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Arrivée et première mission avec l'Œil pour Ezer ! Ce dernier a quitté sa famille et vient de voyager trois ans avec Hegal.

An 44
Base de l'Œil.

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« Reste-là, je vais voir !
- Attends, il y a une barrière magique !
- Où ?
- À deux mètres devant toi. »

J'ai avancé de trois pas, Hegal a frémi. Je suis devant. J'ai avancé ma main devant moi, annulant tous les effets de la barrière. C’est ma magie à moi, désamorcer celle des autres. Je ne sais pas vraiment d’où ça me vient, mais ça s’est manifesté après que j'ai quitté la maison avec ma sœur. Je prends soin de dissimuler ma présence magique. C’est Hegal qui m’a montrer ce tour, bien utile.

Hegal a disparu de mon champ de vision. Elle a dû sentir une présence maintenant que j'ai fait un trou dans la barrière. Tant pis, moi j’avance ! Je suis curieux de voir ce qu’est vraiment l'immense bâtiment qui se dresse devant nous. Il est en bois, normal puisque nous sommes entourés d’une forêt de sapin montagneuse. En m'approchant, je remarque que la base est en pierre. Ça rend probablement le bâtiment plus solide. Je fais une ronde du regard, personne en vue. En revanche, du côté magie, il semble y avoir du monde dans le bâtiment. J'en distingue au moins trois différentes.

« Il y a un spécialiste du feu, une harpie, un garou, et deux autres que je ne reconnais pas. Je dirais un griffon pour l'un, et l'autre, peut-être un pandi… sans certitude. »

Je hoche la tête. Hegal a une analyse plus fine que la mienne. Ils sont donc cinq. Je serais curieux de savoir ce qu’ils font là.

« On y va ?
- Quoi ? Pourquoi faire ?
- Pour s'amuser un peu !
- S'amuser ? Tu as un plan peut-être ?
- On les espionne ! J'ai envie de savoir ce qu’ils font là.
- Ils ont le droit de vivre leur vie en paix…
- Allez, rends-moi invisible et on y va ! »

Je l'ai entendu soupirer. Je la convaincs comme je peux… il y a quelque chose qui m'attire ici. Je veux savoir ce que c’est. J'ai tendu ma main et j'ai senti le pelage de Hegal. Elle rend invisible les autres par contact, je suis donc tranquille pour trouver une entrée. Il doit sûrement y avoir une issue que l'on peut emprunter…

« Là-haut, souffle Hegal. »

Je lève la tête. Il y une large entrée sous le toit, si large qu'Hegal pourrait si poser les ailes déployées. Je me demande pourquoi laisser un tel trou.

« On y va. »

La chimère m'a aidé à monter sur son dos et elle s'est envolée. Elle a eu une hésitation en voyant un pelage clair couché dans de la paille là-haut avant de se rendre compte que l'animal dormait. Quelle chance ! Hegal s'est posée. Je lui ai pointé l'animal avec un regard interrogatif. Ça ressemble à un griffon, mais avec un pelage plus épais et blanc. Elle me pousse en avant, elle ne doit pas savoir. J'avance prudemment, gardant toujours une main sur le pelage de la chimère. Je ne dois surtout pas la lâcher.

La pièce qui donne sur l’extérieur est couverte de paille, et elle est fermée par un mur en bois, pourvu d’une porte. Dans un coin, je remarque un seau d'eau et ce qui semble être des baies. Je m’approche un peu, entraînant Hegal à ma suite. J'ai déjà vu ses fruits, ils poussent sur certains sapins de cette forêt. Je ne sais pas s’ils sont comestibles… mais à côté d'eau, dans ce qui semble être réservé aux animaux, j’imagine que ça l'ai. J’aurais bien goûté, mais Hegal m'en empêcherait, alors je passe mon chemin. La porte est ouverte je la pousse doucement, priant pour qu’elle ne grince pas.
Sur la droite, il y a une vaste pièce, presque autant que la précédente, contenant des cartons pleins, des vêtements, des livres, des objets de toutes sortes… je me demande si je serais capable d'en nommer la moitié. En tout cas, les étagères sont bien garnies !

Devant, il y a un escalier. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, il est très large pour un escalier, bien assez large pour que moi et Hegal puissions passer côté à côté. En bas, nous débouchons sur un couloir. J’entends des voix sur la droite. Je tire Hegal dans cette direction, elle résiste. Je sais bien qu’il est encore de faire demi-tour, que l’on va probablement faire une bêtise, mais on s'en sortira ! On s'en est toujours sortis.

Elle finit par céder.

Nous arrivons dans une immense pièce remplie de tables circulaire est de chaises. Juste devant moi, il y a un comptoir avec des étagères derrière… ça ressemble à un bar. Un bar ? Au milieu de la montagne ? Avec une étable à l’étage ? Ça défiait la logique ! Les humains défient souvent la logique, mais enfin là, c’était assez surprenant.
Dans la salle, il y a quatre personnes, elles sont assises autour d’une table. Il y un homme avec les cheveux mi-longs, noirs, vêtu d'une chemise sombre et simple. Penché devant des cartes, il semblait expliquer au trois autres. Parmi eux, une harpie, elle parait jeune, elle est même plutôt belle, le plumage couleur feuille morte. Son visage est fin, mais il a toujours cette mimique agressive, classique chez cette espèce. Il y a également un autre homme, petit, un peu rond. Il a une barbe parfaitement taillée, les cheveux bruns et courts. Ce n’est pas un pandi, mais je ne sais pas dans quel panier le mettre. Peut-être un garou ? Il n’a pas de longues oreilles, pas de cornes, pas d'ailes…

Et puis, dos à moi, un caprin avec ses cornes pointues. C’est encore un enfant, il n’a pas l’air beaucoup plus vieux que moi. Il a les cheveux clairs, tressés et attachés ensemble. Il a la peau mate. Ça doit être lui celui qui manipule le feu, c’est un pouvoir répandu chez les caprins.

Je m'approche un peu. Je sens Hegal peu rassurée. Nous sommes invisibles et nous dissimulons chacun notre magie, ils n’y a pas de raison qu’ils nous repèrent si nous faisons attention.

