Le Problème du Destin

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partie iii


La Terre est peuplée des ruines des empires qui se sont crus immortels.

Ça a été ta façon de me l'annoncer. Avec ta voix encore un peu rauque de sommeil, avec tes cheveux encore emmêlés, qui te faisaient comme une couronne de lierre, avec tes paupières à demi-closes par tes dernières rêveries. Tu me l'as annoncé comme ça, sans prévenir, comme un cadeau que l'on ne peut refuser, comme des mots que l'on dit et que personne ne peut forcer à nous faire ravaler.

La Terre est peuplée des ruines des empires qui se sont crus immortels.

Je t'ai observée, un sourcil haussé pour chercher à comprendre le message caché. Tu ne dis jamais rien de travers, Auréliane, alors forcément, qu'il y avait un message à comprendre. Tu as souri, espiègle comme un enfant de sept ans qui découvre le sable et veut construire son château. Tes yeux ont scintillé un instant et tu es devenue étoile une éternité de plus.

─ Ça veut dire qu'on part, 'Ane.

J'ai fermé les yeux, me suis rencognée dans mon coussin, prête à t'écouter faire un discours mûrement réfléchi pendant que je m'évadais au beau milieu de mes rêves. Les tiens sont peuplés de mots et d'empires, je le sais, Auréliane. Ton cœur s'attache aux couleurs d'or et aux lueurs vespérales du monde que tu préfères t'inventer.

— On part trouver les ruines de ces empires, Roxanne.

J'ai esquissé un sourire. Tu étais fidèle à toi-même, avec des idées loufoques qui me faisaient battre le cœur un peu plus vite chaque fois.

Les étoiles ne sont pas gentilles, Roxanne. Elles brûlent, elles se consument, elles se meurent. Elles ne sont pas faites pour être petites ou gentilles.

Tu m'as passé un post-it ensuite où tu avais griffonné ces mots à la lueur de la lune, ai-je imaginé. Ça te correspondrait bien, d'écrire à l'encre de Lune, Auréliane, te réveiller à trois heures de la nuit pour gratter du papier dans la semi-pénombre qu'il y a toujours dans ma chambre, t'éveiller au beau milieu des ténèbres pour invoquer un royaume de songes aujourd'hui disparu. J'ai levé vers toi un œil circonspect.

— Et on va trouver des étoiles mortes, des étoiles qui ont brûlé jusqu'à la lie.

Je me suis tournée pour faire face à toi, la tête posée sur un coude. Tes yeux illuminaient ton visage.

— Et on va les trouver...

Tu as quitté le lit avec une grâce qui n'appartenait qu'à toi, tu as repoussé les couvertures sur moi, t'as pris la pomme que tu poses toujours sur la table de nuit avant de dormir et tu t'es plantée devant le mur. Perplexe, je me suis redressée sur mon lit, encore somnolente comme un chat. Tu as croqué le fruit, belle comme une panthère et t'as reposé la pomme, satisfaite du jus qui coulait sur tes lèvres. Tu as fouillé, l'esprit soudain alerte, sur mon bureau, je t'ai vue saisir une feuille A1 – où as-tu pu dénicher ça ? – et tu l'as étalée sur le bureau.

Tu t'es tournée vers moi, pétillante comme jamais.

— Roxanne ! Je suis sérieuse ! Debout !

J'ai grimacé avec un petit rire, me suis emmitouflée dans la couverture et t'ai rejointe, brumeuse. Toi, fougueuse, tu as caché la feuille avec les sourcils froncés.

— Tu souris, ai-je siffloté, amusée. Fais pas la tête, princesse, je suis debout, là, et totalement dévouée à la très noble tâche de trouver les ruines d'empires disparus. Et des étoiles mourantes.

Tu as soupiré, amusée et as dégagé la vue pour que je vois ce que tu avais préparé.

C'était un plan.

J'ai toujours aimé les plans. Tu écris sur des feuilles ce que ton esprit ne peut pas contenir, tu marques, tu apposes ta propriété sur quelque chose de réel. Tu marques de l'imaginaire, de toi, quelque chose qui est totalement hors de ton contrôle. Pour l'arrogante que je suis, pouvoir contrôler ce qui ne m'appartient pas est réjouissant. Et les plans, les cartes, les planisphères... des objets bénis des dieux. C'est à cause de moi que tu as fait ce plan, j'en suis sûre. Avec ton organisation de base, tu n'en aurais pas eu le courage.

Tu as souri. Je sais que tu crois que je ne t'ai pas vue mais ton sourire, Auréliane, je le sentirais même si tu es sur Neptune.

— Bon, alors. Tu vois (Tu as placé ton doigt sur une croix rouge.), ça, c'est le but, le Saint-Graal, le truc qui nous faut atteindre. Et ça... (Tu as suivi les marques en pointillés gris), c'est le chemin.

— Et ça, c'est l'échelle et ça va nous prendre six cents kilomètres. Donc, va falloir que tu m'expliques pourquoi on irait chercher le Saint-Graal.

— Pour le bonheur de te voir en armure, voyons. Te voir porter une épée qui fait ton poids, aussi.

