5. Quoi d'autre ?

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Ce n'est pas Rinsheng qui m'attend dans le hall de l'école, mais une prêtresse. Elle porte une de ces tenues inhabituelles, à la ceinture rouge et au chapeau tressé recouvert d'un voile. D'un geste du menton elle me salue, d'un autre de la main elle me demande de la suivre.

De tout le trajet, ses lèvres demeurent aussi fermées que son visage. Je l'imite, n'osant l'ennuyer. Jamais faire cette route n'a été aussi austère ! Une fois au temple, elle m'entraîne à travers un dédale de couloirs jusqu'à une porte qu'elle fait coulisser.

- Entrez là, articule-t-elle enfin. Fermez la porte derrière vous. Et attendez.

J'ai à peine commencé à la remercier qu'elle repart en me tournant le dos, sans un mot. Bon... Je pénètre donc dans une de ces petites pièces aux murs coulissants donnant sur le jardin, sobrement décorée.

J'hésite à m'installer sur les coussins au sol quand un panneau de bois, à gauche, s'ouvre pour laisser passer l'empereur. Est-ce qu'il m'attendait déjà de son côté ? Je sais qu'il ne veut pas que je m'incline, ni que je dise "majesté". Aussi, lorsqu'il s'avance, je me contente d'un salut de la tête. Xemtei disait vrai : son vêtement est effectivement plus raffiné, plus élégant que ceux du début, hormis ses tenues de cérémonie. Mais rien ne prouve que ça ait un lien avec moi.

L'empereur m'observe, entrouvrant les lèvres nerveusement comme s'il s'apprêtait à prendre la parole, mais sans rien en faire. Histoire de briser le silence, je fais remarquer :

- Vous avez pu vous libérer facilement.

Ma phrase a le don de le détendre un peu. Il m'adresse un demi-sourire en répondant :

- Oui. Xemtei était on ne plus volontaire pour me remplacer ! Je suppose qu'il est prêt à tout pour se dédouaner.

Exaspérée, je le sermonne :

- J'espère bien que vous ne lui en voulez plus, il n'a rien fait de mal !

- Bien sûr que si, il n'aurait jamais dû prendre l'initiative de tout vous expliquer ! Mais non, je ne lui en veux plus. Enfin... plus autant, disons.

- Il n'a pas eu le choix, ce n'est pas de sa faute !

- Je ne veux pas parler de ça maintenant..., fait-il avec mécontentement.

Et alors ? Moi j'ai envie d'en parler, aussi je réponds :

- Il est sincèrement malheureux d'avoir perdu votre amitié. Il en parle en plaisantant mais je ne suis pas dupe.

- Mais il ne l'a jamais perdue ! rétorque-t-il, consterné. Il le sait bien ! Et je ne suis pas venu pour parler de Xemtei.

Je m'attends alors à ce qu'il aborde le sujet de Kusrian Melizem, mais il m'observe silencieusement, soudain troublé. Il fait ensuite un pas vers moi pour demander dans un filet de voix inquiet :

- Qu'est-ce qu'il y a entre vous et lui... ?

Cette question, comme son ton, me prennent par surprise.

Ayant du mal à réaliser comment la conversation a pu dévier ainsi, je balbutie :

- Pardon ?

Redressant le torse puis croisant les bras, l'empereur déblatère :

-  Xemtei m'a toujours soutenu qu'il n'y avait que de l'amitié entre vous. Mais ces derniers temps, je ne sais plus vraiment qui croire. Je ne suis pas aveugle, je vois bien combien vous êtes proches l'un et l'autre ! C'est lui votre principal soutien ! grommelle-t-il comme un enfant injustement puni.

Stupéfaite, j'écarquille les yeux. Est-ce qu'il est réellement en train de se plaindre de ne pas savoir qui croire ? Lui ? On aura tout entendu ! Mais je n'ai pas le temps de m'offusquer qu'il poursuit de la même voix boudeuse :

- C'est toujours vers lui que vous choisissez de vous tourner... c'est lui que vous appelez auprès de vous en cas de problème, c'est lui que vous êtes heureuse de voir, c'est lui qui vous manque... Alors dites-moi. Qu'est-ce qu'il y a entre vous et lui ?

- Je croyais que vous ne vouliez pas parler de Xemtei ?

