V : Des empêcheurs de tourner en rond

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Chronologie :

2 mai 1998 : Bataille de Poudlard

31 décembre 2001 : Mariage de Ron et Hermione

26 décembre 2003 : Mariage de Harry et Ginny

20 juin 2004 : Election de Ron à la tête de la guilde de l'Artisanat magique

17 juillet 2005 : Naissance de James Sirius Potter

04 janvier 2006 : Naissance de Rose Weasley

Période couverte par le chapitre : 04 juin au 28 novembre 2006

Au début du mois de juin, sortit en librairie un livre intitulé Ascension et chute de Lord Voldemort écrit par un certain Quentin Discrey. L'auteur avait réussi à plus ou moins reconstituer les origines familiales du mage noir. Les révélations sur l'ascendance moldue du mage noir firent grand bruit dans la population sorcière. On en discuta bien entendu au Terrier.

— C'est extraordinaire qu'on trouve le nom de Voldemort sur la couverture d'un livre, remarqua Angelina. Pratiquement personne n'ose encore le prononcer.

— La bataille de Poudlard n'y est sans doute pas pour rien, avança Hermione. On l'a vu se battre contre des sorciers, enfin un en particulier, ajouta-t-elle en lançant un petit sourire en coin à Harry, et finalement être vaincu. Cela l'a naturellement rendu moins effrayant.

— Quelqu'un l'a lu ? demanda Harry, refusant de polémiquer sur l'influence qu'il avait eue sur l'image de Voldemort auprès du grand public.

— Je l'ai parcouru, indiqua Hermione. Il y a pas mal d'imprécisions mais l'histoire des parents de Voldemort est assez exacte. Cela dit, cela ne concerne que le premier chapitre. L'essentiel du livre porte sur l'aspect politique : ses premiers recrutements, l'action du ministère à l'époque, sa disparition, son retour et finalement sa mort.

— D'après ce que j'ai lu dans La Gazette, le nom de tous les Mangemorts y est consigné, commenta Adromeda.

— L'auteur a été très prudent. Il ne met l'accent que sur ceux qui ont été condamnés par le Magenmagot. Pour ceux qui ont été acquittés, il indique simplement qu'ils ont été jugés et que les charges ont été abandonnées. Discrey est moins intrépide que Skeeter.

— On ne s'en plaint pas, ironisa Harry.

— Par contre, continua Hermione, tu ne vas pas aimer ce qu'il dit sur Rogue. Il le classe sans ambages parmi les Mangemorts reconnus coupables. Il a même réussi à faire état d'une rumeur selon laquelle ce serait lui qui a tué Dumbledore.

— Pourtant, j'ai indiqué que les choses n'étaient pas aussi simples quand je suis passé à la radio juste après la guerre ! s'exclama Harry, atterré. Ce Discrey aurait pu me demander ce que je savais à son sujet.

— Il t'a contacté, il y a six mois, signala Ginny depuis la chaise longue où elle était allongée, mais tu n'as pas répondu à son hibou.

— Quoi ? Tu es sûre ? s'étonna Harry.

— Oui, son nom me dit quelque chose.

— Mais je suis sollicité deux fois par mois pour des articles sur la guerre. Je ne savais pas qu'il voulait parler de Rogue ! protesta-t-il.

— Tu lui aurais tout raconté ? l'interrogea Ron. Ce qu'il ressentait pour ta mère ? Le fait qu'il ait révélé la prophétie et entraîné la mort de tes parents ? Que tu as appris tout cela en fouillant dans ses souvenirs ? Qu'il a effectivement tué Dumbledore, mais qu'une vision t'a fait comprendre que c'était prévu entre eux ? Enfin, Harry, tu sais bien pourquoi tu ne racontes jamais rien !

Cela fit taire Harry. Il songea soudain qu'il aurait pu insister auprès de Kingsley pour que Rogue reçoive la médaille posthume à laquelle il avait droit et que cela aurait pu établir officiellement le rôle positif du personnage. Mais maintenant, c'était trop tard...

Toute la soirée, il remâcha cette conversation. Une fois dans son lit aux côtés de Ginny, il lui fit part de ses regrets.

— Je ne pense pas qu'il aurait tenu à être consacré comme un héros, observa-t-elle en retour. De son vivant, rien dans son attitude ne montrait qu'il se souciait de l'opinion d'autrui. D'ailleurs, il ne t'a aidé que parce que tu étais le Survivant, le seul capable de vaincre Voldemort. Il ne t'aimait pas tellement en tant que personne.

