Partie 6

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Pas après pas, j'avance vers ce qui me semble être le dernier secret de Neverland. Un monde parfait réservé aux enfants, rempli de jeux, qui efface progressivement la mémoire, dont on ne peut pas sortir une fois entré, sinon par la mort... et ce monde est gouverné par un seul enfant, dont je ne sais rien sinon le nom : Peter Pan. Et encore... s'il s'est inspiré du conte, quel est son prénom d'origine, à lui ?

Je m'appuie sur la paroi rocheuse pour continuer mon difficile chemin ; la descente se fait de plus en plus abrupte, et au bout d'un moment, je distingue des marches taillées dans la roche, facilitant ma descente. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, je n'avais pas remarqué que le granite est si étonnamment lisse ; je suis pieds nus, mais je ne sens aucun petit caillou me rentrer dans la plante du pied. Ce chemin doit être très peu emprunté... en même temps, c'est normal, vu comment il est bien caché.

Au terme d'une longue et laborieuse marche, je vois enfin, au bout des marches, un couloir qui continue, baigné d'une douce lumière dorée. On dirait bien que ma descente touche à sa fin.

Je descends de la dernière marche pour arriver dans une autre pièce taillée dans la roche, pas plus large que la première, mais beaucoup plus haute ; le plafond doit être à une dizaine de mètres. Les murs sont incrustés de multiples pierres de couleur, sur lesquelles se reflète une lumière, venue du bout de la salle. Je m'avance dans cette direction, lâchant enfin le mur. Et enfin, peu à peu, la vérité se dévoile à moi.

Au mur, comme incrusté dedans derrière une fine couche de minerai transparent, il y a un enfant blond, tout droit, qui semble dormir. Il est une copie conforme du Peter Pan que j'ai vu jusque-là, à part dans sa tenue : il porte un petit t-shirt marinière blanc rayé de bleu, un pantacourt sable, ainsi que des chaussettes blanches dans des chaussures à lacets. Cette tenue me rappelle une photo que j'avais vue dans un documentaire, d'un enfant du XXème siècle... mais impossible de me rappeler l'époque plus précisément. Ce dont je suis sûre cependant, c'est que ce Peter Pan est un enfant d'un autre temps.

Je me rapproche de la pierre, fascinée et dérangée par la position de cet enfant qui semble y être fusionné. J'avance la main vers la surface transparente, y pose les doigts... et recule immédiatement avec un hoquet de surprise. La roche est chaude, à température humaine, et se soulève au rythme de la respiration de l'enfant dessous ; elle est pourtant bien dure, comme n'importe quel minéral. Je souffle :

- Alors c'est toi, Peter Pan ?

- C'est moi.

Sa voix résonne dans toute la pièce sans qu'il ait bougé les lèvres. J'entends juste après un petit rire jaune.

- Eh bien voilà. Oui, c'est moi, le vrai Peter Pan. Ça ne ressemble pas vraiment à celui que tu as vu, n'est-ce pas ? Là, j'ai juste l'air d'un gamin d'une autre époque pour toi...

- Dis-moi... qui es-tu ?

- Qui je suis ?

Il ricane encore d'un ton amer.

- Je ne saurais pas te le dire. Ça fait si longtemps que je suis là, si longtemps que je suis Peter Pan pour eux tous, que j'ai oublié. Neverland m'a affecté aussi...

- Tu as tout oublié...?

- Pas tout, rectifie-t-il. Il me reste quelques bribes de souvenirs de mon ancienne vie... ceux que j'ai vraiment voulu garder. Ceux qui me rappellent pourquoi je suis là.

Sa voix se fait plus mélancolique.

- Parfois, je me demande ce que je fais encore ici. Je m'ennuie tellement, certains jours... tu imagines, toi, rêver toute ta vie ? Moi, je ne suis là que pour rêver ce monde, garder son existence et le faire tourner. Le Peter Pan que tu as vu, ainsi que Tinkerbell, ce sont des projections de moi.

- Mais dis... pourquoi est-ce que ta projection, comme tu l'appelles, m'a vue au début, puis en fait non, et elle m'a vue de nouveau dans la grotte au moment où... où...

- En premier, c'est parce que je m'étais projeté dans la réalité... c'est aussi pour ça que tu as pu me rattraper quand je tombais. Merci, d'ailleurs. Ensuite, vu qu'on était tous les deux dans l'entre-deux, la projection te voyait encore... et après, toi, tu es restée dans l'entre-deux tandis que l'autre Peter Pan était dans Neverland.

