Arès

Être silencieux avec Ève était à la fois naturel et terriblement compliqué. Elle ne se souciait pas de mon silence mais je crevais d'envie de lui dire tout ce qu'il me passait par la tête. Que je voulais l'entendre jouer, que je voulais qu'elle reste encore un peu, qu'elle était belle. Je me demandais pourquoi une fille comme elle perdait son temps avec un muet. Ce qu'elle aimait, c'était l'harmonie des sons. Et moi, je ne parlais même pas. Je me demandais aussi quand allait-elle disparaître. Parce que c'est ce que les gens finissent toujours par faire: abandonner.
Et j'étais le premier à le faire.

- Arès, pourquoi la peinture ? Je veux dire, pourquoi t'es-tu mis à dessiner si tu ne veux plus communiquer avec qui que ce soit ? Ça reste une forme d'expression.

Ève m'observe, le front plissé, la tension crispant ses lèvres. Je la regarde à mon tour, une expression sereine peinte sur le visage. Lentement, je trempe mes doigts dans le liquide coloré, un mauve profond. Et tandis que je trace les courbes et les lignes qui m'ont toujours terrifié, elle lit à voix haute:

- Je n'ai jamais arrêté de communiquer avec les autres, ce sont eux qui ont cessé de me comprendre.