R E N C O N T R E

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Taehyun se demandait qu'est-ce qu'il foutait là.

Ça allait faire une bonne vingtaine de minutes qu'il était assis seul à une terrasse de café, à se tourner les pouces, attendant quelqu'un avec qui sa dernière discussion remontait à sa petite enfance. La serveuse qui passait de temps à autre devant sa table pour servir d'autres clients posait sur lui un regard compatissant qui l'agaçait de plus en plus. Il avait envie de lui dire qu'il n'était en en train de se faire poser un lapin, sauf que factuellement, si, il était totalement en train de se faire poser un lapin.

Le dit Soobin lui avait donné rendez-vous, mais il n'était pas là.

Et pour couronner le tout, le téléphone de Taehyun n'avait plus de batterie, alors il n'avait aucun moyen de le contacter.

Il soupira. Sa jambe tressautait nerveusement sous la table, et il avait beau appuyer dessus avec sa main pour la calmer, elle reprenait aussitôt. Cette entrevue avec son ancien ami l'angoissait plus qu'il ne l'aurait cru. S'il s'était efforcé de ne pas psychoter durant les jours qui avaient suivi son sms enthousiaste qui l'invitait à se retrouver autour d'un verre, préférant se concentrer à fond sur le travail, maintenant qu'il était arrivé ici il n'arrivait plus à faire taire les pensées intrusives qui fusaient dans son esprit.

Est-ce qu'ils s'entendraient toujours bien ? De quoi allaient-ils pouvoir parler ? Et qu'est-ce qu'il allait pouvoir lui raconter, à Soobin, quand il lui poserait des questions ? Sa vie avait été désastreuse en tout point après qu'ils se soient perdus de vue. Est-ce qu'il l'abandonnerait sans autre forme de procès s'il apprenait qu'il avait passé toutes les dernières années de sa vie en taule ?

Ça ne s'arrêtait pas. Ces questionnements incessants commençaient à irriter Taehyun, d'autant plus que pour l'instant, ils étaient parfaitement inutiles : son ami d'enfance qui avait paru si emballé à l'idée de le revoir paraissait désormais avoir totalement oublié son existence.

Pour peu qu'il aurait eu un peu le moral, il en aurait rit. Là, ce n'était qu'un désagréable mélange d'amertume et de nervosité qui lui montait à la gorge en même temps que les minutes s'écoulaient.

Il jeta un énième regard à sa montre, dépité. Dans cinq minutes, ça ferait une demi-heure que leur rendez-vous aurait dû commencer. Il avisa le café autour de lui, les clients qui parlaient en riant, les jeunes couples en rencard, la serveuse et son regard compatissant ; et l'envie de partir lui prit aux tripes de plus en plus fort.

Trois minutes.

Trois minutes, et pas une de plus.

Si dans ce court laps de temps Soobin n'était pas là, il partirait et tant pis pour leur rendez-vous.

Il lui tardait que ces minutes ne s'écoulent.

Malheureusement pour lui – ou heureusement, il ne savait pas trop –, la grande silhouette de son ami d'enfance déboula au coin de la rue seulement quelques secondes plus tard. Soobin tourna la tête comme une girouette pour le repérer dans le café, puis eut l'air soulagé en le voyant. Il se hâta de le rejoindre, manquant au passage de se prendre un lampadaire puis de se faire percuter par un vélo, sans oublier la voiture qui dû piler net lorsqu'il s'engagea sur le passage piéton – Taehyun avait rarement vu quelqu'un faire aussi peu attention à ce qui l'entourait –, avant d'arriver finalement sain et sauf devant lui, ce qui relevait presque d'un miracle.

— Excuse moi, lança-t-il immédiatement d'un air essoufflé. J'ai terminé les cours plus tard que prévu, et j'ai oublié mon téléphone chez moi...

Bon, ben au moins le téléphone déchargé dans la poche de Taehyun n'aurait pas été d'une grande utilité dans tous les cas.

— De toute façon, j'avais plus de batterie, répondit Taehyun d'un ton passablement agacé en appuyant à nouveau sur sa jambe pour l'immobiliser.

Soobin sembla légèrement mal à l'aise face à la teinte d'irritation qui avait transparu dans sa voix malgré lui. Il regarda le grand étudiant retirer gauchement sa veste pour la poser sur le dossier, puis poser ses fesses en face de lui à son tour.

— Merci de m'avoir attendu, lâcha finalement Soobin. Beaucoup seraient partis.

Taehyun se détendit un peu. Il réalisa qu'il n'avait pas été très agréable, et dans sa tête, les paroles de Madame Lee lui revinrent. « Et ben, si c'est comme ça que tu essayes de te faire des amis, t'étonne pas d'être seul. ». Il devrait peut-être essayer de faire un effort pour se montrer un peu plus avenant.

Il secoua donc négativement la tête, puis répondit au bout d'un moment :

— C'est rien. J'avais pas grand-chose à faire aujourd'hui de toute façon.

Immédiatement, l'étudiant face à lui sembla rassuré. Un grand sourire remplaça sa petite mine gênée, et il prit ses aises en s'appuyant sur la table avec ses coudes, des étoiles plein les yeux.

— Alors, comment tu vas ? C'est dingue quand même qu'on se recroise après tout ce temps, quelle coïncidence !

Taehyun se retint de lui faire remarquer qu'il aurait été compliqué de le recroiser plus tôt, puisque plus tôt justement, il était en prison, et tenta à la place une réponse bancale :

— Ça va, et toi ?

Donnez-lui un bac +5 en communication.

Sa propre incompétence lui donnait envie de se tarter.

— Moi ?

