17. Du temps ensemble

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- Quand vous avez dansé tout à l'heure, commence-t-il enfin en fronçant les sourcils. J'ai cru voir... À un moment, j'ai eu l'impression de voir quelque chose.

- Quelque chose... ?

- Oui, comme ... comme des sortes... de serpents qui volaient. Juste un instant.

Alors ces esprits que j'ai cru imaginer, il les a vus lui aussi ?! Se méprenant sur mon expression éberluée, il rit avec gêne :

- Il est possible que j'aie trop bu de vin aujourd'hui !

- Non ! Non ! Je les ai vus aussi je crois ! Deux sortes de serpents ailés, argentés, avec comme une crinière ?

Il écarquille les yeux sur moi, pantois, la bouche entrouverte, avant de répondre :

- Oui, exactement. Alors vous les avez vus vous aussi...

- Oui, enfin, parfois j'avais l'impression de les imaginer derrière les épées, mais oui, j'ai cru les apercevoir.

Il se passe la main dans les cheveux, ramenant en vain ses mèches en arrière. Réfléchissant tout haut, je marmonne :

- Je me demande si ce n'était pas...

Et je m'interromps. Je ne suis pas sûre qu'évoquer maintenant l'existence des esprits de cette montagne soit une bonne idée. Mais il se penche vers moi en demandant :

- Si ce n'était pas quoi ?

D'une voix timide, je réponds donc :

- Des esprits qui étaient vénérés ici autrefois ?

- Cela arrive souvent, dans le nord, qu'on voie les esprits ? fait-il en haussant un sourcil, mal à l'aise.

- Non, à moins d'être un chaman. Toutefois, quand on est un chasseur d'âmes, ça peut arriver de les apercevoir à certains endroits, dans certaines circonstances, même si ça reste très rare ! En tout cas, ce n'est pas comparable avec ce soir. Je ne sais pas si on les a réellement vus eux, ou si ce n'était pas plutôt un souvenir d'eux. Ils étaient trop peu présents.

- Hum, je vois.

Une nouvelle fois, je le sens soulagé. Il m'avoue enfin, se détendant et secouant la tête :

- Bien ! Bien... merci de m'avoir écouté, vraiment. Je me sens un peu mieux maintenant.

- Je vous en prie.

Je souris petitement et, après un bref silence, je lève un regard sérieux vers lui en affirmant :

- Si vous avez l'impression d'avoir trop bu aujourd'hui, je vous conseille de boire beaucoup d'eau.

Il rit encore, amusé, puis se lève pour aller effectivement se servir un grand verre d'eau claire.

- C'est une bonne idée ! Vous en voulez ?

J'acquiesce et il me tend le verre qu'il venait de remplir, avant de s'occuper du sien. Cette eau, légèrement parfumée au citron et au gingembre, me fait du bien. J'avais bu un peu de jus de fruits après ma danse, mais je réalise que j'avais encore bien soif ! Voyant que j'ai vidé mon verre d'une traite, l'empereur me sert derechef.

- Des souvenirs de fantômes, des souvenirs d'esprits... il se passe de drôles de choses au palais depuis que vous êtes ici, fait-il en haussant un sourcil. Mais ça ne me dérange pas.

Ne sachant quoi répondre, j'affiche un sourire maladroit.

- Je n'ai pas envie de vous renvoyer à l'école, dit-il ensuite d'un air peiné. Si c'est ce que vous voulez, ça peut s'arranger. Mais si ça ne vous ennuie pas d'être ici, avec moi... alors je préférerais que vous restiez. Pour la nuit, je veux dire. Je me sens mieux avec vous dans les parages...

Rinsheng m'a dit que j'allais dormir au temple, mais je ne pensais pas que ça signifierait passer la nuit avec lui ! Je me surprends alors à bafouiller :

- Euh... mais il faut que je dorme à un moment, j'ai... j'ai cours demain matin.

- Bien sûr que vous allez dormir ! Qu'est-ce que vous aviez d'autre en tête ?