Sans prendre garde au geste de protestation de Harry, elle conclut sa démonstration :

— Je ne pense pas que tu doives te sentir coupable de ne pas mettre ta réputation en jeu pour réhabiliter la sienne.

Même si Harry n'était pas encore complètement convaincu, Ginny avait mis des mots sur ce qu'il ressentait et cela lui fit du bien. Mais ce n'était pas suffisant :

— D'accord, il n'aurait peut-être rien voulu venant de ma part, mais moi je sais ce que je lui dois. Je n'ai pas le droit de faire comme si rien ne s'était passé.

La physionomie de Ginny se fit mi-attendrie, mi-agacée :

— Je suppose que si tu n'avais pas ces états d'âme tu ne serais pas Harry Potter, soupira-t-elle. Bon, j'imagine qu'on n'a plus qu'à trouver un moyen de lui rendre hommage pour que tu puisses enfin te sentir quitte avec sa mémoire.

Harry réfléchit à la façon de perpétuer de manière positive le nom du sinistre professeur. Il contempla Ginny qui avait maintenant les yeux dans le vague, ses mains en train de caresser tendrement son ventre gravide, comme pour dire bonsoir au futur bébé. Il la trouvait magnifique quand elle communiait ainsi avec leur enfant à naître. Il eut soudain une idée :

— Si c'est un garçon, on pourrait l'appeler Severus, proposa-t-il.

Les yeux de Ginny s'écarquillèrent brusquement et le regard qu'elle lui jeta était clairement horrifié. Elle ouvrit la bouche pour protester puis la referma sans avoir émis un son, sans doute par crainte de froisser les sentiments de son mari en exprimant les siens. Il y eut un silence tendu avant qu'elle ne dise précautionneusement :

— Harry, tu es sérieux ? Tu te vois câliner un enfant qui s'appellerait Severus ?

Harry dut admettre qu'il était allé un peu loin.

— En second prénom ? tenta-t-il.

— Et qu'est-ce qu'on va mettre devant ? demanda-t-elle. Merlin ? Parce que je ne vois aucun autre héros dont la réputation pourrait contrebalancer celle de Rogue.

Harry allait faire machine arrière quand il eut une illumination :

— Albus ! s'écria-t-il. On va l'appeler Albus.

L'expression de Ginny se radoucit considérablement.

— Albus, répéta-t-elle comme pour en tester la résonance. Albus Severus Potter. Toute une page de l'histoire contemporaine sorcière, non ?

— Nos enfants peuvent-ils être autre chose ? demanda doucement Harry.

— Tu as raison, admit-elle, alors autant le faire avec panache.

Elle se figea soudain et s'écria d'une voix pressante :

— Promets-moi juste une chose !

— Quoi, mon amour ?

— C'est toi qui l'annonceras à ma famille.

*

Le 25 juin 2006, le petit Albus Severus Potter naquit à Ste-Mangouste. Comme il l'avait promis, ce fut Harry qui apprit aux Weasley les prénoms qu'ils avaient choisis pour leur second enfant.

— Albus, c'est très joli, convint Molly après un moment de flottement.

Harry comprit que le second prénom ne serait pas utilisé ni révélé à des tiers par les membres de la famille.

Quelques jours plus tard, il eut d'autres soucis. Si James avait été moins demandeur envers sa mère à la fin de la grossesse de celle-ci, son attitude possessive ressurgit avec force quand son petit frère fut amené au Square Grimmaurd.

Il montra immédiatement qu'il n'appréciait pas de voir le nouveau venu dans les bras de sa mère. Harry et les elfes réussirent à détourner son attention quand Ginny s'occupa du nouveau-né le premier jour de leur retour de l'hôpital, mais le lendemain, en voyant son petit frère au sein en milieu de matinée, James fit une crise de colère d'une telle intensité que, effrayée par l'ampleur de sa réaction, Ginny demanda à sa mère de venir en urgence pour lui demander conseil.

— Tu veux que je garde ton grand à la maison quelques jours ? demanda Molly après avoir pris la mesure de la situation.

— J'ai peur qu'il croie que nous l'abandonnons au profit d'Albus si nous l'éloignons, déclina Ginny les larmes aux yeux.

— Et si tu partais vivre chez ta mère quelques jours avec le petit et que je restais ici à m'occuper de James, proposa Harry.

— Tu vois bien que c'est moi qu'il veut, fit remarquer Ginny d'une voix désolée.

