D E S T R U C T I O N

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Ça n'allait pas.

Taehyun était bien conscient que son moral n'était pas au meilleur ces derniers mois, mais là, ça n'allait vraiment pas.

Il ne savait pas exactement pourquoi. Il ne savait pas quoi, dans son quotidien monotone, avait pu changer ainsi et le rendre aussi désespéré. Ça aurait même dû être l'inverse ; il recommençait à s'entendre bien avec Soobin, Madame Lee avait enfin commencé à lui foutre la paix depuis son passage surprise chez lui, il avait maintenant un travail fixe, et ses entretiens avec le personnel de la prison se faisaient de plus en plus espacés. Techniquement, il n'y avait aucune raison pour que son monde s'effondre à nouveau.

Et pourtant.

En se réveillant ce matin, Taehyun n'osa pas se lever. Les battements de son cœur résonnaient désagréablement contre ses tempes, comme un rythme oppressant qui l'empêchait peu à peu de respirer. Tout d'un coup, la simple idée d'aller travailler semblait le tuer, de la même manière que la pensée de suivre le cours de sa journée pour rentrer le soir et retrouver à nouveau son minuscule appartement vide lui donnait le vertige.

Il essaya de penser à Soobin pour se raccrocher au réel, comme il le faisait souvent quand ses pensées devenaient trop noires et sa solitude trop pesante ; rien à faire. L'image de son ami d'enfance lui parut floue, trouble, et encore plus meurtrière. À cette heure-ci, Soobin devait déjà être avec des camarades de sa fac à rigoler. Il le serait encore ce midi. Et même ce soir, où il irait sûrement boire un verre avec eux.

Soobin avait une vie.

Soobin s'était construit une existence à laquelle il n'appartenait pas.

Soobin n'avait pas besoin de lui.

Ici, personne n'avait besoin de lui.

Mais Taehyun, lui, il avait cruellement besoin de quelqu'un.

Il avait besoin de se sentir exister, être. C'était devenu viscéral, vital, et ça le prenait soudain aux tripes sous la forme d'une peur bleue qui l'empêchait de poser ne serait-ce que le moindre orteil en dehors de son lit.

Dehors, c'était vain.

Dehors, c'était vide.

Dehors, c'était tout le néant de son existence qu'il rendrait à nouveau réel s'il se levait.

Là, allongé dans les draps moites de son lit qui lui collaient à la peau à cause de sa transpiration, Taehyun avait l'affreuse sensation que plus rien ne l'attendait. Que s'il bougeait le moindre orteil, il se ferait aspirer par le néant de sa propre existence, et qu'il s'effacerait alors comme ça, simplement, sans que personne ne soit là pour se souvenir de lui ou le regretter.

Ses pensées s'agitèrent dans sa tête, incontrôlables, frénétiques. Il pensa à Yeonjun. Ce garçon qui avait sans aucun doute été ce qu'il avait eu le plus proche d'un ami ces dernières années, mais qui devait probablement déjà l'avoir oublié et accepté le fait qu'ils ne se verraient plus. Il pensa au gardien de prison qui s'était occupé de lui toutes ces années. Il lui avait dit qu'il ne voulait plus le revoir, lui aussi ; il l'avait déjà effacé de sa vie. Il pensa aux autres. À ceux qui l'intimidaient, ceux qui le frappaient, ceux qui l'ignoraient, ceux qui se moquaient de lui, ceux qui le blessaient, ceux qui le détruisaient, et qui pourtant lui manquaient plus que jamais.

Il pensa à sa mère.

Et il éclata en sanglots.



————◇◈◇————



Ce matin, Soobin est arrivé avec un gigantesque sourire aux lèvres.

Il ne l'a pas quitté de la journée, ses yeux pétillants de bonheur derrière sa frange trop longue, et il s'est pointé directement devant son meilleur ami pour lui annoncer la grande nouvelle, la voix pleine d'enthousiasme.

Son papa avait trouvé une nouvelle maison trop trop belle, disait-il. En plus, elle était dans un coin trop trop joli, et il y avait une super aire de jeux pour enfants juste à côté. Il allait déménager à la fin du mois, et il lui tardait de pouvoir s'installer dans sa nouvelle chambre aux murs bleu ciel, et de découvrir sa nouvelle école. Soobin avait si hâte.

Il lui promit qu'ils s'inviteraient souvent et qu'ils continueraient de se voir, mais Taehyun ne retint qu'une chose : Soobin allait partir, et il se retrouverait seul.



————◇◈◇————



Taehyun n'alla pas au travail ce jour-là.

Ni même les jours suivants.

Il fit la sourde oreille aux appels de Madame Lee, n'en ayant plus rien à faire qu'elle le licencie ou le signale aux autorités de police. Qu'elle le fasse. Peut-être qu'ainsi, ils le remettraient en prison, et il pourrait enfin oublier le vide vertigineux de son existence. Tant pis si son ancien gardien était déçu. Tant pis si on lui crachait dessus en lui disant qu'il avait gâché sa chance.

Il voulait juste oublier. Oublier quoi exactement, il ne savait pas, mais oublier.

S'oublier, peut-être.

Il osait à peine croiser son reflet dans le miroir.

Taehyun ne sortait plus non plus. Les seules fois où il avait osé poser un pied hors de son appartement, c'était pour aller acheter de l'alcool – trop d'alcool – et de quoi fumer. Ça ne s'arrêtait même plus qu'aux cigarettes. Il régnait dans son appartement la même odeur que dans celui de son enfance, et il avait beau haïr ça de tout son cœur, il n'arrivait pourtant pas à arrêter.

Parfois, quand l'alcool lui embrouillait trop la tête, il parvenait à ne plus penser.

D'autres fois, quand la réalité se faisait trop douloureuse, la drogue parvenait à la faire taire.

Il se détruisait. Et il le savait parfaitement. Quelques fois même, il se surprenait à espérer qu'il ne se réveille pas d'un de ses black out. Il n'était pourtant pas suicidaire, non ; l'idée de s'éteindre lui semblait juste à certains moments tellement plus simple que celle d'affronter qu'il n'avait presque rien, et qu'il était en train de foutre en l'air ce peu qu'il avait.

Dans la semaine, Madame Lee passa plusieurs fois, sans qu'aucune de ses fois elle ne réussisse à rentrer. Elle venait simplement toquer, et Taehyun faisait la sourde oreille. Il faisait mine de ne pas entendre les coups parfois énervés qui retentissaient contre sa porte, ou les discours mi-sévères mi-inquiets ( une inquiétude ironique quand on prenait en compte ce qu'elle lui faisait vivre depuis leur rencontre ), ou même encore les moments où elle menaçait d'appeler la police pour le sortir de force de cet appartement. Taehyun les attendait.

L'autre matin, il avait même retrouvé posé devant sa porte un sac de courses, accompagné d'un mot griffonné de l'écriture nerveuse de la vielle femme qui lui rappelait qu'il ne fallait pas qu'il boive trop, ni qu'il ne fume trop, parce que c'était mauvais pour lui. Taehyun avait envie de lui rire au nez. Mais il était trop amer envers lui-même pour se permettre ce genre de sarcasme. Elle pouvait s'inquiéter tant qu'elle voulait, il n'en avait rien à faire, et il n'était pas prêt de lui ouvrir. Il faisait de toute façon trop pitié à voir pour avoir envie de se confronter à qui que ce soit, ni même à son propre reflet.

