Chapitre 2

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La matriarche des Brisebois de Fussac était assise sur son trône à son image. Majestueuse. Impitoyable. Terrifiante. Elle n'avait pas changé en mieux en dix ans. Elégamment habillée avec un tailleur couleur émeraude certainement taillé pour elle, une petite écharpe soigneusement attachée autour de son cou, les mains chargées de bagues posées sur les accoudoirs. Des cheveux blonds attachés en chignon serré. Une bouche pincée qui ne s'est certainement pas étirée en un sourire depuis des siècles.

Derrière elle, comme caché derrière le fauteuil, Monsieur Edgar Brisebois de Fussac était debout, ses doigts crispés sur le siège où se trouvait son épouse. Son regard était fuyant, comme à son habitude. Je voyais à peine ce qu'il portait tant il se dissimulait. Le rapport de force était flagrant. Elle assise et lui debout. Je ne relève pas.

A la gauche de la matriarche, Appolin de Brisebois de Fussac. Le portrait craché de la maîtresse de maison. Blond aux yeux bleus, grand et sec comme une branche. Il était tout aussi guindé qu'elle, ayant noblement posé sa main sur la table pour se donner un genre. Il était en costard-cravate même un dimanche. Je l'ai toujours soupçonné de dormir en costume. Il me lorgnait avec ses petits yeux de fouine. Du côté parfaitement opposé, placée à côté du père, Myrtille de Brisebois de Fussac, la benjamine, celle avec qui j'étais le plus proche et qui me regarde maintenant comme si j'étais un parfait pestiféré. Elle avait les cheveux – blonds - également attachés en chignon. Une jolie robe bleue vaporeuse qui aurait mérité un compliment de ma part si elle ne se montrait pas aussi ouvertement méprisante.

Un vrai peloton d'exécution. Elle avait déployé des efforts colossaux pour tisser sa toile dégoûtante.

Quelle mise en scène à chier, franchement.

La matriarche n'a pas sourcillé aux deux mots qui ont eu du mal à sortir de ma bouche. Ses comparses me fixent, les lèvres pincées. Je me contente donc de sourire.

- Vos silences imposés ne m'impressionnent plus, Mère. Alors cessons cette comédie et balancez-moi gaiement votre venin en pleine face, voulez-vous ?

Appolin de Brisebois de Fussac lâcha un « Humph ! » empli de dédain.

- Tu es bien présomptueux, mon frère, pour quelqu'un qui vient quémander notre aide et notre soutien !

J'ignore ce que j'ai le plus détesté en entendant cette phrase  : le sentiment de triomphe qui suintait de chaque syllabe ou le fait qu'il m'ait appelé « frère ».

Sans quitter la matriarche des yeux, je riposte sèchement à l'attention d'Appolin :

- Je suis désolé. Je ne m'adresse pas aux sous-fifres.

Je l'imagine écarquiller les yeux d'un air scandalisé et ouvrir la bouche comme un poisson hors de l'eau. C'était une habitude qu'il avait depuis son enfance. Surjouer. Tout exagérer. Toujours être dans le théâtral. Il a toujours été comme ça. Je n'y prête pas attention.

La matriarche ne pipe pas mot. Ses yeux étaient vides et inexpressifs comme une vipère. Le patriarche, presque dissimulé comme un chiot apeuré derrière le trône de son épouse, avait le regard fuyant. La métaphore ne pouvait pas être mieux trouvée  : la vipère et le caniche. Un caniche a peur de tout, à plus forte raison d'un serpent.

Quant à ma sœur... elle faisait meuble. Un meuble à robe bleue noyée dans du blanc.

- Tu ferais mieux de rester à ta place, réplique Appolin. Tu disparais pendant des années, oubliant ta famille et reniant ton clan social, tu ne donnes aucune nouvelle et encore moins d'explications à ton départ soudain. Qu'espérais-tu donc en revenant mendier ici ? Que l'on allait t'accueillir à bras ouverts et te couvrir d'embrassades ?

- Même pas dans mes pires cauchemars, dis-je tranquillement.

Pendant un instant, Appolin se montre désarçonné mais il se reprend bien vite. D'une manière toujours aussi théâtrale, il se masse les tempes avec ses pouces.

- Je savais bien que Mère n'aurait jamais dû t'accorder cette entrevue. Mais il faut croire que chaque famille a son lot de tares à supporter.

Je voyais clair dans son jeu. Il voulait me faire craquer. Que je me confonde en excuses, que je me mette à genoux en pleurant à chaudes larmes et que je les supplie de me pardonner.

Petit merdeux, va.

- Tu nous mets tous mal à l'aise, murmura Myrtille d'une petite voix.

Tiens ? Même les plantes vertes savent parler ?

- Dis-nous plutôt la raison de ta venue ici, que l'on en finisse... rends-toi bien compte que nous avons d'autres priorités que d'entendre tes doléances...

- Doléances qui ne nous intéressent pas le moins du monde, surenchérit Appolin en reniflant. Nous avons dû faire de grands efforts pour te caler dans notre planning très chargé.

Un planning rempli de dîners mondains, de parties de golf et de ventes aux enchères. Le tout saupoudré de quelques participations à des œuvres de charité pour se faire bien voir auprès d'autres familles aussi hypocrites et friquées. Je frissonne rien que d'y penser.