- Et juste là ?

- C'est parce qu'on était proches du vrai moi... ma projection et moi, plus on est proches, plus on se confond.

- Oh... d'accord.

- Et donc, pour revenir où j'en étais... j'ai juste assez de souvenirs du vrai monde pour me rappeler à quel point il est horrible, à quel point les adultes sont horribles. Me rappeler pourquoi j'ai rêvé Neverland.

Un élan de compassion m'étreint le coeur ; je murmure :

- Qu'as-tu pu voir ou vivre pour développer un tel refus des adultes ?

- C'est confus... je me souviens de quelques moments seulement. Papa qui partait dans un train avec beaucoup d'autres, et qui n'est jamais revenu... Maman qui s'occupait de la famille, j'avais trois frères et deux soeurs. Je me souviens qu'on avait toujours faim, qu'il n'y avait jamais assez à manger à la maison ; Maman partageait sa propre part entre nous six, mais là encore, ce n'était pas assez. Ensuite... j'ai vu Maman tomber malade... le médecin refusait de la soigner parce qu'on ne pouvait pas payer. Il y avait aussi ces explosions, parfois, qu'on entendait de loin. On avait toujours peur que ça nous tombe dessus. Jusqu'à ce jour...

L'enfant hoquette mais continue :

- Ça a explosé dans notre village. Le bruit était si fort que j'ai cru devenir sourd. Je... je ne me souviens pas bien, mais tout était noir et rouge... fumée, feu, des morts partout, les maisons explosées... je n'ai pas trouvé ma famille, je ne l'ai pas cherchée, je me suis juste enfui parce que j'avais peur. C'est après que j'ai appris qu'on s'était faits bombarder. Que c'était la guerre. Moi, je ne comprenais pas ça ! Tout ce que je savais, c'est que les adultes se battaient prétendument pour des choses bien plus grandes, mais en fait, c'était juste pour leur propre intérêt qu'ils faisaient tout ça. Tous ces massacres... juste pour quelques adultes égoïstes et égocentriques. Ça me dégoûte.

Je n'ose plus rien dire après que l'enfant se soit tu. Il n'y a plus rien à dire après tout. Ce gamin a vécu la guerre... qu'est-ce que je pourrais répondre à ça ? Je n'y connais rien à rien, moi, sur ce sujet.

- C'est pour ça, finit-il au bout d'un moment. C'est pour ça que j'ai rêvé Neverland. Pour que les enfants puissent vivre leur vie d'enfant, échapper à ces porcs d'adultes. Je ne sais pas comment j'ai fait... mais je l'ai fait. Et depuis, je suis là, à maintenir mon rêve en place.

- Est-ce que je peux... te poser une question ?

- Si tu veux.

- Pourquoi m'avoir montré ça ? Neverland, les enfants, même les recoins les plus sombres de ce monde, et enfin toi... pourquoi ? Tu m'as pourtant interdit de suivre Anaël, et vu que tu contrôles ce monde, tu aurais très bien pu m'empêcher d'assister à tout ça, non ?

- J'aurais pu...

Il paraît réfléchir avant de répondre :

- J'aurais pu, mais je ne voulais pas, je crois. Je suis fatigué d'être seul. Aucun enfant ici ne sait la vraie histoire de Neverland, et c'est tant mieux. Si l'un me le demande, je saurai qu'il a arrêté de me faire confiance, et qu'il sera devenu un peu plus adulte... donc qu'il faudra, lui aussi, l'éliminer de Neverland. Je ne veux pas ça... je veux juste que les enfants soient éternellement heureux ici. Mais toi... de toute façon, tu n'es pas un danger pour l'équilibre de ce monde. Donc, voilà. Je voulais juste partager un peu de ma vie, pour me sentir moins seul.

Il rit doucement.

- C'est égoïste, n'est-ce pas ?

- Non, tu as bien le droit...

Je baisse les yeux, touchée par son histoire. Je n'aurais jamais soupçonné ça de lui en le voyant, à trois heures et demi du matin, assis sur mon toit, à clamer que je suis une adulte stupide. Cela étant, il me reste une dernière pensée, que je ne peux pas me retenir de formuler :

- Et au final, tu n'as plus rien d'un enfant, Peter Pan.

