Ne cesse jamais de me craindre Pheles, car celui qui ne craint pas sa lame n'est pas digne de l'utiliser.

Landið.

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La neige tombe à gros flocons, du sang se répand sur le sol. Elle rampe dans cette soupe glacée boueuse, traînant ses entrailles à nu après elle, tend une main tremblante vers son fils

- Trouve la force de ... Gratter le Ciel...

- MAMAN!!!

Kurô se réveille en sueur, n'arrivant pas à cesser de trembler. " Ce n'était qu' un cauchemar..." Se dit il, tentant de se persuader lui-même. " Un vilain rêve... Maman est là, dans sa chambre avec papa, je vais aller leur demander de dormir avec eux, et tout ira bien..."

Mais ce que ces yeux voient et ses oreilles entendent trahissent le contraire. Le cauchemar est loin d'être fini. Une horde de monstres d'os et de fourrure se tiennent autour de lui, se tortillant comme une marrée difforme au son des tambours de guerre, des scies musicales et des flûtes de pan.

Des monstres bipèdes recroquevillés sur leurs pattes arrières, aux bras griffus, couverts des fourrures et des os de carcasses d'animaux, portant comme heaume le crâne d'un ours, d'un cheval ou encore d'un élan. Certains sont entrés en transe, hurlant des plaintes distordues par les râles de souffrance qu'ils poussent alors qu'ils s'entaillent le bras, la poitrine ou encore les cuisses.

Une ombre démoniaque se dresse alors devant lui, le saisit par les cheveux et le traîne sur quelques mètres, fredonnant des complaintes indéchiffrables. Il le jette sur une dalle de granit noir. La surface est froide est gluante, visqueuse sous les doigts du jeune garçon. Mais le bon sens le pousse à ne pas voir ce qui se trouve sur ses mains. Les torches de graisse de sanglier diffusent une odeur âcre sur la scène, ainsi qu'une lueur démoniaque aux menhirs dressés devant lui, le jugeant comme un condamné à mort.

- Debout

Le monstre à parlé. Sans même réfléchir, la petite chose brune tente de se tenir sur ses jambes tétanisées, mais ses efforts sont vains. Alors qu'il dirige  son regard sur la Table de Pierre, il croit apercevoir son double, désarticulé sur le granit, la poitrine ouverte, un trou béant au niveau du cœur, couvert de sang.

"Shirô..." Les yeux du petit homme s'écarquillent de peur, d'incompréhension, alors que ses jambes cèdent sous le poids de la vérité.

- Shirô....

- Debout !

La créature, impassible, hausse la voix. Incapable de riposter, il essaye tant bien que mal de contrôler ses muscles, mais rien n'y fait. La vision de sa mère gisant sur le sol, de son frère aîné devant lui le paralysent.

- Debout humain !

Il le saisit par la peau du cou et le traîne sur la Table, laissant là son frère jumeau, sans même y prêter attention. Là, d'autres créatures lui saisissent les poignets et les chevilles, le forcent à s'allonger sur le dos.

Un bruit arrive à sa gauche, aussi simultanément que le choc. Puis la douleur dans la paume de sa main, cuisante, insupportable.

On le cloue à son socle de granit. Il a beau hurler de douleur, à s'en vider les poumons, rien ne fait ciller les horreurs de ses pires cauchemars. Les tremblements incessants de ces spasmes s'intensifie alors que le Wendigo s'approche de lui.

Il est le chef de guerre et spirituel de la Horde. Kurô n'a pas besoin qu'on le lui dise, il le sait déjà, une voix caverneuse le lui a annoncé, dans sa tête. Le  grand chaman pue la mort, il porte un crâne de bouc des steppes aux cornes démesurées sur le visage, d'où pendent des organes humains encore chauds à des bouts de ficelle. L'orbite de son œil gauche est bandé, occulté par une bande de cuir. Une grande cape de fourrure de yack noire le couvre de la têt aux pieds, une crinière hirsute recouvre sa nuque et une partie de son dos voûté, d'où ressortent des excroissances osseuses, un collier de crânes humains et têtes réduites orne son cou.

Des mains maigres et griffues surgissent de la fourrure, brandissant un coutelas en pierre d'ambre et d'orichalc. Il commence sa transe, se balance de gauche à droite, d'avant en arrière, gémissant avec le bourdonnement des tambours, rejetant la tête en arrière. Kurô arrive à distinguer des cheveux roux et une gorge humaine sous le masque cauchemardesque, plus jeune qu'il ne l'aurait cru. Il en a la certitude maintenant, ces monstres qu'il craint tant, qui ont mutilé son frère, sont des démons.

