de Nour, son rythme cardiaque s'apaisa.

Soulagée et tremblante, elle finit par se relever en adressant un sourire reconnaissant à Nour.

- Merci beaucoup.

La sorcière lui rendit son sourire.

- Tu te sens mieux, Cécile ? intervint Blackmoon de plus loin.

Cécile se tourna vers lui pour lui répondre, mais elle perdit le fil de ses pensées en apercevant un quatrième sorcier aux côtés du professeur. Cet étage ressemblait en tout point au rez-de-chaussée bien qu'il paraisse moins vaste et qu'il ne dispose sans doute pas de salle d'accueil. Les teintes sombres et formelles de ses murs s'accordaient parfaitement avec le tailleur de l'homme, rendant d'ailleurs les tenues de Blackmoon, Amandine, Nour et Cécile inadaptées, leur donnant l'allure de souillons. Ce noble personnage n'était autre que celui du tableau.

- Bonjour mesdemoiselles, les salua le Ministre Garnier de Loras avant de décliner son identité.

Les trois jeunes filles lui firent aussitôt écho et Amandine et Nour baissèrent même la tête en signe de respect. Cécile hésita trop longtemps à les imiter et s'épargna donc le ridicule de se courber bien après ses camarades.

- Je tenais à vous remercier d'avoir mené à bien cette mission comme le disais-je à l'instant au professeur Blackmoon, poursuivit le Ministre à l'intention d'Amandine et de Nour. Votre professeur ne m'a pas encore fait le rapport intégral de votre investissement mais sachez que le moindre détail sera inscrit dans votre dossier. J'espère donc n'y avoir à marquer que du bonifiant. Et enfin, pour ce qui sont des détails administratifs et personnels, je vous convoquerai, vos responsables légaux et vous dans les plus brefs délais. Avez-vous des questions ?

Nour s'avança :

- Pour mon... ma capacité récemment manifestée, comptez-vous prendre des mesures, monsieur ?

- Nous verrons cela avec vos tuteurs.

- Sommes-nous vraiment obligés d'aborder le sujet ?

Le ton de Nour était sec, presque provocateur et il déplut au Ministre.

- Une telle demande n'est pas de votre ressort, Nour Marvyn et il est de votre devoir de rester à votre place. Avez-vous une interrogation vous aussi, Amandine ou tout est clair ? ajouta-t-il ensuite.

- Tout est clair, monsieur.

- Bien. Vous pouvez donc toutes les deux disposer.

S'il était évident que Nour fulminait à cause de l'absence de coopération de son dirigeant à une demande qui lui tenait visiblement à cœur, Amandine semblait agacée d'être congédiée. Pourtant, elles revinrent sur leurs pas sans un mot et Amandine ne quitta pas Cécile des yeux tandis que l'ascenseur la ramenait en bas.

- Viens, Cécile, lui dit Blackmoon lorsqu'elles eurent disparu.

La fillette obtempéra et suivit les deux adultes jusque dans un bureau des plus professionnels. Ce ne fut que lorsque le professeur et elle prirent place en face du Ministre que celui-ci se tourna enfin vers elle :

- C'est donc toi, la fameuse Inopiné tant attendue des Occamy, déclara-t-il en plongeant ses yeux cobalts dans les siens. Quel est ton nom ?

- Cécile Pandora, balbutia-t-elle, troublée par son regard perçant qui la détaillait comme s'il pouvait voir son âme.

Il avait sorti un ordinateur qui semblait les écouter car un timbre informatisé féminin répéta ses mots en voix-off. Le ventre de l'Occamy se contracta comme si elle angoissait du débouchement de cet entretien. Elle réprima un baillement. Combien de temps allait-il durer ? Quand pourrait-elle dormir ?

- Cécile, d'après Nour, tu n'appartiens à aucun groupe occamien. Que je sache, c'est impossible. Est-ce vrai ? Comment expliquerais-tu cette anomalie ?

Cécile ouvrit de grands yeux et le nœud de son estomac s'intensifia. Qu'en savait-elle ? De peur que le Ministre ne la réprimande, elle jeta un regard suppliant au professeur.

- Réponds déjà à la première question, lui proposa-t-il d'un voix douce.

- Ce qui dit Nour est vrai, bredouilla-t-elle alors.

La voix-off commençait déjà à l'insupporter, reproduisant ses émotions à la perfection. Le Ministre ne pouvait-il pas couper le volume ?

- Tu n'as donc aucune explication ?

- Non...

Lui en voulait-il ?

- Quels sont donc tes pouvoirs ?

Nour ne lui avait-elle donc pas dit ?

- Heu... Et bien, je peux former un bouclier protecteur, des lasers et j'ai une force surhu-

- Oui, je sais, l'interrompit sèchement M.Garnier, impatient. Quelle est la fonction de tes lasers ?

De nouveau, une sensation d'étouffer envahit Cécile et elle dut se sermonner intérieurement pour ne pas se braquer. Elle ne comprenait pas sa question. Ses lasers changeaient juste de forme selon leur bon vouloir, comme ça, sans ordre ni fonction précise.

- Aucune.

