Trois jours plus tard, debout face au bureau du capitaine Maurainge, Rudolphe attendait que son supérieur eut fini de relire son rapport.

« Je ne vous le cache pas :je suis un peu désappointé par votre décision, Thiers. Évacuer à pieds les hommes du fort et faire sauter les chars et le stock de munitions, ça n'était pas ce que j'attendais.

— Mon capitaine, cette solution m'a semblé judicieuse. La colonne allemande a été réduite à néant en quelques instants. Je ne voulais pas que nos hommes connaissent le même sort.

— Vous indiquez que la force en présence a fait feu sur les deux camps sans distinction. De plus vous signalez que l'arme ne correspond à aucun véhicule connu. Qui donc serait le constructeur et le pilote de cet engin selon vous ?

— Sérusy et moi avons déduit qu'il devait s'agir d'un groupe de déserteurs, assez instruits pour savoir bricoler des pièces de chars abandonnés. Des hommes souhaitant provoquer la fin des combats dans la région,qui sait ? »

Rudolphe avait escamoté une explication plausible à présenter à sa hiérarchie. Puisqu'il serait à jamais incapable de justifier ces événements, autant fournir une version officielle réaliste.

«Espérons que notre offensive en Alsace suffise à convaincre ces mystérieux rebelles d'abandonner leurs velléités. Le front sera bientôt stabilisé. Nos espions rapportent que le Kaiser devrait abdiquer sous peu ; Clemenceau et le Maréchal Foch sont persuadés que la guerre finira avant le printemps. Mais si tel n'était pas le cas, le Deuxième Bureau devrait redoubler d'efforts. À ce propos,j'ai un boulot pour vous. Nos agents infiltrés ont découvert l'existence d'un nouveau dispositif secret développé par les Allemands. Que vous évoque le nom d'Enigma, Lieutenant ? »

Rudolphe émit une vague réponse. Ses pensées se perdaient dans une brume lointaine où régnait un démon d'acier. Un monstre capable de poursuivre sa propre guerre jusqu'à la fin des temps.