« Si Oun vous dépose près de la capitale, vous pourrez vous y rendre et enquêter sur ce trafic. Pendant ce temps-là, moi et Zizare irons faire un tour du côté de la cité elfique.
- Dans quel but ? demanda le plus jeune.
- Le conseil a lieu dans trois jours. C’est le moment d'obtenir des informations confidentielles concernant les nobles. Nous pourrons ensuite établir une liste de ceux à éliminer.
- Ne vaut-il pas mieux que tu restes dans le coin ? Ce n’est pas prudent d'agir ainsi, Zizare ne peut pas couvrir tes arrières si tu es découvert et en tant que combattant, tu serais plus utile à nos côtés, remarque le petit homme.
- Que proposes-tu alors ?
- Je propose que ce soit Oun qui se rende chez les elfes, que je reste ici pour surveiller la base et maintenir la barrière, et que tu ailles avec Sua et Zizare à la capitale. Zizare connait la capitale mieux que Oun. Oun connait de bons sorts de camouflage.
- Je le trouve jeune et je ne suis pas sûr qu’il comprenne tout et sache tout retranscrire. »

Je ne comprends pas bien le but de ce plan. Il y a du trafic à la capitale ? Et alors ? Pourquoi avoir besoin de combattants ? Il y a le conseil des elfes ? En quoi cela en fait une période propice à l’espionnage ? C’est truffé de gardes et de soldats. Peut-être que les informations sont plus grosses, mais le risque aussi. Pourquoi éliminer les nobles ? Les choisir avec quel critère ?

« Certes, mais on garantirait à la fois un succès à la capitale et à la fois la protection de la base. Des conseils, il y en aura d’autres. Je sais que tu veux éliminer ces ordures de nobles, mais soit patient. Ils payeront, tôt ou tard.
- La drogue qui circule à la capitale fait plus de ravage que les nobles selon toi ?
- Un problème après l’autre. Sauf que des trafiquants, c’est moins simple à attraper qu’un noble. Ça se faufile entre vos pattes, ça disparaît et ça repousse un peu plus loin. Les nobles, ça ne disparait comme ça, surtout chez les elfes où ils sont connus.
- Tu as peut-être raison… »

Oh, je crois que je commence à comprendre. Ils veulent aller casser les figures des vendeurs de drogues. À vrai dire, on a pris soin de ne pas traîner trop près de la capitale avec Hegal. Les beaux quartiers sont pour les bourgeois et les nobles. Le reste est en proie à une certaine pauvreté et à la violence d’après ce qu’on nous a raconté. J’imagine que c’est une bonne chose de vouloir arrêter le trafic de drogue, ça limitera probablement un peu les problèmes là-bas.

Pour les elfes, en fait, ils veulent éliminer ceux qui agissent mal. Mais le bien, le mal, c’est une notion un peu subjective quand on y pense. Et comme ils ne visent que les nobles, s’ils écoutent le conseil, ils pensent avoir des indices pour établir une liste de personnes à tuer. Maman m’a dit d'éviter de tuer des gens car les hommes prennent la mort très à cœur. Eux, ils ne semblent pas beaucoup hésiter. C’est plus simple de tuer lorsque l’on ne connait pas la personne.

J’ai soif. Ils n’ont pas d'eau ici ? J’ai regardé autour. J'ai remarqué une cheminée dans la pièce. C’est pas de l'eau… le comptoir est vide. Sur les étagères derrière, ils n’y a que des verres. Je remarque alors une porte derrière le bar. Où mène-t-elle ? Je tire Hegal pour que nous allions voir. Je sens son mécontentement. Ça va mal finir. Peut-être, mais ça m'amuse. Ces quatre-là sont amusants. Ils veulent aider le monde en éliminant. L’idée est assez ironique quand on sait que les héros sont là pour sauver des vies. Alors finalement, ce serait eux les antihéros ? Est-il possible que les héros et les antihéros aient le même but ? Hm… je serais curieux de connaître la suite de cette histoire.

Un verre se brise. Je sursaute. Cela suffit à ce que je perde le contrôle sur ma magie. Je le reprends immédiatement, la dissimulant de nouveau. C’est trop tard. Les regards sont tournés dans notre direction. Je sens Hegal se tendre. Elle va grogner… je caresse son pelage pour la calmer et la lâche.

« Qui es-tu ? fit l'homme aux cheveux noirs en se levant, imité des autres.
- Je me disais que ce n’était pas la meilleure idée d'espionner les elfes pendant le conseil. C’est le moment où il y a le plus de surveillance en ville. C’est difficile d’échapper aux gardes aisément. Surtout que pendant le conseil, ce sont des nobles qui sont rassembler. Ils ont tous des magies puissantes. En cas de pépin, difficile de leur échapper. Alors que leurs crimes, ils ne les font pas qu’en période de conseil. Ce serait aussi malin de les espionner quand il y a moins de danger.
- Qui es-tu ?
- Pour ce qui est de la capitale, vous pouvez tous y aller. Je n’y ai jamais été, mais ça n’a pas l’air tout rose. Mieux vaut être trop que pas assez. Pas la peine de garder quelqu’un ici pour la barrière, elle n'est pas très dure à traverser. Sinon vous avez de l'eau ? »

L’homme s'est approché pendant que je parlais. Son visage est fermé, je ne le sens pas trop. Je sors de derrière le comptoir, ne voulant pas me retrouver coincer. Il me laisse faire, je suis étonné. Il n'a pas l’air énervé, c’était mon but. Je n’aurais eu qu’à l'esquiver jusqu’à une des fenêtres à l'autre bout de la pièce. Je serais sorti par là. Mais il semble tenace… je vais avoir du mal à le contrarier celui-là. Changeons de stratégie.

« Qui es-tu ?
- Je m’appelle Ezer. Je voyage à droite à gauche et je suis tombé ici. J’étais curieux de savoir ce que c’était que ce bâtiment. Je ne pensais pas tomber sur une organisation de bienfaiteurs. »

J'ai haussé les épaules avec innocence. Il s’est encore approché, j'ai reculé. Tu es trop prêt, arrête-toi. Il ne s'est pas arrêté et a simplement contourné le comptoir. Il a attrapé un verre, a disparu dans la pièce d’à côté, on a entendu un robinet et il est revenu avec un verre d'eau. Il l'a posé sur le comptoir et s'est éloigné. Je me suis approché du verre, un peu méfiant. J'ai joué au malin, mais maintenant qu’il n’est pas rentré dans mon jeu, je me demande ce qu’il manigance.