Son expression passe de l'étonnement à la malice et je m'empresse d'expliquer, les joues en feu en me rendant compte qu'il a mal interprété mes intentions :

- Pardon, je pensais que vous comptiez discuter toute la nuit !

- Oh ! J'aurais adoré... mais l'un comme l'autre, nous avons besoin de nous reposer, oui. Et puis, il faudra que j'aille m'occuper de la spectre des archives tout à l'heure. Les prêtresses ont cherché, mais elles n'ont rien trouvé sur elle qui nous explique comment elle peut être encore là, ni ce qu'elle peut bien chercher. Il va falloir aller lui demander directement.

Ah oui, c'est vrai, avec tout ça, je l'avais complètement oubliée !

- Vous aurez besoin de moi ?

- Je ne pense pas, mais si vous souhaitez m'accompagner, vous êtes la bienvenue. Alors... vous voulez bien rester ? m'implore-t-il à nouveau, plein d'espoir.

J'avoue que pouvoir se passer du couvre-feu, et redevenir adulte au moins un soir, c'est tentant ! D'autant que nous avons déjà dormi ensemble, ça n'a rien de nouveau. Alors si ça peut le rassurer, ne pouvant m'empêcher de sourire je réponds :

- Eh bien... oui, pourquoi pas ? De toute façon, Rinsheng m'a dit que j'allais rester au temple alors je ne pensais pas rentrer.

- Très bien ! s'enthousiasme-t-il.

Et quitte à être adulte au moins un soir, je toussote avant d'oser annoncer :

- J'aimerais vous demander quelque chose.

Solennel, il rétorque aussitôt :

- Je vous l'ai déjà dit : tout ce que vous voulez.

- Oh, ce n'est rien mais... c'est à dire que... moi, je n'ai pas eu de vin du tout aujourd'hui.

Je louche sur le côté, et il rit de bon cœur. Je ne suis pas une ivrogne, mais j'apprécie un verre d'alcool les jours de fête ! C'est bien un des rares mets sucrés qui a mes faveurs.

- Ah, mais c'est vrai ! Ni aujourd'hui, ni aucun autre jour depuis que vous êtes ici. C'est inadmissible ! rit-il de plus belle, avant de se lever pour se diriger vers une commode basse, au décor végétal.

Il l'ouvre et en sort une gourde en céramique, qu'il débouche. Cette fois-ci, il ne remplit qu'un verre.

- Tenez, fait-il en revenant vers moi. Je ne vous accompagne pas, comme je vous l'ai dit, j'ai suffisamment abusé de la boisson.

- Merci !

Lorsque je trempe mes lèvres dans ce vin épicé aux accents sucrés de framboise, je ne peux m'empêcher de sourire de contentement. Je n'ai jamais bu un vin aussi doux, ni aussi bon ! Je termine mon verre puis le repose avec l'autre, sur un petit guéridon.

- Il est délicieux.

- Il peut ! C'est un vin d'Usparan. Le préféré de Xemtei, et le mien également.

- Je comprends pourquoi !

Il incline la tête vers moi, ravi devant mon enthousiasme.

- Vous en voulez à nouveau ?

C'est tentant, mais...

- Non merci, un verre me suffit, sinon, je ne serai pas très fraîche demain... ni quand il faudra s'occuper du fantôme.

- Vous n'êtes pas obligée de m'accompagner, vous pouvez rester dormir.

- J'ai envie de vous aider.

Bizarrement, ma réponse bienveillante amène un sourire amer sur son visage, mais il l'efface aussitôt et s'exclame en s'étirant :

- Bon ! Je ne suis pas vraiment fatigué, mais il vaut mieux que je dorme si je veux être en forme plus tard. La nuit va être courte, entre le spectre des archives, et ma journée qui commence à cinq heures...

Il se couche et se lève finalement aussi tôt que nous à l'école, sauf qu'il ne dort que quelques heures... je comprends un peu mieux comment il fait pour être empereur le jour, et chasseur d'âmes la nuit ! Mais comme je m'en doutais ce n'est pas de tout repos. Je ne peux m'empêcher de compatir à haute voix :

- Ce n'est pas toutes les nuits comme ça tout de même ? Il y en a où vous pouvez dormir un peu plus ?