Ils regardèrent le trublion, blotti contre sa mère, enfin silencieux. Il avait hurlé sans interruption pendant les trois quarts d'heure qu'avait duré la tétée, bien que Harry, qui l'avait emmené à l'autre bout de la maison, ne l'ait pas quitté. Il avait ensuite mis une demi-heure supplémentaire à se calmer quand Ginny avait confié Albus à son père pour reprendre son aîné contre elle.

Par la suite, la situation ne s'arrangea pas : non seulement James pleurait à gros sanglots quand sa mère prenait le petit dans ses bras, mais quand Albus dormait, son attitude obligeait Ginny à sévir contre lui. En effet, le caractère aventureux de l'enfant le poussait à faire des expériences dangereuses qu'il fallait contenir par des interdictions, ce qui mettait à mal la patience de l'explorateur en herbe. James alternait donc entre désespoir et colère.

Trois jours après son retour à la maison, Ginny était de nouveau en larmes :

— Mais qu'est-ce que j'ai fait pour que cela se passe si mal ? demanda-t-elle à sa mère qui était venue pour tenter de l'aider. Je n'aurais pas dû avoir Albus aussi tôt, c'est ça ?

— On ne peut jamais savoir à l'avance, lui répondit Molly. Ron a plutôt bien accepté ton arrivée, mais c'est vrai qu'il avait des grands frères pour lui montrer l'exemple.

— Comment ça s'est passée quand Charlie est né ? l'interrogea sa fille.

— Bill avait six mois de plus, c'était donc différent. Il ne faut pas oublier que James est encore un bébé.

— Que dois-je faire, alors ? Je ne peux pas le laisser croire que je l'abandonne la moitié du temps et lui crier dessus quand je peux enfin m'occuper de lui !

— On ne peut pas lui demander à la fois de s'adapter à la nouvelle situation familiale et d'apprendre à gérer les colères inhérentes à son âge, admit Molly. Ça fait un peu trop pour un petit garçon comme lui. Je pense qu'il faut que tu le rassures sur le fait qu'il n'a pas perdu ton amour, mais que tu sois ferme sur le reste.

— Pour le rassurer, il faudrait que je passe presque tout mon temps avec lui. Qui va s'occuper d'Albus ? s'inquiéta Ginny.

— Déjà, si tu le nourris et que tu le gardes près de toi la nuit, c'est beaucoup. De plus, tu n'es pas toute seule pour prendre soin de lui, ma chérie. Dans la journée, Miffy peut le bercer et lui nettoyer sa couche. Le soir, Harry lui donnera son bain et le câlinera.

— N'est-ce pas injuste pour lui ?

— Tout dépend de la façon dont il le prend. Si la situation ne lui convient pas, il le fera savoir, et il sera temps d'appliquer une autre solution. Après tout, je n'ai pas eu tellement plus de disponibilité pour toi, entre les jumeaux et Ron, mais tu ne sembles pas t'en porter plus mal.

Ginny s'arrangea donc pour s'occuper le plus possible de son aîné pendant ses instants d'éveil et profiter au mieux des moments où il dormait – sieste et nuit – pour prendre Albus près d'elle. Après quelques ajustements, ils parvinrent à trouver une organisation qui semblait pourvoir aux besoins de James et satisfaire le nouveau-né qui s'accommodait de tous les bras affectueux qu'il avait à sa disposition.

Sur les conseils d'Hermione qui était à la pointe des théories moldues sur l'éducation, elle verbalisa pour James les sentiments qu'il ressentait et lui réaffirma à quel point il était aimé de ses parents. Elle utilisa aussi cette méthode pour l'aider à comprendre et surmonter le déplaisir causé par les multiples interdictions qui canalisaient sa découverte du monde.

Ginny expliqua également la situation à Albus pour lui assurer que ce n'était pas par indifférence qu'elle ne s'occupait pas de lui autant qu'elle l'aurait voulu. Cependant la jeune mère se sentait coupable envers son nouveau-né et le premier mois fut difficile pour tout le monde. Ensuite, James toléra mieux la présence de son frère, ce qui permit à ses parents de souffler un peu.

*

Au cours de l'été, Harry s'était à plusieurs reprises demandé si Bielinski avait suivi son conseil et avait sollicité le ministre pour améliorer la procédure judiciaire. Il l'avait plusieurs fois croisé dans les couloirs du ministère aux alentours des salles de jugement du Magenmagot, mais n'avait échangé avec lui qu'un vague signe de tête relativement froid. Hermione, de son côté, attendait toujours le bon vouloir du département des Mystères qui ne semblait pas pressé de lancer le protocole d'essais. La jeune femme ne pouvait donc que ronger son frein.