- J'ai changé d'avis, assène-t-il d'un ton sec.

Le retour de cet accent autoritaire, tout comme la direction que prend cette conversation alors que je croyais que nous allions parler de l'oncle de Tsadei, me font croiser les bras à mon tour. D'un air de défi et sur le même ton, je rétorque sans vraiment réfléchir :

- Et vous, alors ? Qu'est-ce qu'il y a entre vous et Xemtei ?!

Voilà qui a le mérite de désamorcer le début de sa colère, brusquement remplacée par de la confusion.

- Je...je vous demande pardon ? bredouille-t-il, pris de court.

Campant sur ma position, j'explique avec une pointe de sarcasme :

- Si vous trouvez que lui et moi sommes proches, alors qu'est-ce que je devrais dire à votre propos ! Il a l'air d'être bien plus que simplement votre bras droit ou votre meilleur ami !

Sa consternation se mue progressivement en un timide sourire teinté d'espoir.

- Est-ce que... est-ce que vous êtes jalouse ? fait-il, incertain.

Piquée au vif, je me défends :

- Non ! Pas du tout ! Je trouve simplement vos sous-entendus aussi ridicules que déplacés. Vous êtes bien plus proche de lui, c'est votre relation qui devrait susciter ce genre de questions ! Pas celle que j'ai avec lui. C'est tout.

Et pourtant, me surprenant une nouvelle fois, il choisit de répondre tout naturellement à ma question. Aussi ferme que franc, il déclare :

- Il en va pour Xemtei comme pour Rinsheng. C'est de l'histoire ancienne, et ça n'a jamais été bien sérieux. Pas de mon côté tout du moins ! Ils le savent et l'ont toujours su. Vous êtes rassurée ?

Si c'est vrai, voilà qui confirme ce que j'ai pensé plusieurs fois : cet homme est bien difficile ! J'éprouverais presque une étrange satisfaction si je ne savais pas qu'il faut se méfier de tout ce qu'il dit. Prudente, je réponds :

- Je ne m'inquiétais pas, je ne faisais que souligner l'absurdité de votre question.

- À laquelle vous n'avez toujours pas répondu, souffle-t-il en intensifiant son regard.

- Oui, puisqu'elle est ridicule ! S'il n'y a rien entre vous deux, je vois mal comment il pourrait y avoir quelque chose entre lui et moi...

- Vous répondez comme une impériale, s'amuse-t-il.

Ce n'était pas du tout mon intention. D'ailleurs, cette critique m'ébranle assez pour que je réponde alors avec une brutale franchise :

- Je considère Xemtei comme un ami. Sans doute mon seul véritable ami ici, ce qui est bien naturel puisque je le connais depuis plus longtemps que quiconque au palais. Et il ne m'a jamais laissé entendre qu'il en allait autrement de son côté. Voilà ce qu'il y a entre nous. Nous pouvons revenir aux sujets vraiment importants ?

- Et le fils Hudarem ?

- Quoi "le fils Hudarem" ?

- Même question. Qu'est-ce qu'il y a entre vous ? Il parait qu'il vous écrit...

Je n'en reviens pas qu'on perde ainsi notre temps ! Qu'est-ce que ça peut bien faire ce qu'il y a entre Xemtei, ou Semkei, et moi ? Malheureusement, je risque d'en perdre encore plus en protestant, aussi je lâche rapidement :

- Il m'a écrit des lettres, oui, qui ne me sont jamais parvenu, sans doute parce que son écriture est presque illisible. Je lui ai parlé une fois, nous avons échangé de rapides banalités. Apparemment, il me courtise, mais ça pourrait aussi bien être une ruse pour se venger de son humiliation. Bon, est-ce que...

- Et il vous a offert un pic à cheveux que vous portez tous les jours-des-ancêtres, m'accuse-t-il comme si j'avais fait exprès d'omettre ce détail. Est-ce que ce garçon vous plaît ?

- J'en sais rien, je ne le connais pas ! Pourquoi ? Vous êtes jaloux ?

J'ai lancé cette dernière question d'un ton moqueur, énervée à l'idée qu'on gâche ainsi notre entretien alors que le temps est compté. Pourtant, le regard incisif, il gronde le plus sérieusement du monde :

- Oui.