- Non, c'est vrai. C'est ironique, que celui qui a créé Neverland soit devenu le genre de personne qu'il hait le plus... mais je n'ai pas le choix. Avec le temps, avec tout ce qui pèse sur mes épaules... je dois être un adulte. Pour que tous ceux de Neverland puissent rester des enfants.

- C'est donc là la conclusion de ton existence...

Je ne retiens plus mes larmes, qui roulent sur mes joues pour tomber au sol. Je ne le vois pas ni ne l'entends, mais je sens que Peter Pan, quelque part, me sourit tendrement. Et la tristesse, la résignation que je devine dans ce sourire, me brise le coeur.

- Ça y est, tu l'as vu... le dernier secret de Neverland. Il va être temps pour toi de repartir... oh, je ne sais même pas ton prénom. Non, ne me le dis pas. Je n'ai pas envie que tu me manques.

- Que... non ! Je ne veux pas repartir ! Et toi ?

- Ça fait des décennies que je suis ici. Crois-tu que quelques-unes de plus ou de moins, ça change quelque chose, maintenant ?

- Mais... tu seras de nouveau seul...

- Et toi ? Veux-tu rester ici à partager ma solitude alors que la réalité t'attend ? Retourne dans ton monde. Tu... tu es quelqu'un de bien, je crois. Tu ne mérites pas de gâcher ta vie avec un gamin condamné à l'éternité.

Mes mains commencent à me chatouiller ; en baissant les yeux dessus, je vois qu'elles commencent à s'effacer. Je crie à l'enfant emmuré :

- Non, arrête ! Toi aussi, tu as le droit d'être un enfant !

- Je n'en suis plus un depuis longtemps, tu le sais très bien. C'est trop tard pour moi. Pas encore pour toi.

Alors qu'il parlait, l'effacement a rapidement gagné la moitié de ton corps. Il ne renoncera pas, donc...

- Je ne t'oublierai pas, dis-je alors tout simplement.

- C'est gentil mais stupide. Ne perds pas ton temps à pleurer pour moi, il t'est compté.

- Alors je serai stupide...

Un flash de lumière blanche m'aveugle, et me force à fermer les yeux, malgré moi.

Quand je les rouvre, je suis assise sur le toit de ma maison, face à la ville endormie où je vis. Trois heures et demie du matin, indique l'horloge de la cathédrale. Je porte les mains à mon visage, et mes doigts touchent mes joues trempées. J'ai pleuré. Et sous mes pieds, je sens encore quelques grains de sable, dont certains se sont immiscés entre mes orteils.

Ce n'était pas un rêve. C'est tout ce dont je peux être sûre.

Je repasse de l'autre côté du toit, me laisse tomber par la fenêtre ouverte du grenier. Puis je la referme, je range les cartons qui m'ont permis de grimper à l'aller, et je repars vers les escaliers. Mes larmes n'ont pas cessé de couler, brouillant mon champ de vision jusqu'à mon retour dans ma chambre.

Là, je jette un regard à mon lit défait : je ne veux vraiment pas me recoucher, décidément. À la place, je me dirige vers mon bureau, allume la petite lampe qui s'y trouve, m'assieds sur la chaise. D'une étagère, je tire mon ordinateur portable, l'allume ; quand il consent à marcher, j'ouvre un document texte et commence à écrire.

"... et le vent souffle sans fin des mots que je ne comprends pas et qui m'assourdissent..."

Je ne t'oublierai pas, Peter Pan. Ton souvenir sera pour moi ce que ton passé est pour toi : ce qui donnera un but à ma vie.

Je serai une adulte, mais une adulte droite, honnête, respectueuse. Je combattrai l'égoïsme et le mensonge, et je partagerai ce combat avec tous ceux que je rencontrerai.

Je veux changer le monde, Peter Pan. Je veux le changer de l'intérieur, en essayant d'être un exemple. Ceux qui me suivront propageront aussi le message. On peut y arriver.

Et enfin, un jour, je l'espère, ce monde deviendra différent. Ce sera un monde de paix et de respect. Un monde où les adultes pensent aux autres avant eux-mêmes. Un monde où les enfants seront des enfants, où ils seront heureux. Et ce jour-là, Peter Pan, tu ne trouveras plus d'enfant malheureux à qui offrir Neverland... et, enfin, tu seras libéré à ton tour. Tu pourras toi aussi le quitter, ce monde sans retour...

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