Soobin parut étonné, comme s'il avait oublié un instant que de la même manière qu'il ne savait plus rien de la vie de son ami d'enfance, Taehyun ne connaissait rien de sa vie non plus. Son hésitation ne dura néanmoins qu'une poignée de secondes, et il s'exclama sans attendre :

— Ça va, tranquille. La vie d'étudiant quoi. Quelques galères de loyer, mais je me suis mis en collocation avec deux gars cette année, ça revient moins cher. Et puis, ils sont sympas, ça me change d'être tout seul. Même si entre-nous, parfois, la solitude me manque un peu... Depuis que je suis monté sur Séoul, j'ai toujours eu un appart rien que pour moi, alors forcément ça change.

Taehyun déglutit, mal à l'aise. Ce Soobin s'adressait à lui comme s'ils n'avaient jamais vraiment perdu contact, et ça le déconcertait un peu. Il n'avait absolument aucune idée de comment lui répondre. Il puisa dans toute sa bonne volonté pour faire connaissance, puis tenta après avoir avalé une gorgée de son café froid :

— Hm, ouais, c'est sûr... Et tu fais des études de quoi ?
— De droit !

Il grimaça. Il aurait pu lui sortir qu'il était en école de police que ça aurait presque été la même chose.

— Je suis à l'université Yonsei, continua le plus grand sans remarquer. Le campus est cool, mais franchement, ils sont tous trop forts là-bas, c'est déprimant. Moi à chaque fois j'ai mon année à un poil de cul.

Cool, voulut répondre Taehyun.

— Hm hm, fut ce qui sortit de sa bouche.

Finalement, il aurait dû partir de ce café bien plus tôt. Cette discussion avait à peine commencé qu'elle s'annonçait déjà désastreuse.

Il ne savait pas quoi dire.

Il était bien trop gêné et avait bien trop de lacunes sociales pour ça. Et s'il s'était naïvement dit que ce serait peut-être plus facile de parler avec Soobin parce qu'il le connaissait de loin, en réalité c'était tout l'inverse. Il lui avait été mille fois plus facile de tenir une conversation avec sa voisine de palier.

Le dit Soobin, lui, en revanche, ne semblait pas mal à l'aise pour un sou. Au contraire, il y avait tellement d'enthousiasme dans sa voix, tellement d'entrain dans ses propos, qu'il avait presque l'air de parler à quelqu'un qui serait toujours son meilleur ami.

— En fait, continua l'étudiant sans attendre de réponse, de base, j'étais pas très chaud pour faire du droit. Le problème, c'est que j'étais pas très chaud pour faire quoi que ce soit. Du coup j'ai suivi mon meilleur pote, et-

Taehyun le laissa faire la discussion tout seul, l'écoutant à moitié. L'autre moitié de son cerveau était bien trop occupée à vouloir rentrer et échapper à cette discussion malaisante pour ça.

Le petit Soobin en avait vécu des choses depuis qu'il avait déménagé en primaire. Il l'écouta lui raconter comment il s'était lancé dans la guitare à l'arrivée du collège, son voyage scolaire au Japon qui lui avait donné une furieuse envie d'y retourner depuis, ses premières relations qui avaient toutes été désastreuses, les quelques mois où il avait aidé son père dans son nouveau métier et combien il avait trop été heureux de recevoir sa première paie, ses amis et ses vacances à Jeju de l'été dernier, et encore bien d'autres choses qu'il n'avait pas retenu.

De temps en temps, Taehyun lâchait des « hm », des « oh » et des « ok » pour lui faire comprendre qu'il suivait, et en quelques minutes, il eut presque l'impression de tout savoir sur la vie de son ancien ami.

C'était fou quand même, cette capacité à raconter tout et n'importe quoi tout seul.

Il enviait sa spontanéité.

Et puis, au bout d'un moment, Soobin se tut. Son sourire n'avait pas quitté ses lèvres et formait toujours les deux mêmes fossettes qu'il avait déjà quand il était gamin, mais la manière donc il se recala dans son siège fit comprendre à Taehyun qu'il n'allait pas échapper aux questions qu'il redoutait tant.

— Excuse moi, rit légèrement Soobin au bout d'un moment en passant une main gênée dans sa nuque. Je parle trop. C'est que ça m'a fait trop plaisir de retomber sur toi. Je t'adorais vraiment quand on était gamins, tu sais ?
— J'imagine.

C'était une réponse brève, courte et évasive, mais ça n'arracha pas le sourire de Soobin pour autant. Son regard se fit presque tendre – une tendresse qui n'était pas destinée à lui, mais au souvenir de leur relation passée, Taehyun le comprit rapidement –, puis il demanda en inclinant légèrement la tête sur le côté :

— Bon, et toi, alors ? Depuis tout à l'heure je ne fais que te raconter ma vie et je ne t'ai pas laissé en placer une. Tu deviens quoi ?

Taehyun déglutit difficilement. Il aurait aimé lui dire que ça ne le dérangeait pas, qu'il continue de lui raconter sa vie. Qu'il préférait mille fois cela plutôt qu'avoir à lui exposer la sienne, franchement pathétique. Mais il ne pouvait pas fuir éternellement.

— Pas grand-chose, souffla-t-il finalement en haussant les épaules. Rien de bien glorieux en tout cas.
— Tu fais des études ?
— Non, je bosse.
— Ah oui. Je suis bête, c'est à ton boulot que je t'ai recroisé en plus.

Soobin avait dit ça d'un ton de plaisanterie, mais ça n'amusa pas Taehyun.

L'idée d'évoquer son passé si pitoyable à côté de celui de son ancien ami lui pesait sur le moral bien plus qu'il ne l'aurait cru.

— Et du coup, reprit Soobin en voyant qu'il n'allait pas rebondir, t'as fait quoi après le lycée ?

La gorge de Taehyun se noua. Mais de toute manière, il fallait bien lui dire un jour ou l'autre, il n'allait pas s'inventer une vie – même si l'idée était très tentante. Alors il se lança :

— Je n'y suis pas allé.
— Hein ?
— Au lycée. Je n'y suis pas allé. Enfin, plutôt, je n'ai pas fini la première année.
— Pourquoi ?