Je bats des paupières avant de marmonner, désorientée :

- Pourquoi vous faites ça ? Je ne comprends pas bien...

Je sais que l'empereur n'a plus besoin de chercher à me séduire. Mais je sais aussi, grâce à Xemtei, qu'il agit comme s'il avait des sentiments pour moi, ce qu'il ne fait que confirmer ici... pourquoi ?

- Ça quoi ?

- Vous continuez de prétendre que je vous intéresse, alors que ce n'est plus nécessaire. Je ne comprends pas le but de cette stratégie. Si ce n'est pas pour vous assurer mon soutien, c'est pour quoi ? Mais je suppose que vous ne pouvez pas me révéler vos plans...

De toute façon, s'il le faisait, est-ce que je le croirais ?

- Je ne prétends pas que vous m'intéressez ! me répond-il alors, sidéré. C'est le cas ! Je vous ai expliqué que vous me plaisiez, plusieurs fois ! Pourquoi vous, vous faites comme si mes paroles n'avaient pas de valeur ?

Haussant les épaules, j'explique en toute honnêteté :

- Vous êtes calculateur, manipulateur, menteur... ce ne serait pas très sage de vous croire sur parole.

J'aurais du mal à dire ce qu'il se passe dans sa tête, j'ai l'impression qu'il s'est apprêté à répliquer avant de finalement se retenir, se donnant le temps de la réflexion.

- Mais vous me faites confiance à propos des spectres, non ? finit-il par souffler. Vous avez dit que vous me faisiez assez confiance pour travailler avec moi en tant que chasseuse d'âmes.

- Oui, bien sûr, mais ça n'a rien à voir ! Ce n'est pas dans votre intérêt de me mentir à propos des fantômes !

- Et en quoi ça serait dans mon intérêt de vous mentir à propos de mes sentiments ? s'interroge-t-il, manifestement aussi déboussolé que moi.

- Justement, je ne sais pas... il me manque trop d'éléments. Il faudrait que vous me l'expliquiez vous-même.

Prenant une longue inspiration, il lève les yeux au plafond.

- J'ai bien l'impression que nous sommes dans une impasse..., soupire-t-il ensuite. Xemtei m'avait prévenu, mais je voulais en avoir le cœur net. Bon, ça ne sert à rien d'insister j'imagine. Mais je prends bonne note de... la façon dont vous me considérez.

Je me sens bizarrement si peinée par sa mine déconfite que je ne peux m'empêcher de préciser :

- Je ne vous reproche pas votre comportement. Je ne l'apprécie pas, certes, mais je devine bien que, dans votre position, il faut avoir recours à certaines méthodes pour parvenir à ses fins.

Il ricane brièvement, comme si je venais de dire une bêtise, avant de balayer l'air de la main :

- Alors ! L'oncle de Tsadei. Racontez-moi plus en détails ce qui s'est passé, il a fait fouiller vos affaires vous disiez ?

Il s'installe enfin sur un coussin, retrouvant un calme professionnel, et je l'imite avant de lui rapporter ce que Dayarun ma confié. Je lui parle brièvement de mon altercation avec Tsadei et de comment je l'ai réglée, ce qui heureusement le fait moins réagir que je ne l'avais craint.

- Pourquoi vous n'avez pas gardé la boîte à éther sur vous ? s'étonne-t-il, fronçant les sourcils.

- Parce qu'elle ne me servait jamais.

C'est une vérité même si ce n'est pas la vraie raison pour laquelle je l'avais mise dans le coffre. Il secoue la tête, réprobateur, avant de répondre :

- Je ne pense pas que Kusrian cherche à vous faire renvoyer. Il sait qu'il est important qu'on n'attire pas l'attention sur vous. Et il sait que l'endroit au palais où vous êtes le plus en sécurité, c'est à l'école.

- Alors il cherchait peut-être à vérifier si je pouvais mettre ma menace à exécution ?

- J'en doute. S'il avait vraiment craint pour sa nièce, il aurait d'abord débarqué devant moi pour faire un scandale !

- Ah ! Mais qu'est-ce qu'il cherchait alors ?

Nous nous taisons tous les deux, absorbés par nos pensées. Après un petit instant, il répond en se massant le menton :

- J'ai bien un élément de réponse... mais allez-vous seulement me croire !

Bonne question.

- Essayez toujours ?

