Chapitre 10 - L'autre monde

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— Laquelle serait la mieux ?

Karis grogna contre la voix qui la tira hors de son demi-sommeil. Allongée sur sa paillasse, elle dut faire un effort pour se redresser, remontant les pans de sa couverture sur ses épaules. Elle cilla plusieurs fois avant de discerner ce que Calizo pointait du doigt.

— Dis donc, vous pourriez faire ça demain, marmonna-t-elle. Y en a une qui essaye de dormir ici.

— Dixit l'insomniaque, pouffa Calizo.

Le sourire aux lèvres, son amie semblait s'être remise de ne pas avoir été choisie pour incarner Aryna. Elle s'était trouvée une nouvelle mission : aider l'heureuse élue. Elle observait avec un air pensif deux-trois tenues de fête étalées sur le matelas tressé de Léka. Les deux Apprenties tenaient un grand conciliabule pour savoir quelle serait la robe la plus adaptée pour être à la hauteur de la beauté légendaire d'Aryna. Elles se tournaient de temps à autre vers Karis pour lui demander son avis. Mais entre-temps, l'Ashkani avait commencé à s'assoupir.

La lune perçait à travers la fenêtre, mais sa lumière était trop faible. Pour éclairer la petite pièce, une des deux filles avaient créé des étincelles dorées qui flottaient au plafond.

— La bleue irait mieux à Léka, tu ne trouves pas ? lui demanda la blonde.

— Sans doute, répondit Karis après un bâillement.

Il fallait admettre qu'elle lui irait en effet très bien. Le bleu, d'un cobalt profond, faisait ressortir les yeux saphir de la jeune fille qui avait plaqué le vêtement contre elle avec hésitation.

— Mais c'est ta robe, Calizo, dit Léka en la reposant.

— Elle commence à être trop petite pour moi. Et puis, c'est ton jour de gloire.

Léka marmonna quelque chose d'inaudible, mais on devinait à son ton qu'elle était embarrassée. En quelques heures, la sœur de Limbe était passée de totalement surexcitée par sa nomination à terrifiée. La chose était compréhensible, vu qu'elle allait avoir sous peu les yeux de Numarie entier rivés sur elle.

— Le truc, c'est que le seul collier que j'ai est violet, soupira Léka. Et ce qui n'est pas ce qui s'accorde le mieux avec la couleur de la robe.

Karis ramena ses jambes contre elle. Comme en témoignaient les trois petites malles de leur dortoir, les trois jeunes elfes ne possédaient pas beaucoup d'affaires personnelles. La plupart du temps, leur uniforme était la seule chose qu'elles devaient se mettre sur le dos.

— Il faudrait donc quelque chose de bleu, dit Calizo.

Son regard tomba alors sur Karis, qui fut parcouru d'un frisson. Elle referma ses doigts sur la chaîne qui pendait sur sa poitrine, qu'elle ne retirait jamais, même pour dormir.

— Avant que tu dises quoi que ce soit, mon médaillon est argenté, pas bleu. En plus je n'ai pas envie qu'on me le vole encore, balbutia-t-elle

— Au soleil, il a des reflets bleus, objecta Calizo. Et ne t'inquiète pas, personne n'osera s'approcher de Léka.

— Ça pourrait être joli, oui, ajouta l'intéressée d'une voix timide.

Les lèvres de Karis restèrent entrouvertes, incapables de fournir une autre excuse. Ce n'était qu'une pièce de métal joliment découpée, pourquoi refuser de le prêter à Léka ? S'y cramponner comme elle le faisait était parfaitement ridicule.

— Juste, fais vraiment attention aux voleurs, soupira-t-elle.

Elle retira à regret le bijou et le donna à Léka, qui le plaça sur la robe. Le malaise de Karis s'allégea un instant devant l'étincelle qui brilla dans le regard de la jeune fille de quinze ans.

— Merci beaucoup, sourit-elle.

Elle déposa avec précaution le médaillon sur la robe une fois qu'elle l'eut pliée. Enfin satisfaites, Calizo et Léka se glissèrent dans leurs lits. Cette dernière claqua des doigts et la pièce fut plongée dans l'obscurité. L'Ashkani s'enfonça dans sous sa couverture, grattant la peau de sa nuque désormais nue.

L'absence du médaillon lui rappelait qu'il aurait toujours dû en être ainsi. Ce n'était pas elle qui aurait dû en hériter, mais Unili. L'aînée. L'enfant légitime. L'Ashkani dont la Citadelle avait besoin. Mais sa sœur les avait abandonné.