Baissant les yeux sur le fond de son café froid, il ne répondit pas tout de suite. Il se dit qu'il aurait du plus savourer la spontanéité avec laquelle lui avait parlé Soobin jusqu'ici. Ce dernier ne rechercherait sûrement plus à renouer un lien avec lui, quand il saurait tout ce qui lui était arrivé. Ou alors, il lui parlerait avec plus de distance, plus de crainte, plein de préjugés comme tout le monde. Cette entrevue ne rimait à rien depuis le début.

L'amertume lui remplit la bouche, mais il haussa simplement les épaules avant de lâcher d'un ton détaché :

— J'ai fais des conneries. Beaucoup de conneries, rajouta-t-il quand il vit que Soobin le dévisageait d'un air dubitatif. J'ai fini mon adolescence dans un centre de redressement pour mineurs.
— Oh.

Ah, ça y est. L'étudiant avait perdu son sourire.

Taehyun se demanda presque s'il n'allait pas lui sortir un mytho à la con pour couper court à leur rendez-vous.

Mais à la place, Soobin prit un air contrit, et lâcha après une courte hésitation :

— Je suis désolé.

L'homme en face de lui secoua la tête, bien qu'un peu surpris. Ce n'était pas ce à quoi il s'était attendu, mais il n'allait pas se plaindre.

— Ne le sois pas. C'était mérité.
— Et après ?
— Après ?
— Ouais, quand t'es sorti du centre de redressement, t'as fait quoi ?
— Je suis allé en prison.

Il y eut un nouveau silence.

Comme Soobin ne rajoutait rien, Taehyun prit les devants et précisa :

— J'en suis sorti y a un mois.

L'étudiant le dévisagea un instant sans rien dire, l'air plus confus que réellement choqué. Taehyun pouvait presque voir toutes les questions flotter au-dessus de sa tête, allant de celles qui se demandaient qu'est ce qu'il avait bien pu faire pour se retrouver en prison à celles qui se demandaient s'il était encore dangereux. Toutes des questions auxquelles il n'avait absolument aucune envie de répondre.

Mais, une nouvelle fois, Soobin le prit de court. Il n'insista pas sur le sujet, et se contenta de répéter après un bref silence :

— Je suis désolé. Ça n'a pas dû être facile.

Ce fut cette fois-ci au tour de Taehyun d'être confus, et il rétorqua en haussant un sourcil :

— Tu me demandes pas pourquoi j'ai fais de la prison ?
— J'ose pas, répondit très sincèrement Soobin.

Sans trop savoir pourquoi, cette réponse arracha un petit sourire à Taehyun.

— Je vais pas te sauter à la gorge, tu sais.
— Je me doute. J'ose espérer que si t'es sorti de prison c'est que tu n'es pas un dangereux psychopathe.
— Ah ça, c'est une autre question...

L'étudiant face à lui tira une gueule de 42 kilomètres de long qui lui arracha un petit pouffement amusé. Il le vit froncer les sourcils, puis marmonner d'un ton boudeur :

— C'est pas drôle...
— Excuse moi. C'était trop tentant.

En face de lui, Soobin afficha une petite moue faussement vexée, avant de relancer la discussion comme si de rien n'était.

Taehyun ne retint qu'une seule chose : il était encore là.

Il venait d'apprendre qu'il sortait tout juste de prison et qu'il y avait passé toutes les dernières années de sa vie, mais il n'avait pas l'air de vouloir couper court à la discussion, de vouloir partir ou même de se méfier. Il restait là, assis devant lui, à siroter sa boisson froide, et à écouter ce qu'il avait à lui dire.

Et pour la première fois depuis qu'il avait retrouvé sa liberté, le jeune homme sentit enfin une douce chaleur d'espoir lui embaumer le cœur.


————◇◈◇————


— Alors, ce garçon qui te connaissait ? Tu l'as revu ?

Taehyun fronça les sourcils, et releva la tête de la vaisselle pour regarder Madame Lee qui s'affairait à faire le compte de la journée comme si de rien était.

— Je ne crois pas que cela vous regarde.
— J'aimerais m'assurer qu'il est toujours bien vivant.

Il leva les yeux au ciel. La répartie de cette vieille femme commençait sérieusement à être redondante. D'un ton plus las que réellement irrité, il rétorqua ironiquement :

— Non, j'ai découpé son corps en morceaux et revendu ses organes à la mafia. Le reste repose dans les poubelles du restaurant, si vous voulez y jeter un œil...
— Taehyun.
— Quoi ? répliqua-t-il face à son ton sévère en se retournant vers elle. Vous me tendez la perche.

Elle le regardait déjà. Elle avait abandonné la caisse pour lui faire totalement face, et le darder d'un regard désapprobateur, sa plaisanterie n'ayant visiblement pas été à son goût. Qu'importe. Taehyun avait abandonné l'idée de bien se faire voir par cette femme, de toute façon.

De sa main ridée, elle alla fouiller dans la poche de son tablier, avant d'en ressortir un paquet de cigarettes déjà bien entamé. Elle le montra d'un air accusateur, et rajouta alors sans rapport apparent avec leur précédente discussion :

— J'ai trouvé ça, dans la réserve. C'est à toi ?

Oui, c'était à lui. Taehyun l'avait acheté la veille. Par contre, il n'avait aucune idée de ce qu'il avait bien pu foutre dans la réserve : depuis qu'il avait recommencé à fumer, quelques jours plus tôt, il avait toujours pris soin de le faire loin de sa patronne. Il se demandait si elle n'était pas elle-même allée le chercher dans la poche de son manteau.

— Ouais, répondit-il finalement en tendant la main pour le récupérer.

Elle ne lui rendit pas. Au contraire, elle se contenta de le fourrer à nouveau dans son tablier.

— Je ne savais pas que tu fumais, grinça-t-elle.
— Ça ne vous regarde pas non plus.
— Tout ce qui est dans mon restaurant me regarde, mon garçon. Et je refuse qu'on se nique les poumons ici.
— Ça tombe bien, je ne fume que quand je suis chez moi. Rendez le moi s'il vous plaît.

