6. Désemparée

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

- Je pensais qu'on allait être tranquilles cette année...

- On aura été tranquilles presque deux mois. C'est déjà ça !

- Pffff...

Je n'ai aucune idée de pourquoi Huismei soupire. J'ai énormément de mal à m'intéresser aux conversations - comme à mon ragoût de lentilles - depuis que je suis revenue du temple. Mon esprit ne cesse de me répéter les propos de l'empereur... à l'image de ma cuillère qui fait des circonvolutions au milieu des légumes. 

Nous voilà quasiment revenus à quand l'empereur m'avait fait ses aveux pour la première fois, sauf que maintenant, je suis en plus inquiète à cause de l'oncle de Tsadei. Je ne veux pas me retrouver enfermée du jour au lendemain, juste parce que l'empereur s'intéresse à moi ! C'est fou que cet homme aigri ne se rende pas compte combien ce serait un choix stupide, alors que je suis peut-être la seule à même de les aider vraiment ! Encore que : pour ça, il faudrait que la reine se réveille. Cela fait trop longtemps que je l'attends : et si elle ne se réveillait jamais ?

- Hé ! Doucement ! Tu m'angoisses ! finit par déclarer Kumlei en posant sa main sur la mienne, arrêtant les brusques tracés nerveux que j'inflige au contenu de mon assiette.

- Oh ! Pardon...

- C'est à cause de Sevijan ? T'es pas rassurée toi non plus ?

- Comment ça ? Qu'est-ce qu'il y a avec Sevijan ?

- Mais... ma parole, mais t'as rien écouté ?!

Rougissant, j'avoue platement :

- Euh... non.

Elles me toisent toutes, interdites. C'est Ishan qui rompt leur silence choqué, en assénant d'un ton inquisiteur :

- Toi, tu nous caches quelque chose !

- Ne me dis pas que tu as encore fait une bêtise ? s'inquiète Huismei.

- Non ! C'est...

Je déglutis puis chasse tout ce que j'avais en tête. Je ne peux pas leur dire à quoi je pensais ! Alors je pars à la recherche de quelque chose qui ferait l'affaire, puis débite :

- Je pensais à la lettre, dans mon sac. Semkei m'a écrit des lettres que j'ai jamais reçues, alors Jihanei m'en a donné une en mains propres, mais j'ai pas encore eu le temps de l'ouvrir.

- HEIN ?! s'écrie Huismei.

- Mais elle te l'a donnée quand ?! s'étonne Kumlei en même temps.

Jusqu'à présent, les filles avaient supposé en me voyant arriver au réfectoire pour dîner que j'avais passé tout l'après-midi avec Rinsheng. Je n'ai pas eu l'occasion de démentir puisque les conversations ont aussitôt dévié sur cette élève très aisée de dernière année, qui fait tranquillement sa rentrée après tout le monde en revenant seulement maintenant de vacances. Je leur explique donc tout ce qui s'est passé, en omettant bien sûr ce qui concerne l'empereur.

- On t'a déjà dit qu'il fallait laisser rentrer personne dans les dortoirs ! soupire Huismei.

- Peu importe, c'est la lettre qui compte ! La rabroue Daireng. Pourquoi tu l'as pas encore ouverte ?! Moi je me serais jetée dessus !

- Euh... déjà, l'écriture a l'air dur à lire, et ensuite... je voulais attendre d'être au calme.

Et surtout, je l'avais complètement oubliée ! Est-ce qu'il se passera un seul jour ici où je n'aurai pas à mentir ?

- Tu m'étonnes que tu nous écoutais pas ! s'exclame Kumlei avec malice.

- Là, c'est sûr, il cherche pas à se venger, il est sérieux, sinon il t'écrirait pas ! affirme Huismei.

- Tu nous liras ta lettre ? me demande Erueng d'une petite voix implorante.

Je m'apprête à répondre qu'évidemment que oui, mais Ishan la foudroie aussitôt du regard :

- Erueng ! Enfin ! Une lettre, c'est privé !

Ah ? Dans le nord, quand quelqu'un reçoit un courrier, notre chef le lit toujours devant tout le monde pourtant. Prise de sympathique pour ma camarade, je souffle :

- Je ne suis pas sûre de si j'arriverai à tout bien déchiffrer. Alors si vous voulez m'aider à la lire, je n'ai rien contre.

Voilà qui me semble être un bon compromis entre respecter les bonnes manières, et satisfaire la curiosité de mes amies.

- Hum. Oui. Vu comme ça..., concède Ishan

- Je t'envie presque de ne pas nous avoir écoutées, soupire Kumlei. Et de ne pas connaître encore Sevijan...