Harry eut cependant des sujets de satisfaction. Ses propres efforts pour faire évoluer leur manière de travailler avaient porté leurs fruits. Le pôle de recherche mis sur pied par Ron avait livré les portoloins jumeaux imaginés par Owen et lui au printemps précédent. Eux-mêmes n'avaient pas eu l'occasion d'utiliser l'une des cinq pièces que possédait son service, mais des collègues en avaient fait bon usage et étaient venus les féliciter de leur invention. Faucett leur avait indiqué qu'il attendait des artisans une autre livraison : une version miniaturisée des doubles tableaux qu'ils avaient utilisés dans l'affaire du trafic international de produits de magie noire. Ils pourraient ainsi surveiller des lieux à distance, de façon discrète.

En septembre, soit cinq mois après sa rencontre avec l'avocat, Harry eut enfin la conviction que leur entretien avait été fécond.

— Ils sont en train de nous concocter un sale truc, à la Justice magique, annonça un matin Nat Proudfoot, le partenaire de Seamus Finnigan, à la pause-café.

— Quel genre ? demanda Michael Corner.

— Ils vont revoir toute la procédure de jugement. Il paraît que les criminels ne sont pas bien défendus !

Cela fit naître des grommellements autour de la table. Dans leur ensemble, les Aurors trouvaient qu'il y avait encore bien trop de délinquants en liberté, faute d'avoir pu les prendre sur le fait.

— Il paraît qu'un avocat a déposé un rapport gros comme le bras, ajouta Proudfoot, et que la Justice en a tiré des propositions qui sont discutées depuis plusieurs semaines à la réunion hebdomadaire des chefs de département.

Harry tenta de garder l'air dégagé. Si ses collègues apprenaient qu'il était à l'origine de ce qui semblait être une évolution importante de leur procédure criminelle, il aurait à répondre de toutes les nouveautés qui ne leur plairaient pas.

— Il faut peut-être attendre de voir avant de critiquer, fit remarquer Anthony Goldstein, s'attirant sans le savoir la gratitude de Harry.

— C'est tout vu. Les avocats sont des empêcheurs de tourner en rond. Bientôt c'est les malfrats qui vont nous attaquer en justice pour avoir osé les arrêter.

— Tu as des précisions sur ces propositions ? s'intéressa Anthony.

— Des conneries... Genre, la possibilité de consulter un avocat pendant les interrogatoires, ou qu'on ait besoin d'un jugement pour garder un type enfermé avant le procès... Des conneries, je vous dis !

— C'est comme ça qu'ils font chez les Moldus, analysa Michael Corner. C'est pour préserver la présomption d'innocence.

— Quand je coince un salaud qui refile de la poudre à lutin à des gamins encore à Poudlard, tu parles qu'il est innocent ! s'indigna Proudfoot. Qu'est-ce qu'il va falloir pour les arrêter, maintenant ? Qu'ils viennent avec un sortilège de Mort dans leur baguette en suppliant qu'on les envoie à Azkaban ?

— Ça commence à bien faire de toujours vouloir faire comme les Moldus, grommela Muldoon, un Auror de l'ancienne génération avec qui Harry ne s'entendait pas très bien. On est sorciers, on n'a pas besoin de leurs idées bizarres !

Harry trouva que cela se mettait à dériver de façon inquiétante :

— Attendons de voir ce qu'il va en sortir, intervint-il.

Muldoon lui lança un regard mauvais, mais les autres repartirent vers leur table de travail sans insister, même s'il était évident, à leur physionomie, que Harry ne les avait pas convaincus.

*

Deux semaines plus tard, rien d'autre n'avait filtré sur le sujet. Harry n'y tint plus et décida de mettre Hermione sur l'affaire pour avoir des renseignements. Il alla la voir dans son bureau au département de Régulation des créatures magiques :

— As-tu entendu parler de nouvelles lois de procédure judiciaire ? lui demanda-t-il de but en blanc.

— Oui, Susan m'en a touché un mot. Vous en discutez déjà au bureau des Aurors ?

— Des infos ont filtré, et mes camarades sont assez inquiets.

