Chapitre 9 - Jusqu'à nouvel ordre

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Le soleil déclinait à l'horizon lorsque Milanne pénétra dans Runac, où vivait Niel de Larq. Même si la ville était beaucoup moins imposante que Rohir, les maisons arboraient les mêmes pierres rouges et les mêmes rues serpentines, qui montaient et descendaient à n'en plus finir.

Une clameur joyeuse s'élevait au passage du convoi de la jeune fille. Cette dernière faisait de son mieux pour cacher sa fatigue après deux journées de voyage. Elle n'avait guère eu le temps de souffler, et la voilà qui devait à présent tenir le premier rôle d'un spectacle destiné à éblouir les habitants.

Bien droite dans sa robe carmin aux manches évasées, elle avait presque l'allure d'une reine. Un trait doré soulignait ses paupières, faisant écho aux fils, eux aussi dorés, qui décoraient sa tresse. La jeune fille résista à l'envie de toucher la broche sertie de rubis qui maintenait sa coiffure en place. Anlin avait déjà vérifié qu'elle était bien droite. À la place, ses doigts glacés par l'appréhension serrèrent plus fort les rênes de sa jument.

À sa droite, sa garde du corps fixait la foule comme si un assassin s'apprêtait à en jaillir à tout moment. Mais il n'y avait que des visages empreints de respect. Les enfants agitaient des lanternes faites à la va-vite, juchés sur les épaules de leurs parents, qui eux-mêmes observaient l'elfe avec curiosité. Quelques habitants avaient même sorti des instruments de musique pour jouer un air joyeux, même s'il était presque recouvert par les acclamations.

Milanne allait finir par avoir une crampe à la joue, à force de sourire. Sans compter qu'elle était loin d'avoir le Cœur à la fête. Elle ne devrait pas être ici à faire la potiche, mais au chevet de Dias. La griffe qui prenait en étau son estomac depuis son départ se resserra un peu plus. On ne l'avait même pas laissé retourner dans sa chambre pour s'excuser auprès de son père.

Son départ était d'autant plus douloureux qu'elle avait appris que l'arrivée de son cousin était maintenue. Bien sûr, Dias serait sûrement déjà guéri le temps qu'il arrive, mais tout de même.

Son cousin était un homme retors. Qui sait s'il ne parviendrait pas à convaincre l'Orem d'abandonner sa fille, comme la moitié des nobles de sa cour le lui conseillaient ? Après tout, personne n'avait compris sa décision dix ans plus tôt d'adopter sa petite-nièce, suite au décès de ses parents, puis de sa grand-mère.

Tu délires, ma pauvre fille, se rabroua Milanne, culpabilisant d'éprouver encore de tels doutes envers Dias. Elle se força à se reconcentrer sur la route.

Le convoi traversa une dizaine de rues avant de déboucher sur la place principale, où se dressait une forteresse de pierres écarlate – la demeure de son hôte, qui abritait aussi son université.

Lorsqu'ils arrivèrent aux pieds de la bâtisse robuste, bordée par des douves, Milanne dut lever la tête pour voir le haut des murailles. Dans un bruit assourdissant, le pont-levis s'abaissa et la herse remonta péniblement. Une fois que le pont fut stabilisé, Milanne fit avancer sa jument.

La forteresse, telle une immense créature souriante, referma sa gueule une fois le convoi entré.



— Bienvenue à Runac, ma famille et moi-même sommes honorés de votre présence ici.

Milanne ne parvint qu'à adresser un hochement de tête poli à l'homme qui se tenait en face d'elle, la gorge trop nouée pour articuler quoi que ce soit. Niel ne parut pas se formaliser de son silence, lui indiquant un fauteuil alors qu'ils pénétraient dans ce qui devait être son bureau.

La pièce la surprit par sa taille modeste dans une forteresse aux dimensions démesurées. Les murs étaient longés par des étagères qui croulaient sous les livres et les archives. Là où il restait de la place, des tableaux de famille la fixaient de leurs yeux ternes.

Niel lui sourit brièvement quand elle s'installa. Ses prunelles ambrées et les rides au coin de ses paupières lui donnaient un air d'aigle sur son perchoir. L'effet était renforcé par ses cheveux d'un bond grisonnant tirés en arrière, attachés en un catogan. Mais il avait beau être l'elfe le plus important du Larinu après Dias, Milanne remarqua que les manches de sa tunique étaient froissées.