La main toujours tendue, Taehyun attendit, soutenant sans en démordre le regard sévère de la vieille femme qui était bien trop intrusive à son goût, ce soir.

Il ne savait pas si c'était son regard particulièrement las qui lui donnait un air intimidant ou les muscles de ses bras que révélait son tee-shirt à manches courtes, mais pour la première fois depuis qu'il l'avait rencontré, Madame Lee finit par céder. Elle lui posa négligemment son paquet de cigarettes dans la main tout en maugréant :

— Tu ne devrais pas toucher à cette merde. T'es trop jeune pour te détruire la santé.

Taehyun haussa un sourcil.

— Depuis quand ma santé vous intéresse ?
— Je m'en fiche, de ta santé. C'est surtout que si tu pues la clope, tu vas finir par faire fuir les clients. On est dans un restaurant, ici, pas dans un bar de délinquants.

Sur ces belles paroles, elle lui tourna le dos dans un reniflement dédaigneux.

La discussion était close. Elle ne lui réadressa pas la parole de toute la fin de soirée, et ils terminèrent de ranger le restaurant et de le préparer pour le lendemain dans un silence incommodant, mais tristement habituel, dans lequel flottaient des reproches et tensions.



————◇◈◇————



Sa maman est rentrée de l'hôpital.

Elle n'y est pas restée trop longtemps, mais après ça, beaucoup de choses ont changé. Elle a changé.

Le soir de son retour, elle a jeté toutes les bouteilles qui reposaient au fond du placard. Si au début Taehyun avait été content, parce que la vue de ces bouteilles rimait souvent avec engueulade, il a vite déchanté. Sa maman a commencé à s'énerver pour un oui ou pour un non. Elle ne buvait plus, mais il flottait à la place une désagréable odeur dans l'appartement, et elle fumait des cigarettes qui n'avaient pas la même senteur que celles que fumaient de temps en temps le directeur de l'école.

Elle a tout le temps l'air sur ses gardes. Taehyun, il a même parfois l'impression qu'elle se méfie de lui.

Il y a toujours les coups, bien sûr.

Mais il n'y a plus toujours les câlins et les excuses après eux.

La maison commence à faire peur au petit Taehyun. Il se demande toujours quelle maman il y trouvera le soir : la maman gentille qu'il aime tant ou la femme froide qu'elle devient souvent.

Mais il n'en parle à personne, pas même à Soobin. Il sait que sa maman n'a pas envie qu'il le dise, et au fond, il espère toujours qu'elle redevienne comme avant. Il ne se rend même pas compte que ce "avant" non plus n'était pas sain.

Finalement, dès qu'il peut, il va se réfugier chez son ami. Depuis que le papa de Soobin l'a recueilli la nuit où il a perdu un bout de sa maman, Taehyun y retourne souvent. Il aime bien cet endroit. La maison sent bon, ou en tout cas bien meilleur que l'appartement qu'il partage avec sa mère. Le papa de Soobin est un peu ailleurs, de temps en temps, mais au moins, il ne s'énerve jamais. Il est tout le temps calme, même quand Soobin et lui font des bêtises et cassent des objets sans faire exprès, même quand ils salissent le sol par maladresse.

La seule fois où il l'a vu s'énerver, c'est quand avec son ami, ils ont voulu partir explorer le grand parc à côté de chez eux. Ils s'amusaient bien quand il est arrivé, et quand il s'est mis à crier en les grondant, en leur disant de ne pas partir comme ça, que ce n'était pas bien, que ça pouvait être dangereux.

Il était très en colère ; mais il n'a pas frappé Soobin.

Il l'a simplement serré très très fort dans ses bras.

Parfois, Taehyun se dit qu'il aimerait bien qu'il soit son papa à lui aussi. Ce n'est pas un super héros, loin de là ; il a souvent l'air triste, le papa de Soobin. Il fixe le vide de son appartement comme si son amoureuse s'y trouvait encore, et il décroche souvent des conversations pour se perdre dans sa tête. Il n'est pas franchement courageux non plus : il bégaye dès qu'on lui adresse la parole, leur a déjà fait faire un très long détour pour rentrer chez eux juste parce qu'il y avait un groupe d'hommes qui ne lui inspiraient pas confiance sur la route, et malgré sa grande taille, il semble souvent plus petit que les autres. Et ce n'est pas tout : il est maladroit, tête en l'air ( Taehyun s'était rendu compte par la suite que ce n'était pas rare qu'il oublie d'aller chercher Soobin à l'école ), mauvais cuisinier, pas très bavard, plutôt craintif, sans assurance.

Mais il est là.

Et il aime son fils.

Taehyun aurait mille fois préféré un papa comme ça plutôt qu'un papa qui sauve le monde, mais qui délaisse ses enfants.

Parfois, il se surprend même à souhaiter que sa maman et le papa de Soobin se mettent ensemble. Peut-être que comme ça, se disait-il, sa maman deviendrait plus douce. Peut-être qu'elle prendrait exemple sur lui, et qu'elle s'énerverait moins. Et puis en plus, comme ça, il aurait enfin un papa ; et Soobin de nouveau une maman.

Ça n'arrivera pas ; bien sûr. Le papa de Soobin bégaie à chaque fois qu'il la voit et écourte un maximum les conversations, et elle, elle ne lui parle presque pas, et lui sourit encore moins. Rarement, ( et c'est de plus en plus rare ), elle est la maman gentille, mais même à ces moments-là, elle semble juste terriblement mal à l'aise.

Elle se contente de récupérer Taehyun pour le ramener chez lui, et l'arracher à la chaleur du foyer de Soobin pour l'enfermer dans la froideur de leur petit appartement.



————◇◈◇————



Ces derniers temps, Madame Lee ne le lâchait plus.