— Harry, commença Hermione avec la voix qu'elle prenait pour convaincre ceux qui ne comprenaient pas ses combats, le ministère n'a pas pour intention de vous empêcher d'arrêter les malfaiteurs. Le but principal de la réforme est de rendre le pouvoir judiciaire indépendant et de consacrer la présomption d'innocence. Avec les nouvelles règles, on ne pourra plus envoyer les personnes à Azkaban sans jugement comme cela a été le cas avec Sirius. Tu vois...

Au début de sa tirade, Harry avait levé les mains pour endiguer le flot, mais, une fois qu'Hermione était lancée, il lui fallait plusieurs secondes avant qu'elle ne puisse s'arrêter.

— Oui ? s'interrompit-elle enfin.

— J'en ai déjà parlé avec Bielinski, expliqua-t-il, avant de résumer sa rencontre avec l'avocat.

Quand il eut terminé, Hermione déclara :

— Harry, c'est une des meilleures actions que tu aies faites de ta vie !

— N'exagérons rien, je n'ai pas du tout participé à la rédaction des propositions.

— Mais il n'aurait pas pensé nous les soumettre si tu ne l'y avais pas incité. Le ministère a fonctionné tellement longtemps sur un système de machinations et de clientélisme, que les honnêtes citoyens sont persuadés que leurs idées ne seront jamais prises en compte s'ils n'offrent rien en échange. C'est une avancée importante pour notre politique, pas seulement par le contenu des décrets qui en sortiront, mais parce que cela vient d'une initiative personnelle.

— Si tu le dis... Alors, qu'est-ce que vont changer ces fameux décrets ?

— C'est encore en discussion, lui indiqua son amie. Ce genre de règles ne s'édicte pas en cinq minutes, et il faudra plusieurs réunions avant que tout le monde tombe d'accord. Si tu veux en savoir plus, demande à Susan Bones. C'est elle qui sert de secrétaire aux séances. Elle pourra te donner tous les détails.

Harry suivit les conseils de son amie et alla frapper au bureau de Susan qui se trouvait au même étage que les Aurors, dans l'aile réservée au secrétariat du Magenmagot. Elle l'accueillit avec chaleur et lui servit une tasse de thé :

— Je peux faire quelque chose pour toi, Harry ? offrit-elle.

— J'aimerais savoir où en est la série de décrets sur la procédure judiciaire, exprima-t-il.

Elle le regarda quelques instants sans mot dire avant d'exposer :

— C'est encore en cours de discussion et nous n'avons pas envie qu'il y ait trop de bruits de couloir à ce sujet. Nous sommes conscients que beaucoup de personnes y seront opposées et nous préférerions avoir un projet bien ficelé avant de mettre le sujet sur la place publique.

— On en parle déjà au bureau des Aurors, lui indiqua-t-il. Et ce n'est pas pour faire courir des rumeurs que je te demande ça. C'est une question qui m'intéresse beaucoup.

— C'est vrai que tu sembles t'y connaître en procédure moldue, admit-elle en montrant qu'elle n'avait pas oublié le rôle de Harry dans l'affaire Grimstone. Mais cela dépasse les seules règles de procédure...

— Je sais aussi que c'est Bielinski qui vous a envoyé un rapport et je n'ai pas l'intention de le révéler à mes collègues, qui lui en veulent assez comme ça.

— Et toi tu es d'accord avec lui ? le questionna Susan.

— J'ai discuté avec lui, et il a su me convaincre qu'on poursuivait le même but, chacun à notre manière et que nos professions étaient complémentaires. Susan, je ne ferais rien qui mettrait en péril les réformes que vous prévoyez, affirma-t-il avec force.

Elle le considéra un moment, puis se décida :

— D'accord, je vais t'indiquer les grandes lignes, mais je compte sur toi pour ne pas en parler autour de toi tant que nous ne communiquons pas sur le sujet.

— Promis, fit Harry.

— Bien. Sais-tu quels sont les trois grands pouvoirs politiques ?

— Les pouvoirs ? répéta Harry.

— Ce qui constitue le pouvoir d'un état, précisa Susan. Des théoriciens moldus en ont identifié trois. Pour commencer, il y a l'exécutif. C'est le gouvernement, souvent composé d'un chef d'État et d'une équipe de ministres. Ce sont eux qui déterminent la politique générale du pays et commandent aux armées. Ensuite, il y a le législatif : c'est l'organe qui édicte les lois. Enfin, il y a le judiciaire : ceux qui appliquent les lois et tranchent les litiges.

— Ah oui, j'ai déjà entendu ça, se souvint Harry.