Allongé dans les draps défaits de son lit, le regard rivé sur le plafond et sa tête le lançant dangereusement, il tentait en vain de faire taire ses pensées. Il était dans une de ces phases qu'il détestait : celle où après s'être mis mal au point de ne plus se souvenir que de la moitié de ce qu'il avait fait, l'alcool dans son sang redescendait lentement. Ce n'était pas tant le mal de tête assommant qui le dérangeait ; c'était son esprit qui se mettait à fuser dans tous les sens sans qu'il ne puisse rien y faire. Dans ces moments-là, tout lui revenait à la figure. Sa mère. Ses regrets. Sa jeunesse qu'il n'avait pas vécue, ou du moins pas correctement. Son propre échec de ne pas savoir rester fort et saisir l'opportunité de nouvelle vie qu'on lui avait offert. Son propre comportement pathétique.

Il se redressa dans un grognement douloureux. Tout son corps le faisait souffrir et le moindre mouvement était un effort, mais il ne voulait pas rester comme ça : il lui fallait de quoi boire, maintenant, tout de suite, et faire taire ces pensées qui venaient dangereusement le heurter à une réalité qu'il ne voulait pas regarder. D'un geste nerveux, il se dirigea vers le pack d'alcool qu'il avait acheté deux jours plus tôt, et qu'il n'avait même pas pris la peine de ranger dans un placard. Il sentit tout son corps se crisper en réalisant que la seule bouteille qui y restait était vide. Par réflexe, son regard balaya sa chambre, et il essaya de faire fi de l'état déplorable de cette dernière qui criait son mal-être pour chercher une bouteille encore pleine qu'il aurait posé aléatoirement quelque part. Il n'en vit pas. Il n'y avait plus que des cadavres qui gisaient çà et là, complètement vides.

Une vague d'angoisse lui monta à la gorge à cette constatation, et il s'empressa de s'agenouiller pour la réprimer. La main sur le cœur, il l'écoutait accélérer inéluctablement, tentant de le ralentir sans réussir à faire autre chose que le contraire.

Dans sa tête, les pensées fusaient.

Encore.

Toujours.

Tous les regrets de sa piètre existence lui revenaient à la figure.

Et il ne le supportait pas.

D'un geste plus nerveux que réellement contrôlé, il se releva d'un coup, et dû se tenir au mur à côté de lui pour ne pas tomber sous la baisse de tension qui lui noircit la vue. Le monde autour de lui sembla se mettre à tanguer, sa tête le lança plus fort que jamais, puis petit à petit, tout se stabilisa de nouveau. Il resta un instant à souffler adossé contre le mur. Le vertige finit alors par passer, et sans attendre, il enfila sa veste après avoir vérifié que son porte-monnaie s'y trouvait bien. Il fallait qu'il se rachète de quoi boire. Tout de suite. Ça lui paraissait absurdement vital.

Il galéra un instant à tourner sa clé dans sa serrure avec ses gestes nerveux et saccadés, puis mis enfin un pied en dehors de son appartement. Cela faisait tellement longtemps qu'il ne l'avait pas quitté que la seule lumière du couloir qui détonnait avec celle de ses stores à moitié fermés l'ébloui. La petite voix vicieuse dans sa tête ne manqua pas cette occasion pour lui rappeler à nouveau à quel point il était pathétique, et cela suffit à renforcer son envie de boire jusqu'à ne plus penser.

Sans attendre, il referma sa porte derrière lui et se fit violence pour prendre le temps de tourner la clé dans la serrure, ayant juste envie de partir le plus vite possible. Il fourra négligemment son trousseau dans sa poche après ça, puis fit volte face et commença à détaler l'escalier en ignorant la douleur qui lui prenait ses muscles ankylosés à chacun de ses mouvements, sa main glissant le long de la rampe pour garder un point d'ancrage.

Et puis il se figea.

D'un coup, comme ça, le regard braqué sur le bas de l'escalier.

Ou plutôt, sur la personne qui le montait.

Il se demanda un instant s'il n'était pas encore sous l'emprise de stupéfiants, et s'il n'était pas simplement en train de délirer. Il n'y avait aucune, mais absolument aucune raison que Soobin se trouve là, devant lui, à le regarder avec des yeux surpris, alors même qu'il ne lui avait jamais dit où il habitait.

Ça devait être une hallucination. Il n'y avait pas d'autre explication.

Et pourtant, la surprise passée, le Soobin face à lui prit la parole :

— Taehyun ?

Son regard glissa sur le corps de celui-ci, avant de remonter sur son visage dans un petit froncement de sourcil inquiet.

— Oh merde, Taehyun.

Taehyun le regarda franchir les marches qui les séparaient sans vraiment réaliser, hagard, et ce fut seulement lorsque le plus grand posa sa main sur son front comme pour prendre sa température qu'il percuta.

— Tu vas bien ?
— Qu'est-ce que tu fais là ? répliqua-t-il d'une voix inhabituellement rauque après ces jours de silence.

Soobin retira sa main face au mouvement de recul de Taehyun, puis répondit sans se défaire de sa mine anxieuse :

— Je voulais passer te voir au restaurant. Ta patronne m'a demandé de venir ici, parce que soi-disant tu l'ignorais et qu'elle était inquiète.

Il fronça un peu le nez, puis rajouta d'un ton paradoxalement doux :

— Elle a eu raison, apparemment. Tu pues l'alcool.

Taehyun le regarda sans le voir. Ça n'était pas possible. Il ne pouvait pas être là, devant lui, pour lui. Il n'était qu'une connaissance ; pas un ami.

Soobin n'avait rien à faire là.

Et puis, soudain, ses pensées vicieuses fusèrent à nouveau. Il prit conscience de l'état dans lequel il se présentait à l'étudiant, de ses cheveux probablement mal coiffés et qui auraient sérieusement besoin d'un lavage, de sa tenue ridicule qui criait qu'il n'était pas sorti de son appartement depuis des jours, de son regard probablement fatigué et cerné et de son corps secoué aléatoirement par des tremblements nerveux.

Il était lamentable.

Pathétique.

L'idée que Soobin le voit ainsi lui parut soudain insupportable, et il fit brutalement demi-tour pour retourner s'enfermer dans son petit appartement et se cacher du monde extérieur. C'était sans compter sur le réflexe certes tardif du plus grand, mais qui s'engagea à sa suite juste après en l'interpellant. Taehyun n'eut pas le temps de s'enfermer dans son studio que Soobin avait déjà posé un pied pour bloquer la porte.

— Taehyun, s'il te plaît, arrête ça. Je veux juste te parler. Je... Je peux peut-être aider.
— Dégage !
— Taehyun...
— Fiche moi la paix ! T'as rien à faire là ! Retourne vivre ta vie e-et laisse moi...

Il ne termina pas sa phrase, sa voix mourant dans sa gorge pour se muer en un sanglot qu'il ne parvint pas à retenir.

C'était trop.

Beaucoup trop.

Ses pensées ne le lâchaient pas et ne cessaient de lui rappeler à chaque instant à quel point il était lamentable, et l'idée que Soobin en soit témoin aussi, alors qu'il avait été la seule personne qui avait pu le raccrocher un minimum à sa nouvelle réalité, était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.

Taehyun était à bout.

Épuisé. Exténué.

Dos à la porte qu'il maintenait pour empêcher Soobin de constater l'état de son logement aussi tristement déplorable que lui, il se laissa glisser jusqu'à terminer accroupi, incapable de contenir les larmes qui roulaient sur ses joues, et ses sanglots qui furent bientôt le seul son qui retentissait dans la cage d'escalier.

Il y eut un instant de silence.

Puis, plus doucement, Soobin retenta de pousser la porte, et Taehyun le laissa cette fois-ci faire, n'ayant de toute manière pas la force de le retenir.

— Merde, Taehyun...

La voix de Soobin s'était faite basse, presque inaudible, d'une douceur que l'autre n'avait pas entendu depuis des années. La tête cachée dans ses genoux, il n'était plus capable de répondre quoi que ce soit, de toute façon. Sa gorge était si nouée qu'il avait l'impression d'être devenu muet, la douleur qui lui étreignant le cœur l'empêchait de penser à autre chose qu'aux pleurs qui le secouaient.