Si jusqu'ici il parvenait à ignorer et à passer outre les nombreuses piques qu'elle lui lançait sur son travail, elle semblait soudainement s'être prise de passion pour sa vie privée, et ça, en revanche, il avait plus de mal à le supporter. Il ne comprenait pas cet intérêt excessif qu'elle semblait porter au moindre de ses actes.

Les questions intrusives sur son mode de vie ne s'arrêtaient plus. Les reproches non plus, évidemment. Les remarques désagréables, elles, fusaient toujours de bon train. Et puis, rajouté à tout ça, il y avait maintenant les actes : quand il avait le malheur de quitter son sac des yeux trop longtemps, il retrouvait son paquet de cigarettes au fond de la poubelle ; à la fin du service, quand il s'autorisait parfois ( à contre cœur, mais parce que c'était plus fort que lui ) un petit verre d'alcool, elle s'assurait d'éloigner la bouteille le plus loin possible de lui. Il avait l'incommodante impression qu'elle se prenait soudain pour sa baby-sitter.

Sauf qu'il n'avait pas besoin de ça.

Et encore moins si c'était pour qu'elle le critique à chaque phrase.

Taehyun était adulte, et il avait déjà bien assez de mal à composer avec lui-même pour avoir en plus à s'encombrer d'un regard indésirable et jugeur.

Non, vraiment, c'était la dernière chose dont il avait besoin.

Et maintenant, debout sur le pas de sa porte, complètement médusé, il observait d'un air hagard la vieille femme qui se tenait sur son pallier, et qui venait de le réveiller en violentant la sonnette à 10h du matin. Il essayait de se demander s'il n'était pas en train de devenir complètement fou, ou si elle était bel et bien là, devant chez lui. Sa tendance intrusive commençait à devenir beaucoup trop importante.

— Qu'est ce que vous faites là ? lâcha-t-il en réalisant finalement qu'il ne rêvait pas, et que sa patronne se tenait bel et bien sur le pas de sa porte un dimanche matin.
— Fais moi rentrer, éluda la vieille femme et tentant de le décaler sur le côté.

Taehyun ne bougea pas, médusé. Même s'il l'avait voulu, il était encore trop mal réveillé pour pleinement réaliser ce qui était en train de se passer.

— C'est mon jour de repos, tenta-t-il, hagard.
— Je sais bien. Je suis vieille, pas sénile.

Elle insista un peu, et le jeune homme finit finalement par lui céder la place de rentrer dans son appartement. Elle se glissa dedans sans attendre, et s'avança dans la minuscule pièce en fronçant le nez dans une légère grimace.

— Et bien, ça mériterait un peu de ménage tout ça. Tu devrais aérer, ça pue la cigarette ici.

En disant ses mots, elle se dirigea d'elle-même vers l'unique fenêtre qu'elle ouvrît en grand, et Taehyun sorti enfin de son état d'hébétude pour prendre pleinement conscience de ce qui était en train de se passer. La surprise se mua en agacement, et il referma la porte de son pallier en se tournant vers la vieille femme sans chercher à cacher son mécontentement.

— Je ne vous ai pas demandé votre avis, et vous n'avez rien à faire là. Qu'est-ce que vous me voulez ?
— Parle moi sur un autre ton, je te prie. Ton CDD est terminé, je viens renouveler ton contrat pour le restaurant. A moins que tu ne préfères te lancer dans le trafic de drogue, rajouta-t-elle comme si elle ne pouvait pas s'en empêcher.

Taehyun fronça les sourcils.

— Vous ne pouviez pas m'en parler avant, histoire qu'on s'organise et qu'on se voit autre-part pour faire ça ?
— Je voulais voir dans quel taudis tu vivais. Je ne suis pas étonnée, c'est à ton image.

Quel culot. Il se retint de peu de l'envoyer balader, se rappelant des conventions sociales juste à temps, les insultes sur le bout de la langue. Il avait encore sommeil et absolument aucune envie de se confronter à cette vieille femme qui lui prenait déjà la tête six jours par semaine. Si déjà elle avait tendance à l'irriter en temps normal, avec cette barre de fatigue dans le nez, c'était encore pire.

Il se massa les tempes pour se calmer, tentant d'ignorer sa patronne qui glissait un regard inquisiteur dans les quatre coins de la pièce.

Il fallait qu'il respire un bon coup avant de parler, au risque de laisser échapper des mots qu'il regretterait.

— Écoutez, commença-t-il après un instant. Il est tôt, là, et le service a terminé tard hier soir. Je suis fatigué, et j'aimerais bien retourner me coucher. On réglera cette histoire de contrat plus tard.
— Il n'y a pas de plus tard qui tienne, renifla-t-elle dédaigneusement en s'installant sur l'unique chaise de la pièce. Soit on signe ton CDI maintenant, soit je le file à quelqu'un d'autre. À toi de voir.

L'information peina à arriver à son cerveau. Un CDI ? Taehyun se demanda un instant s'il n'avait pas mal entendu. Déjà qu'il était étonné que Madame Lee veuille bien le garder malgré toutes les critiques qu'elle lui envoyait à longueur de journée, savoir qu'elle lui offrait, en plus, un contrat à durée indéterminée lui paraissait complètement invraisemblable.

Elle allait sûrement le déchirer juste après qu'il l'aurait signé en raillant un truc sur les taulards.

Taehyun ne voyait pas d'autre option.

— Je croyais que vous ne m'aimiez pas, fit-il remarquer en fronçant les sourcils.
— Je n'ai jamais dit ça.
— Vous me l'avez fait sentir, en tout cas.

Elle haussa nonchalamment les épaules. Vraisemblablement, elle n'éprouvait pas le moindre remord pour l'enfer qu'elle lui faisait vivre. Elle paraissait si détachée que Taehyun s'en sentit presque vexé.

Il ferma un instant les yeux, pour mettre de l'ordre dans ses pensées, puis finit par soupirer en lâchant l'affaire :

— Dans ce cas passez le moi votre contrat, comme ça je le signe rapidement et je retourne dormir.