— Pour me voir conduire, c'est ça.

T'as fait ton sourire spécial, ton sourire que tu brandis comme une excuse, ton sourire d'amour qui pourrait faire plier le monde entier à ta cause.

Tu t'es glissée sous mes couvertures, a relevé le museau vers moi.

— On va donc partir en quête du Graal ? t'ai-je demandée, noyée dans tes yeux si grands et si ouverts sur le Monde – celui dont tout le monde cherche l'entrée.

Tu as hoché la tête, ravie.

*

La Terre est peuplée des ruines d'empires qui se sont crus immortels.

Difficile de croire que tu pensais à un festival, avec ces mots. Pourtant, après nous sept heures de route (où tu m'avais fait découvrir tant de musiques et de vies que je ne m'en rappelais d'aucune), nos jambes engourdies nous ont amenées devant l'entrée surveillée par quatre bouledogues en bleu où une banderole colorée affichait Festival d'Alamies. Une queue s'étendait, mais avec ma vue défaillante, je n'ai pu lire l'affiche qu'une fois devant.

J'ai tourné le regard vers toi, perplexe. Tu as brandi les tickets, tout sourire avant de filer à la rencontre des mecs de la sécurité avec ton regard « chiche ! ». J'ai retenu un rire exalté. Bordel, ta ruine d'empires, c'était un festival ! Tes cheveux dansaient dans ton sillage, ton sourire flottait dans l'air et en deux secondes, les quatre gardiens étaient devenus tes meilleurs potes. Je suis arrivée doucement et t'ai enlacée, soufflé à l'oreille Bordel de merde, tu vas me tuer un jour. Avec pas mal de chance, aucun regard de la part des mecs n'a viré au rouge. Je leur ai adressé un sourire façon chasse gardée, qu'ils ont accepté sans rechigner.

Et puis, on est entrées, main dans la main. T'as soulevé mon chapeau de paille, ton rire en cascade scintillant à mes oreilles comme jamais auparavant et tu es venue contre mes lèvres, douce et chaude, sans nulle comparaison. J'ai éclaté de rire et avisant le grand espace aménagé devant la scène, t'ai tirée.

Un nuage de poussière se soulevait à chacun de nos pas, tu as soufflé un j'ai soif qui venait du cœur, et on s'est installées sans même comprendre pourquoi à cet endroit précis, puisqu'à côté se trouvaient un groupe de notre âge – le genre qu'on évite habituellement. Enfin, le genre que j'évite, moi, habituellement. Toi, Auréliane, en digne impératrice de ce bas-monde, tu as immédiatement endossée ta couronne de lumière, ta couronne de reine et de déesse du Monde. Tu leur as chipé une bouteille d'eau que tu t'es empressée de vider, la gorge sèche. Tu as tenté de me dire quels groupes allaient passer mais... t'as vite eu conscience que bordel j'en connaissais aucun. Tu as charmé nos voisins d'un sourire, d'un clin d'oeil et tu es revenue vers moi, l'étincelle scintillante de ton aura au-dessus de ta tête.

— Pourquoi un festival est une ruine d'empires ? Et où est l'étoile mourante ?

Tu as posé ton doigt sur mes lèvres.

— Chut. Tu comprendras, Roxane. Tu comprends toujours. Tu es celle qui comprendrais le mieux ce que je veux dire. Il n'y a que toi pour comprendre ce que je pense et crois.

En quelques minutes – peut-être trente pour ce que j'en savais, quand tu es là, il n'y a plus de Temps, Auréaline – le public était amassé sur la plaine, devant la scène, en pleine canicule. Il devrait être dix-huit heures – c'est l'heure où tes yeux s'illuminent toujours, Auréliane.

Un jet d'eau s'est allumé au centre de la foule amassée contre la scène. Tu as hurlé ta joie, tu m'as jeté un coup d'oeil puis tu t'es mêlée à la foule pour goutter toi aussi aux gouttes précieuses d'or bleu. Je crois être tombée un peu plus amoureuse de toi à cet instant, alors que tu dansais sous la pluie douce, au milieu des autres, couleur au milieu du blanc. Or au milieu de la Terre. Précieuse, rare, unique au milieu d'un amas d'individualités similaires et terriblement fades.

Un accord de guitare basse m'a fait vibrer, le premier accord qui résonnait au milieu de la poussière et de la chaleur, le premier qui t'a fait lever les bras, pour commencer une danse.

Ta robe colorée te collait au corps, ta peau hâlée ressortait foncée, sublimée de doré par le coucher du soleil (peut-être était-il plus tard que dix-huit heures alors). Tes cheveux s'étaient libérés de la couette que tu avais faite plus tôt, et ils virevoltaient sur tes épaules, autour de tes hanches. Tes yeux fermés m'appelaient et je ne crois pas que tu aies eu conscience des panneaux, où les images filmées passaient, t'ont montrée en gros plan. Parce que Auréliane, à cet instant tu n'étais plus impératrice, ni reine, ni déesse. Tu étais Beauté. Tu étais Joie. Tu étais Perfection.

Non.

Tu étais Humaine. Terriblement Belle. Tu étais Art, tu étais Œuvre.