Il sentit à peine la main de Soobin venir se poser sur son dos, incertaine, et sa voix douce tenter d'un ton maladroit mais qui se voulait rassurant :

— Je suis là... Ça va aller, ok ?

Taehyun ne répondit rien. Il se contenta à la place de se fondre dans les bras de Soobin qui le réceptionna gauchement, et de laisser sortir toute sa peine en s'accrochant à lui comme on s'accroche à la vie.



————◇◈◇————



Ce matin, assis sagement à son bureau, Taehyun ne chahute pas. Il ne se retourne pas toutes les deux secondes pour discuter avec son voisin de derrière, il ne gesticule par pour lui faire passer des petits dessins, et il ne pouffe pas en tentant vainement d'être discret.

Et pour cause ; il n'y a plus son ami assis au bureau derrière lui.

La place est vide. Soobin a déménagé il y a déjà deux semaines.

Depuis, à la fois pas grand chose et beaucoup de choses ont changé. Le petit Taehyun reste toujours assis calmement lors des récréations au lieu de se joindre à ses camarades qui jouent au loup, mais maintenant, il est assis tout seul. Il a toujours hâte d'aller à l'école le matin, mais ce n'est plus pour voir son ami : c'est désormais uniquement pour échapper un peu aux colères de sa maman, qui lui font de plus en plus peur. Il n'a même plus la maison de Soobin pour se réfugier de temps en temps. Il ne pleure plus, non plus, ou en tout cas il n'y a plus personne pour en être témoin. La plupart de son temps, il le passe à contenir la douleur de son petit corps et ses émotions négatives.

Soobin lui manque. Le papa de son ami aussi, lui manque. Quand il était avec lui, Taehyun avait l'impression que rien ne pouvait lui arriver.

Maintenant, quand sa maman vient le chercher à l'école, il a autant peur de rentrer avec elle qu'il ne l'aime.



————◇◈◇————



— Voilà. C'est déjà plus agréable, comme ça.

Soobin prononça ces mots après avoir ouvert en grand la fenêtre du petit appartement de Taehyun, et ce dernier frémit en sentant l'air qui s'était rafraîchi en ce début de mois glisser contre sa peau encore humide. Il ne portait qu'un simple tee-shirt à manches courtes après sa douche, et aurait sûrement besoin d'aller chercher un pull dans ses affaires s'il ne voulait pas attraper froid ; il n'en fit rien.

Son regard balaya l'unique pièce à vivre de son appartement, quelques minutes plus tôt encore dans un bordel monstre, et maintenant presque impeccable. Hormis les deux gros sacs poubelles posés près de la porte, plus rien ne laissait voir le désastre qui avait régné avant : son lit était fait, son bureau dégagé, sa vaisselle lavée, ses placards rangés... Soobin avait été rapide. Très rapide. Maintenant que son trop plein d'émotions était sorti, il se sentait franchement gêné de tout ce qu'il faisait vivre à l'autre garçon.

— Tu n'avais pas à faire tout ça, murmura Taehyun en croisant les bras contre son torse pour se protéger du froid. J'aurais pu m'en charger.

Soobin haussa simplement les épaules, comme si ce n'était rien. À la place, il s'enquiera en s'approchant de lui :

— Ça va mieux ?

Taehyun hocha la tête. Même son mal de crâne était presque parti, et il ne lui restait de désagréable plus que le profond malaise qu'il ressentait vis-à-vis de l'étudiant. Ce dernier devait être là depuis déjà une bonne heure. Quand Taehyun avait eu fini de pleurer dans ses bras, il avait insisté pour rester et l'aider à ranger, avant de l'inciter très fortement à aller se prendre une douche. Résultat, le temps qu'il se lave, Soobin avait tout nettoyé tout seul.

Taehyun avait la désagréable impression d'abuser de sa gentillesse.

— Ça va mieux, confirma-t-il finalement à l'oral. Excuse-moi pour... Tout ça.
— Ne t'excuse pas. Ce n'est pas de ta faute.

Taehyun se retint de lui dire que quelque part, si, c'était totalement de sa faute. Qu'il était totalement conscient qu'il se foutait en l'air quand il avait commencé à le faire. Qu'il n'avait juste pas voulu luter contre son envie de tout abandonner, de tout foutre en l'air, et qu'il avait préféré se replonger dans les mêmes merdes qui lui avaient détruit son adolescence.

Il garda tout cela pour lui.

Il savait très bien que Soobin lui répondrait probablement un truc du style « tu n'as pas choisi d'aller mal », et il n'avait aucune envie d'avoir à répondre à ce genre de phrase. Il n'avait jamais su comment y réagir.

Un court silence s'installa alors. Il se détourna du regard de l'étudiant, et attrapa un sweat dans son armoire pour l'enfiler, ses muscles douloureux se dénouant un tout petit peu sous la chaleur du tissu qui faisait barrière à l'air frais. Il hésita, avant de lâcher :

— Je ne vais pas te déranger plus longtemps. Tu peux y aller.
— Tu ne m'embête pas.
— T'as compris ce que je voulais dire.

Soobin le regarda d'un drôle d'air. La tête penchée sur le côté, la mise anxieuse et les sourcils inclinés dans un angle préoccupé, il semblait se poser mille questions. Et honnêtement, il y avait de quoi. Arriver pour voir un pote et le retrouver en pleine gueule de bois pour qu'il termine par pleurer dans ses bras dans un appartement aux allures miteuses, ce n'était sûrement pas ce à quoi il s'était attendu quand il avait décidé de venir rendre visite à Taehyun. Ce dernier ne pouvait pas lui en vouloir d'être un petit peu inquiet.

Après un nouveau court blanc, Soobin finit par rompre une nouvelle fois le silence, désignant d'un geste incertain un petit sac posé sur le bureau auquel Taehyun n'avait pas fait attention en sortant de la douche.

— Taehyun, c'est de la drogue ça, non ?

Le concerné se raidit. Il ne trouva rien à répliquer. Et au fond, si l'étudiant allait le dénoncer, il n'avait aucun droit de se plaindre : il l'avait bien cherché.

— Oui, répondit-il donc simplement.
— Tu l'as trouvé où ?
— Je ne pense pas que tu aies besoin de le savoir.

Soobin fronça un peu les sourcils.

— Tu sais que c'est illégal ?
— Oui, merci, je sais. Je dois quelques mois de taule à cette merde.

Le silence prit place à nouveau. Taehyun avait presque envie de pleurer. Encore. S'il pensait que c'était passé après qu'il ait sangloté durant de bonnes minutes dans les bras du plus grand, il se fichait apparemment un doigt dans l'œil. Là, à l'instant, la seule idée que Soobin ne s'enfonce un peu plus dans ses conneries lui nouait la gorge. Il aurait dû s'en douter, pourtant. Le laisser ranger son appartement ainsi, c'était évident qu'il allait tomber dessus.

— Taehyun, l'appela Soobin d'une voix plus douce en voyant ses yeux se troubler.

Il osa à peine croiser son regard, trop honteux de lui-même. L'étudiant s'approcha, interdit, et il le laissa faire lorsqu'il posa une main maladroite sur son épaule pour le réconforter – ou pour l'inciter à le regarder, il ne savait pas trop.

— Je ne vais pas te dénoncer, reprit Soobin. Je me demande juste... Pourquoi t'en as repris, si tu sais que ça peut te renvoyer en prison.

Les épaules de Taehyun s'affaissèrent, défaitistes. Il riva ses yeux sur le sol pour ravaler les larmes qui lui montaient aux yeux.

Il avait envie que Soobin parte ; il voulait pouvoir pleurer seul, caché, sans que personne n'en soit témoin. Il s'était déjà bien trop montré vulnérable.