— Au XVIIIe siècle, en Europe, des philosophes ont assuré que les pays, pour être démocratiques, devaient assurer la séparation de ces trois pouvoirs et la possibilité pour chacun d'entre eux de contrôler les deux autres. Cette idée est à la base de la plupart des gouvernements occidentaux moldus.

— Mais pas sorciers.

— Ça dépend où. Aux États-Unis, ils sont plus proches du système moldu que nous. Nous-mêmes y adhérons davantage que beaucoup d'autres pays. Nous avons cependant des progrès à faire, et c'est ce qui est en discussion aujourd'hui.

— Dans les bruits de couloir, on parle plutôt de droits de la défense, commenta Harry.

— Ce n'est que le second volet, dit Susan. On n'a pas encore discuté de ça.

— Et cette histoire de pouvoirs, en quoi cela consiste ? demanda Harry.

— C'est ce que nous sommes en train de définir. Pour commencer, nous envisageons de rendre le système judiciaire beaucoup plus indépendant de l'exécutif. Tu te souviens de ton audition au début de notre cinquième année ?

— Comment l'oublier ? Ils parlaient de casser ma baguette et de m'expulser de Poudlard !

— Justement. Tu as sans doute remarqué que c'était le ministre Fudge lui-même qui menait les débats.

— Oui, il m'en voulait d'avoir révélé le retour de Voldemort.

— Précisément. Normalement, cela aurait dû être ma tante, en tant que présidente du Magenmagot, qui devait attribuer ton affaire à un juge. Mais le ministre a non seulement exigé une assemblée plénière mais s'est aussi imposé pour prendre la direction des débats en utilisant le privilège du représentant du ministre. Désormais, cette procédure sera impossible.

Susan paraissait particulièrement satisfaite de cette évolution. Harry se souvint que Mrs Bones avait fait partie des premières victimes de la guerre – elle avait payé au prix fort sa fidélité à Dumbledore et à lui même – et il subodora que la mesure devait représenter pour Susan un hommage à sa tante.

— C'est une bonne chose, approuva-t-il tout haut.

— Par ailleurs, le ministre ne pourra plus condamner quelqu'un sans procès, comme il en avait la possibilité en cas de force majeure. Aucune peine ne pourra être prononcée sans la décision d'un juge dans le cadre d'un procès contradictoire.

Harry songea à la condamnation de Sirius au Baiser du Détraqueur par Fudge lors de sa troisième année puis, l'année suivante, celle de Croupton junior. Cela avait contraint Sirius à la clandestinité alors qu'un procès en bonne et due forme aurait pu le réhabiliter et empêché Croupton de témoigner du retour de Voldemort. Harry ne pouvait qu'approuver cette réforme.

— Donc je résume, continuait Susan. Désormais, le judiciaire ne souffrira plus d'ingérence dans ses fonctions de jugement de la part de l'exécutif. On parle même de faire se tenir les procès dans un autre bâtiment, pour symboliser cette indépendance.

Harry hocha la tête, impressionné.

— Par contre, il y aura peu de changement pour le droit civil, continua Susan. Les contrats, tout ce qui est lié à la propriété et la responsabilité des personnes resteront régis par les règles élaborées par la jurisprudence. Tout le monde semble satisfait du système, alors il n'y a pas d'urgence à le modifier.

— Le ministère ne peut intervenir dans les procès civils, se souvint Harry. Cela rend les interventions politiques moins aisées.

— Précisément. Ce qui ne va pas changer non plus, c'est la façon dont nos lois sont élaborées. Tu sais comment ça se passe.

— Oui, j'ai appris ça avec ma formation d'Auror. Les précédents et les décrets.

En effet, une part non négligeable de la législation applicable chez les sorciers découlait des coutumes sorcières établies du temps où il n'y avait pas de gouvernement centralisé, et que chaque clan élaborait son système de droit primitif. En cas de litige, ces coutumes étaient invoquées devant les juges qui tranchaient les différends en les interprétant pour qu'ils s'adaptent au cas qui leur était soumis. Une fois qu'une telle décision était prise, elle s'imposait aux autres juges, dans toutes les affaires strictement semblables. C'est ce qu'on appelait la règle des précédents. Cela avait permis au Magenmagot de créer une grande partie du droit.

Les jugements s'attachaient donc à évaluer si le cas à arbitrer était semblable ou non à celui qui avait fondé les précédents invoqués par les parties. Si le juge concluait que la situation était inédite, il pouvait alors trancher selon ses convictions et les coutumes et ainsi créer un nouveau précédent. C'est ainsi que le droit évoluait et que des revirements de jurisprudence étaient possibles.