- Oui, heureusement ! Mais elles ne sont pas très nombreuses. Enfin... j'ai bon espoir qu'il y ait moins de spectre en éveil et en colère, une fois que nous aurons aidé la reine et ceux du pavillon.

- J'espère, oui.

Si ça se trouve ça ne changera rien, mais disons que ça ne coûte rien d'être optimiste... Il se lève puis grimace en me lançant :

- J'imagine  qu'il est un peu trop tôt pour vous pour aller dormir ?

- Vous plaisantez ? À cette heure-ci à l'école, on est en train de se dépêcher de se laver les dents avant que les lumières ne s'éteignent ! 

- Quelle terrible discipline, se moque-t-il. Et passer ses journée en cours, assise sur une chaise, ça doit être éreintant...

Je lui rends son sourire tout en protestant :

- Mais ça l'est ! On nous submerge d'informations, on ne peut presque jamais se reposer la tête, les journées sont interminables ! Et entre les cours, on a tout le temps les surveillantes sur le dos... et puis on n'est pas toujours  assises : on est debout pour les cours de poésie, on est bien sûre actives pour les cours de madame Sogursan et de monsieur Isharem...

- Oh ! À ce propos, j'ai fait porter un mot à madame Sogursan, pour m'excuser et nuancer un peu les paroles que je lui ai tenues.

- Oh, merci ! Merci beaucoup !

Voilà qui me met du baume au cœur, j'ai beaucoup d'estime pour cette femme.

- Et je vous taquinais, fait-il d'une voix douce. Je sais que ce n'est pas non plus de tout repos d'être dans cette école, même si je n'ai jamais eu l'occasion de fréquenter une école civile. 

Je nuance alors sur le même ton :

- Et moi, je me doute bien que ça reste préférable à vos journées et à vos nuits !

Nous échangeons un autre sourire.

- Je vous laisse aller à la salle de bain en premier, dit-il en indiquant la porte de ce que j'avais pris pour un placard. On y a fait porter des affaires pour vous.

- Oh ? Merci !

- Je vous en prie.

Je me dirige vers la porte peinte et l'ouvre en effet sur une belle salle de bain carrée, au fond de laquelle se trouve une autre porte entrouverte menant aux toilettes. Ce n'est qu'à présent que je suis seule, après avoir refermé derrière moi, que je me sens nerveuse. Je suppose qu'on va partager le même lit : je n'ai pas vu d'autre couchage que celui de la chambre.

Je suis sûre que si je demande un lit à part, j'en obtiendrai un. Mais est-ce vraiment nécessaire de déranger des gens pour ça ? Je ne pense pas, encore moins si on continuer de faire croire à tout le monde ici que nous sommes "un vrai couple".

Et puis, on a déjà fait pire de toute façon ! Enfin... j'ai fait pire. Ce serait vraiment ironique de ma part de demander à avoir mon propre lit en sachant que je me suis étalée sur l'empereur la dernière fois...

Sur un tabouret ont été déposés des serviettes, une chemise courte et un caleçon, ainsi qu'un nécessaire de toilette. À l'école nous avons de longues et larges chemises de nuit. Retrouver une tenue simple, qui correspond plus à ce que je mets d'habitude, me fait plaisir. Je me sentirai plus à l'aise là-dedans !

Je n'ai pas envie de retenir la salle de bain trop longtemps, alors je prends une douche très rapide, avant de vite enfiler ma tenue et de me dépêcher de me brosser les dents. Une fois tout ça fini, pas la peine d'occuper encore les lieux : je peux démêler mes cheveux dehors ! Rapidement, je défais donc ma coiffure puis sors de là, une brosse à la main et mes affaires sous le bras, en lançant :

- La place est libre !

- Déjà ?! s'amuse l'empereur en revenant depuis la chambre.

Mais il s'arrête pour me toiser soudain en silence, indéchiffrable. 