Il avait envie que Soobin l'oublie ; pas seulement lui, le monde entier. Ça ne faisait pas tant de personnes que ça, après tout. Et ainsi, il pourrait terminer de se détruire, sans n'avoir de compte à rendre à personne, et sans que quiconque ne puisse le regretter d'une quelconque manière, sans que quiconque ne puisse l'accabler de reproches ou de regrets.

Il avait envie que Soobin reste.

Il avait envie qu'il le prenne dans ses bras à nouveau, qu'il le rassure, qu'il lui dise que les choses allaient s'arranger, et qu'il avait une place dans sa vie, à défaut d'en avoir une dans la société. Qu'il comptait pour lui. Qu'il l'aimait toujours autant qu'il avait aimé le petit Taehyun assis dans la cour de récréation. Et qu'il serait là pour lui, qu'il ne l'abandonnerait pas.

Ces envies paradoxales se bousculaient si fort en lui qu'il en avait presque le vertige.

Il ferma les yeux un instant pour tenter de réguler le flot d'émotions qui lui montait à la gorge puis, finalement, il avoua simplement dans un souffle :

— Ça ne va pas, en ce moment.
— J'ai cru remarquer.

Taehyun eut un sourire amer.

Il tourna la tête pour porter son regard vers le bout de ciel qui s'assombrissait derrière la fenêtre, et songea à tous ces gens, ailleurs, qui devaient vivre d'autres vies, d'autres joies, d'autres tracas, et pour qui il n'existait pas.

La voix de Soobin le sortit de ses pensées avant qu'elles ne sombrent à nouveau :

— Tu peux me raconter, si tu veux.

Il se retourna vers lui, le cœur lourd et fatigué.

— Te raconter quoi ?
— Je sais pas. Ce qui ne va pas. Ce que t'as vécu pendant qu'on s'est perdus de vue. Ou même ce que t'as mangé ce midi, ou je ne sais quoi d'autre. Tout ce que tu veux.

Taehyun ne répondit pas tout de suite.

Ses pensées dérivèrent à nouveau sur les milliers de vies dont il ne savait rien à et auxquelles il n'appartenait pas, avant de s'arrêter sur l'image de Soobin.

Sa présence dans l'appartement lui parut alors plus claire que jamais ; il était là.

Dans sa vie à lui.

Tout comme quelque part, Taehyun avait plus ou moins malgré lui déjà une place dans celle du plus grand.

Alors, après tout, pourquoi pas ?



————◇◈◇————



Le petit Taehyun n'est plus si petit que ça.

Il a quitté l'école pour le collège, et maintenant, sa mère n'est plus obligée de l'amener tous les matins devant son établissement. Taehyun n'en est pas mécontent : il préfère mille fois les bus scolaires à la voiture horriblement petite dans laquelle il se retrouve coincé avec elle dès qu'ils doivent aller quelque part. La dernière fois qu'il est monté dedans, sa mère s'est énervée fort, très fort, et l'a forcé à descendre pour le laisser sur le bord de la route. Il est chaque fois terrifié à l'idée qu'elle recommence, et que, cette fois-ci, elle ne revienne pas le chercher.

Au collège, Taehyun n'étudie pas. Ou plutôt, il n'étudie plus. S'il se donnait à fond en maternelle et à l'école primaire pour obtenir des bons résultats, c'était uniquement parce qu'après, sa maman lui souriait et lui passait tendrement la main dans les cheveux, avant de lui murmurer qu'elle était fière de lui. Maintenant, sa mère n'en a plus rien à faire. Alors lui non plus, il n'en a plus rien à faire, de réussir ou pas.

Il préfère passer du temps avec ses nouveaux amis. Ils ne sont pas Soobin ; il ne l'a revu qu'une fois après son déménagement, et cela remonte déjà à plusieurs années. Ce sont des gens de sa classe, pour certains, avec qui il chahute au lieu de travailler. Pour d'autres, ce sont des élèves des classes plus hautes, avec qui il traîne parfois le soir quand il a trop peur de rentrer.

L'autre jour, il a même suivi un groupe de lycéens ; ils l'ont emmené à une soirée, à laquelle ils ont tous bus le même liquide malodorant que sa mère s'enfile matin et soir. On lui en a proposé. Et il a accepté. Il avait peur que s'il se montrait trop coincé, les lycéens ne veuillent plus de lui : il avait déjà eu du mal à se faire accepter, jeune collégien qu'il était.

Et puis, au milieu de tout ça, il y a sa maison. Sa maison, c'est devenu le lieu le plus terrible du monde. Même ses cauchemars font pale figure à côté de la terreur blanche qui lui remonte le long de la colonne vertébrale lorsqu'il gravit les escaliers qui le mènent à ce petit appartement. Chaque fois qu'il arrive devant la porte, Taehyun s'arrête. Il hésite à faire demi-tour. À repartir, n'importe où, à n'importe quel endroit, mais dans un endroit où elle ne serait pas là. Il se fige parfois de longues secondes, comme ça, en plein milieu de la cage d'escalier ; mais il finit toujours par rassembler tout son courage pour abaisser la poignée.

Parce qu'il n'a nulle part où aller, et qu'il est encore bien trop jeune pour se débrouiller tout seul.

Parce qu'il est terrifié à l'idée de perdre ses repères, même si ceux-ci sont destructeurs et blessants.

Et parce qu'au fond, il espère toujours qu'un jour, la femme qu'il trouvera dans le salon sera redevenue sa Maman comme par magie.

Ce n'est plus jamais le cas. Ou du moins, Taehyun ne le ressent plus jamais ainsi. Il sait que la douceur d'une caresse contre sa joue sera suivie de la brûlure d'une gifle. Il sait que la chaleur d'un regard sur lui sera suivi de la brutalité d'une crise de colère. Il sait que la tendresse des mots doux sera suivie de la violence aiguisée des insultes.

Alors, Taehyun, il préfère être invisible.

Quand il pousse la porte de son appartement, il prie toujours pour qu'elle ne grince pas, et que le bruit n'attire pas l'attention de sa mère. Lorsqu'il se glisse discrètement à l'intérieur, il prie pour qu'elle soit à nouveau trop sous l'emprise de substances pour faire attention au monde qui l'entoure ; il n'y a rien de pire que les moments où elle redevient sobre, et où elle pique alors des crises de colère terrifiantes. Il se faufile jusqu'à sa chambre, le plus rapidement possible, et y attend alors sans bouger ni même oser respirer l'heure fatidique du repas.

Parfois, cette heure ne vient pas. Sa mère oublie de manger, et il peut alors rester caché sous sa couette jusqu'au lendemain, où il quitte la maison avant qu'elle ne se réveille qu'importe l'horaire auquel il commence les cours.

La plupart du temps, les repas sont des tortures. Taehyun est silencieux. Il n'ose rien dire. Il n'ose ni remonter le regard, de peur de la voir, ni le baisser, de peur de provoquer sa colère. Il mange en silence, lentement, la nourriture souvent pas très bonne qu'elle lui sert. Et s'il a le malheur de ne pas terminer son assiette, elle le gronde très fort, lui répétant son discours sur le gaspillage qui n'est qu'un énième prétexte pour se défouler sur lui. Parfois, même son silence est une bonne raison pour le frapper. Taehyun a peur qu'un jour elle saisisse un de ces couteaux brillants rangés sur le plan de travail, et qu'elle ne lui fasse vraiment très mal.

