VIII. IN EXTREMIS

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Après s'être précipitée aux toilettes dans la cour pour boire une grande goulée d'eau aux lavabos et noyer le goût salé des larmes qui lui étaient montées dans la gorge, Aela courut dans les escaliers qu'elle connaissait par cœur en direction de sa classe. Elle pria pour être la première à être remontée en cours et s'efforça de ne penser à rien. Dès qu'une pensée survenait dans sa tête, elle la chassait de son esprit tant que faire se pouvait. Bien qu'elle s'y attendait quelque peu, voir Michaël assis à sa chaise comme s'il n'avait pas bougé d'un pouce depuis la sonnerie l'agaça. Elle calma la chamade qui tambourinait dans son cœur un assourdissant concert, passa une main dans ses cheveux et rentra dans la salle, la tête baissée, avant de s'installer en silence sur sa chaise, à deux rangées en diagonale de celle de Michaël.

Elle profita du spectacle – certes inanimé – que constituait le jeune homme pour se concentrer sur lui en le détaillant du regard au lieu de ressasser l'altercation qui avait eu lieu plus tôt, dans le couloir adjacent, avec Pierre. Cet exercice, qu'elle maîtrisait depuis quelques années, consistait à décrire mentalement quelle qu'entité quotidienne que ce soit comme si elle était une oeuvre d'art à part entière ; comme si elle méritait d'être regardée. L'objet de son attention fut donc Michaël, dont elle commença à embrasser du regard les courtes mèches blondes plus foncées que les siennes qui s'amenuisaient sur sa nuque comme de l'écume sur une plage abandonnée. Elle suivit des yeux les courbes que formaient ses mains crispées sur ses tempes et la blancheur de ses jointures générée par cette position des doigts.

C'est alors qu'Aela réalisa que Michaël se tenait dans une position raidie par le ressentiment ; que cette manière de se tenir pouvait tout aussi bien s'apparenter à quelqu'un qui pleure qu'à un individu se retenant de hurler. Et pour la première fois, Aela prit conscience de la stature de son large dos, de la forme plus carrée que celle des autres de sa mâchoire, de son silence tout aussi fascinant que terrifiant et réalisa une chose : Michaël ressemblait vraiment à un homme, ce qui lui faisait peur. Une peur subtile, pleine de sous-entendus ; la peur qui nous fait nous tenir à distance d'une bonbonne de gaz dont on sait qu'un jour ou l'autre, elle va exploser.

La sonnerie retentit et sa stridence dans les oreilles d'Aela la fit revenir à la réalité. Le cours de français allait débuter et elle allait avoir tout le loisir de se concentrer sur un passage de texte et danser avec les mots en une valse constituée d'exégèse et autres interprétations.

*

— Michaël, veuillez relever un procédé d'écriture mettant en avant le pathétisme de la scène décrite dans le texte, je vous prie, demanda la professeure de français.

Trois élèves dans la classe soupirèrent, les mains tendues en l'air, ne demandant qu'à être interrogés par Madame Jayet et prêts à décortiquer jusqu'aux pronoms le passage des Misérables de Victor Hugo présenté au tableau par le vidéo-projecteur. Peut-être était-ce du sadisme organisé, car Aela avait remarqué que les professeurs de cet établissement avaient une propension à interroger ceux qui ne demandaient rien à personne plutôt que les bons petits soldats se souciant vraiment de leur baccalauréat. Fidèle à lui-même, Michaël ne broncha pas. Il continua à écrire dans son cahier comme si personne n'existait, feignant un calme seulement trahit par ses biceps saillants, dont le dessin était renforcé par la tension de son corps sous les manches courtes de son tee-shirt.

Madame Jayet – petite bonne femme d'un mètre soixante aux cheveux courts bouclés et aux yeux bleus cachés derrière une paire de lunettes – qui était pourtant toujours avenante et compréhensive, soupira à son tour devant l'impolitesse du jeune homme, se demandant sans doute ce qu'il faisait ici.

— Louis, allez-y, lâcha-t-elle enfin.

Alors que le Louis en question entreprit de décortiquer le champ lexical du chagrin, Aela se força à son tour à prendre des notes et à être attentive. L'heure de mathématiques qui suivit l'heure de français fut longue, bien que le sujet du cours soit relativement facile, car ayant peu déjeuné à cause de son retard le matin même, Aela commençait à ressentir la faim.

Quand l'ultime sonnerie de la matinée fit retentir son cri aiguë, Aela se leva précipitamment. C'était l'heure de son challenge quotidien, qui se déroulait à l'heure de manger et à l'heure de sortir. Elle réussit à s'élancer hors de la classe avant tout le monde, mais sa gratification fut affligée par un étonnant constat : la victoire avait été trop facile. Alors que les derniers élèves sortaient, Aela se retourna pour voir où était son adversaire le plus redoutable. Toujours assis à son bureau, Michaël rangeait machinalement ses affaires dans son sac à dos. La professeure de français empoigna son cartable et se plaça à ses côtés, debout, une main sur la table.

— Michaël, faites un effort. Vous avez du potentiel.

Aela comprit qu'une discussion privée allait avoir lieu, hésita quelques secondes puis se cacha du mieux que possible contre le mur où se trouvait l'embrasure de la porte de la classe et tendit l'oreille. Elle savait pertinemment que la curiosité était un vilain défaut, mais de toute façon, Madame Jayet était trop débonnaire pour la sanctionner pour ce genre d'espionnage.

