Le brouhaha autour de nous s'intensifia. Une vague de voyageurs se déversa dans le terminal où nous étions. Peu à peu, une foule, étonnée, nous entoura pour observer la scène qui s'offrait à eux. En effet, en regardant autour de moi je remarquai d'un côté le garçon aux yeux rouges dormir et de l'autre ma mère agenouillée près de l'homme qui l'accompagnait. Elle semblait apeurée par toutes les personnes qui la dévisageaient et en oubliait presque le corps étendu à ses côtés. Je ne savais quoi faire, paralysée par le regard de la foule.

Après quelques temps, un cri stoppa toutes les discutions. Chacun chercha la personne qui en était à l'origine et peu de temps après, une jeune fille, les yeux exorbités par la peur, se distingua de la masse. Elle avait une main sur sa bouche et l'autre pointait du doigt le corps sans vie du géant. Dans un murmure étouffé, elle demanda :

« Il est mort ? »

Une réelle peur se dessinait dans sa voix et contamina tous ceux qui avaient entendu la question. Chaque voyageur réagissait d'une manière différente, certain partirent en courant, d'autre sortirent leur téléphone afin de prévenir les autorités, on entendit des enfants pleurer, des pas précipités. Mais la plupart d'entre eux se contentaient de nous détailler telles des bêtes de foire, s'écartant le plus possible de peur d'être contaminé par un quelconque virus. A ma gauche, j'entendis les sanglots étouffés de ma mère. Ce trop-plein d'informations me désespéra. Que pouvais-je faire pour arranger la situation ? Tandis que je m'enfonçais dans un gouffre de pensées, je vis des policiers se ruer vers nous et traverser la foule effrayée. S'en était fini de nous tous. Rien de ce qui nous était arrivé ne semblait réel, nous étions bons pour l'hôpital psychiatrique. Mais alors que tout espoir avait disparu, une barrière se forma autour de nous. La même bulle qui nous avait protégés du bruit et des regards quelques temps plus tôt réapparut. Je pus observer les nombreux voyageurs reprendre leurs activités comme si de rien n'était et les forces de l'ordre se demander ce qu'elles faisaient dans cet aéroport. La foule se dissipa et seuls quelques passants étaient encore présents.

« Ouf, on a eu chaud ! » s'exclama une voix qui m'était alors encore inconnue.

Je me retournai et vis le mystérieux adolescent s'approcher des limites de la bulle et taper sur sa paroi. Le bruit résonna comme s'il s'agissait d'une vitre. Il se tourna vers moi et me sourit.

« Ça a l'air super solide comme barrière, dit-il, C'est toi qui as fait ça ?

- Bah je pensais que c'était toi, lui répondis-je, surprise.

- Waouh, ça serait génial ! »

Nos yeux se croisèrent et nous échangions un sourire quand ma mère et son ami me revinrent en mémoire. Je me retournai bouleversée par cette prise de conscience et ce que je vis me glaça le sang.

La mère pleurait toutes les larmes de son corps au-dessus du torse de l'homme. Je compris avec horreur qu'il était décédé. Il paraissait dormir, le visage paisible comme transporté dans un doux rêve. Toute colère et toute douleur avaient déserté son expression. Les larmes me vinrent, attristée devant cette scène désespérée. Les présentations entre le défunt et moi avaient tellement mal débutée que je me mis à regretter sa mort si soudaine. Malgré toute la haine qu'il m'inspirait, je ne pouvais que penser que si ma mère l'aimait, c'était parce qu'il était bon. J'espérais qu'il reposait en paix là où il demeurait. Je m'assis près de ma mère et lui touchai l'épaule comme pour lui témoigner mon soutien. Puis, oubliant le dégoût que me procurait ce corps inerte, je pris la main du mort entre les miennes. Je priais, recluse dans mes pensées. Mon esprit divagua, je revis cet homme à la carrure imposante s'interposer entre ma mère et moi, me sauter dessus telle une bête sauvage, c'était un individu en bonne santé et brûlant de passion. Il méritait de vivre plus longtemps. Puis me vinrent les instants qui suivirent cette rencontre houleuse. Les regards échangés avec le garçon de l'infirmerie, ma mère inanimée, sa reprise de conscience inespérée... Quelque chose me tracassait, comment était-elle revenue d'entre les morts, je me souviens d'avoir cherché son pouls et je n'avais rien trouvé. Et si...

Je sortis brutalement de mes pensées, la main que je tenais entre les miennes avait bougé. D'un coup, mes sens se développèrent, j'avais l'impression de sentir chaque grain de peau de la main que je me mis à parcourir du bout des doigts, les odeurs semblaient s'attaquer subitement à mes narines dans un mélange de parfums les plus intrigants les uns que les autres, les bruits paraissaient s'être intensifiés, je pouvais percevoir les respirations et les battements de cœur de chaque personne qui m'entouraient. Je fermais les yeux afin de mieux ressentir tous les éléments qui m'entouraient. Au bout d'un certain temps, je pus discerner trois respirations fortes et une plus faible qui ne cessait de prendre en intensité. Mes paupières s'ouvrirent en même temps que celles de l'homme à terre.

Même si la résurrection de son ami l'avait surprise, elle ne le montra pas même une seconde. Ma mère lui sauta dans les bras et l'enlaça aussi fort que possible. Rassurée de voir tout le monde en vie, je me levais pour leur laisser un peu d'intimité. J'avais l'impression d'appartenir un autre monde que le leur et j'avais hâte de rejoindre ma dimension. Le pas vif, je me dirigeai vers la sortie quand je me cognai contre la vitre invisible de la bulle. Un rire franc s'éleva derrière moi. Le garçon avait observé toute la scène en silence, si bien que j'en avais oublié sa présence. Je ne fus pas la seule surprise de sa présence car les deux adultes se retournèrent vers lui avec incompréhension. A la vue de leur visage étonné, je me mis à rire à mon tour. Bientôt, l'hilarité gagna tous les cœurs.

Tout le monde, allait bien, c'est tout ce qui comptait. Même si certains me devaient quelques explications, je me laissais emporter dans ce moment de légèreté en me disant qu'il était tellement bon de rire.