Le matin, avant d'aller en cours, il est souvent obligé de passer par la salle de bain pour camoufler du mieux qu'il peut ses bleus ; il se souviendra toujours du jour où un enseignant a remarqué un hématome sur sa joue et l'a fait remarquer avec inquiétude à sa mère, et de la terrible colère qui a suivi. Depuis, il prend un soin tout particulier à camoufler les marques qu'elle lui laisse. Il n'a pas envie de revivre cette scène où elle s'est énervée, déchaînée, lui disant qu'il ne se rendait pas compte, qu'il ne réalisait pas bien, et que s'il continuait à aller se plaindre comme ça, ils allaient les séparer, et qu'elle lui en voudrait beaucoup, parce qu'elle l'aimait, merde, elle l'aimait.

Taehyun se souvient s'être fait la réflexion que si elle l'aimait aussi fort qu'elle le frappait, alors elle devait en effet vraiment beaucoup l'aimer.

Quand la douleur est trop grande, il y pense parfois, et il se réconforte en se disant qu'au moins elle l'aime, et que c'est déjà ça.

Mais ça ne parvient plus à étouffer la peur qui l'accompagne à chaque fois qu'il la voit.

Ça ne parvient plus à étouffer cette envie de fuite qui lui prend aux tripes dès qu'il entend sa voix.

Taehyun a tellement peur d'elle qu'il n'a plus le temps de pleurer sa gentillesse passée.



————◇◈◇————



Debout devant la petite devanture du restaurant de Madame Lee, Taehyun n'osait pas entrer.

À l'intérieur, il voyait le monde s'agiter : les horaires de services avaient déjà commencé, et les clients affluaient par ce beau temps de ciel bleu. Il se demanda si sa patronne s'en sortait, toute seule. Parfois, à travers la vitre, il la voyait passer en salle pour déposer des commandes, et il se sentait alors un peu coupable de la laisser gérer tout ça, alors même qu'il avait promis à Soobin qu'aujourd'hui il retournerait travailler.

Sauf qu'il n'y arrivait pas.

Il ne savait pas pourquoi, ses pieds restaient encrés profondément sur le sol, et il se retrouvait incapable de faire quoique ce soit d'autre que de regarder, le cœur battant toujours aussi désagréablement dans sa poitrine, son lieu de travail vivre et évoluer sans lui. Si raconter son passé à Soobin l'avait déchargé d'un poids évident, ça n'avait vraisemblablement pas effacé tous ses problèmes comme par magie.

Il avait toujours l'impression que le monde entier ne voulait pas de lui. Que si il s'y confrontait, il ne parviendrait pas à y résister. Il avait peur du regard que Madame Lee porterait sur lui, des reproches qu'elle lui adresserait, de ce qu'elle pourrait bien lui dire. Qui sait, peut-être même lui annoncerait-elle qu'il était viré. Après tout, elle avait toutes les raisons de le faire.

Un frisson désagréable remonta le long de son dos, et Taehyun prit une profonde inspiration pour ravaler la vague d'angoisse qui lui monta à la gorge d'un seul coup.

Il avait l'impression de se retrouver à nouveau devant la porte de son appartement, au collège, quand sa vie ne se résumait pas encore à des barreaux et des fenêtres blindées. La situation n'avait pourtant à première vue pas grand-chose à voir : si Madame Lee ne s'était pas montrée des plus agréables avec lui, elle ne l'avait jamais frappé pour autant. Ce n'était pas non plus son foyer, simplement son lieu de travail. Et surtout, Taehyun n'était plus un jeune adolescent incapable de se débrouiller tout seul : il était maintenant un adulte libre d'agir.

Mais voilà, derrière la porte, il y avait une femme.

Et il était terrifié à l'idée qu'elle ne l'aime pas.

Il ne savait pas quand est-ce que l'angoisse qu'il portait vis-à-vis de sa mère dans sa jeunesse s'était transposée sur Madame Lee, mais ça lui donnait soudain le vertige.

Il s'empressa de tourner les talons, et, les gestes parasités de tremblements nerveux, sortit son téléphone pour appeler la seule personne avec qui il avait l'impression d'avoir le droit d'exister.


————◇◈◇————


— Je te dérange encore.
— Je t'ai déjà dit que tu ne me dérangerais pas.
— Tu étais avec un ami...
— Kai devait bientôt partir. T'en fais pas, je te dis.

Soobin le laissa rentrer, et referma la porte derrière eux. Taehyun s'avança alors avec hésitation dans ce qui était le lieu de vie de l'étudiant, laissant glisser son regard un peu partout. L'appartement de Soobin était bien plus grand que le sien. Plus lumineux, aussi. Un grand salon faisait office de pièce principale, avec non loin une cuisine ouverte à l'américaine parfaitement rangée. Un peu plus loin, un couloir partait, et Taehyun supposa que la chambre de son ami et de ses colocataires – absents à cette heure-ci de la journée – devaient se trouver par là.

— Tu veux boire un truc ?

Il réorienta son attention sur le plus grand, puis secoua négativement la tête.

— Sûr ? J'ai du coca, du jus de fruit, et même un peu de thé glacé.
— Sûr. Ça ira, merci.

Soobin haussa les épaules, puis repartit dans le frigo pour se servir un grand verre de jus d'orange. Taehyun se garda bien de lui faire remarquer qu'il ne dirait pas non à un peu d'alcool. Il avait cruellement envie de s'embrumer la tête jusqu'à ne plus être capable de penser.

Mais le plus grand revenait déjà vers lui, et il l'invita à se poser sur le canapé, sur lequel ils s'assirent tous les deux.

— Bon, commença Soobin en reposant son verre après l'avoir bu à une vitesse ahurissante. Dis moi.
— Y a pas grand-chose à dire. J'ai paniqué et j'ai pas réussi à aller au boulot.
— Pourquoi ?
— Je sais pas. J'avais peur.

Peur d'être encore rejeté. Peur de constater n'avoir aucune valeur dans les yeux de Madame Lee. Peur de ne pas être aimé.

Soobin hocha simplement la tête, sans rien rajouter. Il se laissa tomber contre le dossier du canapé, et tourna la tête vers Taehyun.

— En tout cas, je suis content que tu m'aies appelé au lieu de rentrer seul chez toi.
— Tu n'es pas obligé de mentir. T'as sûrement autre chose à faire que d'entendre un type te raconter ses problèmes.
— Pas quand ce type est mon ami d'enfance.

Un silence succéda à ces mots, inconfortable. Gêné, Taehyun détourna le regard, et posa sa main sur sa jambe pour l'empêcher de tressauter nerveusement. Il ne savait jamais quoi dire quand le plus grand lui disait ce genre de choses : ça avait été la même chose il y a deux jours. Après avoir entendu toute son histoire, Soobin l'avait pris dans ses bras, et lui avait sortit tout un discours maladroit comme quoi il était son ami et qu'il pouvait venir lui parler dès qu'il en ressentait le besoin, auquel Taehyun n'avait rien répliqué. Il avait toujours du mal à croire au fait que l'étudiant soit réellement importé par ce qu'il devenait. Après tout, ils s'étaient revus si peu de fois, comparé aux années durant lesquelles ils s'étaient perdus de vue...

— Je suis sincère, lança alors la voix de Soobin face à son silence, et Taehyun haussa simplement les épaules.

Aucun des deux ne rajouta quelque chose pendant les secondes qui suivirent. Soobin regardait Taehyun comme s'il cherchait à décoder une énigme mathématique en ce dernier, et Taehyun fuyait obstinément son regard, les yeux rivés sur le ciel éclatant de cet après-midi, à se demander qu'est ce qu'il foutait là. Appeler Soobin lui avait peut-être semblé être une bonne idée. Maintenant, il avait juste l'impression de le déranger.

Il était à nouveau confronté au paradoxe de son envie de le voir et de rester avec lui qui se heurtait à celle qui lui criait qu'il était mieux seul et qu'il n'avait pas à infliger tout ça à quiconque.

