Chapitre 24

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Xavier

— Je vais vraiment finir par engager quelqu'un ou adopter un chien pour surveiller mon appartement quand je ne suis pas là, me lance Gaby d'un ton sarcastique lorsqu'elle me découvre pour la deuxième fois affalé sur le seuil de la porte de son appartement.

En relevant la tête, je lui offre un rictus espiègle auquel elle répond par un froncement de sourcils qui creuse un pli au plein milieu de son front. Elle passe la sangle de son sac à son épaule pour me tendre la main et m'aider à me relever — sans doute le geste le plus gentil qu'elle n'ait eu à mon égard. Ses doigts glissent sur les miens et partent se cacher dans la poche arrière de son jean de la même couleur noire que son pull afin d'en extirper son trousseau de clés, qui émet un bruit de cliquetis quand elle en insère une dans la serrure. Elle ouvre la porte, mais ne m'invite pas à entrer. Je ne fais pas fi et la suis quand même à l'intérieur, ignorant son air pincé. Je me laisse tomber sur son canapé, les jambes tendues devant moi et les bras croisés derrière la tête.

— T'as une gueule de déterrée, lui fais-je remarquer en la suivant des yeux tandis qu'elle évolue dans son petit salon.

En m'ignorant, Gaby jette ses clés et son sac sur la table basse. Elle attache ses cheveux sur le haut de son crâne en un chignon approximatif qui dégage son visage tiré par la fatigue. Il faut dire qu'être enceinte et enchaîner plus de cinq heures de travail tous les jours laissent de vilaines traces : des cernes tirant davantage sur le noir que sur le violet ornent le dessous de ses paupières et sa peau est encore plus pâle que d'habitude, rappelant une triste et longue nuit d'hiver. Ses mouvements sont aussi plus lents, un peu comme si elle n'avait plus suffisamment d'énergie pour bouger. En repoussant une mèche derrière son oreille, Gaby enroule ses mains autour de mes chevilles et me force à descendre de son canapé. Je m'exécute avant qu'elle ne me fasse tomber par terre. Elle en serait capable.

Bien que la hache de guerre a été enterrée, Gaby reste Gaby. Elle pourrait me pousser dans les escaliers pour le simple plaisir de me voir souffrir ou mieux, me briser la nuque.

La future mère replace les coussins que j'ai déplacés avant de m'inviter d'un geste de la main à la suivre dans la cuisine.

— Océane a encore oublié que tu existais, c'est pour ça que tu es là ? m'interroge-t-elle en me coulant un regard par-dessus son épaule.

Je secoue la tête.

— Elle n'a pas oublié que j'existais, elle est occupée à renouer contact avec quelqu'un d'autre, clarifié-je.

— Céleste ? devine Gaby en inclinant la tête sur le côté.

— Yep.

Je me juche sur l'un des tabourets de l'îlot central. Gaby me tend une tasse de thé noir. Elle s'en verse une avant de venir s'asseoir face à moi. Elle doit légèrement reculer son tabouret, car son ventre de femme enceinte de cinq mois maintenant effleure le bord du comptoir.

Surprenant mon regard sur la bosse que forme son ventre, Gaby m'offre un piteux sourire.

J'ai un rendez-vous chez la gynécologue dans une heure pour connaître le genre du bébé.

J'arque un sourcil.

— Tu penses que ça sera une fille ou un garçon ?

— Aucune idée, et je m'en fiche. Dans tous les cas, cet enfant vivra une misérable vie. Pas parce que je suis seule, mais parce que je ne sais toujours pas comment m'occuper d'un autre être humain que moi.

— Tu t'occupes bien de moi pourtant, lui fais-je remarquer d'un ton narquois.

— Et regarde où mes conseils t'ont mené ! Tu as demandé à Océane de venir vivre avec toi (alors que je ne t'avais absolument pas conseillé ça) et maintenant elle te déteste. Si tu étais mon enfant, tu serais déjà mort.

J'éclate de rire, mais l'énergie n'y est pas.

— Elle ne me déteste pas, la corrigé-je en prenant une gorgée de mon thé. Je crois qu'elle est juste déçue que je lui aie caché la vérité à propos de Céleste.