- Tu ne pourras pas t'en tirer avec elle comme tu l'as fait avec Tsadei. Heureusement, elle, elle n'a pas de dent contre toi, donc ça devrait aller. Surtout, tu ne lui donnes AUCUNE raison de te prendre en grippe, d'accord ? Ici, personne n'est à l'abri, ni les filles de bonne famille, ni les autres.

L'expression d'Ishan est terrifiante.

- C'est celle qui est pire que Tsadei ? je demande.

Je me rappelle que les filles m'en avaient rapidement parlé au début, sans plus aborder le sujet par la suite.

- Oui ! me répond Daireng. Son père est Haguran Farzem, le secrétaire d'État de la Maison Impériale ! C'est le plus haut dignitaire ici ! Elle fait même partie des proches de la famille impériale !

- L'empereur a joué avec elle quand ils étaient petits ! ajoute Erueng.

Je me rends alors compte que j'ai dû mal à imaginer l'empereur non seulement petit, mais en plus en train de jouer...

- Elle n'est pas tout le temps aux Iris, elle a des professeurs particuliers, et puis sa mère l'emmène souvent en voyage, mais ses parents lui font fréquenter l'école pour qu'elle soit en contact avec d'autres jeunes filles nobles de la cour.

- Hélas pour nous, grommelle Huismei.

- Mais... elle devrait être plutôt comblée avec une telle vie. Pourquoi est-ce qu'elle s'en prend aux élèves ici ?

Ma question suscite un blanc perplexe.

- Parce qu'elle peut ? me répond tout simplement Kumlei.

- Je ne comprends pas.

- C'est agréable d'exercer son pouvoir quand on en a, m'explique Ishan.

 J'insiste, battant des cils.

- D'accord... mais pourquoi en faisant du mal aux autres ?

Nouveau blanc.

- Parce qu'elle nous méprise ? propose Kumlei. C'est comme Tsadei, mais en pire puisqu'elle méprise tout le monde, elle.

- Hum...

Cette réponse ne me convainc pas vraiment, mais je comprends que je n'aurai pas mieux. En chemin vers le dortoir, dès que nous sommes seules, les filles me font sortir ma lettre tout en m'intimant d'attendre avant de l'ouvrir. Ce n'est qu'une fois que nous sommes toutes installées devant le feu que j'ai l'autorisation de la déplier.

Comme je m'en doutais, je peine à en déchiffrer le contenu et finit par leur tendre, faisant la moue. Ishan la prend avec le sourire, avant d'aussitôt froncer les sourcils lorsqu'elle la lit à haute voix :

"Bonjour Suirei. Si tu as changé d'avis et que tu ne veux plus entendre parler de moi, dis-le à Jihanei. Dis-lui aussi pourquoi, merci. Je te cache pas que je serai déçu. Mais tu fais bien ce que tu veux. Si tu n'as juste pas reçu mes lettres, oublie-ça ! Dis-moi plutôt si tu es d'accord pour que je sois ton partenaire principal à la Fête de la Montagne, merci. Réponds rapidement si possible. Que j'aie le temps de trouver quelqu'un d'autre sinon.

S. Hudarem"

Les filles s'échangent des regards mi-déçus, mi-gênés. Je leur demande :

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Il aurait pu faire mieux comme lettre..., me répond Kumlei.

- Il n'est pas très galant, oui ! commente Ishan.

- S'il lui a déjà écrit plein de lettres, il en a peut-être eu marre ? propose Huismei. Et puis il a l'air pressé.

- Au moins, il va à l'essentiel, dit Daireng en hochant la tête.

- Ça me va, je préfère quand le message est clair. Qu'est-ce qu'il veut dire par "partenaire principal" ?

- La Fête de la Montagne, c'est une fête où il y a plein d'activités de couple, à cause de la légende, soupire Daireng. Des danses, des jeux de poésie, des jeux d'adresse....

- Quelle légende ?

- Bah, celle de la montagne ! s'exclame Huismei, comme une évidence.

- Je ne la connais pas...

- Quoi ?! Mais tout le monde la connaît ! La légende avec la guerre et les esprits !

- La guerre et les esprits ?

- La guerre pour la montagne ! C'est la légende de la famille impériale ! insiste Kumlei. C'est pas possible que dans ton village, ils connaissent pas !

- Euh... peut-être qu'on me l'a racontée, mais je l'ai oubliée.

Heureusement, mon expression embarrassée inspire la pitié d'Ishan plutôt que sa méfiance. Elle s'assoit à côté de moi, puis me demande :

- Bon, tu as déjà entendu parler des esprits ? Tu sais ce que c'est ?

