Tamara pensait être heureuse d'être enceinte. Vraiment. Par contre, elle ne s'était pas attendue à ce que cette grossesse, qui n'en était qu'à son début, change aussi radicalement la manière dont les autres la regardaient. Tous semblaient considérer qu'elle était devenue une petite chose fragile, qui ne devait pas rester debout et qui devait être déchargée des travaux ménagers. Même Annie, qui était le bon sens personnifié, avait parue soucieuse quand elle l'avait vue monter sur l'escabeau pour changer l'ampoule du plafonnier du salon. Julien s'était lui aussi mis de la partie et avait demandé comment ils allaient organiser la maison pour que le bébé ait sa chambre.

C'est l'attitude de François qui perturbait le plus Tamara. Elle se sentait profondément agacée quand il lui conseillait d'abandonner la moto ou de modifier son alimentation. Elle n'aimait pas non plus quand il semblait voir en elle uniquement le ventre dans lequel se développait son bébé. Elle voulait être son amoureuse et son amante, et non un simple utérus sur patte.

Elle sentait qu'elle décevait François dans sa manière d'appréhender sa grossesse. Il aurait voulu qu'elle ne pense qu'à l'enfant et organise sa vie autour de lui. Elle ne le pouvait pas. Elle se savait enceinte, elle en était satisfaite, mais ne ressentait pas le besoin de bouleverser son existence. Sa silhouette ne laissait pas encore paraître son état. Elle aurait bien le temps de se ménager, quand son ventre gonflerait et que son souffle se ferait plus court. Pour l'instant, elle n'en ressentait pas le besoin. Ils avaient encore des semaines devant eux pour acheter le matériel nécessaire ou se préoccuper d'aménager un endroit pour le faire dormir.

Elle entendait continuer à vivre normalement le plus longtemps possible. Elle savait qu'elle devrait renoncer à certaines activités, mais ne désirait pas anticiper le moment où ce serait indispensable et que cela aurait alors un sens à ses yeux. Pour l'instant, c'était trop tôt, elle ne se sentait pas encore prête et vivait mal la pression que sa famille exerçait sur elle.

Parfois, elle se demandait si elle n'aurait pas mieux fait d'écouter ses doutes.