IX. TU T'ES ENCORE BATTU

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TROIS ANS PLUS TÔT

Michaël rentrait à la maison, fixant du regard sa propre ombre que les réverbères de la rue éclairaient. Le menton enfoui dans son épaisse écharpe et le nez rougi par le froid, suivre le spectre noir de son corps sur le trottoir lui permettait de donner de l'ordre à ses pensées. En effet, il savait que dès qu'il franchirait la porte, il passerait à l'interrogatoire et allait devoir se justifier une énième fois, expliquer les pansements sur son arcade sourcilière et l'hématome courant sur sa mâchoire. Il serra les dents malgré lui, provoquant un afflux de douleur amère dans sa bouche, puis ouvrit le portail de bois clair en gémissant. Devant la porte d'entrée, il sonna deux fois.

Baptiste – un homme de taille raisonnable d'une quarantaine d'années – vint lui ouvrir, un sourire naturellement esquissé sur son visage. Son teint halé du sud et ses boucles noires rappelaient à Michaël leur différence et ainsi la dure réalité : il n'était pas et n'avait jamais été son fils. Il n'avait pas eu la chance de monter sur ses genoux petit, de lui offrir des dessins, d'aller au cinéma avec lui ; de grandir avec cet homme si paternel qu'il était difficile de croire l'absence de lien du sang entre eux que leurs apparences distinctes prouvaient pourtant. La vie n'avait accordé à Michaël que du froid, du vide, des bleus et des larmes. Cette pensée le fit frémir, il déglutit alors et releva la tête. L'enthousiasme de Baptiste s'estompa à la vue des blessures de son enfant adoptif.

— Tu t'es encore battu ?

Michaël hocha faiblement la tête, rongé par la culpabilité, la colère et le bref souvenir glacé qui l'avait fait frissonner bien plus que le froid de cette soirée de décembre. Lâchant un faible soupir, Baptiste invita Michaël à entrer. Tandis qu'il fermait la porte, le jeune homme ôta sa veste, son cache-col et ses chaussures en laissant la chaleur bienveillante de la maison l'enlacer dans un agréable sentiment de confort. Il faisait bon vivre chez Baptiste ; Michaël appréciait particulièrement la cheminée authentique longeant un mur du salon, devant laquelle il alla s'asseoir en tailleur pour regarder les flammes danser. Baptiste le suivit et s'installa derrière lui, sur le canapé. Il se racla la gorge comme si la discussion qui allait s'ensuivre ne lui plaisait pas mais était nécessaire, ce dont le jeune homme était particulièrement conscient.

— Ce n'est pas la première fois qu'on en parle, Miki. Que s'est-il passé ?

Michaël nota le soin qu'avait pris Baptiste à prononcer son nouveau surnom, à peine différent que celui que sa mère lui donnait il y avait une poignée d'années de cela. Bien que subtile, cette nuance affirmait que Michaël ne serait plus jamais Mika, plus jamais le Michaël d'autrefois ; que cette personne-là n'avait appartenu qu'à sa mère et, plus sombre que cela, s'était éteinte avec elle. Il ne savait que répondre à son père d'adoption, car se répéter était inévitable. Alors, doucement, il tourna la tête vers Baptiste.

— Ils l'ont cherché, dit-il d'un ton dur, la colère se ravivant dans sa voix. Ils ont giflé un Sixième qui ne voulait pas leur donner son goûter.

Malgré le fait que le jeune homme qu'il considérait comme son propre enfant n'en était plus vraiment un, Baptiste eu l'envie de le prendre dans ses bras, de le ramener à la douceur d'une enfance qu'il n'avait pas connue, loin de la violence qui semblait le suivre à chacun de ses pas. Il grandissait si vite, s'allongeant et développant une musculature plus épaisse que celle de ses camarades de Quatrième. A l'image de son esprit forcé à grandir bien trop tôt, sa croissance s'était déclenchée en amont de la normale, comme si le destin lui demandait encore de faire preuve de force pour les épreuves à venir, et celles-ci, tapies dans l'ombre du futur, inquiétaient Baptiste. Et pourtant, l'adolescent de quatorze ans qui revêtait un masque froid à l'extérieur ou face à sa compagne se trouvait là devant lui, le menton abîmé tremblant comme celui d'un petit garçon triste, tout entier abandonné à sa vulnérabilité et son chagrin.

— J'appellerai la directrice demain pour en discuter. Cette affaire ne doit pas se résoudre de façon agressive mais en collaboration avec tes professeurs, Michaël, expliqua calmement Baptiste qui, bien que d'accord sur le fond de la démarche de l'adolescent, devait, en tant que parent, désapprouver la forme.

— Ils n'avaient pas le droit de faire ça. Je devais... Je devais agir. Ils ne savent pas ce que ça fait de...