- Oui, bien sûr !

- Eh bien, avant, ils vivaient avec les hommes ici. Ils se partageaient le pays...

Comme ils le font encore avec mon peuple dans le nord.

- ... et les gens se croyaient inférieurs à eux, alors ils leur faisaient des offrande et les célébraient, cherchaient leurs bonnes grâces, leur laissaient d'immenses parties du territoire sans broncher...

À son ton, je comprends vite que c'est quelque chose qu'elle juge stupide et méprisable.

- À l'époque, la montagne appartenait aux esprits. Sauf que la montagne était l'endroit le plus fertile ici ! Les hommes ont voulu échanger leurs terres avec celle des esprits, parce que les esprits ne cultivaient pas le sol. Mais les esprits ont refusé ! Alors ils ont commencé à se faire la guerre. Les hommes étaient près de gagner, mais l'un d'eux, qui était tombé amoureux d'un esprit, les a trahis et les esprits ont pu gagner la guerre. La plupart des hommes et des esprits ont péri dans la bataille. Mais l'homme qui avait trahi les siens a épousé l'esprit qu'il avait aidé. En retour, l'esprit lui a offert la montagne et il l'a donné aux hommes. Les esprits survivants ont finalement quitté les lieux, pour éviter à nouveau de faire la guerre avec les hommes. Celui qui avait épousé l'homme s'est installé ici avec lui, et ce serait de leur lignée que descend la famille impériale.

- Oh...

Voilà une histoire bien rocambolesque ! Les esprits ne vivent pas avec les hommes, et les hommes ne vivent pas avec les esprits... sauf dans les légendes, évidemment, et encore ! Un mariage entre un esprit et un homme, ça n'est pas possible.

- Donc la fête célèbre la montagne, mais surtout, leur alliance, leur amour.

- Et la cour se sert de la fête comme d'une occasion pour qu'on fasse connaissance avec les garçons de bonnes familles, m'explique Kumlei. Ça n'engage à rien ! Là, ce que Semkei veut, c'est que tu passes plus de temps avec lui qu'avec les autres, c'est tout.

- Avec les autres ? Quels autres ?

- Les autres qui pourraient être intéressés. Ou plutôt, qui veulent juste que leurs parents les laissent tranquilles ! T'as pas mal de garçons qui viennent t'aborder juste pour montrer à leurs parents qu'ils font un effort, mais en vrai, ils s'en fichent de toi.

- Ah, d'accord... et on doit faire pareil j'imagine ?

- Comment ça ?

- Aborder des garçons pour que nos familles nous laissent tranquilles ?

Choquées, elles écarquillent toutes les yeux.

- Sûrement pas ! C'est aux garçons de venir ! s'écrie Ishan. Toi, tu ne les abordes surtout pas !

- Pourquoi ?

- Parce que ce n'est pas à toi de faire le premier pas, c'est... c'est très malpoli !

- Bon, bien sûr, tu peux te débrouiller pour faire comprendre à un garçon qu'il t'intéresse, nuance Erueng. Mais il faut le faire subtilement, discrètement.

Ça ne me paraît ni très juste, ni très pratique pour réellement faire connaissance.

- Mais pourquoi ?

- Mais... parce que c'est comme ça !

Hum...

- Donc, si je fais la majorité des jeux et des danses avec Semkei, ça ne m'engage à rien ?

Si j'étais une impériale, j'imagine que je n'hésiterais pas à me rapprocher de Semkei et à lui faire croire qu'il m'intéresse, dans le seul but de détourner l'attention de Kusrian. Et de n'importe qui d'autre qui pourrait nous soupçonner, l'empereur et moi, d'avoir un lien. Mais rien que l'idée me met mal à l'aise.

- C'est ça, ça veut juste dire que tu as envie d'apprendre à mieux le connaître.

- Enfin, y aura quand même des rumeurs, me dit Daireng. Mais c'est normal, c'est toujours comme ça ici !

Hum. Bon. Ça me va. De toute façon, l'empereur passera sans doute la fête avec Rinsheng. Ou Keisuhan.

- Et vous, vous savez déjà avec qui vous allez passer la fête ?

- Non, me souffle Huismei. On verra le jour même ! Mais tu sais, on n'intéresse aucune famille de la cour. C'est pas comme si on était importantes et qu'on allait rester ici...

Je prends alors seulement conscience qu'une fois qu'elles auront quitté l'école, je ne les reverrai probablement jamais. Le désarroi doit être évident sur mon visage parce qu'Ishan pose aussitôt ses mains sur mes épaules en souriant :

- Ne fais pas cette tête ! On a encore plein d'années à l'école à passer ensemble ! Et même si tu vis à la cour plus tard, tu pourras toujours venir nous rendre visite !