- Je crois... je pense qu'il cherchait quelque chose, soit qui puisse compromettre mes sentiments, soit qui puisse me faire me détacher de vous.

- Hum...

Ma déception est manifeste. Il baisse les yeux vers le sol, rêveur. Son expression est un tel mélange de chagrin et de lassitude que j'éprouve soudain de la compassion pour lui quand il souffle :

- Oui, si vous refusez de me croire à ce sujet, cette réponse ne vous aidera en rien. Enfin ! Vous m'avez demandé si vous deviez vous méfier de Kusrian : la réponse est oui, et je vous prie de bien vouloir me croire au moins là-dessus.

- Mais Xemtei...

Il m'interrompt aussitôt, levant sa main :

- Xemtei n'a pas complètement tort. Kusrian est dévoué à l'empire, comme il est sincèrement préoccupé par mon bien-être. Il aurait donné sa vie pour mon père. Il est encore plus protecteur avec moi ! Cependant, ses intérêts divergent parfois d'avec les miens. Et je ne suis pas en position de m'opposer trop souvent à lui.

Son regard se trouble avant de s'assombrir. On dirait que la situation le dépasse. J'imagine que leur lien particulier explique ses réticences à aller à l'encontre de l'ancien bras droit de son père.

Repensant à ce que Xemtei m'avait dit sur les personnes susceptibles d'être manipulées par l'empereur, je finis par demander :

- Mais... c'est un ami donc ? Ce n'est pas un ennemi ?

- C'est un ami, oui. Enfin... disons qu'il ne compte pas par parmi ceux qui veulent me nuire ! Mais lui et moi n'avons pas la même notion de ce qui est bon pour l'empire. Ou pour moi-même. Aussi, sans être un ennemi à proprement parler, il peut parfois être un opposant.

Voilà qui ne m'avance pas beaucoup ! Devant ma mine perdue, et se méprenant sur l'objet réel de mes réflexions, il croit bon de préciser :

- Xemtei vous a dit de lui faire confiance parce que Kusrian ne fait pas partie de ces intrigants qui voudraient vous éliminer. Il vous protégera de ces derniers, comme il prendra soin de protéger votre véritable identité. Pour ça, on peut lui faire confiance.

- Je vois. Tant mieux.

Je trouve ça plutôt réjouissant, jusqu'à ce que l'empereur poursuive :

- Ceci dit, il ne veut pas de vous comme impératrice. Il méprise votre peuple ! Il ne veut surtout pas que je m'attache à vous. Je lui ai soigneusement caché que c'était déjà le cas, mais quand il a vu revenir Xemtei ce matin, alors qu'il ne devait pas rentrer avant plusieurs semaines, il n'a pas très bien réagi. Il était persuadé que j'avais cédé à un caprice de votre part !

- Mais... je n'ai jamais fait de caprice !

- Je sais bien, et c'est ce que je lui ai dit. Mais il est comme vous, il doute de ce que je raconte ! ajoute-t-il dans un clin d'œil. J'imagine qu'il a fait fouiller vos affaires à la recherche de quelque chose pouvant trahir mes sentiments à votre égard. Ou alors, il veut la preuve que vous êtes attachée à quelqu'un d'autre, afin de me décourager.

- Je ne comprends pas. Pourquoi lui cacher ce que vous pensez réellement de moi ? Vous appréciez bien qui vous voulez, non ? Peu importe que ça lui plaise ou pas.

- Si seulement..., déplore-t-il. Ce n'est pas aussi simple.

- Je ne comprends vraiment pas...

Qu'il ne puisse pas toujours s'opposer à cet homme, soit. Mais sur ce sujet, tout de même, la décision finale lui appartient ! Il me contemple pourtant d'un air abattu avant de m'expliquer :

- J'avoue que la situation ici est... particulière. Kusrian est capable de me désobéir s'il estime agir pour mon bien et celui de l'empire. Un peu comme Xemtei. C'est le défaut qui va avec la tâche de bras droit ! On leur délègue un tel pouvoir, on leur alloue une telle confiance, que les bras droit outrepassent souvent leur fonction, tout en croyant faire simplement preuve de dévouement.

Il se passe la main sur le front comme pour en chasser ses soucis. Je sais bien de quoi il parle : c'est exactement ce qu'a fait Xemtei en me choisissant et en lui cachant que j'étais une chasseuse d'âmes.