Dans l'empire, il est très mal vu pour une femme de ne pas être toujours coiffée. Leireng, comme les filles, me l'ont assez répété ! Ce sont les "sauvages" qui se baladent comme ça, cheveux défaits au vent ! De quels "sauvage" parlent-elles ? Je n'en sais rien. Mais tout de même... je peux bien les avoir ainsi cinq minutes le temps de me coiffer, non ? Je m'explique donc, gênée :

- Je vais faire une tresse, je voulais juste libérer la salle de bain plus vite...

- Quoi ? articule-t-il, comme tiré de ses pensées.

Je pointe ma tête avec ma brosse, articulant d'un ton monocorde :

- C'est malpoli de ne pas être coiffée...

Ma réponse paraît le choquer encore plus que mon apparence.

- Mais ? Enfin ! Nous sommes entre nous, je me moque bien de ça !

- Ah.

- D'autant que ça vous va très bien, c'est justement ce à quoi j'étais en train de penser. Je ne vous avais encore jamais vue cheveux détachés.

Je m'étrangle un peu en avalant ma salive, ma réaction le fait aussitôt réagir.

- Ne vous inquiétez pas, c'est un constat honnête, pas une tentative de charme ! rit-il. J'ai retenu la leçon, ajoute-t-il en me faisant un clin d'œil avant de disparaître dans la salle de bain.

Hum... Bon... Au moins, il va mieux que quand je suis arrivée. 

Je dépose mes vêtements sur une banquette en tissu, espérant qu'ils ne gêneront pas là, avant de m'aventurer un peu dans les différentes pièces, tout en me brossant les cheveux. 

Curieuse, je me surprends à ouvrir discrètement les placards pour voir s'il n'y a pas d'autres salles de bain, ou des chambres secrètes, cachées derrière. Mais non. S'ils ouvrent bien sur un espace que je trouve trop grand pour être un simple placard, ça reste à chaque fois un endroit utilisé pour du rangement. On y trouve des couvertures, des draps, des livres, de petites boîtes, d'immenses boîtes...

Doucement, je referme les portes et retourne dans les pièces principales. L'architecture ici me rappelle celle que j'ai pu voir ailleurs dans le temple, tout comme dans les souvenirs de Hiulsuya. J'ai l'impression que le temple, tout en étant moderne et neuf, a préservé un style qui était celui qu'avait autrefois tout le palais.

Les appartements de l'empereur, comme l'école, n'ont rien à voir. Là-bas, la pierre règne, les portes sont en bois ou en bois et métal, épaisses et solides. Les meubles y sont moins épurés, et tout foisonne d'objets divers dont je ne connais pas toujours la fonction. Il y a beaucoup plus d'objets à éther là-bas également ! Enfin, on ne trouve pas cet arrangement de pièces avec des panneaux coulissants un peu partout.

Mais si le côté chargé de la décoration à l'école me rappelle un peu l'intérieur coloré de nos yourtes, ce que j'apprécie au temple c'est la proximité avec la nature. Je ne peux m'empêcher d'ailleurs de finir mon tour par le balcon tout au fond qui surplombe un grand jardin.

Le calme, le vent qui souffle, l'odeur de l'eau, de la végétation, les petits bruits d'animaux et d'insectes, voilà ce que j'apprécie encore plus que le vin de tout à l'heure ! Je finis par m'accroupir derrière la rambarde de bois, profitant de cette ambiance tout en faisant ma tresse pour la nuit, en fredonnant.

Impossible de ne pas repenser alors à ce que m'a confié l'empereur. 

Je sais maintenant qu'il parle bel et bien kaeli, même si la façon dont il l'a appris reste obscure.  Il m'avait donné tout d'abord l'impression d'être totalement en froid avec ma culture. Alors, en découvrant qu'il connaissait une berceuse de chez moi, j'avais espéré que les choses soient plus nuancées et qu'il eût un peu d'affection pour mon pays. 

Hélas ! J'ai bien l'impression que je me suis trompée.