- Ou tu peux nous inviter ici..., propose Daireng.

- Quand je serai impératrice, je vous inviterai toutes à la cour ! affirme Kumlei.

Elles pensent me remonter le moral, mais je sais que je n'ai pas "plein d'années" encore à passer à l'école, comme il est très probable que je ne reste pas à la cour. Malgré tout, je souris pour les rassurer.

- Bon ! Faut que tu lui répondes maintenant ! On va t'aider !

Au moins, je dois dire que l'enthousiasme des filles me distrait assez pour que je ne pense plus trop à autre chose. Jusqu'à ce que je regagne mon lit, et que des pensées sombres ne m'assaillent de nouveau. Je les repousse pour m'endormir, me forçant à réfléchir à autre chose, espérant qu'elles ne reviennent pas.

Quand le léger bruit d'un grelot me réveille au beau milieu de la nuit, je me redresse en sursaut, sûre qu'il s'agit du chaton de la reine. Hélas, ce n'est qu'un pic à cheveux que Huismei vient de faire tomber de sa table de chevet, en bougeant dans son sommeil.

Il me faut un temps pour calmer les battements de mon cœur, avant que tout ce que j'ai voulu chasser au moment de me coucher ne me revienne de manière aussi exacerbée qu'incontrôlable. Et si la reine ne se réveillait jamais ? Et s'il n'y avait aucun lien entre elle et les manipulateurs ? Et si l'on n'arrivait jamais à lever la malédiction qui pèse sur l'empereur ?

Et si Kusrian décidait soudain de m'enfermer quelque part, sous bonne garde, jusqu'à la fin de mes jours ? Et que l'empereur le laissait faire, sans chercher à me retrouver, parce qu'il sera passé à autre chose ?

Parce qu'à force que je garde mes distances avec lui, il se sera éloigné lui aussi. Parce qu'il aura perdu tout intérêt pour moi. Les gens s'éloignent à force de ne pas se voir. Il en sera de même pour les filles, et pour Xemtei. Je ne manquerai qu'à ma famille, à laquelle on ne m'a pas laissé dire au revoir...

Je ne sais pas pourquoi, mais mon esprit ne parvient plus à se calmer, le défaitisme et l'inquiétude m'envahissent. Les larmes commencent à me gagner sans que je puisse me raisonner.

Je décide de me lever pour faire quelques pas dans la pièce, prenant de grandes respirations silencieuses. Je finis devant la fenêtre, à scruter la nuit dans l'espoir d'apercevoir un manipulateur quelque part. J'ai envie que les choses avancent ! Que je puisse me montrer utile, que cela dissuade Kusrian de faire quoi que ce soit ! Et puis, ce serait une occasion de contacter l'empereur. Pourquoi est-ce que je veux une occasion de le contacter ? Je n'ai rien à lui dire, et il ne s'est rien passé de particulier.

Je ne me sens pas bien. Je me sens seule. Désemparée. Je suis entourée d'amies ici, certes, mais auxquelles je ne peux pas réellement me confier. J'aimerais me tourner vers Xemtei, mais je n'ai aucun moyen de faire ça. En vérité, il ne me reste que l'empereur.

Je le regretterai sans doute demain, une fois calmée et reposée, mais je ne me laisse pas le temps de réfléchir. Je vais droit à mon lit pour retirer la boîte à éther de sous mon oreiller. Puis je me dirige vers la salle de bain, je verrouille derrière moi et cale un tabouret devant la porte. Comme ça, si quelqu'un parvient tout de même à l'ouvrir, je le saurai aussitôt. Je vais ensuite m'enfermer dans les toilettes.

Je ne sais pas l'heure qu'il est, il dort sans doute. Je ne sais pas plus comment fonctionne la boîte à éther du côté de ceux qu'on contacte. Est-ce que ça fait du bruit ? Non, je ne crois pas. Il ne verra probablement donc pas que je veux lui parler, et il ne me répondra pas. Et tant mieux. Une part de moi sait que j'aurai l'air ridicule sinon.

Mais je ne peux pas m'en empêcher. J'ouvre le livre et insère la clé dans la serrure. La petite lueur rosée apparaît, puis pulse. Longuement. Très longuement. En vain. Mais tant que je la fixe, je parviens à vider mon esprit, à ne plus penser. C'est reposant.

J'en oublie presque la fonction première de l'objet, quand la lumière vire soudain au bleu.



Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro