5 - Léviathan

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Bien que Sérusy n'était plus fiable, il avait mené deux offensives à l'extérieur du Barray ; il possédait donc une expérience du terrain suffisante pour une patrouille de reconnaissance. Avant de mettre l'engin en marche, le sergent chargé des communications lui remit un télégraphe crypté en provenance de l'État-major.

Rudolphe s'installa près du première classe à l'avant, tandis que les deux autres prenaient place dans la tourelle. D'un air décidé, il ordonna au conducteur de faire route vers la campagne. Sérusy,debout au canon de trente-sept ruminait, une carte topographique à la main.

«Le salaud ! Je viens de décoder le télégraphe : une colonne allemande a été repérée à moins de vingt kilomètres d'ici hier au soir. Devalières devait très certainement être au courant et il ne nous aura pas prévenu.

— Écoutez,Thiers, je reste persuadé qu'avancer hors du fort est suicidaire. Croyez-moi : cette machine ne tiendra pas une seconde face au...

— Chef! Regardez là-bas ! »

Le première classe tendit sa paire de jumelle à Rudolphe et lui indiqua une direction.

À travers la brume, il distingua deux sections allemandes avancer à découvert accompagnées d'une épaisse ombre métallique. Il ne reconnut pas le modèle du tank, mais celui-ci semblait immense.

«C'est un Saint Chamond, chef. Les boches nous en ont pris un paquet en 18. On fait quoi ? »

Rudolphe n'eut pas le temps de répondre. Un déluge de feu s'abattit sur les soldats ennemis. De ses jumelles, il vit les allemands tomber un à un, balayés par un feu nourri et une quantité phénoménale d'obus. L'engagement ne dura qu'un instant et ne laissa aucun survivant.

«Thiers ! Droit devant ! »

Sérusy pointait du doigt une forme grise au sommet d'un tertre bas. Peu à peu la fumée de poudre se dissipa et Rudolphe put contempler l'énorme machine de guerre. Il n'en avait jamais vu de similaire.

« Vingt Dieu ! C'est ça le Crache-Haine ? »

Fasciné par la majesté macabre de ce Lévithan mécanique, le lieutenant,les yeux toujours vissés aux binoculaires, remarqua l'une des deux tourelles pivoter et pointer son canon vers eux.

«Descendez, vite ! »

Les soldats eurent juste le temps de se disperser et de se mettre à l'abri derrière un talus. Un souffle prodigieux vaporisa l'automitrailleuse et répandit ses restes alentour dans une grêle de métal et de gravats.

Sonné par la déflagration, Rudolphe resta allongé et compta ses membres. Sérusy, étendu derrière, lui fit signe qu'il allait bien. Un peu plus loin le caporal et le première classe levèrent le pouce eux aussi. D'un doigt sur les lèvres, le jeune lieutenant intima au reste du groupe de rester silencieux. Dans la précipitation il avait bondi hors du véhicule,les jumelles toujours à la main. Il scruta à nouveau son ennemi.

Le char se mit en branle sur le chemin qu'ils empruntaient la minute précédente. N'osant quitter sa position, de crainte de provoquer une rafale mortelle, il sentit le sol vibrer au rythme des chenilles. L'engin devait peser près d'une centaine de tonnes et à présent qu'il était à portée de vue,Thiers eut tout le loisir de le détailler.

La carcasse était sale et criblée d'impacts, mais son blindage paraissait d'une épaisseur inouïe. Hormis les deux tourelles rotatives à son sommet, le tank était flanqué de postes de tir latéraux. A vrai dire il était littéralement hérissé de canons et de mitrailleuses.

Sérusy,désespéré, tendit le bras et secoua la botte de son camarade pour attirer son attention. Il le supplia des yeux de prendre la bonne décision. Rudolphe l'apaisa d'un geste et poursuivit son observation. Il espérait que les deux poilus derrière lui ne perdent pas leur sang froid et restent bien planqués.

Le char interrompit son mouvement pour aller se jucher sur un monticule de terre. Les tourelles basculèrent vers un point à l'horizon, lui donnant l'air d'un prédateur à l'affût.

Thiers ajusta ses lunettes. Il tentait d'apercevoir l'équipage par une quelconque ouverture dans la carlingue. Il en trouva une vers l'avant, là où aurait du se trouver le poste de pilotage. Ce qu'il découvrit le sidéra :la carcasse semblait vide. L'idée d'un tel monstre doté d'une conscience propre et livré à lui-même lui hérissa tous les poils du corps. Le temps d'une seconde, il fit face à un abîme de terreur pure. Son esprit fut sauvé par un sursaut de ses membres lorsque le tank tira à nouveau.

Rudolphe se cambra pour regarder dans la direction ciblée. Cette fois il ne s'agissait plus de deux sections isolées, mais d'une compagnie entière. Les tirs ininterrompus du char l'assourdirent et l'atmosphère se remplit d'une odeur de souffre. Le Crache-Haine ne cessait de pilonner ;sa puissance de feu était colossale. Aucune machine ne pouvait soutenir une telle cadence.

Subjugué par l'orage meurtrier, il perdit la notion du temps. A l'extrême bordure de sa conscience,trois hommes le secouaient et l'imploraient.

«Faut se carapater, chef !

— Thiers,pour l'amour du Ciel ! Ne restons pas là ! »

Rudolphe fut arraché au charme diabolique. Il courut à la suite de ses hommes vers le Barray, l'esprit vide. Enfin, il demeura incrédule un long moment, lorsqu'il se découvrit sain et sauf, assis dans la cuisine du fort, une tasse de chicorée à la main.

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