Il fronça les sourcils, visiblement agacée qu'elle ne réponde pas ce qu'il voulait. Plus diplomate, Blackmoon crut bon d'intervenir :

- Lorsque tu m'as lancé un laser et lorsque tu l'as projeté sur Laurent, l'Occamy de tout à l'heure ils n'ont pas eu la même fonction. Quel ordre leur as-tu donné ?

- Aucun. Je n'ai rien ordonné du tout, ils l'ont fait tout seul.

- Tout seul ? répéta le Ministre, à présent confus. Tu les évoques comme s'ils étaient vivants et doués de pensée. Or, ce n'est pas le cas, petite.

Mais pourquoi ne comprenait-il pas ? Cécile choisit de se taire et baissa les yeux sur ses mains, se pinçant la peau pour maîtriser son stress. Elle était de plus en plus fatiguée et à force de fixer le sol, ses yeux se mirent à lui brûler, rejoignant la migraine qui ne l'avait pas quittée depuis sa crise de panique.

- Tu veux bien me parler de ton passé ou tu ne préfères pas ? reprit enfin le Ministre sèchement.

Cécile fronça les sourcils, surprise qu'il lui laisse le choix. Sa décision était-elle plus importante que son passé lui-même ?

- Je ne préfère pas.

M.Garnier plissa les yeux, une émotion que la fillette ne parvint pas à décrypter sur le visage. Celle-ci s'attendait à ce qu'il insiste, mais lorsqu'il reprit la parole, ce fut pour enchaîner. Avait-elle fait le bon choix ?

- Nous allons maintenant construire ton dossier de séjour.

Il fit glisser son ordinateur devant lui et recensa tout un tas d'informations administratives sur elle comme sa date de naissance, sa taille ou le nom de ses parents. Puis vint la question du logement.

- Comme tu es mineure, nous allons te placer chez des tuteurs. La famille Sparkle s'est proposée pour ce rôle. Qu'en dis-tu ?

- Les Sparkle sont le papa et la maman d'Amandine et les tuteurs de Nour, crut bon de préciser Blackmoon. Ils sont très riches et comme ils habitent dans un manoir, tu y auras largement ta place.

Après l'errance, le château, pensa ironiquement Cécile. Grimper les échelons était apparemment déjà d'un autre temps. Après tout, pourquoi s'embêter quand on pouvait directement dominer ?

N'importe qui d'autre que Cécile aurait vu en cette "adoption" une inespérée opportunité. Elle, ne voyait qu'ennuis et tourments. Au moins, maintenant, elle comprenait pourquoi le manque d'hygiène avait tant pesé à Amandine : c'était une bourge !

- Tu es donc d'accord ? s'impatienta M.Garnier d'une voix froide.

Comme si elle avait le choix. Elle opina tout de même sous le regard peu amène de l'adulte.

L'heure devait avoisiner quatre heures du matin, pourtant aucun des sorciers ne semblait fatigué ; il aurait très bien pu être treize heures que ce serait revenu au même. Pourtant, M.Garnier était sans doute très las de ses enfantillages et de cette entrevue ô combien inutile.

Elle attendit patiemment que le Ministre ait bouclé son dossier, luttant contre la fatigue. Chose faite, il se leva enfin pour les congédier.

- Bonne journée !

Et ils se retrouvèrent à la porte. Cécile suivit docilement Blackmoon et il eut la gentillesse de lui ouvrir une porte d'aération pour qu'elle puisse flotter jusqu'au sol à la place de reprendre l'ascenseur. Parce qu'au XXVIIIème siècle, pourquoi installer des escaliers qui ne feraient qu'occuper de la place inutilement ?

Cécile sauta donc du rebord de la porte du 180ème étage et arriva en bas bien avant le professeur. À sa grande surprise, elle y retrouva Amandine et Nour qui passaient le temps en s'amusant à se renvoyer un ballon sortit de nul part à la seule force de leur esprit. En la voyant, la blonde lui décocha un grand sourire :

- Tout s'est bien passé ?

Cécile acquiesça, suivant des yeux la trajectoire du ballon, que Nour ne rattrapait que très rarement.

- Où l'avez-vous trouvé ?

- Quoi donc ?

Au même moment, Blackmoon apparut dans l'encadrement de la porte de l'Institution et entreprit de les rejoindre.

- Le ballon.

- Nous n'avons pas été trop longs ? s'enquit le nouveau venu au même moment.

Le ballon tomba devant Nour et celle-ci s'exclafa, plus fataliste qu'agacée de ne pas l'avoir rattrapé. Elle semblait de meilleure humeur que quelques minutes plus tôt et elle ramena une mèche rebelle derrière son oreille tout en répondant au professeur. Amandine se tourna au même moment vers Cécile :

- On l'a invoqué de chez nous.

- Invoqué ? répéta bêtement Cécile sans comprendre.

Le sourire d'Amandine s'élargit.

- J'oubliais que tu ne connais que très peu mon espèce. Nous sommes invocateurs, petit cœur. Autrement dit, nous pouvons téléporter un objet jusqu'à nous si on sait où il se trouve.

- Et pourquoi nous avoir attendu ?

- Pour t'emmener chez nous !

Elle n'avait définitivement pas eu le choix.

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