« Et vous, qui êtes-vous ?
- Tu as déjà entendu parlé de l'Œil du Corbeau ?
- Bien sûr. C’est une organisation terroriste, qui a été décimée il y a quelques années, qui s’est tue, et finalement qui commence peu à peu à reprendre ses activités. Maintenant que vous en parlez, je remarque que le genre d’action que vous êtes en train de planifier pourrait tout à fait être leur genre.
- Tu as deviné. L'Œil du Corbeau, c’est nous.
- Des terroristes bienfaiteurs… hm… plutôt original. Et maintenant que j’ai découvert votre plan, qu’est-ce que vous allez faire ?
- De quelle manière veux-tu que nous réagissions ?
- Hm… je ne m’attendais pas à ce genre de question venant d'un terroriste.
- Tu n'as pas l’air d'avoir très peur. Tu n’as pas de raison de nous prendre pour des terroristes.
- Possible. Je me méfie quand même. Vous avez l’air très calme alors que j'ai joué la carte de la provocation dès le départ. J'en déduis que vous magouiller quelque chose.
- Pas vraiment. Ce sera le cas seulement si nous ne trouvons pas d’arrangement entre nous. Tu nous espionnes, tu connais nos plans, tu pourrais nous mettre des bâtons dans les roues.
- C’est vrai. »

J'ai fais mine de réfléchir. Je savais déjà quoi faire. La situation était plutôt claire. Ils ne me laisseraient jamais repartir comme ça malgré les apparences. Il n’y a pas trente-six solutions en vérité.

« Je ne vais pas dévoiler vos plans à d’autres personnes si je ne croise personne d’autres. Je propose donc de rester ici jusqu’à ce que vous ayez fini vos opérations. Pour me faire pardonner d'avoir mis mon nez là où je n’avais pas le mettre, je veux même bien vous filer un coup de main. »

Silence. L'homme aux cheveux noirs jette un regard vers ses camarades.

« Ça fait une bouche de plus à nourrir alors que nous avons déjà du mal à nous approvisionner, remarqua le petit.
- Je peux me débrouiller, pas d’inquiétude. Enfin, si vous répondez à la question suivante : est-ce que les baies qu’il y a dans le seau là-haut sont comestibles ?
- Elles le sont à petite dose. Seul certains animaux peuvent en manger sans danger. »

J’ai souris. Ça allait être facile alors. Il en a plein dans la montagne. Accompagné avec du gibier, ça va être facile. Quant à l’eau, je trouverai bien une rivière dans le coin.

« Ezer, ce n’est pas raisonnable, fit Hegal. »

Les chimères ne parlent pas, elles communiquent par télépathie, l'Œil ne l’entend donc pas. En revanche, je suis bien incapable de lui répondre sans être vu. C’est bien dommage.

« Soit, fit le caprin, mais si c’est pour qu’il nous ralentisse dans la mission, je ne vois pas l’intérêt.
- Qu’est-ce que tu entends par là ?
- Si on a à se battre et qu’on doit te protéger, on est pas rendu.
- Me protéger ? Comme c’est gentil, fis-je avec ironie. »

Comme si j'avais besoin de ça ! J'ai déjà mon ange gardien invisible. Si Hegal reste inexistante à leurs yeux, c’est bien. Ce serait ma carte majeure. Dans mes atouts, il me reste mon anti-magie, utile au cas où ils décideraient de se débarrasser de moi. Ils ont déjà probablement deviné que mon animal est la panthère, pas la peine de le cacher. Hm… je pense que je peux garder une longueur d’avance sur eux si je suis vigilant. À vrai dire, ce serait beaucoup plus simple pour eux de m'éliminer dès maintenant.

« On fait comme ça ?
- Très bien, reprit l’homme aux cheveux noirs, mais tu seras surveillé par Sua. Si tu t'éloignes de lui, je ne donne pas cher de ta peau.
- S’il arrive à me suivre, il n’y aura pas de problème. »

J'ai lancé un regard au caprin qui a serré les dents. Je l'ai vexé. Lui, il est facile à mener en bourrique apparemment. Je vais bien m'amuser. J'ai bu l'eau d’une traite, maintenant que l’on a conclu un accord, il y a moins de risque qu’ils m’empoisonnent. Je suis tout de même surpris de la facilité avec laquelle j’ai mené mon affaire. Ils sont très naïfs.

***

Je me suis allongé sur le tapis de mousse que j'avais rassemblé dans la journée. Zorigaitza, le chef aux cheveux noirs, m’avait proposé une chambre. J’ai refusé. J'ai toujours dormi à la belle étoile. Alors je me suis installé devant une fenêtre, histoire qu’ils m'aient bien en vue. Je leur avais promis de ne pas chercher à dissimuler ma magie et que je m'assurerai de toujours sentir au moins la magie de l'un d’entre eux. Enfin, ma parole ne doit pas valoir grand-chose à leurs yeux.

« Pourquoi as-tu fait ça ? »

Je sens le pelage de la chimère se coucher contre moi. Je pose ma main sur elle et commence à la caresser.

« Que voulais-tu que je fasse d’autres ? Je connais leur plan machiavélique pour dominer le monde. Je connais leur visage. Ils ne me laisseront pas partir. Soit je reste là et je me tiens tranquille, soit ils me tuent. Alors je te propose qu'on s'alterne ma garde. Moi le jour, toi la nuit. »

Les insectes chantent.

« C’est d’accord. »

Je ne pensais pas qu’elle accepterait si facilement.