- Kusrian ne méprise pas que les Kaeli, reprend-il avec gravité. Il méprise aussi les femmes, à de rares exceptions près ! À ses yeux, une femme ne doit jamais avoir l'ascendant sur un homme. S'il pense qu'une femme influence mes décisions, ou que mes sentiments pour elle obscurcissent mon jugement, il peut très bien la faire enfermer quelque part sans que je ne sache jamais où ! Il sera d'autant plus motivé si ma vie dépend de cette jeune femme, et qu'il est impératif de la garder en sûreté... si vous voyez ce que je veux dire, conclut-il en plantant un regard sinistre sur moi.

Je déglutis :

- Mais... mais il n'a pas ce pouvoir ! Il ne peut pas vous imposer sa volonté, vous êtes l'empereur !

- Je vous l'ai déjà dit, ce n'est pas aussi simple. Et avec Kusrian, c'est encore plus compliqué... Il suffit qu'une femme m'intéresse pour qu'il la voie aussitôt comme une menace ! Donc je préfère qu'il croie que je n'ai que du mépris pour vous. Selon lui, mon père a pris les pires décisions par amour. Il sait combien je lui ressemble, il fera tout pour éviter que l'histoire ne se répète.

Totalement déconcertée par une telle logique, je résume :

- Mais alors, avec lui dans les parages, vous n'avez pas le droit d'aimer ?

- En quelque sorte... et surtout pas vous ! Pas seulement parce qu'il déteste les Kaeli. Mais aussi à cause de la malédiction qui nous lie. Il croit que si je m'attache à vous, je vais me contenter de ma situation et ne plus chercher à défaire ce que les manipulateurs ont fait. C'est faux, bien évidemment ! Mais il est impossible de lui faire entendre raison là-dessus !

- Oh...

Je comprends mieux les regards durs que cet homme m'a lancés la dernière fois que je l'ai vu.

- Vous comprenez donc qu'avec tout ça, je ne peux pas lui dire ce que j'éprouve vraiment pour vous, il deviendrait ingérable ! Or, j'ai assez de soucis comme ça en ce moment ! Je préfère lui faire croire que tout se passe comme il l'aimerait, et que si je me rapproche de vous, c'est uniquement pour vous avoir sous ma coupe.

Voilà qui explique cette discussion que j'ai surprise entre eux deux. À moins que ce soit à moi qu'il mente à présent... comment savoir ? Mais pourquoi il me mentirait ? Ah ! C'est pénible, j'ai l'impression maintenant de devoir toujours douter de ce qu'il dit ! Mais tout ce qu'il vient de me révéler colle avec ce que j'ai pu entendre, de sa part comme de celle de Xemtei. Hum... Toutefois, il reste une chose que je ne comprends pas.

- Quand bien même vous m'apprécieriez, vous n'êtes pas pour autant amoureux de moi. La situation n'est donc pas comparable avec celle de votre père ! Kusrian ne devrait pas autant s'inquiéter juste parce que vous m'aimez bien !

Sans me répondre, il plonge ses yeux dans les miens, rêveur. Je ne saurais dire ce qu'il pense. Mais il hoche finalement la tête en confirmant :

- Effectivement, mais vous apprécier c'est déjà trop pour lui. Il est... très à cran sur le sujet.

Il se crispe, manifestement dépassé par les événements.

- On devrait lui dire que je ne compte pas rester ici et que je n'ai aucune envie d'être impératrice.

Ma solution le fait pincer les lèvres.

- C'est inutile, il ne vous croirait pas.

Réalisant quelque chose, je murmure ensuite :

- C'est pour ça que vous vouliez tant me cacher la vérité sur notre mariage ?  Vous vous vouliez me garder loin de vous et de fantômes pour éviter de l'inquiéter ?

Moins j'en sais à propos des fantômes et de la malédiction, moins je suis impliquée. J'ai moins de raisons également de me rapprocher de l'empereur... et donc d'être une menace aux yeux de Kusrian. 

- Non. Je voulais d'abord apprendre à vous connaître, savoir à quel point je pouvais vous faire confiance, et surtout : je voulais tout vous expliquer en même temps, le moment venu. Pour que vous compreniez vraiment ce qui se passe ici. Là, vous n'avez qu'un morceau de la vérité, et pas le plus important.

