Partie 1

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... et le vent souffle sans fin des mots que je ne comprends pas et qui m'assourdissent, alors que je tourne, et qu'à chaque tour le jardin de mes rêves est de plus en plus pourri et décrépit...

J'ouvre brusquement les yeux, me relève dans mon lit. Je combats le sommeil pour garder les yeux ouverts ; dès que je bats des cils, les images de mon cauchemar reviennent sous mes paupières. Je n'en fais pas beaucoup d'ordinaire, et ils sont rarement effrayants. Celui-là n'échappe pas à la règle : bien qu'il me poursuive depuis trois nuits, il est plus inquiétant que vraiment angoissant. Mais il suffit à me réveiller et m'enlever toute envie de me rendormir.

Je repousse ma couverture, malmenée, qui ne me couvrait déjà qu'à moitié, et pose les pieds par terre. Entre mes orteils nus, j'éprouve la sensation agréable des poils de mon tapis en fausse fourrure ; puis je me relève, m'appuyant sur le bord du lit. Je traverse ma chambre, évitant les quelques livres et crayons qui traînent par terre, me dirigeant vers la fenêtre. J'ai besoin d'un peu d'air frais... comme les deux cauchemars précédents, et comme à chaque fois que je suis réveillée en pleine nuit.

Je repousse les rideaux, puis ouvre finalement la fenêtre. Immédiatement, je sens l'air frais dans mon visage, et souris. Ma chambre est tout en haut de notre maison, et de là où je suis, accoudée à la rambarde de la petite terrasse sur laquelle donne ma fenêtre, j'ai toute la ville à mes pieds. Je regarde longuement le spectacle de ce tas de bâtiments sombres, illuminés par-ci par-là par des lumières jaunissantes. Au-dessus de ma tête, le ciel nocturne s'étend d'un horizon à l'autre, piqueté de petites étoiles, et juste devant moi, dressée comme pour percer la voûte céleste, la grande horloge de la cathédrale affiche l'heure, sur un cadran éclairé d'or. Trois heures vingt du matin, lis-je.

Je reste là, à regarder la vue, le vent faisant voleter mes cheveux courts, caressant mes jambes nues, jouant avec ma chemise de nuit fine. C'est agréable, apaisant. Parfois, je me demande pourquoi on vit le jour et pourquoi on dort la nuit, ratant un tel spectacle.

Je finis cependant par me lasser, le froid aidant. Je fais demi-tour, m'apprêtant à rentrer à l'intérieur et aller me recoucher, quand quelque chose de singulier, au-dessus de ma tête, retient mon attention. Une couleur incongrue, sur le toit ; je pense que c'est du vert, mais avec le peu de lumière dont je dispose, je n'en suis pas sûre. De plus, impossible de voir précisément ce "quelque chose", à cause du bord du toit qui me bloque la vue.

Encore mal réveillée, je ne perds pas de temps à réfléchir, piquée par la curiosité. Je rentre à l'intérieur de ma chambre, mais au lieu de retourner au lit, je marche vers la porte ; je l'ouvre, arrive sur le palier du second étage. Là, je prends directement les escaliers qui montent au grenier. Une vieille porte mal huilée, qui donne sur la petite pièce froide, mal isolée, uniquement éclairée par une grande fenêtre qui donne sur le toit. C'est vers celle-là que je me dirige. Je l'ouvre, tente de sauter à travers ; le bord est trop haut pour moi. Je fouille la pièce des yeux, trouve des cartons pleins de vieux livres. Je les pousse difficilement au bas de la fenêtre, et en montant dessus, je réussis enfin à passer sur le toit.

Prenant garde à ne pas glisser sur les tuiles humides, je monte tout en haut, pour voir ce que j'avais aperçu de l'autre côté. Et là, je reste stupéfaite.

Sur le toit, un enfant est assis.

Il a entendu mon arrivée, et se retourne vers moi, l'air stupéfait. Il a les traits tous jeunes, je ne lui donnerais pas plus de 10 ans ; ses grands yeux bleu océan s'écarquillent en me voyant, et ses cils sont du même blond doré que ses cheveux, mi-longs, noués en queue de cheval, disparaissant sous une sorte de chapeau de lutin vert piqué d'une plume blanche. De fait, la tunique et le pantacourt qu'il porte sont du même vert, et à ses pieds, il a de petites bottines de cuir. Tout en lui respire l'enfance, mais il a sur le visage quelque chose d'imperceptible qui lui confère un air plus mature.

Alors que je le dévisage, il a un instant de surprise, puis il paraît paniquer ; je le vois tenter de se relever, mais il dérape sur les tuiles glissantes.

- Attention !

Sur cette exclamation, je passe de l'autre côté du toit, me laisse glisser vers lui. Au dernier moment, je tourne mon pied perpendiculairement à la pente, en coinçant le bord entre deux tuiles ; là, je tends la main vers l'enfant, le rattrapant par le poignet dans sa glissade. Un instant, je crains de tomber par-dessus bord avec lui, mais il est assez léger pour que je tienne bon.

- Accroche-toi, lui dis-je.

Je le vois hocher la tête, effrayé ; centimètre par centimètre, je le remonte sur le toit, ne le lâchant que lorsque je suis sûre qu'il soit bien installé. Il se rassoit, le souffle court, et je prends place juste à côté de lui. Je réalise alors qu'il n'a pas dit un seul mot.