« Il y a quelque chose qui m'attire ici, Hegal. Ils sont tous surprenants.
- Ce sont des terroristes. Ils croient faire bien mais ils ne rendent que des gens attristés par la mort de leur proche.
- Je ne sais pas. Je veux juger moi-même. Je veux les voir faire avant de déterminer si rentre dans ma notion de bien.
- Tu prends beaucoup de risque pour un simple jugement.
- C’est possible. À ton avis, quel est leur but ?
- Prendre le pouvoir en perturbant celui déjà en place.
- Je ne crois pas. Aucun d’eux n'a l'étoffe d'un leader.
- Comment peux-tu juger de ça ?
- J'ai grandi avec une reine et deux princesses !
- Si cela suffisait… sache que je ne compte pas reprendre le flambeau de Maman. Helin le fera si elle le souhaite, mais tu peux effacer l'image de princesse que tu te fais de moi.
- Dommage. Je pense que leur objectif est juste de rendre le monde meilleur. Leur méthode est juste un peu… mortelle. »

Hegal n'a rien répondu. Je crois qu’elle est fatiguée. Je crois que de parler de royauté et d’héritage l'a contrariée. Mieux vaut que je la laisse. Je me blottis contre elle.

« Bonne nuit Hegal, fais de beaux rêves.
- Bonne nuit Ezer. »

***

J'ai poussé doucement la porte, ne sachant pas si j'avais le droit de rentrer. La pièce principale avec les tables étaient vides. J'ai refermée silencieusement la porte derrière moi. Je suis seul aujourd’hui, Hegal dort. Je dois surveiller mes arrières. On m’a fait visiter le bâtiment hier, je me sens plutôt à l'aise. Mais je ne le connais pas assez pour pouvoir me défendre et me sauver si besoin est. Mais je n’ose pas trop me promener seul dedans. J'ai peur que ça les contrarie. Le jour est à peine levé en plus. J'ai eu le temps de manger avant de venir ici et de trouver de l'eau. Il y a un ruisseau qui descend la montagne.

Je remarque qu’il y a un journal qui a été laissé sur la table. Je m'assoie devant. Je ne sais pas lire. Il n’y a qu’une illustration, sur la première page. Je ne reconnais pas le lieu, c’est un village caprin. Il y a des habitants assis ou allongé dans une rue, il n’y a plus une herbe sur le sol. Ils ont l’air mal-en-point. Je crois avoir entendu que c’est la famine là-bas. La sécheresse n'a jamais été si rude pour eux, les récoltes sont mortes.

Je tourne la page. Que du texte. Je me concentre sur les caractères. Certains sont plus répétitifs que d’autres. Je reconnais quelques mots qui sont assez commun dans les villes : magasin, boutique, entrée, sortie, poussez, tirez, toilette…

« Tu lis le journal ? »

Je lève la tête. C’est Zorigaitza.

« Non. »

Il s'assoit autour de la table.

« Tu as besoin de quelque chose ? »

Il me regarde. Sa voix grave est douce. Je crois qu’il essaie d’être gentil avec moi.

« Non. »

Je le regarde. Je suis rentré pour trouver un peu de compagnie, pour en apprendre un peu plus sur eux.

« D’où viens-tu Ezer ? »

Oh je vois, lui aussi il veut en apprendre un peu plus sur moi.

« Des montagnes du Sud, plus à l'Ouest d'ici. J'ai un peu de famille là-bas, mais je suis parti.
- Tu es parti ?
- C’est naturel. Quand les enfants grandissent, ils quittent leurs parents.
- Mais tu es encore jeune.
- Je suis parti en même temps que mon frère et mes sœurs, nous avions le même âge.
- Tu as vous êtes une quadruplé ? Plus ?
- On peut dire ça. »

Il semble étonné. Je ne juge pas utile de préciser que l'on parle ici d’une famille de chimères. À mon tour d’être curieux.

« Et vous ? D’où venez-vous ?
- J’étais l’héritier du royaume, le premier prince. J'ai été écarté étant adolescent, on a jugé que ma santé était trop fragile pour gouverner. Mon petit frère est devenu l’héritier. Alors, je suis parti avec Nomnos pour faire de la route. Nous avons finalement eu le projet de fonder l'Œil.
- Vous êtes malade ?
- Ça va mieux, je n'attrape plus toutes les épidémies qui passent. Ça arrive de temps en temps.
- D’accord. »

Il n’a pas de chance. Même si c’est moins fréquent, j’imagine qu’il souffre assez souvent quand même. Enfin, c’est un battant, parce que des épidémies qui passent, ça fait souvent des morts. Après, il est de sang royal, il devait avoir bons médecins étant jeune.

« Ezer, n'as-tu pas peur de te mettre en danger en nous aidant ? Surtout si tu n'as jamais été à la capitale.
- Vous essayez de me dissuader ?
- Nous faisons ça dans le cadre d'un combat. Si tu ne comprends pas les tenants et les aboutissants de ce combat, c’est inutile de te mettre en danger. »

Un combat, hein ? Peut-être que j'ai parlé trop vite hier soir… je me demande jusqu’où il peut aller pour son combat.

« J'irai. Comme ça, vous pourrez me montrer les tenants et les aboutissants de votre combat. »

Je veux voir qui est l'Œil. Nos regards se sont croiser. Je veux voir si ton combat est juste, quelle est ta vision du bien ? Montre-moi, je suis curieux de savoir, de connaître toute l’étendue de ta détermination.

« Comme tu veux. »

J'ai souris. Il va dans mon sens, il n’est pas contrariant lui. Je crois que je vais commencer à bien l'aimer. Il est chef, mais il se repose beaucoup sur les autres, si bien qu’ils les écoutent peut-être un peu trop. Ça lui permet probablement d’être apprécié de ses compagnons et d’être justes avec eux. En revanche, niveau autorité et charisme, c’est pas ça. Il est toujours calme, je le vois mal monter le ton finalement…

« J’avais une question.
- Oui ?
- Hier, est-ce que vous avez fait tombé votre verre exprès ou pas ?
- J’avais un pressentiment, une impression de n’être pas seul avec Nomnos, Zizare et Sua.
- Je vois. »

Étrange quand même. Nos sorts ne devraient pas créer ce genre de situation. Soit il dit vrai et il a un sixième sens, soit il connait un sort capable de dévoiler notre présence. Auquel cas, Hegal n'est pas en sécurité. Peut-être qu’il vaudrait mieux que je leur dévoile sa présence ? Après tout, elle a entendu comme moi. Mais s’il possédait ce genre de sort, il aurait forcé Hegal à rester aussi. C’est trop risqué pour l'Œil qu’elle s’enfuit. Plus que moi-même. La réponse la plus logique est qu’il ne l’a pas remarqué, qu’il a simplement une intuition.