Intriguée, je fronce les sourcils :

- Vous ne pouvez toujours pas me révéler l'autre ?

- J'aimerais le faire, le plus tôt possible ! Mais ça ne dépend pas de moi. Je dois attendre le bon jour.

J'ai du mal à comprendre ce qui peut être le "bon" ou le "mauvais" jour, mais je devine que c'est pour ça qu'il parlait la dernière fois de "bon" et "mauvais" moment. Qu'est-ce qui l'empêche de me parler maintenant ? Voilà qui ne fait qu'aiguiser ma curiosité... Il se penche vers moi, avançant sa main comme pour la poser sur la mienne, avant de plutôt refermer ses doigts dans le vide en déclarant :

- Il ne s'agit pas seulement de vous dire un secret, je dois surtout vous montrer quelque chose. Si vous ne le voyez pas de vos propres yeux... vous ne me comprendrez pas.

Voilà qui est encore plus énigmatique.

- D'accord, j'attendrai.

Le fait qu'il me parle de me montrer quelque chose me fait alors suggérer :

- Avant que je ne reparte, me permettriez-vous de voir votre marque ? Je... je ne veux pas vous mettre dans l'embarras, mais en attendant que la reine ou les manipulateurs se manifestent de nouveau, j'aimerais me montrer utile. On ne sait jamais, si je reconnais quelque chose ?

Je le vois qui hésite. Depuis ses explications, je ne me sens plus aussi raide et ennuyée par sa présence. Mais je conserve une distance prudente. C'est peut-être ce qui le décide à me répondre :

- Très bien. Mais je vous préviens, il ne s'agit pas de motifs kaelis, Xemtei est formel là-dessus.

- D'accord. Et je vous promets de ne pas me rincer l'œil.

J'ai ajouté cette plaisanterie pour détendre l'atmosphère. C'est efficace, il me rend un sourire incrédule avant de répondre :

- Je n'aurais rien contre, je vous assure !

Je me crispe, un peu embêtée par sa réaction, tandis qu'il déboutonne son caftan puis retire sa chemise. Je ne sais pas si c'était nécessaire, il aurait suffit de la soulever. J'espère qu'il ne m'a pas prise au mot ! Lorsqu'il défait son bandage, il se raidit. Finalement, il n'est pas aussi à l'aise qu'il paraissait l'être à l'idée de me dévoiler sa blessure.

Progressivement, la marque apparaît sous mes yeux. Elle est plus effroyable que je ne m'y attendais. On croirait que d'innombrables et minuscules serpents ont déchiqueté sa chair partout sur leur passage, leurs écailles pareilles à de harpons acéré creusant des sillons mélangeant sang et nécrose.

Quand je m'approche pour mieux l'observer, Kianshei grimace, détournant les yeux. Xemtei a raison, ces motifs n'ont rien de kaeli. Pourtant, cela me rappelle quelque chose...

- Je trouve que ça ressemble un peu à l'écriture Legvala.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Un système utilisé autrefois au nord, à une époque où il y aurait eu des échanges avec un royaume au sud qui employait une écriture similaire... avant que le nord ne développe sa propre écriture. L'écriture Legvala s'est perdue, mais on en conserve quelques traces dans les motifs de broderie traditionnelle.

- Est-ce que cette écriture est contemporaine de la période où a vécu la reine ?

- Je ne sais pas. C'est possible. Hum... entre ça et le fait que les manipulateurs n'ont fait aucune apparition depuis qu'elle est en sommeil, je me demande si ce n'est pas la preuve d'un lien entre eux. Même si nous ignorons encore lequel, ce serait déjà un bon début !

Il hoche la tête.

- En effet. J'espère que nous en saurons bientôt plus.

Je m'attendais à plus d'enthousiasme, mais le voilà reparti dans une sombre réflexion tandis qu'il remet son bandage puis se rhabille, contrarié.

- Calculateur, manipulateur... et menteur, chuchote-t-il finalement d'un air taciturne. (Il relève la tête vers moi, ses yeux se font alors suppliant). Je ne peux vraiment rien faire pour que tout redevienne comme avant, n'est-ce pas ?