- Dis-nous ce que tu fais ici, insiste Myrtille avec agacement.

- Oui, dis-nous, nous mourrons d'envie de le savoir, ajoute Appolin.

Je suis sur le point de les envoyer balader quand je surprends l'impératrice des vipères se mouvoir subtilement sur son trône. Je suis stoppé net dans mon élan. Je la vois se redresser légèrement et avancer son buste vers son bureau. Alors que je me réjouissais intérieurement que la situation soit finalement en train de se décanter, mon sang se glace dans mes veines à la vue du sourire naissant sur les lèvres maquillées de la matriarche.

La noirceur qui se tapit derrière son sourire artificiel est pire que tout ce que j'avais vu jusqu'ici ; un trouble psychiatrique qui la transforme en monstre. Ce genre d'être est comme un animal sauvage. S'il sent ma peur, il me prendra pour cible. Cela le séduit. Dans son esprit dément, c'était comme un aphrodisiaque.

La matriarche croise ses doigts boudinés sous son menton. Ce n'est que maintenant que je remarque un dossier sur le bureau. L'instant d'après, la matriarche le prend, l'ouvre avec délicatesse et en parcourt rapidement le contenu des yeux.

- Vous me surprenez, Mère. Je ne pensais pas que vous auriez accepté de me voir, marmonné-je. Je suis persuadé que vous avez fait effacer toute trace de mon existence dans les registres de la famille et fait brûler mon visage sur chaque photo à coups de mégot.

La matriarche lève les yeux vers moi pendant deux secondes avant de reporter son attention sur le dossier. Le bruit des pages qu'on tourne est à deux doigts de me faire vriller.

Je savais que je ne ressentirai aucun élan d'amour en revoyant la femme qui m'a donné le jour. Mais la profonde indifférence que j'éprouvais envers elle me faisait peur. Pendant des années, j'avais souhaité lui cracher mes quatre vérités en pleine tronche et lui tourner le dos pour ne pas lui laisser le dernier mot. Partir comme un prince... mais toutes mes certitudes et mes résolutions se sont envolées en remarquant tout le petit monde agglutiné autour d'elle. Il fallait toujours qu'elle fasse le spectacle et qu'il y ait des témoins à ses exploits. Elle savait que je voulais la voir seule à seul. Elle a fait tout l'inverse. Je ne comprends pas pourquoi une femme qui connaissait le succès sur tous les plans se sentait le besoin de salir sa vie en infligeant des tortures aux autres.

La matriarche hausse un sourcil en lisant le dossier. Etrangement, une pointe d'angoisse s'enfonce dans mon estomac. Elle parlait peu. Elle ne parlait jamais pour ne rien dire. Chaque mot prononcé était soigneusement choisis. Mais ses expressions faciales et corporelles parlaient pour elle. J'en déduis que ce qu'elle avait sous les yeux était suffisamment intéressant pour ne même plus me prêter attention. Elle finit par soupirer, l'air faussement peiné.

- Tu es décidément la chose la plus éloignée de la perfection à laquelle je puisse penser, Vincent.

Enfin. Elle parle. On va pouvoir avancer.

- Je me demandais pourquoi tu avais pris la décision d'écorcher nos yeux avec ta présence. Je comprends mieux à présent.

Alors là, je suis carrément perplexe.

- Il est naturel de venir chercher du réconfort auprès des siens...

Le mot « siens » sonne comme une insulte. Elle consent enfin à me regarder.

- C'est naturel lorsque l'on est frappé par un deuil, conclut-elle d'une voix suave.

Une grosse pierre tombe dans mon ventre. Plusieurs émotions me traversent en un éclair  : la stupéfaction, la rage, l'incompréhension... ce qu'elle venait de dire me paraissait si inconcevable que j'avais l'impression qu'on ne parlait pas la même langue.

- Un accident d'avion, continue-t-elle. Pauvre petit. Aucun survivant.

Je serre les poings dans mes poches, tellement que je sentais la bague fondre dans ma peau. Je fais de mon mieux pour ne pas répondre aux ricanements d'Appolin et de Myrtille.

- Ton métier de journaliste animalier ne t'a pas permis de te recentrer, Vincent  ? Ne t'ai-je pas appris à ne jamais te laisser envahir par tes émotions ?

Je ne tiens plus. J'avale les quelques mètres de distance entre moi et le bureau et m'empare du dossier. Je surprends le patriarche faire un pas en arrière, comme si j'allais le frapper. Je me contrôle pour ne pas trembler. Plus je survole le contenu, plus je tombe des nues. Ma fureur augmente à mesure que je prenais conscience de ce que j'avais dans les mains.

Elle me fixe du regard. Je lui retourne ce regard. L'air entre nos deux paires d'yeux commence presque à crépiter.

- C'est quoi ce ramassis de conneries ?

Je secoue le dossier sous le nez de la matriarche, laquelle ne semble pas du tout impressionné. Je balance le dossier en le faisant claquer bruyamment sur le bureau. Plusieurs feuilles s'éparpillent un peu partout, mettant encore un peu plus de blanc dans ce décor déjà surchargé de blanc, au point que ç'en est écœurant.

- Vous avez osé enquêter sur moi ? 

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