La voix de Michaël se brisa. Incapable de se contenir, la journée débordante d'émotions, il laissa rouler de grosses larmes sur son visage à contre-cœur et détesta cette part de lui encore trop faible, trop pitoyable, trop enfantine. Il voulait être aussi féroce et digne qu'un lion, mais une désolante constatation le rattrapait alors : il était toujours le fauve qu'on avait réduit à mener l'existence d'un chaton. Il aurait voulu être capable de défendre ses compagnons de galère, ceux qui, abandonnés comme lui par un Dieu obsolète se retrouvaient à subir les attaques de lâches trop déloyaux pour affronter quelqu'un à leur hauteur. Il savait ce que l'on ressentait lorsque l'on subissait des injures qu'on ne pouvait rendre et dont on ne pouvait se protéger, l'injustice et le désarroi qui dévorait les os avant de s'attaquer à l'âme. Sa violence constituait l'étendard de sa vengeance, car chaque coup qu'il était aujourd'hui capable de donner atténuait les souvenirs de sa propre souffrance, de son passé qui avait dessiné dans son dos de larges cicatrices.

Michaël ne supportait pas la compagnie des autres individus, trop normaux et trop superficiels ; ces adolescents comme ceux que l'on voyait à la télé et qui, trop légers, étaient incapables de prendre des décisions et tergiversaient sur des futilités. Jamais ils ne connaîtraient ce qu'il avait vécu, et cette pensée réveillait en lui des pulsions destructrices. L'impuissance. L'inégalité. L'iniquité. Trois mots qui, par un hasard paraissant pourtant cruellement calculé, avaient condamné son enfance à la décapitation et sa mère innocente au bûcher. Il s'effondra alors au sol, le visage enfoui dans ses mains, recroquevillé comme un animal blessé, les larmes coulant de plus belle, noyant son hématome au menton dans un océan transparent et salé.

Baptiste se précipita sur lui pour l'étreindre avec amour. Comme un bouclier entre son fils et le monde, il couvrit Michaël de ses bras, caressant ses joues mouillées, lui murmurant des mots réconfortants à l'oreille, Ça va aller, Miki, regarde-moi, je te promets que ça va s'arranger. Après l'avoir calmé, il le raccompagna dans sa chambre en lui recommandant de dormir un peu. Il laisserait une assiette du dîner dans le micro-ondes, prête à être réchauffée si jamais Michaël avait faim à son réveil.

*

Baptiste entendit les clés tourner dans la serrure et se leva du canapé, dans lequel il était retourné s'installer auparavant, pour aller accueillir sa femme. Il embrassa les lèvres froides de Barbara et l'aida à se dévêtir. Alors qu'elle s'installait dans le salon en comprenant que l'absence de Michaël à l'heure de dîner cachait quelque chose, Baptiste lui apporta une tasse de thé à l'orange dont le parfum léger avait le don d'apaiser. Les dernières braises qui vivotaient dans l'âtre généraient une atmosphère intime ; c'était le lieu idéal pour discuter.

— Il s'est encore battu, n'est-ce pas ? demanda-t-elle, la moue anxieuse. C'est grave ?

— Un bleu et quelques éraflures. Des idiots harcelaient un petit, expliqua-t-il.

Son ton calme ne parvenait à cacher l'énervement qu'il ressentait – non contre Michaël, mais contre ces jeunes personnes qui n'avaient pas conscience de la portée de leurs actes, pensant simplement plaisanter ou imposer une domination qui n'avait pas lieu d'être, et qui remuaient les profondeurs de plus de gens qu'ils ne pouvaient imaginer.

— Il ne s'arrêtera jamais. Je ne sais pas quoi faire. J'ai l'impression qu'il écoute à peine la psychologue, et dès que j'essaie de m'approcher de lui, il me repousse.

— Ses professeurs m'ont communiqué qu'il ne sociabilisait toujours pas, surenchérit Baptiste, chagriné.

— Il est encore avec eux, murmura Barbara, le regard affligé. Il dort mal, s'entraîne trop. Il ne vit pas, il survit. J'aimerais pouvoir l'aider. Je veux avoir la chance de l'aimer...

Baptiste lui saisit doucement la main en rappelant d'une voix tendre :

— Ma chérie, il a encore besoin de temps. Cela ne fait que deux ans qu'il est parmi nous.

Elle secoua gravement la tête, peinée pour ce si jeune et si bel adolescent déjà tant mutilé alors que la vie ne venait pour lui que de commencer. Elle éprouvait beaucoup de tendresse à son égard ; aurait voulu panser ses plaies une à une, avec la bienveillance de la mère qu'elle n'avait pu être, passer ses doigts dans ses cheveux en lui chuchotant des mots doux, des encouragements. Cependant, Michaël l'évitait. Quand il n'était pas au collège, il s'enfermait dans sa chambre et dessinait ou se musclait – se défoulant à sa manière, il se forgeait le corps du combattant qu'il aurait voulu être plus tôt : les rares moments où il se confiait étaient réservés à Baptiste. Car, si Michaël n'avait jamais estimé perdre un père lors de son adoption, il avait surtout dû abandonner une mère qu'il aimait toujours plus vigoureusement à mesure que les jours passaient sans elle.

Baptiste jouait enfin la figure paternelle qui avait longtemps manqué à sa vie, mais Barbara ne pouvait remplacer une mère qui avait déjà existé en laissant une empreinte vivace, et était devenue éternelle en s'envolant pour son dernier sommeil.

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