« Quand est-ce que vous irez chasser ces vendeurs de drogue ?
- Dans deux jours, lorsque les regards seront tournés vers le conseil elfique.
- Et vous espionnez ce conseil finalement ?
- Je ne sais pas encore. Oun n'est pas prêt à s’y rendre seul selon moi. »

Oun, c’est la bestiole blanche. Ce serait un griffon des neiges. Sua m'a expliqué que Nomnos l’avait sauvé dans la banquise et l'avait ramené ici récemment. Il n’aurait qu’un an. Il n’est pas prêt tout court. Trop jeune. C’est de la folie de l'envoyer là-bas.

« Ezer. Ton intrusion ici est-elle aussi désintéressée que tu le prétends ?
- C’est un peu tard pour me demander ça, non ? S’il y avait eu quelque chose qui m’intéressait, je l'aurais déjà pris. »

Je lui ai lancé un regard rusé, je l'aurais même déjà pris mille fois. Ce n’est pas les possibilités qui me manquent.

Il a légèrement froncé les sourcils. Mécontent ? Méfiant ? Je ne sais pas, mais il n’a pas apprécié ma pique. Continuons.

« En fait, vous n’êtes que quatre ? C’est peu pour une organisation criminelle non ?
- Effectivement, nous nous penchons peu à peu sur d’éventuels recrutements, mais tu comprendras que ce n’est pas si simple. Il faut que nous prenions nos précautions.
- C’est vrai. Mais d’être si peu limite grandement vos possibilités d'action. Je veux dire, difficile de planifier plusieurs actions en même temps. »

Il m'a regardé. Clairvoyant, non ? La vérité, c’est que ça saute aux yeux. L'Œil est connu pour s’être fait décimé, pas pour avoir un poids important. Ce serait même plutôt une des dernières préoccupations des castes.

« Peut-être mais c’est compliqué pour nous d’accueillir beaucoup plus de monde. Nous avons déjà du mal à nous procurer suffisamment de nourriture pour tous les cinq, notre eau dépend uniquement de la pluie, et le bâtiment est à peine fini. Lorsque nous aurons une situation plus confortable, je pense que nous pourrons nous concentrer pleinement sur le recrutement.
- Ça va devenir un hôtel. Pour la nourriture, je ne sais pas où vous vous la procurer, mais il devrait y avoir suffisamment de fermes sur le continent pour vous nourrir.
- Avec quel argent payons-nous les fermiers ?
- Vous les recrutez. Il y en aura bien un qui sera en adéquation avec vos projets.
- Ça se réfléchit…
- Et pour l'eau, il y a une rivière qui ne coule pas loin. Cumulé avec des récupérations d'eau, je pense que c’est jouable. Il faut juste se méfier de la sécheresse.
- Ça me parait trop simple pour que cela fonctionne, mais admettons.
- Il n’y a pas toujours besoin que ce soit compliqué. Il suffit de savoir quoi exploiter et comment. »

Les hommes me l’ont bien montré, ils sont présents sur l'ensemble du continent et ce par tous les temps, du désert à la banquise. Ces trois années de voyage m’ont appris à les observer et à les imiter.

J'ai levé les yeux vers le couloir en entendant des bruits de pas. Sua est apparu, encore endormi, les cheveux en pétard. La classe… j'ai étouffé un rire. Le réveil ne le réussit pas apparemment. Je vais éviter de le taquiner tout de suite.

« Je vais faire un tour dehors, Sua.
- Je m’en fiche…
- Comme tu me surveilles, je me disais pourtant que ça t’intéresserait…
- Ah oui, c’est vrai. Laisse-moi me préparer, je viens te surveiller. »

Et il a disparu dans un autre couloir. Je n’ai pu contenir un rire. Il a une drôle de façon de surveiller quelqu’un celui-là ! Je me suis levé et je me suis dirigé vers la porte.

« Merci pour le brin de causette !
- Avec plaisir, Ezer. »

Je suis sorti, il y a quelque chose que je veux voir. Ou plutôt quelqu’un. Je me suis arrêté au pied du trou où nous sommes entrés hier. Il manque littéralement un morceau du mur en fait, je ne sais pas si juste un trou suffit à qualifier cette ouverture.

Bilan. Je sens bien Zorigaitza. Même si ça me parait étonnant qu’il soit si empoté… je sais qu’il vient de la famille royale, il parait qu’ils ne sont pas bien au point là-bas niveau survie, mais enfin, il y a des bases à avoir. Je pense qu’il cache ses atouts. Un gars tel qu’il le laisse paraître ne peut pas être chef d'une bande de terroriste, c’est trop irréel. Même si son organisation s’est déjà faite écrasée une fois, ça peut expliquer des choses. Sa vraie force est forcément quelque part.

Bref, voyons le membre suivant ! J'ai pris l’apparence d'une corneille pour rejoindra le bord du trou. Oun est là, couché dans la paille. Il ne s’est donc pas levé depuis hier ? Je regarde les seaux. Ah si. Le niveau a baissé. Le griffon blanc ne me regarde pas. Je ne veux pas le surprendre. Je croasse. Il lève un œil dans ma direction. Je reprends forme humaine. Il ne semble pas étonné. Je m’approche de quelques pas. Il commence à grogner.

« Oun, je m'appelle Ezer. »

Je me suis encore approché. J’ai planté mon regard le sien. Il a de grands yeux sombres fendus de deux pupilles noires. Je ne lui veux pas de mal, je veux juste discuter. Il s'est redressé et a hérissé son pelage. Ses ailes se sont entrouvertes, le rendant plus impressionnant. J'ai tendu ma main dans sa direction. Je n'ai pas peur de toi. Je veux être ton ami. Je souhaite juste passer un peu de temps avec toi et te connaître.

Il a cessé de grogner et s'est approché avec méfiance. Nos regards ne se lâchent pas. Aies confiance. Je ne te veux que du bien. Tu pourrais me tuer ou me blesser si facilement, tu n'as qu’un an mais tu es plus massif que moi. Ton bec est plus aiguisé que mes griffes et tes ailes sont plus puissantes que mes crocs. Tu le sais. Tu n'as pas à me craindre. Je le sais. Je n'ai pas peur de toi.