Cette méthode avait l'avantage d'être très pragmatique et de considérer au cas par cas chaque affaire. Cependant, le droit qui en découlait était très compliqué, manquait d'unité et était très incomplet. C'est là qu'intervenaient les décrets du ministère : ils avaient vocation à simplifier et compléter la jurisprudence. Les plus importants étaient signés par le ministre de la Magie lui-même et les autres se contentaient du paraphe des chefs de département. Avec le renforcement de l'autorité du ministère, ces décrets étaient même venus contredire des précédents et constituaient désormais une source de droit incontournable.

Avec le temps, il avait été établi que le droit civil et les règles de procédures étaient du domaine de la jurisprudence du Magenmagot tandis que les lois pénales émanaient du ministère.

— Il y a une troisième source de droit, compléta Susan, les décisions des divers Conseils des guildes.

— Mais c'est moins important, non ?

— Oui et non : leur compétence d'application est certes plus réduite car elles ne régissent que les rapports des artisans entre eux, mais une fois qu'on a établi qu'elles ont compétence à s'appliquer, elles ont la même force qu'une loi. Si un artisan a un problème avec un client, ce sont les règles jurisprudentielles du Magenmagot ou les décrets du ministère qui s'appliqueront. Cependant, ces règles particulières sont loin d'être secondaires. Mal pensées, elles peuvent durablement paralyser toute la production sorcière ou détériorer nos services de santé, de transport ou d'information. La responsabilité des conseils n'est pas négligeable.

Harry comprenait mieux les craintes de Ron concernant ses capacités à prendre la tête de la guilde de l'Artisanat magique.

— Et tout ça, ça ne changera pas, résuma Harry.

— Nous avons discuté de l'opportunité de créer une assemblée, élue par le peuple, qui discuterait et voterait nos lois. D'un côté, c'est la façon la plus démocratique de diriger un peuple. De l'autre, nous ne sommes qu'une toute petite population, et mettre en place des élections et des partis politiques serait bien compliqué. Par ailleurs, est-ce vraiment indispensable alors que le judiciaire prend son indépendance vis-à-vis de l'exécutif ? Nous avons déjà trois pouvoirs indépendants – l'exécutif, le judiciaire et les guildes – ce qui nous paraît suffisant.

— Et suffisamment proche des méthodes de gouvernement moldues, jugea Harry.

— On se rapproche de ce que les philosophes moldus ont considéré comme la meilleure façon d'exercer le pouvoir, corrigea Susan. Chaque pays a sa façon d'appliquer la théorie, nous aurons la nôtre.

— C'est vraiment passionnant, déclara Harry qui n'avait jamais réfléchi à toutes ces questions. Mais du point de vue de la procédure judiciaire proprement dite, qu'est-ce qui va changer ?

— Comme je te l'ai dit, nous n'en avons pas encore discuté en séance, mais je peux te résumer ce qui est proposé par le rapport de base. Cela doit principalement consacrer les droits de la défense et assouplir le droit de la preuve. Et il y aura une grande nouveauté à l'audience pénale qui a d'ores et déjà été définie : le nouveau rôle du représentant du ministère.

— Un nouveau rôle ? répéta Harry.

— Au lieu d'intervenir de façon ponctuelle et pour éventuellement prendre la direction des débats, le ministère enverra de façon systématique son représentant pour tenir le rôle de procureur.

— Comme chez les Moldus ? s'étonna Harry.

— Oui, exactement.

— Mais... actuellement, ce sont les Aurors ou les policiers qui soutiennent l'accusation. Quel sera notre rôle, maintenant ? s'inquiéta-t-il.

— Comme chez les Moldus, vous serez appelés à titre de témoins par le procureur.

— Et c'est considéré comme un progrès ? protesta Harry choqué.

— Oui, pour deux raisons. La première c'est que cela apportera un second regard sur vos dossiers avant le procès. Cela en améliorera sûrement la qualité.

Comme Harry secouait la tête, peu convaincu, Susan développa :

— Admet que lorsque tu as monté un dossier pendant des mois, tu n'es pas facilement enclin à remettre tes convictions en cause. Dissocier l'enquêteur de celui qui va présenter l'affaire devant le tribunal est une façon d'amener un jugement critique sur l'ensemble de la procédure. Le procureur va avoir la possibilité de demander un complément d'enquête pour vérifier des points encore trop flous. Cela ne peut qu'améliorer la résolution des crimes, affirma-t-elle.

