Une des soeurs

Recommence.

Elle était là, devant moi. À quelques mètres. En train d'attendre.

J'étais là, devant elle. À quelques mètres. En train de l'observer.

Elle passa une main dans ses cheveux roux pour les remettre en place.

Je voulais passer ma main dans ses cheveux pour les mettre en bataille.

Elle regardait l'écran de son portable avec concentration.

Je la regardai avec admiration.

Elle leva ses yeux clairs vers un homme qui l'aborde.

Je fixai l'homme avec un plissement dubitatif.

Je devais me dépêcher.

Je tentai de courir vers elle.

Une femme perdit l'équilibre à cause de ses talons.

Je l'aidai. Un instant.

La jeune rousse se fit percuter par un camion. À quelques mètres de moi.

Je criai. De peur.

Elle cria. De douleur.

Je m'assis près d'elle.

Elle resta allongée, incapable de bouger.

Je restai avec elle, les larmes aux yeux et son sang sur les mains.

Des hommes la prirent. L'emmenèrent. Pour la sauver.

Elle respira à peine.

Je respirai à peine.

Elle entra dans la salle d'opération.

Je restai dans le couloir de l'attente.

L'homme, traumatisé, sortit dehors.

Cette fois-ci, je ne le suivis pas.

Cette fois-ci, je restai dans le couloir.

J'entendis des cris dans le hall.

Je partis vers le centre de l'hôpital.

L'homme devenait agressif.

Des policiers le tinrent.

Je m'avançai vers eux pour tenter de les calmer.

D'autres cris retentirent. De la salle d'opération.

Non.

L'alarme sonna. Stridente.

Je sentais la chaleur monter. Je sentais la fumée m'envelopper. Je sentais ma sœur mourir.

J'étais piégée. Encore.

L'autre soeur

J'ouvris mes paupières d'un coup. Trop excitée à l'idée que le voyage ait pu fonctionner. Le liquide de la capsule diminua lentement, laissant mon corps devenir plus lourd. J'aidai mes membres à se familiariser de nouveau avec la gravité de cette planète en bougeant les doigts, puis mains et avant-bras. Une fois la capsule entièrement vide de liquide, une lumière bleue s'illumina en face de moi. Je souris quand le bruit de l'ouverture de l'habitacle se déclencha.

Je penchai ma tête vers l'avant pour me déconnecter du Système et reprendre pleinement sens de mon corps. Un afflux d'énergie s'évapora en un instant. Je respirai avec lenteur pour éviter de m'évanouir. Et posai un pas devant moi, en dehors de la capsule temporelle. La combinaison blanche que je portais me collait à la peau après avoir passé ces trois dernières journées dans un autre espace-temps, mais était imperméable. Les gouttes du liquide avaient séché instantanément au contact de l'air ambiant.

Je relevai mes cheveux roux en une queue de cheval puis observai les neuf autres capsules temporelles.

Ces capsules de taille humaine avaient bien des avantages, mais seule une poignée d'individus avait les compétences physiques et mentales requises pour un voyage dans le temps. Et moi et ma sœur faisions partie de cette poignée de personnes.

– Alors elle est de retour ? demandai-je au Docteur Stein.

Il supervisait chaque voyage dans le temps.

– Elle est piégée, affirma-t-il en secouant la tête, désolé.

– Elle est encore coincée dans la machine temporelle, dit un scientifique qui avait une tablette tactile dans les mains.

– Je pensais que ça marcherait cette fois-ci, dis-je avec déception et tristesse.

– Il semblerait que votre sœur veut vous sauver coûte que coûte, et ne reviendra pas sans l'avoir fait...

Je grimaçai en fixant son visage à travers la vitre de la capsule. À la regarder, Stacy était paisiblement endormie. Mais en réalité, son esprit était resté coincé dans un autre espace-temps. Dans le passé.

Une anomalie dans le système, avait dit le Docteur Stein.

Lors du voyage initial, nous avions bien réussi à sauver un homme. Mais, lors de cette issue, j'étais morte aussi. Cependant, j'avais réussi à revivre pendant quelques minutes, allongée sur le lit d'hôpital, et j'avais utilisé ce précieux temps pour retourner dans le présent. Cette étape avait usé toute mon énergie vitale.

Stacy pensait aussi refaire un voyage dans le temps pour me sauver. Mais en réalité, elle était coincée dans ses souvenirs. Elle pensait faire autant de voyage dans le temps que de sauvetage, mais elle rembobinait la scène en étant coincée dans ses propres souvenirs de cette journée. De ce jour où elle m'avait cru morte.

La sortir du Système de force pourrait endommager son système nerveux, alors je faisais des voyages une fois par mois pour tenter de la récupérer parmi ses souvenirs. Mais jamais je n'arrivais à remettre la main sur elle. Je retournai dans le passé et j'arrivai à temps pour sauver l'homme, mais je ne trouvais jamais ma sœur sur les lieux.

Les voyageurs sont hors du temps. Vous pouvez remonter le temps autant que vous le voudrez, mais vous créez à chaque fois un nouveau passé et donc un nouveau futur. C'est pour cela que j'avais limité à un voyage par mois. En vérité, après ces deux années, j'ai découvert qu'il y a autant de mondes parallèles que de voyages temporels faits. Vous êtes dix personnes à faire un voyage par mois. Je te laisse faire le compte, Stella, m'avait une fois expliqué le Docteur.