Et vous, vous dégagez d'ici, était clairement sous-entendu.

Elle ne remarqua rien – ou fit mine de ne rien remarquer –, puis lui tendit alors deux feuilles qu'elle sortit d'un sac presque vide qu'elle avait amené avec elle.

— Tiens.

Taehyun se saisit immédiatement d'un stylo pour le signer et en finir au plus vite, mais la voix sèche de Madame Lee le coupa :

— Lis le.

Ça ne sonnait pas comme une question. À contre cœur, il se mit donc à parcourir les lignes des yeux, laissant sa patronne balayer du regard son lieu de vie.

Honnêtement, elle avait plutôt raison : ça mériterait bien un petit ménage. La vaisselle s'entassait dans l'évier, le bureau était encombré de tout et n'importe quoi, ses vêtements mal pliés rangés sommairement dans l'étagère, et son lit défait qu'il n'avait pas pris le temps d'arranger avec son réveil prématuré. Pour ne rien arracher, la décoration était d'une tristesse affligeante. Le mot juste serait même : inexistante. Les murs blancs étaient laissés tels quels, le sol grisâtre seulement décoré par un peu de bordel dans les coins, et les étagères dénués de tout objet.

C'était gris, triste et vide.

Parfaitement à l'image de Taehyun au fond.

Après deux minutes sans faire de remarque désagréable, Madame Lee sembla épuiser sa patience, et ne put s'empêcher de faire remarquer d'un ton réprobateur :

— C'est vraiment morne, comme appartement. Tes parents ne pourraient pas t'aider à l'emménager et à le décorer un peu ?
— Je n'ai jamais connu mon père, et ma mère est internée dans un hôpital psychiatrique.

La réponse avait été froide. Glaciale. Elle avait fendu l'air comme une épée, et après ça, la vieille femme n'osa rien répliquer. Taehyun signa d'un geste crispé le bas du contrat, et lui tendit en rajoutant sèchement :

— Donc non, ils ne peuvent pas m'aider. Vous pouvez y aller maintenant.

Madame Lee ne s'attarda pas plus. Au moins avait-elle la présence d'esprit de ne pas en rajouter devant l'humeur déjà désastreuse du jeune homme, qu'elle avait elle même provoqué. Elle quitta l'appartement aussi rapidement qu'elle y était rentrée, lâchant simplement un « sois à l'heure demain » pour la forme, puis ses bruits de pas disparurent dans la cage d'escalier.

Taehyun resta un instant devant sa porte close.

Les mots de la vieille femme résonnaient dans sa tête, s'accompagnant d'une douleur telle qu'il n'en avait jamais ressenti depuis sa sortie de prison. Ses parents. Il n'en avait pas, de parents. Pas plus qu'il n'avait qui que ce soit à appeler quand ça n'allait pas, ou n'importe qui pour lui tenir compagnie les jours où il n'avait rien à faire.

Il était seul.

Maladroitement, il tourna deux fois la clé dans sa serrure, comme pour s'isoler un peu plus du monde.

Puis, d'un geste décidé, il ouvrit son placard et en sortit une bouteille d'alcool qu'il cachait au fond, achetée dans un moment de faiblesse, et à laquelle il s'était promis de ne jamais toucher.


————◇◈◇————


Soobin continuait à lui parler.

Ça pouvait sembler anodin, comme ça, mais Taehyun avait toujours du mal à s'y faire. À chaque fois qu'il recevait un SMS de ce dernier, qui lui racontait telle ou telle chose ou qui lui proposait de se voir, il avait l'impression qu'il s'était trompé de numéro, que ce n'était pas destiné à lui, et que ce n'était qu'une erreur. Il était à toujours surpris quand il réalisait que non.

Oh, ils ne se renvoyaient pas si souvent pour autant. Soobin avait une vie ; contrairement à Taehyun. Il avait d'autres amis à voir, des cours, des projets, et bien souvent, leurs échanges se résumaient à une discussion par semaine, alternativement par message, par appel, ou plus rarement en face à face. Concrètement, ils se s'étaient revus que deux fois depuis leur premier rendez-vous.

Mais ces deux fois avaient suffit à donner un minimum de sens à l'existence de Taehyun.

Parfois, quand il y songeait, il se demandait ce qu'il serait devenu s'il n'avait pas recroisé Soobin maintenant presque deux mois plus tôt. Il se demandait s'il ne l'avait pas aidé bien plus qu'il ne le pensait. Taehyun avait été prêt à tout lâcher, après tout. Prêt à refaire n'importe quoi pour se faire coincer par la police et retrouver la prison, retrouver ses marques, et ainsi échapper au vide de son existence depuis qu'il était sorti. Peut-être qu'il aurait craqué s'il n'y avait pas eu son ancien ami. Peut-être qu'il aurait fini par donner raison à Madame Lee.

Là, depuis quelques semaines, il avait l'impression que Soobin le retenait. Ce dernier n'avait beau n'avoir sûrement aucune idée de tout ceci, Taehyun ne lui ayant jamais fait part de sa solitude, rien que de savoir qu'il y avait quelqu'un ici, à l'extérieur, pour qui son existence avait un minimum d'importance et qui lui envoyait un message de temps en temps, ça l'accrochait et l'empêchait de flancher.

Si son moral n'allait pas fort pour autant – la quantité de cigarettes inquiétante qu'il s'était mis à fumer en témoignait –, il pouvait néanmoins tenir le coup.

Il le pensait, du moins.

Adossé contre un muret, une cigarette entre les lèvres et l'air plus frais du début de nuit venant faire frissonner ses bras nus, il attendait Soobin, qu'il était censé retrouver pour la quatrième fois depuis qu'ils s'étaient recroisés au restaurant.

Le plus grand était en retard ; sans surprise. Il avait été en retard toutes les dernières fois où ils s'étaient vus, tant et si bien que ça n'étonnait plus Taehyun.