La peur s'atténue un peu dans le petit cœur de l'enfant. Les questions s'envolent. L'horreur est toujours présente, mais ils ne le tueront pas, sa mère le lui a dit. C'est avec cette pensée en tête que le Wendigo hurle, et dans un bruit sourd, plante sauvagement la lame dans la poitrine de Kurô. Sa respiration se bloque, ses yeux se résorbent.

Et le chaman tire le pommeau vers lui.

Les os se brisent et la chair se déchire sous la force de ses bras, le son des tambours s'intensifie, devient plus fort, insupportable. Le chef débite des paroles aussi vite qu'un fleuve en crue, lâche la lame, écarte les tissus de la plaie de ses griffes, saisit de la cage tiède le petit myocarde encore battant. Il stoppe son geste, remarquant l'absence de réaction de son sacrifice.

Le petit homme a les yeux vides, le teint fantomatique, la peau trempée de sueur, les dents serrées, son visage déformé par un rictus de douleur, mais ne lâche pas un cri.

- Petit, pourquoi ne cries-tu pas ? Murmure le démon.

Il tourne un regard laiteux vers son bourreau, sorti de sa transe.

- Parce que ce sont les méchants monstres .... qui font peur...... Et vous, vous n'êtes pas méchants.....

Étonné de sa réplique, il relâche sa prise sur le cœur de l'enfant.

- Qui t'as dit ça ? Continue plus doucement la voix rauque du démon, alors qu'il se penche un peu plus pour entendre les murmures de Kurô.

-  ...Maman...

-  Petit, qui était ta mère?

Avant de s'évanouir sous la douleur et la perte trop importante de sang, le jeune humain lâche dans un souffle:

-  Marina... 

L'esprit du chaman s'illumine. Il connaît .... connaissait cette femme.

Elle avait donc eu deux fils. Deux petits hommes, engendrés par l'union d'un lycanthrope et d'une paranormale. Le Wendigo avait bien senti que les deux jeunes enfants étaient en quelque sorte... Différents. Alors la lignée des devins assurait sa descendance.

- Soit honoré de ton courage petit homme, tu mérites de porter l'âme de Ragnar en ton cœur.

Il arrache d'un coup sec le muscle qu'il tenait encore dans sa main, lève son bras au dessus de la foule, le présentant à Styx, dégoulinant de sang, les tambours s'arrêtent. Un silence de mort règne autour de la Table de Pierre.

Un éclair blanc surgit du néant, au dessus de la carcasse du petit. Une ombre laiteuse  fantomatique se matérialise entre lui et le Wendigo. Quelques secondes s'écoulent, interminables, puis une voix s'élève dans l'atmosphère, grave, puissante.

- Le petit chaman a grandi.

Le Wendigo ne répond pas au yokai qui l'interpelle.

- Loki... Je t'observe depuis bien des années... Pourquoi si jeune?

Landið connaît déjà la raison du rituel. La Furie sait tout.

- Je les aurai amenés à Merimas, ils auraient au moins attendu leurs treize ans... Enfin.... je lui donne ma force. Je suis prêt à faire de lui l'un des vôtres.

Le Wendigo prend son souffle pour finir l'incantation, mais la furie le coupe.

- Je connais le rituel, ne te fatigue pas pour moi. Inquiète toi plutôt de Shirô. Il sera le point clé du Ragnarock, et la Révolte n'aura pas lieu si le petit Grimm succombe. Faites d'eux de fiers guerriers prêts à défier Ragnar lui même pour notre Patrie.

Depuis des années, des siècles même, la furie Landið protégeait les Kanga. Son fantôme demeure auprès des guides de la famille. Et cette nuit, il ferait de Kurô un jeune démon, un Sans Visage.

- Petit, es-tu prêt à recevoir ma force, et à porter mon crâne le reste de ton existence? Pourras-tu réfréner ta haine envers le sang de ton sang et te résoudre à abandonner ce qui fait de toi un homme?

La furie marqua une pause, s'assura que la horde entière écoutait ses paroles, puis continua.

- Je dévorerai ton cœur et ton âme le jour où tu failliras, ma malédiction te traquera jusqu'au Sidh, et Ragnar te bannira dans le Néant, aux côtés de Phélès le Pernicieux. Tu déshonoreras ton nom et tes actes, si jamais tu trahis la voie des Faucheurs d'Akumarmorique.

Sur ces mots, le monstre lui dévora le cœur, avant de s'engouffrer dans la plaie béante du petit homme. À cet instant, avant qu'elle ne se cautérise, le chaman sortit d'une toile de peau le sabre de sa mère, et le planta dans sa poitrine.

- Ceci sera ton arme. Honore le travail de Amdhar Forge-Givre, pourfend tes ennemis sans jamais lâcher sa garde.

- Combats sans jamais cesser de craindre ta lame, de craindre ta force, de me craindre. Car celui qui ne craint pas son arme n'est pas digne de la porter. De me porter.

La plaie se referma quelques peu, suintant une aura blanc sale, aux relents violets. Loki en profita pour retirer la lame de la blessure du sacrifice, et la déposer près du corps mutilé du petit garçon. Il prit une grande inspiration, et appela le jugement des Fléaux.

- RAGNAR!!! Himininn Það Drann getur ekki neitt ! Grimm ekki og fólk, Þú getur Pheles draumur öskra. Aogreinn na Himininn, Þú getur Speltblink draumur syngja, og sammeinn na Landið !!!

(* RAGNAR!!! Himinnin et Drann n'y pourront rien! Grimm rêve de faire rugir les âmes, Pheles hurle de ces cauchemars. Ils déchirent le Ciel, que le Speltblink fasse chanter les rêves, que ce chant réunisse la Terre!!! * )

Un éclair blanchâtre surgit de la plaie de Kurô, qui poussa un cri déchirant, puis des rayons visqueux sortirent de sa bouche, de ses plaies aux mains et chevilles, de ses yeux, qui se mirent à pisser un sang noir. Le rugissement de Landið déchaîna le ciel, alors que les marques brûlantes de sang sur le visage du garçon se gravaient à jamais sur sa peau.

Il sentit ses sens s'affiner, sa vue s'aiguiser, son ouïe se développer. Des milliers d'aiguilles invisibles se plantèrent sur ses tempes, une colonie de fourmis couraient sur son cuir chevelu, ainsi que dans sa colonne vertébrale. Des pulsions encore inconnues de son esprit surgirent des tréfonds de sa mémoire, sa mâchoire s'affine, accueillant une dentition nouvelle. La transformation l'étourdit, le rend incapable de bouger, comprendre ou exprimer quoi que ce soit. Il n'est que la surface d'un étang, vibrant au moindre souffle du plus faible des vents.

-  Ceci est la preuve de ton appartenance à la Horde! Arbore fièrement tes cicatrices, montre fièrement ces crocs et porte fièrement ces cornes sur ta tête! Car tu es à présent mien tout entier, Kurô Whiteheart, fils de Black Dog et de l'engeance de Drann, chair de mon sang, démon furie blanche que tu deviens! Donne moi ton corps et ton esprit, je te cède ma Force et ma Bravoure, noble guerrier des Sans Visage.

- Vient le temps du baptême mon vieil ami.... Lance le chaman à la voix qui s'élève dans le vent.

Relevant son masque vers le ciel, Loki ouvre les bras, s'adressant au jeune garçon.

- Tu es Kurô, celui qui naît avant l'aube, qui ose défier Ragnar en personne ... Phélès sera ton Nom! Tout comme ton jeune frère, vous êtes semblables, et fauchez ce qui passe sur votre route, Grimm a le pouvoir de séparer le Ciel, toi, tu réuniras la Terre!!!

Le Wendigo saisit la lame et la brandit devant l'assemblée, ayant fini sa transe collective.

- Voici Sameînalandið! Le sabre qui réunit la Terre!

Une marée noire de bras dégaina d'un même mouvement une forêt d'armes vers le ciel, poussant un cri de guerre encore plus puissant que l'orage.

Quand Kurô ouvrira les yeux, contemplant son nouvel univers de ces pupilles fendues dans son iris, sentira l'odeur de pourriture des peaux qui le vêtissent, percevra le Monde comme  l'un d'entre-eux, un porteur de crâne, il sera des leurs, un Sans Visage. Incarnation de la mort, la maladie, de la gangrène, du Désespoir, les Faucheurs d'Akumarmorique.

Reapers, partie 1 - Sacrifice - fin. À suivre...