Quant au reste... qui aurait imaginé qu'un homme  placé à la tête d'un tel empire , si sûr de lui et de son autorité qu'il en est trop souvent arrogant, pouvait estimer qu'il n'aurait jamais dû naître ? Au point que sa propre mère aurait voulu le tuer, et qu'un spectre l'aurait condamné pour le simple fait d'exister ?

Je n'aurais jamais cru qu'il pouvait avoir de telles pensées !

Mais cela éclaire certains de ses propos, et affine ma perception de lui. Je comprends mieux sa défiance envers les esprits, et envers mon peuple. Je comprends pourquoi il se dévoue autant pour lutter contre les spectres, comme si ce n'était pas grave qu'il y laisse sa santé, voire sa vie. Et pourquoi il accepte si aisément d'être condamné...

Je ne peux m'empêcher d'être touchée qu'il se soit confié à moi.

Plus nous nous fréquentons, et plus je le trouve différent. Certes, parce que la façon dont je le vois évolue, mais aussi parce qu'il se montre de plus en plus bienveillant avec moi. J'ai le sentiment qu'il me traite comme une amie, et non comme une épouse impériale envers laquelle il n'aurait que des droits et des devoirs inscrits sur un bout de papier.

Il faut dire aussi que depuis qu'il a accepté que je l'aide, et qu'il m'accorde sa confiance, tout est plus simple ! Il n'a plus cette peur que je fasse n'importe quoi et nous mette en danger. Cela nous permet d'être un peu plus sur un pied d'égalité, et ça change tout à sa façon de me traiter. Comme au plaisir que je prends à être en sa compagnie.

- Vous aurez droit à une autre sortie, bientôt, dans la campagne... je vous le promets, souffle-t-il derrière moi.

J'étais si absorbée dans mes pensées que je ne l'ai pas entendu arriver ! Je me retourne et remarque qu'il a éteint les lumières de toutes les pièces sauf de la chambre derrière nous. En me voyant installée sur le balcon, il a dû penser que je regrettais une fois de plus d'être enfermée. Il n'a pas totalement tort, mais... avec assurance, je réponds :

- Seulement si ça ne crée pas de problèmes. Je ne veux pas avoir un traitement de faveur qui risque d'attirer les regards sur moi, ni sur Xemtei, Leireng, ou vous !

- Alors heureusement que ces appartements sont privés, répond-il avant de déposer sur mes épaules une étole, et sur mes cheveux un baiser.

J'accepte l'ensemble plus sereinement que je ne l'aurais cru. Mais je ne sais pas pourquoi, je repense soudain à quand il minaudait avec Aserkei et me relève un peu brusquement, secouant les épaules.

- Pardon, s'excuse-t-il immédiatement en reculant.

Je m'efforce de sourire en me tournant vers lui :

- Non ! Non, tout va bien, je pensais simplement à autre chose...

- Rien de grave ?

Je ne peux m'empêcher de rire face à ma propre bêtise :

- Non, rien de grave !

Lui aussi a revêtu une tenue plus simple pour la nuit, peut-être un peu trop simple même. J'évite de fixer son torse nu, et m'étonne plutôt avec candeur :

- Vous n'allez pas avoir froid comme ça ?

- Vous savez que ce n'est pas mon genre, me répond-il un sourire en coin. Mais si ça vous dérange, je peux enfiler une chemise ?

C'est vrai qu'il était vêtu pareillement pour dormir dans le nord, et ça ne l'a pas gêné. Un peu précipitamment peut-être, je décline donc :

- Non, non, vous faites ce que vous voulez.

- Si vous avez froid je peux demander à ce qu'on nous apporte du thé, propose-t-il ensuite. Ou une tenue plus chaude pour vous.

- Non, c'est gentil, merci, mais je n'ai pas froid non plus.

J'ai plus accepté l'étole par politesse que parce que j'en avais besoin.

- Bon... maintenant il va falloir arriver à dormir, maugrée-t-il comme si c'était une tâche fastidieuse.

- Je croyais que ça allait mieux maintenant que nous avons parlé ?

