François avait du mal à comprendre Tamara. Elle avait mis plusieurs jours à faire un test pour s'assurer de sa grossesse, et quand son état avait été confirmé, elle n'avait pas modifié ses habitudes, s'agaçant même quand il lui suggérait quelques précautions de base. Elle ne voulait rien changer à son alimentation, ni abandonner sa moto.

— Et comment j'irai travailler ? avait-elle demandé quand il avait insisté. En bus, je mets deux fois plus de temps et j'ai une correspondance.

— Je peux t'amener le matin, et ma mère peut s'arranger pour te reprendre l'après-midi.

— Il est hors de question que je vous laisse me traiter comme un môme de maternelle, avait-elle riposté. Et puis qu'est-ce que je dirai à mon patron pour expliquer ça ?

— Tu vas bien devoir lui dire que tu es enceinte.

— Cela ne fait pas longtemps que j'ai terminé ma période d'essai. Ça se passe très bien à l'atelier, je ne veux pas perdre ce boulot.

— Il y a plus important que le boulot, s'était-il agacé.

— Tu veux dire que tu vas arrêter de travailler quand le bébé sera né ? lui avait-elle opposé.

Il avait abandonné la partie, mais lui avait demandé quelques jours plus tard :

— Tu es vraiment contente d'être enceinte ?

— Mais oui, bien sûr !

— Tu fais comme si tu ne l'étais pas.

— Je t'avais dit que je n'étais pas certaine d'être une bonne mère, avait-elle répondu un peu brusquement.

Cela avait mis fin à la conversation.

Il comprenait le besoin d'indépendance de Tamara et sa préoccupation de garder un travail qu'elle appréciait et qu'elle avait difficilement obtenu. Cependant, il était peiné de la voir ignorer toutes les inquiétudes qu'il éprouvait pour le bien-être de leur enfant. Il avait l'impression qu'elle refusait de l'associer à sa grossesse, alors que tout ce qu'il demandait était de jouer son rôle de père. Lorsque, ravi d'apprendre que leur projet s'était concrétisé, il avait embrassé et caressé son ventre, elle avait lancé un « Tu sais, à ce stade, ce n'est qu'un amas de cellules » qui l'avait repoussé plus efficacement qu'un geste.

Il était conscient que Tamara avait souffert d'être éloignée de Julien pendant toutes ces années, et il avait pensé qu'un second enfant, à défaut de rattraper l'irrattrapable, serait une compensation et une seconde chance. Il avait désiré cet enfant autant pour lui que pour elle. Son attitude, depuis qu'elle savait qu'elle était enceinte, le faisait douter du bien-fondé son projet. Il n'avait pas pris au sérieux sa conviction qu'elle serait une mauvaise mère. Il se rendait compte qu'il aurait dû en discuter davantage avec elle avant de mettre cet enfant en route et mieux la préparer à vivre cette bouleversante expérience.

Maintenant qu'elle était à cinq semaines de grossesse et que le compte à rebours avait commencé, il se demandait avec inquiétude si Tamara arriverait à faire face à la suite des évènements.