Partie 5

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Je suis restée à côté d'Anaël pendant ce qui m'a semblé des heures, à regarder le soleil descendre lentement à l'est. J'ai l'habitude des longues attentes, de fait, grâce à mes insomnies ponctuelles.

Enfin, alors que le soleil touche l'horizon - ou du moins me semble le toucher, vu que les hauts arbres de la forêt m'empêchent de voir à plus de quelques mètres - Anaël se relève. Dans la lumière rougeoyante du couchant, son visage paraît d'un coup fatigué et empreint d'une profonde tristesse. Plus je le regarde, plus je crains que mon hypothèse, lancée presque au hasard à Peter Pan, ne soit vérifiée.

Anaël repart vers la forêt, en direction du sud, et je lui emboîte le pas. Nous retraversons le fouillis végétal, plus aisément qu'à l'aller maintenant que nous connaissons chacun notre chemin, pour revenir au Lagon des Sirènes. Dans la crique aux pierres roses, il n'y a désormais plus personne, plus un seul enfant humain ou poisson ; Anaël ne jette qu'un rapide coup d'œil à gauche, avant de partir à droite, continuant sur la plage. Je le suis encore, ne laissant derrière nous que les empreintes de ses pieds nus, les miens n'affectant pas le sable.

Le chemin est long, et je me demande plusieurs fois si ce gamin connaît vraiment la route, en fait ; cependant, je n'ai pas d'autre choix que de le suivre. Le soleil est finalement aux trois quarts couché quand j'aperçois enfin au loin, au bord de l'eau, une silhouette vêtue de vert. Anaël ralentit en voyant Peter Pan, mais semble prendre son courage à deux mains pour continuer d'avancer, accélérant même le pas. S'il fallait me prouver qu'il est effrayé, là, c'est fait. De son côté, Peter tourne les yeux vers nous, et sourit en faisant de grands gestes à Anaël. Sourire qui fond lentement en voyant la tête d'enterrement qu'arbore le gamin.

- Anaël...

- Salut, Peter.

La situation de cet après-midi se répète, regard inquiet contre lassitude. Il y a quelque chose d'infiniment triste et vide dans cet échange ; j'en sentirais presque la fatalité arriver, doucement mais inéluctablement.

- Viens t'asseoir, si tu veux.

Anaël accepte la proposition et vient se poser sur le sable, assis, à côté de Peter. Je les rejoins, me plaçant derrière eux pour mieux les entendre. Quoiqu'en l'occurrence, ni l'un ni l'autre ne parle : Peter jette des regards en coin à Anaël, qui fixe obstinément l'océan. Le blond finit par soupirer d'une exaspération dissimulée, et souffle :

- C'est quand tu veux. Mais dis ce que tu as à dire... je n'aime pas te voir dans un tel état, tu sais.

- C'est pas facile d'en parler, marmonne Anaël.

- Si tu n'y étais pas prêt, tu ne serais pas venu, si ?

- Non...

Le châtain s'agite un peu, sans changer la direction de son regard, puis se lance enfin :

- Neverland est un paradis, n'est-ce pas ?

- C'est un paradis, acquiesce Peter. Pourquoi ?

- C'est parfait ici, continue Anaël en ignorant son leader. Il y a quelque chose de différent à faire chaque jour. On peut aller voir les Indiens pour jouer à se battre...

- Tu es l'un des meilleurs archers ici, ajoute Peter. C'est impressionnant. Par contre, l'épée, ça n'a pas l'air d'être ça encore...

- Ou alors chasser des trésors, toujours différents, et chaque chasse est plus amusante que la précédente. On peut aussi jouer aux pirates, prendre des bateaux pour faire le tour de Neverland ou aller au Rocher du Crâne...

- Et tu adores naviguer, n'est-ce pas ?

- Oui, sourit Anaël. C'est génial comme sensation. Il y a aussi les sirènes du Lagon, que je connais et qui m'aiment bien...

- Tu parles qu'elles t'aiment bien ! Elles adorent que tu chantes avec elles, vos voix vont vraiment bien ensemble. À un moment, tu as même envisagé de devenir un triton, non ?

- J'avais tout pour... j'aimais chanter, j'aimais la mer, je parlais parfaitement leur langue.

- Pourquoi parles-tu au passé ?

Les épaules d'Anaël sursautent faiblement. Je n'ai même pas besoin de regarder son visage pour deviner qu'il sanglote.

- Pourquoi, en effet ? Je ne sais pas, Peter, mais ce monde... il n'est plus comme avant, je trouve. Ou c'est peut-être moi qui ai changé. Oui, ça doit être moi.

Peter se tait, mais je le devine tendu. Anaël poursuit :

- Ce n'est pas récent, mais jusque-là, je ne voulais pas en parler... je ne voulais pas t'embêter pour rien, toi qui as toujours l'air si occupé. Tu t'occupes tellement de nous tous que je ne voulais pas en rajouter. Du coup, j'ai essayé de replonger dans les activités de tous les jours, j'ai essayé de m'amuser sans penser à rien... mais ça ne prend pas, Peter ! Ça ne prend pas ! Ça ne veut plus marcher !

Je l'entends pleurer. Peter ne fait cependant aucun geste vers lui pour le rassurer, se contentant de demander, très laconiquement :

- De quoi rêves-tu, Anaël ?

- Encore cette question ? sourit le garçon. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas entendue.

- De quoi rêves-tu ? répète Peter.

- Ce n'est pas facile à dire... enfin, si, c'est facile, mais en même temps... bon. Je crois que c'est bon pour moi... je veux quitter Neverland. Et revenir à la réalité.

Je ne peux pas m'empêcher de glisser :

- Je le savais.

Aucune réponse, ni de ceux qui ne m'entendent pas, ni de celui qui le peut. Devant moi, le Peter Pan visible se relève brusquement, manquant me flanquer un coup de pied dans le nez - ou plutôt de me traverser le nez de son pied. Il se tourne vers Anaël, lui tend une main :

- Je suppose que je n'ai pas d'autre choix que d'exaucer ce souhait.

Le garçon regarde la main, puis l'accepte avec un sourire soulagé.

- Merci, Peter.

- Suis-moi.

Sur ce, main dans la main, les enfants s'enfoncent dans la forêt. Je m'apprête à les suivre quand la voix du Peter Pan immatériel m'arrête :

- N'y va pas, s'il te plaît.

- Et pourquoi ?

- N'y va pas. C'est... c'est l'un des plus grands secrets de Neverland.

Je ne me souviens pas avoir entendu Peter aussi hésitant, visiblement mal à l'aise, depuis notre rencontre quelques heures auparavant. Ce qui ne m'incite que plus à insister :

- Secret, hein ? Qu'est-ce que tu caches, Peter Pan ? Quelle est la différence entre un secret interdit et un mensonge, dis-le moi ?

- N'y va pas.

- Tu as dit qu'il est impossible de quitter Neverland, alors que vas-tu faire à ce gosse ? Réponds !

- Je vais exaucer son souhait. Il va quitter Neverland.

- Mais attends, tu as dit que c'était...

Un doute me prend, et ma voix se brise alors que je commence à trembler.

- Non, c'est pas possible que...

Je tourne la tête vers l'endroit où Peter et Anaël sont partis ; je les vois encore avancer dans les bois, cachés par les arbres. Sans hésiter plus, je me lance à leur poursuite. La voix de l'autre Peter Pan s'est tue. S'il ne veut pas que je voie ce qui va arriver, pourquoi ne me retient-il pas ? Ne suis-je pas dans son monde ?

Peut-être, finalement, que ce n'est pas ce que je pense ?

Poursuivre deux petits enfants dans une forêt dense, du haut de mon mètre soixante-cinq, se révèle vite être tâche ardue, mais je refuse d'abandonner. À quelques moments, je crois m'être perdue, mais je vois peu après une tache de couleur qui me rappelle où sont les enfants ; d'autres fois, je ne les vois plus mais j'avance tout droit, priant pour qu'ils ne bifurquent pas.

Ça fait justement cinq bonnes minutes que je les ai perdus de vue et que j'avance dans ce que je pense être toujours la même direction - difficile de s'y retrouver avec un obstacle à contourner à chaque mètre - quand j'arrive soudainement au pied d'une falaise. La forêt s'arrête net ici, face à ce mur de granite d'une bonne cinquantaine de mètres de haut. En bas, devant moi, de gros rochers sont alignés, témoignant d'un effondrement passé. La dernière chose dont j'aurais envie en ce moment, ce serait qu'une grosse caillasse se décroche de cette falaise et m'aplatisse.

Mais, en y réfléchissant... n'est-ce pas le meilleur endroit pour cacher un secret ?

Je m'avance prudemment vers les gros rochers, jetant périodiquement des regards au-dessus de ma tête pour éviter de me faire surprendre. Si Peter Pan maîtrise vraiment ce monde, il pourrait me tuer d'un simple éboulement ; pourtant, il ne le fait pas. Refus de me donner la mort... ou n'est-il pas tant le "rêveur" de ce monde qu'il le prétend ?

Je passe les doigts sur la surface de chaque pierre quand, soudain, j'en traverse une. Je retire de la roche immatérielle ma main qui s'y est enfoncée, surprise mais ravie d'avoir trouvé le mystère ; sans réfléchir, je prends mon élan, et fonce droit sur la surface ectoplasmique, les yeux fermés.