— Vous savez, reprit la professeure, une partie du corps enseignant est au courant de votre passé. Nous sommes là pour vous aider. Essayez de contourner cela pour vous accrocher au présent. Vous êtes un bon élève, j'ai foi en vous.

Sa voix était douce et tendre, presque maternelle ; elle semblait réellement s'intéresser à l'état de Michaël. Puis, la professeure se retourna pour revenir à son bureau récupérer le cahier d'appel de la classe et Aela recula prudemment du mur à reculons en direction de l'escalier de A en espérant que, quand Madame Jayet sortirait, elle ne lui poserait aucune question.

— Aela ! retentit une voix dans son dos.

Elle tressaillit d'abord, sa concentration ayant été surprise par l'appel de son prénom, puis elle sentit les battements de son cœur s'accélérer quand son cerveau trouva enfin la personne associée à ladite voix. Grave, presque rauque, il s'agissait de celle de Pierre. Aela s'arrêta net, pensa un instant s'enfuir – ce qui aurait sans doute été une bonne idée – mais sa fierté la rattrapa alors elle fit volte-face.

— Pierre.

Il approchait de manière tranquille : comme s'il était son meilleur ami, comme si la discussion de ce matin n'avait pas eu lieu. Aela essaya de durcir son regard afin de poser sur lui les yeux les plus froids dont elle était capable.

— Est-ce que ça va ? demanda-t-il.

— Sortez, vous n'avez pas le droit de rester à l'intérieur à midi, lança la professeure de français qui passait par le couloir adjacent à celui dans lequel ils se trouvaient, les faisant sursauter.

Ils attendirent que Madame Jayet disparaisse totalement dans l'escalier A pour reprendre leur discussion, en faisant fi de ses consignes.

— Est-ce que ça va ? réitéra Pierre.

— C'est une blague ?

Aela était subjuguée par son comportement. Il l'agressait le matin même avant de revenir comme une fleur la cajoler à midi. Les yeux noisette de Pierre posaient sur elle un regard interrogateur.

— Pourquoi ce serait une blague ?

Il s'approcha de nouveau d'elle de quelques pas et Aela ne put se retenir de se plaquer contre le mur de droite afin de se tenir le plus loin possible de lui. Réaction épidermique et incontrôlable qui, telle un éclat de foudre dans un ciel d'été, trahissait ses sentiments. Elle détesta ce côté encore trop humain chez elle et haït encore plus le sourire amusé qui passa sur les lèvres de son interlocuteur suite à ce réflexe.

— Tu as peur de moi ? souffla-t-il.

— Non, répondit-elle automatiquement.

Elle essaya de se rappeler à quel point elle était forte et téméraire, mais elle n'y parvenait pas car une réalité la frappa durement au visage : elle avait tout le temps peur. Ce matin, elle avait déjà eu peur d'arriver en retard, peur d'entrer dans une classe stupide, peur du Il paraît qu'à douze ans... dans la bouche de Pierre, peur d'être surprise en train d'épier une conversation intime entre une gentille professeure et un pauvre adolescent perdu. La faim se raviva à ce moment-là et elle décida de s'accrocher à cette sensation qui lui mordait le ventre en oubliant la spirale de pensées qui lui rappelait qu'elle était une trouillarde finie.

— Tu as peur de moi.

Sa voix trahissait un réel amusement. Aela n'apprécia pas du tout.

— Va t'en, dit-elle fermement.

Pierre lui saisit énergiquement le poignet en s'approchant encore plus près d'elle, tellement près qu'elle ressentait son souffle sur son visage. Aela se maudit d'avoir un faible pour la couleur de ses yeux et pour les légères taches de rousseur sur ses joues, car le charme dont il était pertinemment conscient agissait sur elle comme un sortilège. Réfléchir normalement et logiquement était difficile, détourner ses yeux clairs des siens était presque impossible. Il approcha sa bouche de sa mâchoire comme pour l'embrasser ; Aela eu l'instinct nécessaire pour tourner la tête par défense, et Pierre lui chuchota alors à l'oreille :

— On a toujours su que tu étais une traînée.

Elle eut un hoquet d'horreur. Cette phrase lui fit suffisamment d'effet pour permettre aux synapses qui assuraient son fonctionnement neurologique de lui intimer de sortir au plus vite. Alors, telle un oiseau dont les ailes sont prises dans la poix d'une marée noire, Aela entreprit de se débattre tout aussi éperdument que vainement. En effet, bien qu'elle soit grande pour une fille, Pierre l'était également pour un garçon et la bloquait dans l'étau de ses deux bras contre le mur. Elle essaya de lui donner un coup de pied, mais il immobilisait ses jambes grâce aux siennes. Aela avait l'impression d'être en plein cauchemar et exécrait la sensation du corps de Pierre contre le sien. Elle leva ses yeux plein de détresse par-dessus l'épaule de l'adolescent et c'est là qu'elle le vit.

Michaël se tenait derrière Pierre, le visage sévère, une lueur enflammée dans les pupilles. D'une main vigoureuse qui surprit son adversaire, il empoigna sa nuque. Pierre lâcha Aela et fut projeté à quelques pas d'elle, se retournant avec colère comme prêt à se battre.

Une goutte de sueur passa le long de l'échine d'Aela. Michaël semblait dans le même état que Pierre, résolu à en découdre ; il arma son poing droit et bondit vers lui, lui assénant un coup de ses phalanges dans la mâchoire. Aela recula.

L'animosité de Michaël, trop mature et masculine, la terrifiait presque plus que les mots de Pierre. 

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