Les minutes ont défilé. Oun a finalement placé son bec dans le creux de ma main, timidement. J'ai laissé ma main glisser sur son doux plumage immaculé. Tu vois, tu n'as rien à craindre. Je ne te veux pas de mal. J’enlève les brins de paille coincé dans les plumes et les poils du griffon au fur et à mesure que ma main se promène sur lui. Il est doux comme une peluche, c’est agréable. Il me fixe. Il est toujours méfiant.

« Je viens d'une famille de chimères, Oun. J'ai rencontré d’autres griffons avant toi, mais ils étaient tous bruns ou sable. Tu es le premier griffon des neiges que je vois. »

Je me suis rapproché de sa tête et j'ai gratté derrière ses oreilles. Il a émis un faible ronronnement avant de secouer la tête vigoureusement. Je me suis écarté.

« Je ne veux pas que tu aies peur de moi. Je risque de rester un peu, alors je préfère que nous soyons amis. »

Si dans deux jours nous partons à la capitale, dans combien de temps l'Œil va-t-il s'en prendre aux elfes ? On ne me laissera pas partir avant. Quoique vu la surveillance qu’on m'accorde, je pourrais partir de suite. Je pourrais sûrement leur échapper le temps qu’ils accomplissent leur mission. Mais… je crois que je ne veux pas leur causer de problème.

***

J'ai caressé une dernière fois le pelage d'Oun.

« Prends soin de la maison, lui ai-je souffler. »

Il n’a rien répondu. Je suis descendu par l’ouverture du mur. J'ai sauté, parce qu’à descendre, ça va plus vite. C’est haut, mais pas insurmontable.

Zizare, Sua, Nomnos et Zorigaitza sont là. C’est le moment du départ. Je vais enfin découvrir la capitale. Pas que je sois impatient avec tout ce qu’on dit dessus, mais il me reste cette curiosité. J'ai hâte de savoir sur quoi on va tomber. Pourvu que ce soit amusant.

« Tout le monde est prêt ? Vous vous souvenez du plan ? »

Chacun a répondu affirmativement. Je connais ma part : suivre sagement Zorigaitza tandis que Nomnos et Sua feront équipe. Zizare se tient prête à nos évacuer en urgence si besoin. C’est tout ce que j'ai a savoir. Mais j'ai retenu un peu plus que ça, Hegal a écouté la suite du plan pour moi. Avec Zorigaitza, on passe par le Nord. Nomnos et Sua par le Sud. Apparemment, les vendeurs se cachent dans les égouts et les sous-sols. Il y aurait d’immenses galeries sous la capitale.

Nous décollons. Sua et Nomnos sont sur le dos de Zizare tandis que Zorigaitza et moi, les deux garous, avons pris une apparence d'oiseau. J’espère que mes ailes tiendront bon jusqu’à la capitale.

***

Je me suis arrêté devant l’entrée du sous-sol. C’est sombre, ça sent mauvais et ça à l’air étroit. Je ne suis pas à l'aise… j'ai voulu posé ma main sur le pelage d'Hegal, j'ai retenu mon geste. Hegal n'est pas censée être là.
Zorigaitza s’est tourné vers moi.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Je le rejoins. Tu es seul, Ezer. Surmonte ça par tes propres moyens ! Tu n'en seras que plus fort. J'ai serré le poing, m'enfonçant dans les ténèbres, pas question de reculer. Je suis seul et je vais m'en sortir.

Mes yeux s'habituent vite au noir. Je remarque que Zorigaitza a pris l’apparence d'un chat. Je devine que c’est pour voir où il met les pieds. L'air est lourd, c’est étouffant. Je n’aime pas ça. Mes mains sont moites. Je les essuie sur mes vêtements. Le chef miaule. Je le regarde, lui aussi. Il est calme. Détend-toi. Respire. N'aies pas peur.

Nous avançons un moment avant d'arriver à une sorte de salle éclairée par des lanternes de couleurs chaudes. Un marché s'étend devant nous, un marché souterrain. Je ne m’attendait pas à ça… c’est bruyant, assourdissant même. Les sons résonnent. Comment les gens parviennent à supporter ça ?

« Ça change du calme de la nature, remarque Zorigaitza. »

Hmf… fiche toi de moi en plus. Si tu crois que ça va m’arrêter !

Nous avançons entre les étals. Je fais attention à ne pas perdre Zorigaitza de vue, il avait repris sa forme humaine. Heureusement parce que suivre un chat dans cette foule, c’est peine perdue. Je ne croise pas le regard des gens. C’est une masse oppressante. Je me sens mal ici. Je ne regarde pas les stands, ils sont trop serrés, trop proches, oppressants aussi. Je ne regarde que le chef aux cheveux noirs. J'ai peur de paniquer si je le lâche, de ne jamais retrouver mon chemin.
Il s’arrête finalement devant une sorte de chapiteau de toile.

« À partir de là, reste sur tes gardes ! Et quoi qu’il arrive, ne mange pas, ne bois pas, ne respire bien ce qu’on te propose. Imite les autres jusqu’à ce qu’on arrive dans leur quartier général. C’est compris ?
- Oui. »

Je ne suis pas rassuré du tout. Je ne le sens pas du tout du tout. J'ai reculé un peu. J'ai croisé le regard de Zorigaitza. Il est calme. Comment peux-tu être calme ? Tout ce brouhaha, toute cette foule, et tu m’emmènes dans la gueule du loup ? Tu es calme. Moi, j'ai peur. Je suis mal. J'ai trop chaud. Je suis abasourdi par le bruit. Je ne sais plus quoi penser. J'ai juste peur. Je veux partir.
Tu m'as tendu ta main. J'ai planté mon regard dans le tien. Oun. Oun. J'ai fais pareil avec Oun. Je lui ai tendu la main aussi, et il a accepté. Il a accepté de surmonter sa peur. Oun l'a fait, il l’a fait pour moi. Alors pour toi, je vais le faire aussi. Si Oun a réussi, je réussirai aussi ! J'ai attrapé la main de Zorigaitza et nous avons avancé.

***

« Ezer ! Ezer ! Tout va bien ? »

J'ai l’esprit engourdi. Je tâte maladroitement le sol autour de moi. Je touche quelqu’un, qui est-ce ?