Ce fut Soobin qui rompit à nouveau le silence, et Taehyun sursauta presque lorsque celui-ci lui fourra une manette dans les mains.

— Tiens, tant que t'es là, lança alors Soobin comme si de rien était, on a qu'à jouer un peu. Tu connais Mario Kart ?

Il le regarda d'un air étonné, sans savoir quoi faire de la manette qu'il connaissait bien sûr de vue mais à laquelle il n'avait jamais vraiment eu l'occasion de toucher plus tôt. Puis, lentement, il hocha simplement la tête, et ils se mirent à jouer tout l'après-midi, sans réaborder une seule fois la raison originelle de la venue de Taehyun.

Plus tard dans la soirée, ils étaient tous les deux allongés sur le canapé, vautrés contre les accoudoirs. Taehyun avait replié ses jambes pour laisser la place à celles immenses de l'étudiant, et il jouait en gagnant course sur course sous les lamentations de Soobin qui ne comprenait pas comment il avait pu dépasser ses années d'expérience en une seule après midi. La réponse était toute simple : Soobin était un piètre joueur. Sa maladresse qu'il se traînait dans la vraie vie l'accompagnait jusque dans sa façon de conduire ces petites voitures, et il ne se passait pas cinq virages sans qu'il ne se prenne un mur, sous le sourire détendu de Taehyun.

Ça faisait longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi bien, d'ailleurs, Taehyun.

Il avait beau avoir la tête toujours lourde et le cœur toujours un peu douloureux, pour la première fois depuis qu'il était sorti de prison, il avait la sensation qu'il avait sa place, ici, aux côtés du garçon qui avait été son meilleur ami d'enfance. Il aurait voulu arrêter le temps pour ne jamais avoir à quitter cette bulle de bien-être qui le protégeait de la réalité.

Soobin se prit un énième mur, et franchit la ligne d'arrivée plusieurs bonnes secondes après Taehyun, avant que sa voix ne s'élève doucement :

— Tu sais, Taehyun, je suis désolé aussi.

Le concerné releva la tête vers lui, confus.

— Pourquoi tu le serais ?
— J'aurais dû plus insister pour que tu me parles des raisons qui font que tu en est arrivé là.

Il ne répondit pas tout de suite. Son regard détailla le visage pâle de l'étudiant, et il croisa son regard, ne le détournant pas cette fois-ci. Les yeux de Soobin étaient sincères.

— Je me serais braqué, affirma-t-il finalement.
— Mais peut-être que j'aurais pu t'aider avant que tu ne fasses ta... Ta crise, je sais pas trop comment appeler ça...

Taehyun secoua négativement la tête.

— Tu n'as rien à te reprocher, Soobin, rien du tout. C'est déjà beaucoup pour moi que tu sois là.

Merci infiniment.

Car, Taehyun le réalisait, Choi Soobin était en train de le sauver.



————◇◈◇————



Le petit Taehyun a encore grandi, et maintenant, il n'est plus petit du tout.

Il arrive à la fin de son collège. Et il a cessé de s'effacer pour devenir le garçon qui se fera embarquer par la police pour la première fois dans quelques semaines, puis pour la dernière dans quelques mois.

Le Kang Taehyun qu'il est devenu aujourd'hui est un garçon insolent, inconscient, imprudent. La question n'est même pas qu'il n'étudie plus : il ne va simplement quasiment plus en cours. Ses journées, il les passe à errer dans les rues, en compagnie de groupes de gens souvent plus âgés, qui traînent dans des trucs souvent pas très légaux. Il se moque bien de ce que peuvent dire ses professeurs de ses absences répétées ; ce n'est de tout de manière pas comme si la femme qui lui avait donné la vie en avait quelque chose à faire. Quand ils l'appellent, elle s'énerve, elle lui crie dessus, elle le frappe, puis elle oublie. Taehyun n'en est plus à quelques coups près.

Et puis, de toute façon, il est de moins en moins chez elle. Dès qu'il peut, il va dormir chez un de ses amis, ou même chez des types qu'il connaît à peine. Ça lui est déjà arrivée qu'une de ces nuits tourne mal et qu'il prenne peur en partant, mais cette peur n'est de toute manière pas grand-chose à côté de celle qui l'a hanté toute son enfance.

Taehyun déteste repenser au gamin qu'il a été.

Plus que tout, il déteste penser qu'il a pu un jour aimer sa mère.

Maintenant, ça lui semble inconcevable. Il la hait de toute son âme, et il a perdu toute tendresse envers elle. Entre les coups, les insultes, les fausses caresses et les fausses excuses, tout l'argent qu'elle a liquidé dans l'achat de drogues et d'alcool qui aurait dû lui servir à se construire un avenir, les promesses en l'air comme quoi ça allait s'arranger, comme quoi elle allait changer, comme quoi elle l'aimait, il n'en veut plus. Taehyun a mille raisons de la détester. Et il le fait très bien, désormais. Du moins, c'est ce dont il se convainc.

Il s'en sort sans elle. Il a rencontré ce type, qui lui donne de l'argent en échange de livraisons. Alors Taehyun fait du trafic de drogue, pour amasser un pactole qui lui permettra de quitter définitivement son foyer familial le plus vite possible. Parfois, quand il est entouré de certains amis, il en consomme. Il est beaucoup trop jeune, bien entendu ; à quinze ans, on n'a pas un organisme conçu pour résister à ce genre de conneries. On ne l'a jamais. Il a des maux de tête, souvent, et ça lui est arrivé plus d'une fois de recracher le contenu de son estomac suite à une prise incontrôlée ou à un abus d'alcool. Il boit aussi énormément. Et il se hait de le faire.

Le soir, Taehyun traîne dans des petits bars pas nets, où il lui arrive souvent de se bagarrer avec d'autres gens dans une ruelle pour une raison x ou y. Maintenant, elle n'est plus la seule à laisser des hématomes sur son corps. Il lui arrive de le prendre comme une victoire. C'est absurde, mais Taehyun aime bien se battre. Il aime pouvoir se défouler sur telle ou telle personne, tout comme il aime l'adrénaline qui le prend aux tripes lorsqu'il se prend un coup, et qui le fait se sentir vivant.

Il est impulsif, violent, blessant.

Malheureux.



————◇◈◇————



— J'ai parlé à ta patronne. Elle a dit que ce n'est pas grave si tu ne viens pas bosser quelques jours, le temps que tu te remettes et que tu ailles mieux. T'en fais pas pour ça.
— Tu as quoi ?

Taehyun, alors en train de ranger les courses dans son placard, releva le regard sur Soobin, ahuri.

— Je n'aurais pas du ? rétorqua simplement celui-ci d'un air embêté.
— Tu n'avais pas à le faire.
— J'ai pensé que ça pourrait t'aider. Désolé.

Taehyun ne répondit rien. Il secoua la tête de droite à gauche pour lui-même, et termina de fourrer les dernières courses dans son garde manger.

Soobin le dépassait. L'attention qu'il mettait à l'aider à remonter la pente le dépassait, surtout. Tous les soirs, il lui envoyait un message, pour savoir comment il allait. Il passait parfois à l'improviste, lui proposait de l'aide pour telle ou telle tâche – comme aujourd'hui où il l'avait traîné aux courses –, et ne se formalisait jamais des moments où Taehyun l'envoyait gentiment balader parce qu'il avait besoin de solitude, lui rappelant simplement de ne pas trop boire et d'encore moins toucher à une quelconque drogue. Il faisait preuve d'une compréhension et d'une patience étonnante : cela faisait déjà plus d'une semaine depuis qu'il l'avait découvert en loque sur son pallier, mais rien dans son attitude ne montrait une quelconque envie de passer à autre chose. Il se contentait d'être là. Parfois, ils discutaient de tout autre chose. Parfois, au contraire, ils ne parlaient de rien, et restaient ensemble en silence. D'autres fois encore, plus rarement, Taehyun s'ouvrait un peu sur son ressenti, rien qu'un tout petit peu. Et voilà que maintenant, Soobin allait jusqu'à parler à sa patronne pour justifier à sa place ses absences au travail ? Taehyun ne savait pas s'il avait envie de le remercier ou s'il trouvait ça déplacé.