- Oui, ça va beaucoup mieux ! Simplement, non seulement je ne suis toujours pas fatigué, mais en plus, j'ai le sentiment de gâcher notre temps ensemble. Ce n'est déjà pas souvent que j'arrive à vous arracher à l'école...

Je nuance alors :

- C'est souvent pourtant ces derniers temps. Enfin, plus souvent qu'avant.

- Oui. Mais toujours pas assez, se plaint-il.

Hum. Ce sera toujours plus que lorsque je ne serai plus là !

Bizarrement, songer à cet avenir ne me procure plus la même satisfaction qu'autrefois. Je ne sais pas si c'est une bonne idée qu'on se rapproche ainsi, et qu'on s'habitue l'un à l'autre... déjà que j'appréhendais de ne plus revoir Xemtei, ni mes amies, alors si je dois l'ajouter également à la liste !

Hélas, je ne suis pas assez forte pour changer d'avis et retourner maintenant à l'école. Ni pour lui dire que nous devrions peut-être moins nous voir. Je ne veux pas me priver de quelque chose d'agréable dans ce quotidien au palais qui n'est, la plupart du temps, pas vraiment à mon goût.

Alors je préfère le taquiner. Relevant le menton vers lui, je fais d'un ton moqueur :

- Je vous l'avais dit que ce n'était pas une bonne idée de me mettre dans cette école. Mais vous n'avez pas voulu m'écouter. Bien fait pour vous !

Il rit de bon cœur, sans me contredire, tandis que je quitte le balcon pour retourner dans la chambre. Il me suit ensuite, et ferme les panneaux de bois donnant sur le jardin.

- Ça ne vous dérange pas si l'on partage le même lit ? me demande-t-il. 

Je réponds de manière détachée :

- Non, ce sera plus simple comme ça.

- Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas être aussi entreprenant que vous le premier soir.

Je ne peux m'empêcher de grommeler :

- J'espère bien que vous et Xemtei vous lasserez un jour de cette histoire !

- J'en doute, souffle-t-il en me souriant. Vous n'êtes pas obligée de vous coucher tout de suite si vous n'avez pas envie. Il y a des livres, ajoute-t-il en me désignant une petite pile sur une malle dans le salon voisin.

- Je suis habituée à me coucher tôt et je suis plus fatiguée que vous, j'ai eu une grosse journée ! fais-je en repensant à notre conversation sur l'école. Et puis, si je veux pouvoir vous aider tout à l'heure, il vaut mieux que je dorme un peu...

- Très bien.

Il acquiesce donc et ferme les cloisons de la chambre donnant sur le salon. Le lit est plus haut et vaste que la couche de fortune sur laquelle nous avons dormi lorsque nous quittions le nord. Il paraît également bien plus confortable ! 

Lorsque je me glisse sous les draps verts, ils sont si doux que j'ai l'impression de nager dans de la soie. Je ne peux m'empêcher de pousser un petit soupir content qui fait rire l'empereur tout bas.

Le matelas a vraiment la consistance parfaite pour le dos. Quant au coussin, il contient du duvet, j'en suis sûre... Bon, l'empereur ne dort peut-être que quelques heures par nuit, mais elles sont plus confortables que les nôtres !

Kianshei éteint une à une les lanternes de la pièce, en tirant sur une petite cordelette. Il dépose ensuite sur sa table de chevet ce qui me semble être une boîte à éther, qu'il devait avoir dans sa poche.

- Bonne nuit, Taïmi, chuchote-t-il en éteignant la dernière lanterne.

- Bonne nuit. Dormez bien.

Oui, je sais. Il manque "Kianshei" quelque part dans ma phrase. Mais il y a quelque chose de trop intime dans notre situation actuelle pour que j'en rajoute encore plus en l'appelant par son prénom. 

Je ne m'endors pas tout de suite, un peu gênée tout de même par cette proximité avec l'empereur. J'entends son souffle régulier, mais je ne pense pas qu'il dorme déjà, si ? Bon...

Finalement à force de me détendre, et de repenser à ma longue journée, je sombre enfin dans le sommeil, sans plus me rappeler quelle était ma dernière pensée.


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