« C’est moi Ezer, tout va bien. Nous sommes dans le chariot qui nous mène à leur quartier général, murmure-t-il. »

Je me redresse doucement. J'ai envie de vomir. Et les secousses de la route n'arrangent pas ma situation. Les odeurs sont toujours aussi nauséabondes, l'air lourd. Je sens que je vais lâcher. Je distingue des corps allongés autour de moi. Ça pue.
Il me tire contre lui par mes vêtements et me pose contre son épaule. Il pose sa main sur mon front, elle est froide, ça fait du bien. Je laisse ma tête se reposer contre lui.

« Ton état m’inquiète. J’espère que tu n'as rien pris de leur saloperie et que ce n’est que l’air du pays qui te déplait. »

J'ai senti mon estomac remonter. J'ai attrapé en vitesse la barre de bois derrière nous et j'ai vomi par-dessus bord. Je suis resté haletant quelques secondes, la tête hors du chariot. Merde. Je suis vraiment mal. Mes doigts ont serré la planche qui refermait l’arrière du chariot. Je dois tenir bon. L’atmosphère est insupportable, mais je dois tenir. Ça m’étonne presque qu'Hegal ne soit pas encore intervenu vu mon état. Est-elle là au moins ? A-t-elle osé me suivre ?

Je me rassoie à l’intérieur et essuie ma bouche d'un revers de main.

« Ça va aller ?
- Oui. »

Je me suis remis contre lui, je n'ai pas la force de me tenir seul. J'ai mal aux épaules avec les heures de vol qu’on s'est mangé avant, j'ai mal au ventre, et il faut toujours aussi lourd… quel enfer ! Je me sens aussi lourd que l'air, comme si j'allais m'écrouler. Je sens la main de Zorigaitza se poser sur mon épaule. Ça va aller…

***

« Ezer, debout. On est arrivés. »

Il m’a secoué doucement. J'ai redressé la tête. Hmf… je me suis endormi. Je me frotte les yeux tandis que le chef se lève déjà. Il  me tend sa main et m'aide à en faire de même. Contre toute attente, je remarque que le chariot n'est pas encore stoppé et Zorigaitza m'entraine vers le fond. Il s’y rassoit et m'invite à l'imiter.

« Je t’explique maintenant : on se laisse sortir. Dès que la voie est dégagée, on lance l'offensive. Le but est d'éliminer le plus de trafiquants possibles. Si jamais l'un de nous sent qu’il va flancher, il déclare le repli, c’est clair ?
- Je crois. »

Je ne comprends pas bien le « quand la voie est dégagée » mais je vais suivre le mouvement. Le chariot s’arrête. Des hommes masqués retirent la planche qui ferme l’arrière.

« Debout là-dedans ! crie l'un d’eux. »

Les corps qui jusqu’ici jonchaient mollement le sol s'ébranlèrent, se redressèrent lentement, comme des cadavres que l’on venait de déterrer et qui revenaient à la vie. Leur puanteur aussi revint à la vie par cette même occasion. Les hommes se sont impatientés. Ils ont attrapé le premier corps et l'ont jeté hors du chariot sans la moindre douceur. J'ai eu peur qu’il me fasse la même chose. Zorigaitza s'est levé, lentement, comme les autres corps. Il les imite terriblement bien… alors je fais de mon mieux pour en faire de même. Je me sens mal, j'ai peur. J'ai chaud, l'air m'étouffe. Je titube, bouscule un corps et le fait tomber sur le côté. Merde. Reste dans ton rôle. Ne te fais pas remarquer. Les hommes ne semblent pas trop y prêter attention, sortant un à un les corps. Quand vient mon tour, ils m'attrapent par les épaules et me jettent au sol. Je roule et redresse la tête, confus. Les silhouettes dansent quelques secondes autour de moi et tout redevient à peu près net. Les corps se relèvent. J'en fais de même. Les hommes nous mènent dans une autre salle. Ça commence à sortie la sueur, le sang, la peur, la mort. Je panique. Où va-t-on ? Pourquoi ? Que va-t-on nous faire ? J'ai peur. Je me suis planté, ne sachant que faire. Je ne veux plus continuer. L’atmosphère est insupportable. Je me sens lourd, j'ai du mal à respirer.

« Avance ! ordonne un homme en m'attrapant le bras. »

J'ai lâché. Une violente décharge est partie, l'homme est tombé au sol. La sortie. Je dois trouver la sortie. J'ai regardé, paniqué, autour de moi. Pas d’air pour me guider. Pas un faisceau de lumière. Un homme s'est rué sur moi. Je l'ai électrocuter aussi. J'ai peur. Je dois partir.

Un flash lumineux m’a fait tourné la tête. Zorigaitza vient de brûler trois hommes d'un coup. Cela fait, il m'attrape la main et me tire avec lui. Je ne résiste pas.

« C’était un peu tôt Ezer, il fallait rester calme. »

Il y a eu des cris derrière nous. J'ai peur. C’est de ma faute. J’ai laissé un larme coulé, parce que c’est tout ce que je pouvais faire. Zorigaitza nous conduisait vers les odeurs macabres, morbides.

« Tu devrais fermer les yeux, ça ne va pas être beau à voir. »

Je l'ai écouté. Je l'ai laissé me guider. J'ai écouté les cris en arrière. Les pas du chef qui résonnent. J'ai senti la mort toute proche, le sang, la peur. J'ai peur. J'ai entendu un claquement suivi d'un long grincement. Une porte ? Le son s'est répété plusieurs fois, Zorigaitza s'activait. Ses pas étaient pressés. Il allait, venait dans un espace que les bruits et la résonnance ne me permettaient pas de délimiter. Les cris derrière nous se rapprochent dangereusement. Je crois qu’on nous poursuit. J'ai commencé à entendre des pas par-dessus des cris. C’est très près.

« Ezer ! Viens par là ! appelle Zorigaitza. »

Avec les cris, les sons, les échos, je m'arrive pas à déterminer d’où sa voix vient. Alors j'avance hasardeusement.

« Ezer ! Derrière toi ! »

L'urgence. J'ai ouvert les yeux, je me suis retourné. Les hommes sont là, juste là. J'ai paniqué. J'ai lâché tout le jus que j'avais, jusqu’à ce que je n'entende plus rien. Quand j'ai pris connaissance de la situation, tous les hommes étaient à terre, assommés ou morts, je ne sais pas. Mes doigts picotent. Je me sens faible. Le monde a commencé à prendre des formes étranges. J'ai tendu la main pour me raccrocher à quelque chose. Hegal. Zorigaitza m’a rattrapé.