— Je crois que vous avez quelque chose à me donner, déclara Niel, brisant le silence pesant.

Trop heureuse de pouvoir faire quelque chose, Milanne sauta presque hors de son fauteuil et sortit de sa poche les missives que lui avait confiées son père. Il y en avait deux, l'une paraissant beaucoup plus lourde. Elle les donna à Niel, qui s'était installé derrière son bureau encombré par des bougies fondues et des plumes noircies par l'encre.

Le Lyllun ouvrit la moins épaisse, brisant le sceau qui la maintenait close. Il la lut dans son entièreté. Ce qui prit deux bonnes minutes, qui parurent interminables pour Milanne qui essayait de rester droite dans son siège.

Plus Niel avançait dans sa lecture, plus le pli entre ses sourcils broussailleux se creusait. Elle se mordit la lèvre, trop loin pour espérer lire le contenu de la missive en diagonale. Au moins, sa mission était accomplie. Cependant, le crépuscule incendiait le ciel à l'horizon, lui indiquant qu'il était trop tard pour que le convoi se remette en route.

— Ainsi, les rumeurs disent vraies, murmura Niel. L'Orem est malade... Que Liha le guérisse au plus vite, le Larinu a besoin de son dirigeant.

Milanne retint une grimace. Son père n'allait pas être content d'entendre que la nouvelle de son état s'était éventée. Mais dans ce cas, pourquoi en avait-il informé Niel dans cette lettre ?

— Oui, approuva-t-elle avant d'ajouter d'un ton plus prudent. Je vous remercie de votre accueil mais pour cette raison je dois rentrer au plus vite à Rohir.

Alors que Niel allait ouvrir la bouche, la porte s'ouvrit à la volée. Milanne aurait voulu se retourner pour apercevoir le perturbateur mais elle s'était rassise dans le fauteuil, dos à la porte.

Une voix avec un accent épuré – pas un accent de la région – s'éleva discrètement :

— Oh, pardon mon oncle. Je ne savais pas que vous étiez occupé, veuillez m'excuser.

La porte se referma aussitôt en claquant. Niel se pinça l'arête du nez en fermant les yeux avec un agacement contenu.

— Excusez-le, soupira-t-il. Mon neveu est un adolescent pour le moins... étourdi. Je suis prêt à mettre ma main à couper qu'il n'est même pas au courant de votre présence à Runac.

— Il n'y a pas de mal, répondit Milanne, plutôt amusée.

C'était plutôt agréable de savoir que le monde ne tournait pas autour d'elle. Cependant, cette interruption soulevait une question : où était Anlin ? La garde du corps aurait empêché l'entrée du neveu de Niel.

— Ma tâche est accomplie, reprit la jeune fille. Nous ne vous importunerons pas longtemps, le convoi peut repartir dès demain.

Niel lui jeta un regard étonné, resta un instant pensif, puis reprit la parole.

— J'ai bien peur que vous ne puissiez rentrer à Rohir, du moins, pas pour le moment.

— Je vous demande pardon ? s'exclama-t-elle.

Le Lyllun se leva, rangea les missives dans un tiroir, puis croisa les bras.

— C'est la volonté de l'Orem. Vous devez rester à Runac. Et ce, jusqu'à nouvel ordre.



Milanne ne décolérait pas. Depuis une bonne heure, elle arpentait de long en large la chambre qu'on lui avait donnée, sous les yeux attentifs d'Anlin, ruminant son entrevue avec Niel. Quand un serviteur était entré pour lui dire que le dîner était servi au rez-de-chaussée, sa garde du corps avait prétexté qu'elle était souffrante.

Anlin n'était pas si loin de la vérité : Milanne souffrait bel et bien.

— Père m'a piégée, tu te rends compte ? s'irrita-t-elle pour la énième fois.

Anlin poussa lui tapota le crâne d'un geste compatissant. La jeune fille fixa le feu ondulant dans la cheminée, puis lâcha un profond soupir de découragement. La chaleur irradiait sur sa peau, tandis qu'elle observait son visage désabusé dans le petit miroir au-dessus de l'âtre.

Elle avait bien essayé de convaincre Niel qu'il devait la laisser rentrer à Rohir. Mais il était resté inflexible et déterminé à respecter les volontés de l'Orem. Pourquoi diable son père s'obstinait à l'éloigner ? La question tournoyait dans son esprit sans trouver de réponses.