— Mouais, admit du bout des dents Harry qui reconnaissait bien là la patte de Bielinski et anticipait déjà les grognements autour de la cafetière du bureau des Aurors.

— Ensuite, cela équilibre les droits des parties durant le procès ou, plus exactement, cela clarifie le rôle de chacun. Dans le système actuel, le rôle du juge dépend en grande partie de sa personnalité. Certains mènent les débats d'un bout à l'autre du procès mais d'autres s'appuient davantage sur les enquêteurs. Maintenant, sa fonction est clairement définie : il doit veiller à rester neutre, donner la parole alternativement à l'accusation et à la défense et veiller à ce que chacun puisse répondre aux arguments de l'autre.

— Mes collègues ne vont pas aimer, commenta Harry.

— Nous ne sommes pas là pour faire plaisir aux Aurors ou aux policiers, mais pour éviter les erreurs judiciaires.

Susan parut hésiter puis elle ajouta timidement :

— Pour appuyer ces réformes, le ministre Shacklebolt a cité plusieurs cas d'innocents emprisonnés... dont Sirius Black, celui qui s'était échappé quand nous étions en troisième année.

Harry hocha la tête.

— Il nous a dit qu'il n'était pas devenu Mangemort comme tout le monde le croyait, mais qu'il avait au contraire tenté de sauver tes parents et qu'il l'aurait sans doute prouvé s'il avait eu un procès. À cette époque, les gens avaient tellement peur qu'ils avaient donné tous les pouvoirs aux Aurors, et cela n'a pas apporté que de bons résultats.

Elle s'interrompit et le regarda, comme si elle craignait d'être allée trop loin avec cet argument :

— Je suis au courant et je ne peux que donner raison au ministre, admit Harry. Mais même si des erreurs ont été faites, je sais que mes collègues sont viscéralement opposés à la magie noire. Notre but est de protéger les sorciers contre ceux qui veulent les soumettre ou les blesser. Il faut nous faire un minimum confiance pour que nous y arrivions.

— Personne ne le remet en cause, Harry. Mais il est important que chacun sache se limiter à son rôle. Le vôtre est d'enquêter, celui du ministère est de permettre à la justice d'être rendue et celui des juges est de trancher. Quand on commence à empiéter sur la fonction des autres, on cumule trop de pouvoir et, lorsqu'on se trompe, cela a de graves conséquences. Je sais que ton commandant est intègre, ainsi que le chef de la police. Nous savons que Shacklebolt n'a jamais cherché à interférer dans un procès et ne le fera sans doute jamais. Mais personne ne connaît ses successeurs, et mettre des garde-fous nous sauvera, peut-être, d'un autre Fudge.

— Tu as raison, abdiqua Harry. J'ai juste été surpris par cette mesure... Franchement, ça va faire drôle de lâcher le dossier qu'on a monté et entendre un autre le défendre.

— Tout le monde a perdu certaines prérogatives dans l'affaire, lui rappela Susan. Cela a été décidé pour le bien de tous. Les Aurors s'y feront, comme les autres.

Harry se dit qu'il n'avait vraiment pas intérêt à révéler à ses collègues son rôle dans cette affaire.

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Vous êtes beaucoup à m'avoir posé la question. Oui, j'ai fait des études de droit et, même si j'ai changé de branche professionnelle, c'est un sujet qui continue à me passionner.

L'analyse que j'ai faite du droit sorcier doit beaucoup à la chronique de Me Eolas, Le droit c'est magique (Journal d'un avocat, 4 juillet 2005) qui analyse l'audition de Harry au début du tome 5 à la lumière de nos procédures.

Je sais que cette dernière scène est un peu longue et trop technique, mais je n'ai pas trouvé d'autres moyens d'exposer la nouvelle loi. J'aurais pu couper des passages en parlant des précédents sans expliquer ce que c'était, mais cela me paraissait dommage ne de passe à côté d'une occasion d'éclaircir ce point alors qu'il est continuellement évoqué dans les séries télé. La séparation des pouvoirs (le fait qu'ils se contrebalancent) est également une notion importante et j'ai voulu faire un peu l'éducation de Harry et la vôtre si ce n'est pas déjà fait.

Bref désolée pour cette grande tartine, mais je n'aurais plus l'occasion d'y revenir (par contre nous reviendront sur la procédure judiciaire car elle intéresse directement les Aurors)


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