Ève

J'ai toujours rêvé d'être célèbre. Ou plutôt, que ma musique le soit. Je me plaisait à imaginer les gens fredonner des mélodies que j'avais composées. Pianoter sur la barre du métro des accords qui portaient ma signature. Énoncer le titre d'une de mes oeuvres avec fierté. Je voulais laisser une trace, faire chanter le monde et danser l'Univers tout entier. Au lieu de ça, je passais mes mercredis après-midi enfermée dans ma chambre, contemplant la peinture craquelée du plafond à la recherche d'une quelconque inspiration qui agiterait mes sens de musicienne amateur. Jusqu'ici, je n'avais réussi qu'à fixer avec hargne mes feuilles vides, changeant sans cesse de stylo et de place dans ma chambre en croyant arranger ma situation. Mais je ne faisais que me heurter à une évidence beaucoup trop douloureuse pour la naïve jeune fille de dix-sept ans que j'étais. Mon don pour la composition musicale n'était qu'imaginaire. Honteuse, je recopiais des oeuvres entière de Chopin pour ne surtout pas encourager mes parents à me détourner de ma passion. Voyant les feuilles remplies de hiéroglyphes, ils se soulageaient en  pensant qu'au moins, je mettais en pratique des années de cours de solfège coûteux.
Mais en réalité, pas la moindre émotion ne venait m'atteindre. Recluse dans mon antre d'artiste, je me refusais à toute interaction avec l'extérieur, terrifiée à l'idée qu'il ne vienne corrompre ma volonté. Jusqu'au jour où tout ce que j'avais cru bon d'éviter m'éclate à la figure comme un feu d'artifice dans la nuit noire.