Karis se retourna furieusement et poussa un grognement de frustration dans son oreiller usé aux coins. Vivement qu'elle trouve le sommeil.

Les trois Apprenties ignoraient que le lendemain, elles ne seraient plus jamais les mêmes.



Chaque nuit, quand Karis s'endormait, sa réalité basculait. Parmi tous ses secrets, celui-ci était le mieux gardé, celui qu'elle ne révèlerait à personne pour rien au monde.

Quand elle était plus jeune, son père lui faisait avaler un somnifère, soir après soir. À sa mort, Karis avait enfin découvert pourquoi il s'acharnait malgré ses plaintes sur le goût effroyable de la concoction. Depuis, l'Ashkani prétendait devant les siens qu'elle ne rêvait pas. Ce n'était pas tout à fait exact.

Son Corps assoupi se relâcha, dissipant la tension habituelle qui contractait ses épaules. Elle ouvrit les yeux.

Le monde dans lequel elle s'éveillait la nuit n'avait pas de ciel. À la place, une voûte rocheuse d'un noir profond prenait la place des étoiles. Des sphères lumineuses, semblables à des lucioles, flottaient dans les airs.

Allongé sur le sol tiède, d'où se diffusait une lumière immaculée, l'Ashkani se leva. Le paysage était toujours le même. Elle se tenait dans une sorte de cuvette entourée par de la brume, où des rochers solitaires s'élevaient de manière hasardeuse, jonchée par-ci par-là de galets colorés.

Elle avait vite pris conscience dès ses premiers songes que sa conscience basculait dans un autre monde : l'Iracyl. Le monde originel des Déesses, où elles étaient nées de la rencontre entre Ordre et Chaos. Nommé par les elfes d'après un vieux mot signifiant « brumes », c'était une dimension parallèle au monde elfique, interdite aux mortels, peuplée des Dymons – premières créatures créées par les Déesses, du temps où elles s'entendaient encore. Ces derniers s'étaient pour la plupart retournés contre leurs créatrices, et vivaient en autonomie dans leur propre territoire.

C'était pour cela que Karis ne parlait jamais de l'Iracyl à qui que ce soit. On la prendrait pour une hérétique.

En prenant garde à ne pas marcher dessus, l'Apprentie se saisit d'un galet coloré avec un sourire. Une odeur de cendres qui picotait ses narines s'en dégageait.

Au contact de ses mains, le galet bleuté vibra. Il grossit, grossit, jusqu'à s'échapper de son emprise. Mais avant de toucher le sol, sa forme se précisa, et une silhouette d'enfant apparut. Une enfant bien étrange certes, à la peau lumineuse, chauve, et avec deux grandes billes sombres à la place des yeux.

Ces créatures douées d'intelligence ne parlaient pas, mais elles ressemblaient à des enfants qui manifestaient toujours de l'allégresse en la voyant apparaître. Leur présence était plus douce pour la jeune fille que n'importe quels mots. C'était auprès d'eux que Karis venait chercher du réconfort.

L'être bleuté esquissa un sourire muet, la serrant immédiatement dans ses bras. Ses petites mains tièdes s'accrochèrent à sa taille. D'autres galets vibrèrent et se métamorphosèrent. L'Ashkani sourit à nouveau. Quand elle pensait que la plupart des elfes croyaient que les Dymons étaient maléfiques. Ceux-là n'étaient que gentillesse.

— Je vous ai manqué ? s'attendrit-elle.

La créature hocha la tête. Cet endroit était divin. Elle laissa une chaleur bienveillante envahir sa peau. Son répit dans ce monde ne durait que quelques heures, et après, elle devait retourner dans la réalité. Mais pendant ce bref instant, elle pouvait noyer ses inquiétudes dans la sérénité des petites créatures, qui à présent jouaient ensemble.

Les galets colorés transformés, il ne restait sur le sol que de vulgaires cailloux plats et noirs, mais aussi tranchants qu'un rasoir. Karis les écarta pour ne pas se blesser, et s'assit, posant son menton dans sa paume, pour observer les petits êtres avec amusement.

Soudain, les créatures se figèrent d'un coup. L'Ashkani se leva. Ils s'étaient rassemblés en cercle autour de quelque chose, qu'elle ne parvint pas à discerner, même en se hissant sur la pointe des pieds. Lorsqu'elle s'approcha avec méfiance, les créatures s'écartèrent à son passage. Certains, effrayés, s'accrochèrent à ses jambes. La jeune fille tapota leur tête avec affection, essayant au mieux de les rassurer.