« Joli coup. »

Il m'a hissé sur son dos et nous sommes partis. Il a pris un couloir sombre. L'air est lourd. Nous avançons lentement. Ou du moins, le couloir, circulaire, sans couleur, continue de s'étendre à l’infini. J'ai l’impression qu’il y en a des kilomètres et des kilomètres, mornes, toujours pareils. Je me demande si on ne tourne pas en rond.

Finalement, nous arrivons dans une nouvelle salle, vide cette fois. Je distingue deux silhouettes à l'autre bout. Nomnos. Sua. Ils se lèvent. Nomnos a fait signe de main. Zorigaitza lui a répondu. Nous nous sommes retrouvés au centre de la salle. À peine Nomnos a ouvert la bouche que j'entends une chaîne bouger. La seconde d’après, nous sommes sous une cage. On est piégés. Des hommes apparaissent. Le chef me dépose au sol, je le sens tendu.

« Les oiseaux sont en cages on dirait, ricane un homme.
- Il se sont faits plumer une fois, pourquoi pas deux ? lui répond un autre pas moins moqueur. »

J'ai senti Zorigaitza et Nomnos se crisper. Sujet sensible. Sua l'a senti aussi je crois, il a lancé un puissant jet de flammes en direction des hommes. Je crois que ça n’a pas marché, ils ont ricané de plus belle. Je me suis redressé tant bien que mal. J'ai la tête lourde, j'ai chaud.

Les hommes ont attaqué à leur tour. Des projectiles de divers éléments ont fusé vers nous. J'ai voulu me lever, les éviter, lever les mains pour utiliser mon anti magie. Rien à faire. Hegal. Hegal. Viens. Aide-moi. J'ai besoin d'aide. Hegal.

Zorigaitza s'est interposé pour me protéger. Les projectiles l'ont blessé. J'ai eu peur. C’est de ma faute. Zorigaitza saigne. Il tient debout, mais il est blessé. Depuis le début, il me protège…

J'ai fermé, je me suis concentré. Hegal peut nous sortir de là. Elle doit le faire. Je connais pas toutes les nuances du chant des chimères, mais à force de les écouter, j'ai compris le sens de certaines notes. Le son résonne. Si elle est dans le coin, elle devrait m'entendre. Et j'ai commencé à chanter, à imiter ce que les chimères ont toujours fait. J'ai chanté aussi fort que j'ai pu. Hegal. Je t'en prie. Viens. Sauve-nous.

C’est devenu trop dur. Je me suis laissé tomber au sol. Je n'ai plus de force. J'ai fermé les yeux. Je ne veux pas mourir…

***

Une voix calme et grave m'a réveillé. J'ai ouvert les yeux. Je distingue la silhouette d'Hegal, et face à elle, Zorigaitza. On est vivants. On est vivants… Hegal est venue. Elle nous a sauvés. Elle s'est tourné vers moi, le regard sévère. Elle est fâchée ? J'ai voulu tendre la main dans sa direction pour la toucher. Trop faible. Hegal a attrapé la couverture qui me recouvrait et l'a remonté. Je suis dans un lit…

***

« Tu vas mieux ?
- Oui, merci !
- Je suis rassuré. Entre les faiblesses que tu manifestais là-bas et ta chimère qui ne nous laissait pas t’approcher, je n’étais pas tranquille.
- Pardon de vous avoir inquiétés. Et aussi de ne pas avoir été à la hauteur…
- Ne dis pas ça. C’est moi qui ai mal jaugé tes capacités. J'aurais du te dissuader avec plus d'insistance.
- Vous n’auriez pas réussi à me dissuader. »

J’ai souri. J’étais décidé, rien ne m'aurait fait reculer. J’étais trop sûr de moi. Maintenant, s’il veut me dissuader d’y retourner, il n’y aura pas de mal. Le chef m’a rendu mon sourire. J’imagine que nous partageons les fautes.

« J’espère que Hegal n'a pas été trop brusque avec vous…
- Je crois que nous lui devons une fière chandelle. Mais je suis surpris qu’elle soit apparue devant nous, les chimères n’apprécient pas être vue.
- Ah ah… elle ferait n’importe quoi pour son frangin.
- La prochaine fois tu te débrouilleras, andouille ! »

Je me suis retourné. Elle était là, bien visible. Je suis surpris. En revanche, elle n'a pas l’air de très bonne humeur. Je me suis pourtant excusé… enfin, j'imagine qu’elle n'est plus vraiment fâchée, simplement elle me fait comprendre que les événements l'ont beaucoup contrariés.

« Je te revaudrais ça, ne t’inquiète pas !
- Ce n’est pas la question, sombre idiot. »

Finalement, elle est toujours fâchée… j’ai rabattu mon sourire et je me suis levé. On va régler nos comptes. Zorigaitza nous a observé en silence. Nous sommes sortis à l’extérieur et nous sommes placés face à face.

« Je me suis déjà excusé ! Je ne commencerais plus à foncer tête baissée dans les embrouilles !
- Tu dis ça à chaque fois ! Ta curiosité te pousse toujours dans des situations compliquées ! Et tu as encore fini y laisser ta peau !
- Je le sais bien. Mais c’est plus fort que moi, j'ai besoin d'assouvir cette curiosité.
- Prends au moins le temps de me demander mon avis dans ce cas ! Je ne suis pas à ton service, j'ai autre vocation que d'assurer tes arrières !
- Pardon. Je te promets de faire des efforts.
- Tu as intérêt ! Crétin va ! J’étais inquiète moi ! Pense à ceux qui tiennent à toi, bon sang ! »

Et elle a disparu. Je me suis assis en tailleur et j'ai soupiré. C’est qu’elle n'a pas tord en plus. Je devrais faire plus attention à elle. Mais depuis le début, c’est elle qui me protège. Je n'aurais jamais pu faire autant de route sans elle… elle est bien plus forte que moi, bien plus solide. Jamais elle ne flanche, elle est toujours là au bon moment au bon endroit…

Je me suis levée. Changeons les règles.

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