1- Ordre de mission

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L'opérateur des communications frappa trois coups secs à la porte puis se tint bien droit dans le couloir. Il tendit l'oreille, étonné de n'entendre aucune réponse. Alors qu'il s'apprêtait à réitérer son appel, la porte de la chambre s'ouvrit et il délivra son message.

« Mon Lieutenant, un pneumatique vient d'arriver à votre attention. » Le soldat remit une enveloppe scellée au gradé, le salua et retourna vers son bureau. Ses pas s'étouffèrent sur l'épaisse moquette tandis que le lieutenant Rudolphe Thiers baillait sur son seuil. L'officier décacheta la missive trop matinale à son goût. La note l'invitait à se rendre à l'État-major d'ici une heure. Une automobile l'attendrait aux pieds de l'immeuble du cercle des armées. Il en déduisit que sa courte permission venait de s'achever. Après ses ablutions il descendit au mess pour le petit-déjeuner.

Une fois attablé, Rudolphe feuilleta un quotidien abandonné en sirotant le café qu'un serveur venait de lui verser. La une titrait un nouveau refus du congrès américain d'entrer en guerre en Europe. Le café était délicieux et il aurait apprécié ce luxe encore quelques jours, mais l'État-major le réclamait déjà. Par la baie vitrée, il entrevit un véhicule officiel s'arrêter pour s'annoncer au planton. Reconnaissant le sigle du Deuxième Bureau, il se leva pour finir d'un trait sa tasse et quitter la salle, Le Petit Parisien du 17 septembre 1920 sous le bras.

Arrivé au siège du Service de Renseignement, il fut accueilli par son supérieur, le capitaine Maurainge.

« Mon cher Rudolphe, je suis désolé d'interrompre votre repos ; la guerre ne souffre aucune vacance . Le colonel de Cointet souhaite vous confier une nouvelle mission. Sur le front cette fois. »

Maurainge marqua un temps d'arrêt pour laisser son camarade encaisser le coup.

« L'affaire vous paraîtra étonnante, mais ses implications stratégiques sont de taille,croyez-moi : le fortin du Barray, en Franche-Comté, accueille depuis quelques semaines une compagnie de blindés. Des cent quarante-deux hommes placés sous les ordres du capitaine Devalières, il n'en reste plus que la moitié, selon le dernier décompte officiel. Pourtant cette compagnie n'a pas mis le pied sur le champ de bataille depuis son arrivée dans le bastion. Elle a reçu l'ordre à plusieurs reprises de faire marche sur divers objectifs, cependant on ne l'a jamais vu en place lors des assauts. À chaque fois le commandement recevait des télégraphes, lesquels mentionnaient, je cite : « la présence d'une force belligérante inconnue ». La radiogoniométrie et les vols de biplans n'ont révélé aucune force ennemie dans les alentours. Le Troisième Bureau a d'abord pensé que la compagnie s'était déployée au mauvais endroit. Une patrouille a été dépêchée au Barray et a bien trouvé Devalières et ses hommes sur place. »

Le lieutenant Thiers, tout en écoutant avec la plus grande attention, passait en revue les feuillets que lui tendait son supérieur.

« Vous pensez qu'il s'agit d'un acte de rébellion, mon Capitaine ?

— C'était la première déduction de leur Général. Mais lorsqu'il a voulu aller le constater par lui même, son convoi a subi une attaque en chemin. Il a perdu trois chars avant de rebrousser chemin.
— Et vous dites qu'aucun mouvement adverse n'a été repéré ?
— C'est exact. L'anecdote a pris un tournant plus mystérieux il y a quelques jours. Nos bénédictins ont intercepté plusieurs télégraphes en provenance du Barray. Il y était question de « monstre », « d'ennemi invisible », ce genre de folklore de tranchée. De deux choses l'une : soit tous ses soldats sont aliénés, soit il se trame une intrigue qui nous dépasse.
— Dites-moi, mon Capitaine, à quand remonte le dernier contact physique avec cette compagnie ?
— Devant l'insistance du Troisième Bureau, le colonel de Cointet a mandaté il y a trois semaines votre ami, le lieutenant Sérusy. Il s'y est rendu avec le ravitaillement du fort. Il devait inspecter les lieux et estimer le danger. Il a transmis un premier rapport le 24 août dans lequel il nous notifiait son arrivée, puis un second une semaine plus tard. Je vous laisse en prendre connaissance. »

Le capitaine Maurainge joignit le geste à la parole et présenta le document à Rudolphe qui lut à haute voix :

« Mon Colonel, la situation au fort du Barray est effroyable. Même si Devalières se fourvoie dans l'absinthe depuis plusieurs semaines et que ses hommes ont pris de mauvaises habitudes, les craintes d'une présence hostile hors des murs sont fondées. J'ai en effet pu être témoin de l'acharnement avec lequel l'ennemi sape nos forces jour après jour. Toute sortie,que j'ai commandée selon vos instructions, s'est révélée désastreuse. Deux douzaines d'hommes sont tombés sous mes ordres. J'en suis navré, d'autant plus que je n'ai pu identifier la nature de la menace. Je ne pourrais vous décrire l'indicible ; sachez toutefois que notre adversaire est tout à la fois invulnérable et insaisissable. De mon témoignage, retenez ces rares certitudes :dans la brume se terre un char inconnu dont la puissance de feu n'a aucun égal dans les rangs de l'Alliance.

Vous me voyez contrit et impuissant devant un tel adversaire et je préconise soit un assaut farouche dans la campagne environnante, soit un retrait immédiat de nos troupes. »

Rudolphe aurait considéré cette histoire comme un canular s'il ne connaissait pas lui-même l'officier détaché sur place. Il avait fait ses classes avec Sérusy et ils avaient suivi des carrières parallèles au Renseignement. Maurainge le regarda d'un air entendu.

« Pas banal, n'est-ce pas, Thiers ? Nous n'avons rien reçu depuis. Vous commencez à saisir pourquoi c'est vous que de Coint et veut sur place ?
— À dire vrai, mon Capitaine, je n'ose comprendre.

— Vous êtes notre agent le plus perspicace. Vous saurez démêler tout ça avec vos approches détournées et diplomates.

— Quels sont vos ordres ?

— Vous partez immédiatement pour Vesoul en train ; la ligne de l'Est ne va pas plus loin. Vous gagnerez le fort avec une escorte du 161ème Régiment d'Infanterie. Une fois arrivé, vous demandez son rapport à Sérusy et vous vous arranger pour que tout ce petit monde fasse route vers Besançon ; une offensive majeure sur Belfort puis Mulhouse s'y prépare pour les prochains jours. Les chars du Barray, ses munitions et son carburant sont essentiels à cette opération. Il est hors de question que l'ennemi s'en empare. En tant qu'officier du Deuxième Bureau vous avez toute latitude pour contraindre Devalières. Je me fais bien comprendre ? »

Rudolphe acquiesça et prit congés de son supérieur avant de passer à l'intendance retirer son paquetage. Il en profita pour demander un rabe « à toute fin utile et pour les motifs de sa mission ». Il énuméra au magasinier une liste de courses digne des grands magasins : un sachet de café,trois tablettes de chocolat, des sablés Lefèvre-Utile et une flasque de cognac. Il se rappelait en effet à quel point de chiches victuailles étaient pratiques lors de missions sur le front. Les poilus avaient des goûts simples et la reconnaissance du ventre.







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