Quand sa silhouette se détacha enfin sur le ciel bleuâtre, il se redressa et éteignit sa cigarette et l'écrasant contre sa semelle, puis la jeta en même temps que son ami – s'il pouvait réellement l'appeler ainsi – arrivait à son niveau en trottinant.

— Salut, lança Soobin de sa voix essoufflée par sa mini-course.
— Salut, répondit Taehyun avant qu'il ne se mette à se confondre en excuses pour son retard.

Ils se regardèrent dans le blanc des yeux un instant, l'étudiant en profitant pour reprendre son souffle, puis ce dernier rompit le silence en se redressant :

— Eh, t'es devenu grave beau en vrai.

Taehyun haussa un sourcil.

— Si soudainement ?
— Non, mais j'sais pas, t'es beau ce soir. Je viens de repenser au petit Taehyun de primaire et ça m'a fait bizarre.
— Toi aussi, t'as bien grandi depuis. Au sens littéral du terme.

Il faisait référence à sa grande taille, à laquelle il avait toujours du mal à s'habituer, et ça, c'était facilement compréhensible. Si quand ils étaient gamins il dépassait largement son ami, maintenant, c'était totalement l'inverse. Et Taehyun n'était déjà pas petit.

Soobin leva les yeux au ciel, et un léger sourire prit place sur ses lèvres.

— M'en parle pas. Ma croissance s'est faite d'un coup, et j'ai toujours pas eu le temps de m'y habituer. Je me cogne partout avec ce grand corps.

Ça, Taehyun voulait bien le croire. Il avait rarement vu quelqu'un d'aussi maladroit que Soobin. Toutes les rares fois où ils s'étaient revus, il avait été déconcerté par sa capacité ahurissante à se prendre les murs, à faire tomber des objets et à se cogner contre tout et n'importe quoi. C'en était presque comique.

Ils se sourirent mutuellement, puis le plus grand proposa :

— On va se poser quelque part ?
— Allons-y, approuva Taehyun.
— Tu veux aller où ?
— Où tu veux, mais pas dans un bar.

Soobin se contenta de hocher la tête, et ne posa pas de question. Tant mieux. Taehyun se voyait mal lui expliquer qu'il avait une sérieuse une tendance à l'alcoolisme qui lui rappelait sa mère et lui inspirait un profond dégoût de lui-même. À chaque fois qu'il avait craqué et qu'il s'était surpris à reboire depuis sa sortie, il s'était haït juste après. Plus loin il se tenait d'une bouteille d'alcool, mieux il se sentait.

— On peut aller se poser dans un parc, si tu veux, proposa Soobin. J'ai envie de verdure.
— De nuit ?
— Hm, ouais. Et puis si y a des gens qui nous emmerdent, j'ai un ex-taulard à côté de moi pour leur casser la gueule.
— Ça ne me fait pas rire, Soobin.
— Pardon.

Soobin se tut, et Taehyun ne put s'empêcher de laisser un fin sourire naître sur ses lèvres. Il lui donna une tape amicale sur l'épaule pour lui faire comprendre que ce n'était pas grave, puis se détacha du mur.

— Allons-y.

D'un même mouvement, ils se mirent en marche vers le parc le plus proche du coin. Sur la route, Soobin se plaignit des partiels qui approchaient déjà, alors que sa rentrée était toute récente, et de la charge excessive de travail qu'on leur donnait à la fac. Il lui raconta aussi les mésaventures de son colocataire, et Taehyun le laissa faire la conversation, comme d'habitude. C'était quelque chose d'agréable quand il était avec lui. Il n'avait pas à se prendre la tête pour savoir quoi dire et parler : l'étudiant s'en chargeait lui-même, et ça ne semblait pas le déranger le moins du monde. Cet accord tacite qui était né entre les deux était détendant.

Quand finalement ils arrivèrent dans le parc, les derniers éclats du Soleil avaient déjà été entraînés avec lui derrière l'horizon, et seuls quelques rares lampadaires éclairaient ce qui les entourait. Ils choisirent de s'allonger dans un coin mi à l'ombre mi dans la lumière, un peu à l'écart de l'allée principale qui traversait le parc.

Côtes à côtes, l'herbe fraîche de la nuit venant chatouiller leurs bras nus, Soobin rompit à nouveau le silence :

— J'ai retrouvé des photos de nous, petits. Papa en avait gardé tout un album. Je pourrais te les montrer, si tu veux.

Taehyun ne répondit rien. Il n'était pas sûr d'avoir envie de revoir ce gamin qui adorait sa mère et l'avait laissée le détruire sans bouger le petit doigt.

Pour changer de sujet, et puis parce qu'il se posait la question, il demanda simplement à la place :

— Comment va ton père ?
— Bien. Enfin, ça peut aller. Il a rencontré une nouvelle...

Soobin s'interrompit, butant un peu sur ses mots. Taehyun pouvait presque entendre la suite de sa phrase avant qu'il ne la prononce : « une nouvelle femme qui ne sera jamais ma mère. »

— Il a rencontré quelqu'un d'autre, se reprit le plus grand. Ce n'est pas toujours facile tous les jours, mais au moins, il n'est pas tout seul. Quand j'ai quitté la maison familiale pour partir étudier j'étais content de savoir qu'il y avait quelqu'un pour lui tenir compagnie.

Il marqua une pause, puis rajouta :

— Il te passe le bonjour, au fait.
— Tu lui as parlé de moi ?
— Évidemment. C'est pas tous les jours qu'on croise des amis de primaire.

Un court silence s'installa après cette déclaration. Taehyun détourna son regard de l'étudiant pour le porter sur le ciel noir qu'on entrapercevait entre les arbres – encore que le noir était relatif, la pollution lumineuse de la ville l'éclairant significativement –, et savoura un instant la brise fraîche qui vint choyer ses joues et soulever ses cheveux de son front. Toute cette verdure autour de lui l'apaisait ; c'était un des rares points positifs qu'il trouvait à être sorti de prison. Derrière les barreaux, bonne chance pour trouver la moindre végétation autre qu'une bouillie informe en guise de repas.