Malgré cela, je continuai mes voyages pour la faire revenir parmi nous. Son subconscient lui faisait croire qu'elle voyageait à chaque fois dans le temps, mais elle revivait la journée encore et encore sans être consciente que les événements se répétaient inlassablement. Et chacune de mes tentatives pour la retrouver à temps pour lui avouer que j'étais encore vivante et qu'elle était dans un rêve se révélait inutile. Cependant, je ne lâchai pas espoir.

Jamais.

– À bientôt, Docteur Stein.

Je retournai vers le vestiaire où pendaient plusieurs combinaisons comme celle que je portais. J'enlevai cette seconde peau et l'accrochai à son emplacement habituel où le programme le stérilisait. Soudain, je me rendis compte en me rhabillant d'une autre combinaison plus ample que j'avais oublié de demander ma bague ainsi que celle de Stacy que je gardais depuis qu'elle était coincée dans ses souvenirs.

Le Docteur les conservait toujours précieusement dans la poche de sa blouse blanche. Un vêtement que seul lui portait alors que les plus jeunes scientifiques avaient une combinaison unique qui ressemblait à tant d'autres.

En y retournant, je m'arrêtai sur le palier pour entrer dans la grande salle où étaient disposées les capsules. Le rire du Docteur m'avait figée sur place.

– Cette idiote peut toujours essayer ; elle n'arrivera jamais à retrouver sa sœur. Stacy a toujours été ici dans le présent alors que Stella continue ses allers dans le passé. Plus idiote qu'elle, je n'en avais jamais vu, déclara le Docteur en riant.

– Mais avouer que sa détermination est sans faille, dit l'un des scientifiques.

– C'est certain, avoua le Docteur. Mais avec tous ces voyages, Stella va finir par ne plus être en accord avec le Système.

– Oui, son corps s'affaiblit avec ces voyages et son mental est plus bas que précédemment. Même si elle ne voit pas les conséquences, le Système le voient. Et d'après les données, dans quatre mois, Stella ne pourra plus voyager, ajouta le scientifique.

– Mais je ne peux pas risquer que les voyageurs le sachent. Pour l'instant, seule Stella fait des voyages qui ne nous servent à rien, mais les autres sont encore utiles. Imagine si on leur avoue que leurs corps vont décrépir plus rapidement qu'un être humain lambda. Ils arrêteraient les voyages et nous perdrions tout l'argent amassé par nos contributeurs. Chacun d'entre nous se retrouverait sans un sou pour vivre, déclara le Docteur Stein.

– Heureusement qu'on a enfermé Stacy dans sa capsule avant que Stella ne la voie..., souffla le scientifique, d'un air dépité. Je ne comprends toujours pas comment elle avait réussi à comprendre.

– Elle était futée, marmonna le Docteur, mécontent. Continuez de l'enfermer dans ses souvenirs. Il ne faut surtout pas que la déconnecter du Système.

– Oui, Monsieur.

Horrifiée, je laissai une larme s'écouler sur ma joue. Je l'essuyai rapidement avant d'entrer dans la pièce comme si de rien n'était.

– Docteur ! J'ai oublié ma bague et celle de Stacy ! dis-je avec entrain.

– Oh bien sûr, répondit-il sans se douter de mon désarroi.

Il me rendit les bijoux, mais je restai à observer le visage de ma sœur à travers la capsule à la vitre transparente.

– Docteur, est-ce que je peux toucher ma sœur. Juste un instant, demandai-je en gardant mon regard sur elle.

– Je suppose que oui, dit-il avec hésitation.

Je vis le liquide se vider et la capsule s'ouvrir. Je m'approchai de la belle endormie et caressai sa joue. Sa peau était si douce. Son corps semblait si vivant.

– Vous savez Docteur, chacun des voyageurs ont été formés pour contrer tous les dangers qu'on pourrait rencontrer lors de nos voyages. Notamment pour les voyages dans l'époque du Moyen Âge où la barbarie régnait avec grandeur.

– Je le sais bien, souffla le Docteur Stein avec confusion.

– Mais vous, vous n'avez pas été formés au combat.

Je me retournai rapidement et envoyai un coup de poing dans la face du Docteur puis continuai mon attaque en frappant le scientifique au ventre. Le Docteur tomba dans l'inconscience alors que l'homme s'agenouilla avec la douleur à l'estomac. Je n'écoutai pas ses plaintes et le frappa à nouveau pour qu'il tombe lui aussi dans les pommes.

Après cela, je tirai le corps de Stacy vers l'avant pour que sa nuque se déconnecte du Système. Ses paupières s'ouvrirent avec panique et peur. Je lui souris et la pris dans mes bras.

– Stella ?

– Bon sang, je suis tellement heureuse d'entendre à nouveau ta voix. C'est fini, Stacy. On va dire aux autres que les voyages sont nocifs pour nous et on va prouver à ce monde qu'il faut vivre dans son temps et non retourner dans le passé pour le changer inlassablement.

Nous pleurâmes dans les bras l'une de l'autre pendant plusieurs minutes avant de réveiller les autres de leurs voyages. Nous allions rectifier les fautes faites dans ce monde avant d'en créer d'autres. Ensemble.