J'aimerais lui dire qu'avec ce qu'il m'a expliqué à propos de Kusrian, je lui fais de nouveau confiance. Mais la vérité c'est que je ne peux m'empêcher de conserver une réserve prudente face à ses propos, comme face à sa personne. Me voyant indécise, il exige soudain avec aplomb :

- Demandez-moi tout ce que vous voulez. Si c'est en mon pouvoir, je le ferai.

- Ça ne changera rien, je...

- Peu importe ! Laissez-moi au moins essayer. S'il vous plaît. Demandez-moi tout ce que vous voulez.

Son expression désespérée me fend le cœur. Je n'aurais jamais cru le voir ainsi ! Xemtei m'a dit combien il était dur pour lui de perdre l'affection d'un proche. c'est quelque chose je ne peux que comprendre : il a peu d'amis, évolue au milieu de personnes qui le détestent, et même ses proches ne lui font pas tous confiance. Alors je cède, et balbutie :

- Je...

Je veux rentrer chez moi. Mais ce n'est pas en son pouvoir, alors qu'est-ce que je veux d'autre ?

- ... je veux que vous pardonniez à Xemtei de m'avoir parlé. Que vous ne lui en vouliez plus du tout.

Il acquiesce, croisant les mains devant lui :

- Considérez que c'est chose faite. Bien. Quoi d'autre ?

Je m'étonne, papillonnant des paupières :

- Comment ça, j'ai droit à autre chose ?

- J'ai dit tout ce que vous voulez, me rappelle-t-il comme si c'était une évidence.

- Oh... Eh bien... j'aimerais vraiment pouvoir donner des nouvelles à ma famille. Ce n'est toujours pas en votre pouvoir ?

- Si c'est ce que vous voulez vraiment, je ne m'y opposerai pas. Mais cela risque de vous mettre en danger. Il n'y a que deux personnes auxquelles je fais assez confiance pour s'occuper des échanges de courriers entre le nord et le palais : Xemtei, et un soldat qui est en mission actuellement. J'attendais qu'il revienne pour que vous puissiez envoyer un message à vos parents. Il fait partie d'un ordre tenu secret dont les tâches sont aussi essentielles que délicates, il n'avait pas le temps de s'occuper de ça, je suis désolé. Je ne vous en ai jamais parlé car personne en dehors des membres de cet ordre n'est censé connaître son existence ou ses activités. Pas même l'impératrice. Vous avez beau être ma femme, à leurs yeux, tout ce qui n'est pas l'empereur est un potentiel ennemi.

- Ah !

J'ai l'impression qu'à l'inverse de d'habitude, il se met à présent à me révéler tout ce qu'il peut... peut-être dans l'espoir de retrouver ma confiance en me montrant qu'il m'accorde la sienne ? J'opine du chef :

- Dans ce cas, j'attendrai qu'il revienne. Je peux encore patienter.

- Alors que voulez-vous d'autre ? enchaîne-t-il d'un ton implorant.

Je réfléchis, puis demande :

- Faites quelque chose pour madame Sogursan. Elle... ce que vous lui avez dit l'autre fois, ça l'a vraiment blessée.

- Très bien, je trouverai comment arranger ça. Quoi d'autre encore ?

- Ce n'est pas suffisant ?

Choqué, il arque un sourcil :

- Non.

Eh bien !

- Hum... vous pourriez distinguer Kumlei après une cérémonie ? Elle rêve que vous lui parliez. Bon, ses intentions ne sont pas idéales, mais je sais que ça lui ferait plaisir.

- Votre camarade de dortoir ? Très bien, je lui dirai quelques mots devant tout le monde. Continuez...

- Euh... tout ça ne risque pas d'éveiller les soupçons de Kusrian ?

- Je lui dirai que ça fait partie de ma stratégie pour vous séduire, ne vous en faites pas pour ça, continuez.

- Euh... je ne sais pas...

- Qu'est-ce que vous voulez pour vous ? Demandez-moi quelque chose uniquement pour vous.

Faisant la moue, je réponds :

- J'ai l'impression que rien de ce que je veux pour moi n'est en votre pouvoir.

- Vraiment... ? s'alarme-t-il.

- Oui, je... Oh ! Aller dehors ! fais-je soudain. À pied, et à cheval ! Je veux aller me promener dans la nature, hors du palais ! Et dans la forêt que j'ai vue en arrivant au palais le premier jour !