Milanne aurait voulu hurler au Lyllun qu'il n'avait aucun droit de la retenir ici contre son gré, mais elle s'était contentée de baisser la tête. La dernière chose, qu'elle voulait, c'était de causer un scandale qui pouvait porter atteinte à la réputation des Larinu.

— Tu n'es pas la seule à avoir été piégée. Cet imbécile de Lyllun a ordonné à ses gardes de m'éloigner du bureau, une fois que tu étais à l'intérieur. Je suis sûre qu'il se méfie de moi à cause de ça, grommela Anlin en montrant la peau pâle de ses paumes.

— Comme si j'avais quelque chose à te cacher, soupira Milanne.

— En plus, renchérit l'Askanienne, je suis mille fois plus dégourdie que ses gardes. Je n'aurais pas laissé entrer un intru comme ça, moi.

Sa remarque arracha un rire à Milanne. En une heure, elle avait eu largement le temps de lui rapporter dans les moindres détails son entrevue.

Personne ne les dérangea du reste de la soirée, sauf un autre serviteur venu leur apporter un plateau rempli de victuailles. Milanne et Anlin picorèrent dessus, la garde du corps essayant de divertir sa protégée par des jeux de cartes. Elles jouèrent jusqu'à tard dans la nuit, jusqu'à ce que Milanne n'ait plus assez de colère pour garder les yeux ouverts.

Elle finit par enfiler une chemise de nuit pour ensuite se glisser sous la couverture de son lit, qui lui semblait beaucoup trop grand. Anlin s'était allongée, habillée, sur un matelas posé à même le sol. Une de ses dagues était juste à côté d'elle.

— Ils auraient pu te donner un lit, franchement, marmonna Milanne.

— Je dormais dans bien pire à Numarie. Et puis, le but n'est pas que je dorme comme un bébé. Il faut bien quelqu'un pour veiller sur ta petite bouille.

Sa garde du corps se releva pour souffler les bougies qu'elles avaient allumé.

— Dors bien tout de même, murmura Milanne.

Elle tâta machinalement la table de nuit, pour ne rencontrer qu'un chandelier éteint. Il lui fallut un instant pour se rappeler qu'elle n'était pas dans sa chambre, à Rohir. Avec un grognement, elle s'extirpa de son lit pour fouiller dans ses bagages, posés sous la fenêtre.

— Qu'est-ce que tu fais ? demandé Anlin, alertée par le bruit.

— Je cherche mes somnifères.

Mais elle eut beau chercher, elle ne trouva rien.

— J'ai dû oublier de les emporter, s'affola-t-elle.

— Tu veux que j'aille en demander ?

La voix fatiguée de la femme arrêta le « oui » qui allait franchir les lèvres de Milanne. Anlin devait être éreintée après le voyage et la soirée.

Milanne ferma les yeux. Les plantes soporifiques chassaient son sommeil habituellement agité depuis des années. Une angoisse sourde tirailla son ventre.

— Ne t'en fais pas, ce n'est pas grave, soupira-t-elle.

— Dors bien, youmila, lui répondit l'Askanienne.

Une fois remontée sur son lit, Milanne se recroquevilla entre les couvertures. Au bout de quelques minutes, elle changea de position, encore et encore sans trouver la bonne. Frustrée, elle donna un coup de tête dans son oreiller. Les mains croisées sur le ventre, elle fixa le vide.

La nuit promettait d'être longue. Très longue. D'étrange créatures peuplaient ses cauchemars si elle ne rayait pas leur existence par une mixture médicinale, qui lui procurait un sommeil sans rêves. Elle rit jaune in petto. Elle n'était qu'une enfant qui était encore effrayée par des monstres imaginaires. Ce n'était pas étonnant qu'on doute de ses capacités à devenir Oreme. Pourquoi l'aurait-on éloignée sinon ?

Après une lutte qui parut durer une éternité, elle finit par trouver le sommeil. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, une lumière diffuse l'aveugla. Elle crut d'abord que le jour s'était levé. Toutefois, la lumière ne venait pas de la fenêtre mais de petites sphères de lumières qui gigotaient dans les airs. Milanne se frotta les yeux. Était-elle devenue folle ? Non, non, elle dormait voilà tout. Oui, ce devait être ça.

Une autre impression, bien réelle cette-fois, la saisit brusquement. Celle d'une lame glaciale, pressée contre sa gorge. 




*une musique à suspense s'élève dans les airs*

Merci de votre lecture et gros bisous :33

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