Il y avait pas mal de choses qu'il comprenait mal, encore, avec Soobin.

Il se redressa, et trouva ce dernier assis en boule sur sa chaise ( une position franchement inconfortable pour quelqu'un d'aussi grand ) à le regarder d'un air pensif, tripatouillant son oreille d'un geste discret. Taehyun haussa un sourcil face à son regard insistant.

— Quoi ?
— Tu sais, je pense qu'elle t'aime vraiment beaucoup.
— Qui ça ?
— Madame Lee. Ta patronne.

Il se raidit. Il leva les yeux au ciel, et se détourna pour aller s'affaler sur son lit, qui, de toute manière, vu la taille de la pièce, n'était même pas à deux mètres de la chaise sur laquelle était contorsionné Soobin.

— La bonne blague, railla-t-il. Elle est incapable de me parler sans m'insulter.
— Je sais, tu m'as raconté.
— Mais ?
— Mais je pense qu'elle regrette.

Taehyun eut un petit rire amer. Il se tourna sur le lit pour tourner le dos à l'étudiant, puis rajouta simplement pour clore la décision :

— Elle n'a qu'à venir s'excuser d'avoir rendu ma réinsertion plus difficile qu'elle ne l'était déjà, alors. Je l'attends.

Sur ces mots, il se mit à fixer le mur blanc en face de lui. Il était fatigué. Épuisé. Si la présence de Soobin dans sa vie ses derniers jours l'empêchait de se bourrer la gueule et de se shooter aux substances illégales, ça ne voulait pas pour autant dire qu'il allait mieux. Au contraire, plus les jours passaient, et plus il se sentait toujours nerveux, à fleur de peau. Il enchaînait les cigarettes comme un pompier, et plus d'une fois, il avait eu envie de craquer et de s'enfiler un pack d'alcool le plus vite possible, n'importe lequel. Soobin n'était pas là pour faire la police tout le temps, et il avait craqué, rien qu'un soir. Le regard inquiet et triste que le plus grand avait posé sur lui en passant le voir après les cours le lendemain l'avait dissuadé de recommencer.

Depuis, il prenait sur lui. Les jours paraissaient être des semaines tant le temps s'écoulait lentement. Rien que se réveiller le matin, manger aux heures des repas, se rendormir le soir et recommencer le lendemain lui causait un profond malaise. Il y a deux jours, un soir où il s'était senti d'humeur à se confier et à poser des mots sur ses ressentis, il avait dit ça, à Soobin : « L'idée de la vie me met mal à l'aise. Savoir que je suis en vie et que je dois vivre me paraît presque insurmontable. » Ce sentiment désagréable ne le quittait jamais vraiment. Parfois, quand il parlait avec le plus grand ou que son esprit s'éclaircissait, il s'effaçait légèrement, jusqu'à se faire presque invisible. Mais il revenait à la charge dès que Taehyun tentait de sortir de chez lui et envisageait l'avenir. Pour le moment, il avait même complètement laissé tomber l'idée de retourner bosser. Soobin l'avait compris. Il l'avait même compris au point d'aller en faire un rapport à sa patronne.

Cette pensée glissa dans son esprit au même moment où dans son dos, il entendait le plus grand se lever. Il sentit le matelas s'affaisser à côté de lui, signe que l'autre s'y était assis, mais ne se retourna pas pour autant.

— Pourquoi tu évites mon regard dès que la conversation ne te plaît pas ? fit alors la voix de Soobin avec une curiosité étrange.
— Peut-être que c'est parce que c'est ce que font les gens quand une conversation les mets mal à l'aise ? rétorqua-t-il simplement.
— Je te mets mal à l'aise ?
— Oui.

Soobin ne répondit pas tout de suite. Taehyun en vint presque à se demander si il ne l'avait pas vexé avec sa réponse sèche sa fâcheuse manie d'être sur la défensive dès que quelque chose n'allait pas, lorsqu'il sentit le doigt du plus grand s'enfoncer dans sa joue.

Il se retourna vers lui par réflexe, et fit face à un Soobin qui abordait un petit sourire espiègle.

— Qu'est-ce que tu fous ? marmonna-t-il.
— J'attire ton regard. T'as de beaux yeux, tu sais ?

Taehyun lâcha un petit soupir mi-incrédule mi-amusé, avant de se recaler pour faire face au mur.

— Arrête de dire n'importe quoi.

Immédiatement, il sentit un nouveau doigt du plus grand se ficher dans sa joue. Suivi d'un deuxième, puis d'un troisième. Il perdit patience en quelques secondes seulement, et se retourna une nouvelle fois vers Soobin :

— Mais t'as pas bientôt fini, oui ?
— Non. C'est marrant.
— T'es un grand gamin.
— Il paraît, oui.

Taehyun sourit légèrement. Ses yeux plongés dans ceux amusés du plus grand, il ne parvint pas à retenir ses lèvres de s'étirer d'elles-mêmes, rien qu'un peu. L'étudiant en face de lui avait la fâcheuse tendance à réussir à lui faire perdre ses moyens en le prenant de cours. Il adorait ça autant qu'il avait peur que Soobin parte et disparaisse du jour au lendemain pour le laisser seul.

— Ah, attention, tu recommences à avoir des idées noires.

Il raccrocha à la réalité en même temps qu'il raccrocha son attention aux yeux noirs du plus grand, et rétorqua simplement :

— Je ne vois pas ce qui te fait dire ça.
— Sixième sens. Ose me dire que j'ai tort.

Taehyun lui répondit simplement par un petit sourire légèrement amusé devant sa répartie, pour lui faire comprendre que non, en effet, il n'avait pas tort. Il se retourna finalement totalement de manière à être allongé sur le dos, et écouta Soobin demander :

— Tu fais quoi ce soir ?
— Comme d'habitude. Je dors.
— En t'interrogeant sur le sens de la vie et en méditant sur toi-même pour ne pas céder et aller te bourrer la gueule ?

Taehyun haussa un sourcil, inquisiteur.

— T'es bien à l'aise aujourd'hui, dis-moi.
— C'est que je commence à te connaître.

Soobin avait dit ça avec un doux sourire, et cela suffit à faire taire toutes les émotions négatives qui auraient pu s'emparer de Taehyun à sa remarque. De toute façon, il avait raison. Taehyun n'allait pas nier.

— C'est ce qui était prévu, ouais, admit-il finalement. Pourquoi ?
— Je vais sortir avec des potes. Je me demandais si ça te dirait pas de nous accompagner.

Presque immédiatement, Taehyun grimaça.

— Non merci, sans façon.
— T'es sûr ? Ça te permettrait de te changer les idées, et qui sait, peut-être de rencontrer des nouvelles personnes...
— Soobin, s'il te plaît. N'insiste pas.

Soobin se tut un instant. Puis, très simplement, il hocha la tête.

— Ok. Une prochaine fois, peut-être.
— Peut-être.

Ni l'un ni l'autre ne rajoutèrent quoi que ce soit. Ils restèrent là, tous les deux, à savourer le silence qui s'installait en même temps que derrière l'horizon, le Soleil finissait de disparaître prématurément, les jours se raccourcissant avec la fin de l'automne. Taehyun détailla une nouvelle fois le profil de Soobin assis à côté de lui. Et une nouvelle fois, il se dit qu'il avait une chance folle. De l'avoir recroisé, de lui avoir reparlé, et de l'avoir à ses côtés, lui et pas un autre. Soobin acceptait de parler comme il acceptait de se taire. S'il tentait de pousser parfois un peu la discussion, il ne forçait jamais Taehyun à dire quoique ce soit si ce dernier ne voulait pas. Il passait à autre chose, et retenterait plus tard.