Enfin, il sourit comme si cette demande le satisfaisait plus que les précédentes.

- Très bien, je m'occuperai de ça. Quoi d'autre encore ?

- Euh... Leireng boude...

- Je verrai ce que je peux faire pour Leireng. Mais pour vous ? répète-t-il.

- Hum... les spectres dont vous m'avez parlé, qui sont enfermés quelque part ici et que vous n'arrivez pas à libérer. J'aimerais les voir.

Cette fois-ci, il fait craquer ses doigts nerveusement avant de les poser sur ses genoux, pianotant. Serrant les lèvres, il soupire :

- Très bien... quoi d'autre ?

Oh... mais oui ! Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ?

- Mon contrat de mariage ! Je veux voir mon contrat de mariage !

- Votre contrat de mariage ? souffle-t-il d'un air soucieux.

- Oui. Je veux voir mon contrat de mariage le plus tôt possible.

- Très bien. Je vous l'apporterai demain. Nous pouvons nous voir demain ici même ? Vous n'avez rien contre ?

- Euh... non, si j'y suis autorisée. Mais vous pourrez vous libérer encore une fois ?

- Oui. Donc ! Xemtei, la générale, votre amie, des sorties, Leireng, les spectres, et votre contrat de mariage... c'est tout ?

- Je ne vois rien d'autre pour l'instant. Ah ! Plusieurs élèves s'impatientent que le salon de poésie soit inauguré, ainsi que notre professeure. Elles trouvent le temps long...

- Et vous ?

- Je ne sais pas, je ne me suis jamais servie d'un salon de poésie. Mais je serais contente qu'elles ne se tracassent plus pour ça, alors si c'est faisable...

- C'est faisable, me confirme-t-il. Le salon de poésie, très bien. Bon. Continuez de réfléchir à ce que vous voudriez, ce n'est pas fini.

- Quand est-ce que ça le sera ? Quand tout sera redevenu comme avant ?

Je ne sais pas si ça arrivera. Mais son regard se fait tendre tandis qu'il répond en me souriant :

- Non. Ça sera fini... eh bien, quand vous n'aurez plus rien à me demander.

- Oh... euh... merci.

Il agite la main, comme si mes remerciements n'avaient pas lieu d'être.

- Je dois repartir, regrette-t-il ensuite, et vous aussi. On va venir vous raccompagner à l'école.

- Ces prêtresses, avec les chapeaux tressés et les ceintures rouges...

Je n'ai pas fini ma phrase qu'il me dit aussitôt :

- Ce sont les prêtresses dévouées à la famille impériale et à ses ancêtres. Elles savent qu'elles doivent veiller sur vous.

- Elles ne s'occupent pas des spectres ?

- Parfois, mais elles ne les combattent pas.

- D'accord. Il faudra que vous m'expliquiez l'organisation ici...

- Elle est complexe, mais je le ferai.

Eh bien ! Quel changement ! Quand Xemtei dit qu'il ne supporte pas ce genre de situation, je constate que c'est vrai !

- Merci.

Il se met debout puis me tend la main pour m'aider à me relever. Je n'en ai pas besoin, mais je comprends que ce geste est avant tout symbolique. Aussi j'attrape ses doigts en signe de paix, ce qui paraît le rassurer.

- Au revoir, Taïmi, me dit-il avant de se résoudre à lâcher ma main. À demain.

- À demain.

Il quitte la pièce après un léger soupir, puis la prêtresse de tout à l'heure revient m'ouvrir.

- Venez ! siffle-t-elle en m'entraînant derrière elle. Vous avez rangé de l'encens et nettoyé des encensoirs. Vous n'avez pas vu Rinsheng.

La version officielle à donner à l'école si on me pose des questions, je présume.

- D'accord.

Elle ne me parle plus du reste du chemin. Tant mieux, car mon esprit bouillonne. Je devrais être plus sereine que ces derniers jours, mais tout ce que m'a dit l'empereur tourne dans ma tête. Ce n'était donc pas un leurre, son attitude envers moi. Voilà pourquoi il était si mécontent quand je parlais d'annuler notre mariage et de rentrer chez moi... il ne doit pas avoir envie de me voir partir s'il s'est attaché à moi. Mais il faudra bien qu'il s'y fasse, cet endroit n'est pas fait pour moi.

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