Je me suis levée, les yeux embués par l'émotion de te voir bouger, vivre au rythme d'une musique.

D'une ruine d'un empire qui s'est cru immortel.

J'ai éclaté de rire. Parce que seule la musique peut rappeler à la vie les empires, seule la musique peut exprimer l'immortalité par sa brièveté, seule la musique peut parler d'éternel.

La musique est une ruine d'un empire.

J'ai hurlé comme le chanteur s'acharnait sur une impro à la guitare. À côté, les mecs que j'aurais préférés éviter m'ont imitée. Par souci d'ego, je me suis plu à crier plus fort, plus bestial.

Un empire n'est pas doux.

J'ai gueulé, beuglé. Ce n'était ni beau ni intéressant. Mais bordel ce que ça faisait du bien.

Alors que le groupe finissait leur interprétation au rythme effréné, j'ai repris mon souffle.

— T'as de la chance de l'avoir, ai-je entendu à côté de moi.

C'était un des mecs. Je lui ai souri, ma poitrine se soulevait bien trop vite alors que je n'avais pas fait cette terrible épreuve d'un trois fois cinq cents.

— Elle a de la chance de m'avoir aussi, ai-je raillé.

Je lui ai adressé un clin d'œil avant de filer te rejoindre. Parce que peut-être que les autres peuvent t'admirer Auréliane, mais tant que je serais là, ce sera de loin.

On n'a pas eu conscience du premier accord de guitare électrique, de la fumée qui remplissait la foule, de la nuit qui tombait, des lampes de téléphones qui s'allumaient une à une. On n'a pas eu conscience.

On n'a pas eu conscience de la beauté du monde qui se réveillait, on n'a pas eu conscience du bonheur qui montait dans les cœurs, on n'a pas eu conscience de la puissance endormie qui se réveillait, appelée par quelque chose de si fort que personne ne peut rester de marbre, on n'a pas eu conscience de participer à une espèce de rite ancien pour convoquer les démons des empires déchus.

─ Et tu crois que c'est quoi, les étoiles mourantes ? m'as-tu demandée, alors qu'on s'était éloignées de la scène pour trouver de quoi manger et aller aux toilettes.

J'ai mordu dans mon sandwich pour éviter de répondre. Tu as étiré tes lèvres dans un sourire extatique et as laissé tomber ta tête sur mon épaule. Fatiguée mais heureuse, tu as levé le bras pour pointer les étoiles qui s'allumaient peu à peu dans le ciel.

─ Regarde...

Ton souffle a rebondi sur mon épaule.

Un groupe d'amis est passé devant nous, tu leur as lancé un regard euphorique.

─ Regarde, Roxane. On est tous des étoiles mourantes.

J'ai évité de sourire à tes mots, tu l'aurais mal pris, parce que tu étais mortellement sérieuse, malgré ton air de survoler le monde. Je t'ai déposé un baiser sur la joue et tu as frémi, sensible.

─ On est tous des étoiles qui se consument.

─ J'ai compris l'idée. On vient des étoiles, notre part d'étoile en nous disparaît, se meurt. Sans qu'on puisse y faire quoi que ce soit.

Tu as tourné ton regard unique vers moi.

─ On vient des étoiles ?

─ On est fait de poussière d'étoiles, chérie. Toi, moi, le caillou, l'arbre centenaire là-bas. On est tous nés des étoiles.

─ Putain, je pensais pas que ma théorie pouvait être étayée par des faits scientifiques !

J'ai placé mes mains en coupe autour de ton visage, émerveillée de voir que tu étais encore plus Belle, encore plus Rayonnante.

─ On est donc des étoiles qui se consument. Mais...

─ Y a deux raisons au festival. La première, tu l'as trouvé : la musique convoque, invoque, appelle irrémédiablement les ruines d'empires disparus dont il ne reste aucune trace. La deuxième... il faut bien des gens pour appeler ces anciens temples.

─ Les chanteurs sont les étoiles qui se consument ?

─ Non. Les groupes de musique ne peuvent pas consumer leur part d'étoile en eux. Ils sont étoiles.

─ Mais une étoile ne peut pas naître sur ce monde, c'est ça ? Elle ne peut pas survivre ici et a besoin d'appeler ses sœurs-étoiles pour rester un peu en vie. La musique que les étoiles qui se meurent sur Terre est entendue différemment selon notre part d'étoile ?

Ton sourire éclatant a fait battre mon cœur un peu plus vite, si c'était possible.

─ On est dans un lieu où se réunissent l'Univers et le Temps.

Tu m'as entraînée par la main, tu as dansé au milieu des corps, tu as souri aux inconnus, tu as charmé une chanteuse qui t'a invitée sur scène. Tu as offert ta voix au public, tu as donné de ta Beauté de Vivre à tous ceux qui en manquaient. Et j'étais bouleversée, Auréliane, parce qu'il y a quelque chose que tu n'as pas dit, quelque chose que soit tu n'as pas remarquée, soit tu refuses d'y croire.

Mais, Auréliane, toi aussi, tu es une étoile mourante.

Et tu convoques des Empires à toi toute seule.

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