Le deuxième point positif, lui prenait petit à petit un prénom : et c'était Soobin.

Celui-ci tourna la tête vers Taehyun en même temps que Taehyun portait son attention sur les étoiles invisibles. Il hésita, puis osa demander après une courte réflexion :

— Et toi, ta mère ? Elle va bien ?

Taehyun se figea. La simple mention de sa mère parvint à ellipser tout le bien-être qu'il ressentait quelques secondes auparavant, et l'idée même de devoir l'évoquer lui assécha la gorge.

Sa mère.

Il la haïssait.

— Je ne sais pas, souffla-t-il du bout des lèvres en espérant que cela suffirait à Soobin pour changer de sujet.

Mais ça ne marcha pas, vraisemblablement, puisque le plus grand insista avec la même voix peu assurée :

— C'est à dire ? Elle a des problèmes ? Depuis, ta sortie de prison, tu...
— Elle n'était pas là, le coupa abruptement Taehyun.
— Quoi ?
— Elle n'était pas là à ma sortie de prison.

Soobin se redressa sur un coude pour mieux pouvoir observer son ami, le regard soucieux, et en voyant son air plein d'interrogations, Taehyun ne put s'empêcher de sentir l'irritation monter en lui. Elle n'était pas dirigée vers l'étudiant ; mais vers sa mère. Après tout, il était totalement normal que le plus grand se pose des questions. Il ne lui avait absolument rien raconté de sa vie depuis qu'ils avaient commencé à se reparler. Soobin savait sommairement qu'il était allé en prison et pourquoi, mais n'avait aucune idée du fond, des évènements factuels, et de ce qui l'avait amené à bousiller sa vie. Il ne savait même pas la violence dont il était victime lorsqu'il était gamin.

Un sourire amer naquit sur les lèvres de Taehyun à cette pensée, et il rajouta pour que ce soit clair :

— Ne t'excuse pas encore une fois pour mes malheurs. Non seulement tu n'y es pour rien, mais en plus, je préférais mille fois qu'elle ne soit pas là. Je ne veux plus la voir.
— Pourquoi ?
— Parce que je la déteste.

Le ton sec de Taehyun sembla suffire à faire taire Soobin. Il n'insista pas, laissant planer un silence désagréable au-dessus d'eux. Il sentait bien que certaines choses étaient douloureuses à évoquer pour son ancien ami, et il n'avait pas envie de le brusquer. Pourtant, des questions, ça, il en avait. Il en avait des tonnes, même. Il avait l'impression de se retrouver face à une façade dont tout l'intérieur serait camouflé. Son ami d'enfance était un mystère en tout point.

Taehyun, quant à lui, s'était déjà involontairement perdu dans les souvenirs de cette femme qui l'avait tant blessé.



————◇◈◇————



Aujourd'hui, la maman de Taehyun lui a fait très mal. Elle a eu beau se confondre en excuses, le prendre dans ses bras et lui embrasser les joues, ça n'a pas suffit à faire disparaître la douleur, ou au moins à la rendre supportable comme d'habitude. Il ne peut pas se tenir droit sans que tout son petit corps ne le lance.

Ça lui fait tellement mal que, pour la seconde fois, il sent les larmes venir lui chatouiller dangereusement les yeux alors qu'il est à l'école. Elles ne demandent qu'à sortir, mais il les retient ; sa maman sera très en colère si elle l'apprend. Il n'a pas envie qu'elle s'énerve à nouveau, d'autant plus que ces derniers jours, elle redevient enfin la maman gentille.

Alors il prend sur lui.

Il prend beaucoup sur lui, le petit Taehyun.

Il aurait même sûrement réussi à terminer la journée sans pleurer si son ami Soobin ne lui avait pas demandé en le regardant droit dans les yeux si ça allait. L'entendre poser cette question, c'est comme si ça a détruit toutes les fragiles barrières qui empêchaient ses larmes de couler.

Alors quelques gouttes d'eau s'échappent de ses yeux, et Taehyun s'assoit contre un arbre pour les cacher dans ses genoux. C'est le même arbre où pleurait Soobin la première fois qu'ils se sont parlés.

Ce dernier est en face de lui, et balbutie maladroitement des mots qui ont sûrement pour but de le réconforter et de comprendre pourquoi il semble soudain si malheureux. Quand il saisit que Taehyun ne lui dira pas, il se contente finalement simplement de lui parler de totalement autre chose, pour lui changer les idées. Il lui raconte ses aventures de vacances. Lui invente des histoires de chevaliers. Des épopées d'animaux.

Taehyun, il l'écoute, et petit à petit, il arrête de pleurer. Les mots maladroits de Soobin lui font oublier sa douleur, de la même manière que ses grands gestes gauches lui réchauffent le cœur.

Bientôt, il ne reste de ses larmes que des vagues traces humides.

Soobin lui promet qu'il seront toujours ensemble.

Il ne tiendra pas sa promesse.










———— ☁ ————

Et voilà la suite !

Pardon pour le jour de retard, j'ai eu un imprévu hier et j'ai pas pu poster :')

Bref, j'espère que ce chapitre vous aura plu ! Taehyun retrouve Soobin, même si bon, il a vraisemblablement encore beaucoup de mal à s'ouvrir et à créer des vrais liens... Hésitez pas à me donner votre avis, ou à me dire ce que vous pensez de Madame Lee et du peu qu'on voit de la mère de Taehyun et de son passé, je suis curieuse ! 〜⁠(⁠꒪⁠꒳⁠꒪⁠)⁠〜

Sur ce, un grand merci de me lire, et je vous dis à la semaine prochaine avec un chapitre que j'affectionne tout particulièrement (⁠ ⁠ꈍ⁠ᴗ⁠ꈍ⁠)♡♡

Prenez soin de vous 

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