En les rouvrant, je vois que j'ai traversé la roche, qui est à présent derrière moi, condamnant l'entrée d'une grotte sombre, éclairée par-ci par-là par des pierres lumineuses incrustées dans les murs de granite. Le couloir rocheux s'enfonce un peu plus profondément sous terre, et il me semble entendre des échos venus d'un peu plus loin. Mon inquiétude remonte en flèche ; je cours voir de quoi il s'agit.

La galerie droite bifurque soudainement à gauche ; lorsque je prends le virage, je débouche sur une grande salle circulaire. Et ce que j'y vois m'horrifie. Mes jambes me lâchent, et je tombe à genoux sur la roche.

Peter Pan, accroupi à côté d'un corps immobile, se relève, retirant sa dague de la poitrine du cadavre. Du sang goutte de l'arme, chaque goutte venant éclater au sol avec un petit "plic", rejoignant la flaque rouge, sous le corps, qui s'élargit de seconde en seconde. Je n'ai pas le besoin ni la force de regarder le visage du mort ; les longs cheveux châtains trempant dans le sang me le confirment déjà bien trop douloureusement.

Je sens de la bile remonter dans ma gorge, et je rampe vers le mur pour vomir, hoquetant de peur, ne contrôlant pas mes larmes, tremblant à m'en déboîter les articulations. Lorsque je sens que je n'ai plus rien à cracher, la gorge brûlante, je me recroqueville sur moi-même, jusqu'à ce que j'aie le courage de relever les yeux vers Peter. Il serre sa dague entre ses doigts, ses cheveux blonds lui cachent le visage. C'est d'une voix éteinte que je chuchote :

- Assassin...

- C'était trop tard.

Stupéfaite, je vois le gamin, qui quelques minutes avant ne percevait pas ma présence, se tourner vers moi, me regardant dans les yeux. Et les siens aussi sont rougis, remplis de larmes, criant de souffrance. Je hoquette :

- Pourquoi as-tu fait ça, Peter Pan ?

- Je ne voulais pas... je ne voulais vraiment pas !

Il lâche sa dague, qui tombe à terre en éclaboussant dans la flaque rouge. Ce simple bruit me vaut de serrer les dents, et Peter pousse une petite exclamation effarée. Il regarde ses mains, maculées de sang, et ses pupilles se rétrécissent jusqu'à n'être plus que des points dans ses iris bleus. Il recule, pas après pas, pour finir par se coller au mur, répétant compulsivement :

- Je ne voulais pas... je ne voulais pas... je ne voulais pas...

- Pourquoi, réponds... pourquoi...?

- Je ne voulais pas...

- Réponds ! Assume et réponds !

- Il n'y avait rien d'autre à faire ! hurle-t-il à travers ses larmes.

Ses jambes paraissent avoir du mal à le porter, il plie les genoux pour réussir à tenir debout. Tout son corps, en fait, chacune de ses articulations est tordue. Il continue, d'un ton quasiment hystérique :

- C'est de ma faute ! J'aurais dû remarquer avant qu'il n'allait pas bien ! Si j'avais vu ça dès le début, peut-être que j'aurais pu trouver le jeu qui lui aurait fait plaisir et qui l'aurait fait rester... je voulais qu'il soit heureux... je veux qu'ils soient tous heureux...

- C'est pour ça que tu l'as tué ?

- Tu ne comprends pas ! Qu'est-ce que j'étais censé faire ? On ne peut pas sortir de Neverland une fois rentré ! J'aurais dû le laisser vivre comme ça ? Il n'aurait été que plus malheureux, et il aurait pu contaminer les autres enfants avec sa tristesse ! C'était trop tard pour lui... sans que je m'en aperçoive, il était devenu plus adulte...

- Peter Pan... dis-je d'une voix lasse. Et toi, es-tu encore un enfant ?

Son regard se fait encore plus terrorisé - je ne pensais pas que c'était possible. D'un seul coup, il tourne la tête, fuyant mon regard, et ses yeux se posent vers une autre galerie, partant de la salle circulaire, que je n'avais pas vue au premier abord. Il serre les dents et s'enfuit vers cette issue, d'une course incertaine mais rapide.

Je reste un moment à regarder ce couloir par lequel il est parti, agenouillée sur la pierre. L'odeur de sang remplissant l'atmosphère est de plus en plus insupportable ; je ne peux retenir un autre vomissement qui me laisse avec un goût amer dans la bouche. Lentement, je finis par me relever, m'appuyant contre le mur en pierre d'une main, l'autre posée sur mon ventre douloureux. Puis, lentement, pas après pas, en m'aidant du support du mur, je marche à la suite de Peter Pan, vers les entrailles de son Neverland de moins en moins parfait.

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