- Heu... tu vas bien ?

- ... oui.

Il a encore une voix claire. Il doit bel et bien avoir les dix ans qu'il semble faire... alors pourquoi me semble-t-il qu'il est plus âgé que ça ?

- Qu'est-ce que tu fais sur ce toit ? Et qui es-tu, d'abord ? Je ne t'ai jamais vu ici...

- ...

Il ne répond pas, se contentant de regarder la ville d'un petit air presque hautain. Ce qui devrait m'énerver ne fait qu'attiser ma curiosité, et je continue :

- C'est quoi, d'ailleurs, ces vêtements ? On dirait une sorte de déguisement...

- Tu poses beaucoup de questions.

- Je sais. Et toi, tu ne réponds pas assez.

Il sourit faiblement, quoiqu'il essaie de le dissimuler.

- J'ai rien à te dire, lâche-t-il.

- Ne le prends pas mal, je suis juste curieuse...

- J'ai rien à répondre à une adulte.

- Hé !

Vexée, je fronce les sourcils et relève le menton.

- T'as quelque chose contre les adultes ? En plus, j'en suis pas une, j'ai juste 16 ans.

- Si j'ai quelque chose contre les adultes ?

Il ricane. Je me fais la réflexion que cette amertume sonne bizarre, pour un enfant comme lui. Il finit par se tourner vers moi, affichant un profond mépris, et répond, en articulant soigneusement :

- Les adultes sont des porcs, lâches et hypocrites. Des saletés de porcs. Et ils élèvent les enfants pour être à leur image.

- Qu'est-ce que tu sais des adultes ? Tu n'es qu'un enfant !

- Et toi, qu'une adulte. Écoute-toi, "qu'un enfant", que tu dis... quoi, je vaudrais moins que toi ?

Il se relève debout, les yeux brillant de colère, et crie :

- Mes rêves, ils valent moins que les tiens ? Le monde que je souhaite, il est moins bien, parce qu'il ne brille pas de billets et de richesses ? Et tes désirs, ils sont mieux que les miens ? Parce que moi, non, nous les enfants, nous ne sommes pas des bêtes bien obéissantes, on vaut moins ? Parce qu'on ne s'est pas soumis ?

Il se tait, à bout de souffle, et me regarde droit dans les yeux. Dans les siens brille un mélange de détermination et de tristesse, et je ne trouve pas les mots pour répondre. Son discours m'a touchée. Je finis par souffler :

- Ce n'est pas ce que je voulais dire. Désolée.

- Les adultes ne croient pas à leurs excuses. Ils en font tout le temps, ça ne signifie plus rien pour eux. Ils ne pensent qu'à eux, pas aux sentiments des autres.

- Pourtant, je t'ai empêché de tomber... non ?

Il hausse les sourcils, semble vouloir répondre, hésite. C'est à mon tour de soutenir fermement son regard. Il y a quelque chose dans cet enfant qui m'intrigue et m'intéresse profondément. Il secoue la tête, et finit par capituler :

- D'accord, tu n'es peut-être pas complètement adulte. Mais quand même... c'est possible que tu n'aies fait ça que pour te donner bonne conscience. C'est le style des adultes. Me sauver, juste pour attirer l'attention des autres sur toi, et leurs louanges. Oh, que tu es généreuse, admirable, altruiste...

Je le coupe :

- On est en plein milieu de la nuit. Trois heures et demie du matin, peut-être. Il n'y a personne à regarder pour me féliciter... et si, demain matin, je raconte ça à mes parents, ils me diront que j'ai rêvé. De toute façon, je n'ai pas le droit de monter sur le toit.

- Alors, ironise-t-il, tu regrettes de m'avoir aidé ?

- Non. Je voulais juste t'empêcher de tomber. Ce n'est pas pour moi, c'est pour toi...

Il se tait à nouveau, détourne les yeux. Je le sens encore perplexe, en quête d'arguments, qu'il semble ne pas trouver d'ailleurs. Je crois l'avoir convaincu de ma bonne foi. Je reste ainsi à contempler son profil, tourné vers les lumières de la ville endormie. Au terme de quelques minutes, il finit par soupirer, et dit :

- Tu sais, je rêve un monde. Un monde où il n'y a que des enfants, qui veulent échapper à cette réalité. Un monde sans adultes et sans mensonges, sans résignation. C'est un monde parfait, en quelque sorte.

- C'est un beau rêve... mais on dit "rêver d'un monde", pas "rêver un monde"...

- Non non. Je rêve un monde.

- Si tu le dis.

Je hausse les épaules, pas vraiment désireuse de me brouiller avec lui pour si peu. Je viens juste de gagner un peu de sa confiance, ça me suffit pour l'instant. Quant à lui faire dire d'où il vient et pourquoi il est ici, habillé de la sorte... je suppose que je ne le saurai que s'il veut bien me le dire, vu son caractère.

- Dis, continue-t-il, tu veux le voir, ce monde ?

- Le voir ? Peut-être... oui, je pense que j'aimerais bien.

- Alors viens.

- Hein ?

Il ne se formalise pas de mon expression de surprise et s'accroupit à côté de moi, m'agrippant le poignet. J'ouvre de grands yeux, mais lui ferme les siens, un sourire aux lèvres.

L'instant d'après, je me sens prise de vertiges, et mon champ de vision tourne jusqu'à devenir flou, puis noir. Je perds conscience.


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