En voyant l'objet de leur effroi, Karis poussa un hoquet de stupeur. Sur le sol une silhouette semblait plongée dans un sommeil léger.

Malgré sa peur qui traversa son Âme, prise par ses réflexes de Combattante, la jeune fille chercha ses izus. Mais ils n'existaient pas dans ce monde. À défaut de ses lames, elle se saisit d'un caillou tranchant et marcha jusqu'à la menace.

Karis fut prise d'un moment d'hésitation : quel était cet être ? Après des années de rêves dans l'Iracyl, rien n'avait perturbé sa tranquillité, pas même d'autres types de Dymons que les créatures lumineuses. Elle serra les dents et banda ses muscles.

Deux yeux écarlate s'ouvrirent à moitié, plongés dans le vague. La Gardienne devait agir maintenant, et vite. Ses doigts tremblants raffermirent leur prise sur son arme improvisée. Elle s'élança sur la chose, et plaqua sa lame de fortune contre sa gorge, se tenant prête à la lui trancher s'il le fallait.

Karis mit tout le poids de son corps pour bloquer le moindre de ses mouvements. Ce geste lui était familier, elle l'avait répété des dizaines et des dizaines de fois en entraînement. Et pourtant, elle ne pouvait empêcher ses jambes de trembler. Cette fois-ci, tout était bien réel. Même si son Corps rêvait, son Esprit et son Cœur étaient bien en train de vivre ce qui se passait.

Elle déglutit avec difficulté, le sang battant à ses tempes. En y regardant de plus près, la créature n'avait qu'un vague air de Dymon. Ses oreilles légèrement pointues étaient semblables aux siennes. Elle avait une paire de jambes, de bras frêles, un visage ovale et une bouche rose entrouverte par la surprise.

Elle ressemblait parfaitement à une elfe adolescente, à une exception près : sa masse de cheveux lisses couleur prune, qui paraissaient aussi fins que les fils de soie des marchands de Numarie. Mais la vision de sa peau hâlée hérissa Karis.

Les yeux écarquillés, l'inconnue tenta de remuer, mais l'Ashkani pressa sa lame contre son cou.

— Si tu bouges, tu es morte, gronda-t-elle.

La jeune fille cessa de se débattre. Elle jeta un coup d'œil aux environs, et s'attarda sur les petits êtres lumineux, qui les observaient sans chercher à intervenir, pour enfin reporter son attention sur Karis.

— Qui es-tu ? articula-t-elle faiblement en langue classique.

Sa voix portait des effluves chauds et mélodieux, que Karis n'avait jamais entendus. Ils contrastaient avec l'accent du nord de l'Askan auquel son oreille était habituée, cassant et froid comme du miel sec. Son odeur florale chargée la fit retrousser le nez avec une moue écœurée.

À n'en point douter, cette étrange elfe devait venir du Dalren. Karis réfléchissait à toute vitesse. Maîtriser une ennemie était une chose. Volontairement lui enfoncer une lame dans la gorge jusqu'à ce que mort s'ensuive en était une autre. En aurait-elle même la force ?

L'Ashkani jeta un coup d'œil de supplication aux créatures lumineuses pour obtenir leur aide, mais elles restèrent fermement immobiles. Comme de petits animaux curieux, elles s'étaient assises en cercle autour d'elles, visiblement calmées.

— Comment es-tu venue ici ? insista l'inconnue d'une voix tremblante.

Karis retint un juron. La vraie question était plutôt comment elle avait trouvé cet endroit. Son trouble dut se voir, car l'inconnue en profita pour la repousser et à échapper à son emprise. L'Ashkani aurait pu saisir ses cheveux ou la bousculer, mais elle resta figée.

— Je... je pensais être la seule, poursuivit la jeune elfe.

Elle s'était éloignée de quelques mètres. Les petits Dymons commençait à se rassembler autour d'elle, les bras tendus en signe de bienvenue. Mais elle les ignorait, fixant Karis d'un air interdit.

L'Ashkani ne pouvait pas utiliser ses pouvoirs sur elle et trahir son identité de Gardienne. Quoique, elle pourrait utiliser une Clef d'immobilisation comme pour le voyant, puis effacer la mémoire de l'inconnue. Mais enchaîner les Clefs serait ardu. Et l'Esprit était la maîtrise la plus retorse des trois maîtrises de l'Âme.

Sans un regard en arrière, Karis tourna le dos à la Dalrenienne et se mit à courir vers la brume. 




La rencontre :33 Et ce n'est que le début ;))

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