Taehyun ne se faisait pas d'illusions ; l'étudiant tenterait sûrement de réaborder le sujet de sa patronne, tout comme il lui reproposerait discrètement de sortir de sa bulle et de rencontrer d'autres gens.

Mais pour le moment, il se taisait là-dessus.

Et Taehyun se fit la réflexion que Soobin était sans aucun doute la meilleure chose qui soit arrivé dans sa vie.



————◇◈◇————



Ces derniers temps, la maman de Taehyun pleure beaucoup.

Elle a pleuré quand Taehyun a été emmené pour la première fois dans un poste de police et placé en garde à vue, elle a pleuré quand il est rentré à la maison, et elle a pleuré encore plus fort quand il est reparti le soir même, malgré ses mots qui l'imploraient de rester.

Qu'elle pleure. Ça ne fait plus ni chaud ni froid à Taehyun.

C'est ce qu'il pensait, du moins.

C'est ce dont il se plaisait à se persuader.

Ce matin, Taehyun rentre chez elle. Il a passé une très mauvaise nuit chez un type qu'il ne connaissait que de nom, et il n'a qu'une envie : se laisser tomber sur un matelas et dormir. Il n'a pas la foi de trouver quelqu'un d'autre chez qui squatter, alors il se dit que son lit fera l'affaire cette fois-ci.

Quand il rentre dans l'appartement de sa mère, la première chose qui le frappe, c'est le silence. Elle ne vient pas à sa rencontre dans l'entrée pour le gronder d'être parti si longtemps et le gifler, ou pour lui lancer des mots vides de sens lui demandant d'arrêter de fuguer de la sorte. Elle n'est pas non plus assise sur le fauteuil du salon dans lequel il avance d'un pas instinctivement prudent, une bouteille à la main, le regard hagard. Elle n'est pas non plus dans le couloir à attendre devant sa porte qu'il n'en sorte, comme elle le faisait quand il prenait peur, plus jeune, et qu'il s'enfermait à double tour entre les quatre murs de sa chambre.

Alors, par curiosité, Taehyun passe sa tête dans la pièce où il n'avait plus jamais osé poser et un pied.

Et d'un coup, tout s'arrête.

Elle est là. Allongée sur son lit. Elle ne le regarde pas ; elle ne regarde rien. Ses poignets sont à peine visibles sous tout le rouge qui les recouvre, et le drap autour d'elle est tâché d'un sang qui n'a rien à faire là.

Taehyun sent son cœur s'arrêter.

Un battement. Puis deux. Puis trois. Il repart.

La panique le prend aux tripes, et il se précipite vers la femme qui lui a donné la vie, les larmes lui montant aux yeux sans qu'il ne maîtrise rien. Il l'appelle, encore et encore, la gifle pour qu'elle daigne lui accorder de l'attention, lui crie dessus pour qu'elle le regarde, mais rien ne vient. Il finit par s'écarter, tétanisé. Ses mains sont rouges. Ses doigts recouverts de son sang.

Il ne sait pas à quel moment il appelle les secours. Il ne sait pas non plus à quel moment ceux-ci arrivent, et embarquent le corps livide de sa maman avec eux. Il les laisse faire. Un homme lui parle, essaye de le rassurer, de l'aider à respirer. Il n'écoute rien. Le monde entier lui semble trouble.

L'homme l'emmène dans le même hôpital dans lequel a été transporté sa maman en urgence, mais le confie à un autre service. On lui dit qu'il va attendre ici le temps qu'elle aille mieux, et que tout va bien se passer. Taehyun, lui, a juste envie de fuir le plus loin possible. Mais il n'est encore qu'un adolescent, alors ils n'ont pas le droit de le laisser partir seul.

Le lendemain, on revient le voir.

On lui dit que sa maman s'est réveillé. On lui parle de tentative de suicide, de vie qui n'est plus en danger, de choses qui vont s'arranger. On lui pose des questions, aussi. Beaucoup de questions. Taehyun comprend qu'ils ont sûrement dû remarquer soit la drogue qui coulait dans le sang de sa mère, soit en trouver simplement dans leur appartement. Il pourrait la dénoncer. Dire la vérité. Dire les coups qu'il a subi durant des années, la peur qui le prenait au ventre dès qu'il rentrait, la violence des mots qu'elle lui lâchait souvent lorsqu'elle n'était plus elle-même.

Il n'en fait rien.

À chaque question qu'on lui pose, la même réponse : « Je ne sais pas. »

« Votre mère a-t-elle une sœur, une amie, un proche qui pourrait vous prendre en charge et l'aider à reprendre ses marques ? »

« Je ne sais pas. »

« Votre mère a-t-elle déjà eu des comportements étranges, où elle paraissait ne plus être elle ? »

« Je ne sais pas. »

« Votre mère a-t-elle déjà eu des pensées suicidaires ? »

« Je ne sais pas. »

Le surlendemain encore, ce sont des policiers qui viennent lui poser des questions. Ils prennent moins de pincettes que les médecins, et le terme « drogue » apparaît cette fois-ci clairement dans leur bouche. Taehyun ne change pas sa réponse.

Finalement, quand enfin sa mère est assez en forme pour rentrer et qu'ils partent tous les deux de l'hôpital, il ne lui adresse pas un mot. Ni les jours suivants où elle se retrouve à pleurer tous les soirs dans sa chambre, et à devoir régler telle ou telle chose avec la justice. Ni même la nuit où, le surprenant encore à quitter l'appartement, elle l'a regardé de ses yeux brillants, et elle a éclaté en sanglots devant lui en se confondant en excuses sur tout et rien.

Taehyun la déteste.

Taehyun l'aime.

Taehyun aimerait ne plus jamais la voir.

Taehyun a peur qu'elle tente à nouveau de partir.

Taehyun lui en veut.

Pour tout. Pour son amour comme pour ses coups. Pour avoir voulu l'abandonner alors même qu'elle lui avait offert la vie. Pour ses mots doux comme pour ses blessures. Pour l'avoir fait naître, ici, sur ce monde, alors qu'elle n'a même pas été capable de l'aimer correctement.

Quelques semaines plus tard, il est à nouveau traîné au poste de police pour s'être battu à mort avec un type à la sortie d'un bar. Quelques mois plus tard encore, après de nombreuses interpellations et mises en garde, il se fait choper en plein trafic de drogue, et la justice l'envoie dans un centre de redressement pour mineurs.

Sa mère demandera à lui rendre visite.

Il n'acceptera jamais.

















———— 🌧️ ————

Voilà la suite, avec deux jours de retard, désolée :') La correction a été un peu plus longue que prévue x)

Bon.

Sinon, ce chapitre ? :D

Ce n'est pas le plus joyeux, je vous l'accorde, et c'est assurément le plus sombre de cette mini-fiction, mais j'espère tout de même qu'il vous aura plu

Certains sujets abordés ici sont des sujets pas forcément évidents à traiter, et à lire aussi, j'en ai conscience, mais ce chapitre me tiens vraiment énormément à cœur. Ce n'est pas tant que j'en suis spécialement fière, mais dans les émotions que j'ai eu en l'écrivant, je ne sais pas, y a un truc qui fait qu'il est particulier à mes yeux :') J'espère qu'il aura su vous toucher

Comme d'habitude, n'hésitez pas à me donner votre avis, et rendez-vous bientôt avec un nouveau chapitre moins sombre ! 〜⁠(⁠꒪⁠꒳⁠꒪⁠)⁠〜

Merci de me lire ♡

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