Gaby souffle.

— Détester et être déçu de quelqu'un est exactement la même chose. Les émotions sont identiques, mais ne sont pas gérées de la même manière. C'est le même feu ardent qui coule dans tes veines, la même boule dans le ventre et dans la gorge qui semble t'étouffer. Les sensations sont justes... différentes. L'un ressemble à un violent feu d'artifice, l'autre davantage à un triste feu de camp avec beaucoup d'étincelles qui volent partout et qu'on tente d'éviter.

Ne voyant rien à répondre à cette métaphore qui ne fait aucun sens et qui est assez déprimante, je me contente de hausser une épaule. Quand nous terminons notre thé, il est dans les alentours de quinze heures et Gaby doit se rendre à son rendez-vous. Je propose de l'accompagner et, alors que je crois qu'elle va m'envoyer bouler, elle me surprend en hochant la tête et en me jetant son trousseau de clés.

Je le rattrape avant qu'il ne s'écrase sur mon visage.

— Tu conduis, m'explique-t-elle devant ma mine confuse. Le cabinet du gynécologue est à vingt minutes de route, et je compte bien utiliser ce temps pour dormir un peu.

***

C'est une fille.

Gaby attend une fille, et j'ignore si cela la rend heureuse. Son visage ne reflète aucune émotion tandis qu'elle observe le paysage défiler derrière la vitre de sa voiture, le front appuyé dessus. Je tente de lui soutirer quelques mots, mais elle se contente de grommeler. J'abandonne au bout de la dixième tentative et me concentre sur la route.

Je crois comprendre ce qui la met dans un tel état. Maintenant qu'elle connaît le sexe du bébé, tout cela devient réel. Tangible. Dans trois mois, elle sera mère. Elle devra s'occuper de son enfant seule, jouer le rôle de la maman et du papa. Endosser les responsabilités que Dave n'a pas su tenir en plus des siennes. Elle doit se rendre compte peu à peu de tous les sacrifices que cela lui demandera, le temps que ça lui grugera, le chemin abrupt qui s'approche de plus en plus d'elle, terrifiant et angoissant.

— Comment comptes-tu l'appeler ? tenté-je en lui coulant un regard.

Elle hausse des épaules. Elle semble si fragile ! Comme si la moindre brise pouvait la briser. D'un moment à l'autre, elle peut rompre en deux, à l'instar d'une brindille.

— Je ne sais pas. Je crois que je vais devoir faire comme toutes ces mères géniales qui fouillent avec leur compagnon ou leur compagne dans ces sites stupides qui recensent tous les noms possibles et inimaginables.

Elle grogne presque le mot « compagnon » qui sonne comme une insulte dans sa bouche. Sa haine envers Dave revient au galop, et je ne pense pas qu'elle réussira à s'en délaisser jusqu'à la naissance du bébé. Elle le détestera jour après jour, le maudira, puis commencera à se détester elle. D'être tombée sous son charme, d'avoir cru à l'amour, d'avoir cru en lui, tout simplement.

Moi aussi, je me déteste de l'avoir aimé.

Mais je déteste encore plus le fait qu'une petite partie de moi l'aime encore.

Que je le veuille ou non, Dave fait partie intégrante de moi. Il a été mon meilleur ami pendant plus de dix ans, il s'est emparé d'un morceau de mon âme. Il me connait mieux que personne et, parfois, je n'arrive pas à me dire que j'ai perdu mon reflet, mon frère. Je sais qu'il ne m'a pas trahi comme il a trahi Gaby, mais je n'aurais jamais pu me regarder dans le blanc des yeux si j'avais pardonné ce qu'il lui avait fait.

L'infidélité est, pour moi, la ligne rouge. Il ne faut pas jouer avec, tester ses limites et, surtout, ne jamais la traverser.

Je serre un peu plus fort le volant de la voiture de ma voiture, au point que mes jointures deviennent blanches. La radio crachote une chanson parlant d'amour, et je me dépêche de l'éteindre quand je remarque les larmes silencieuses dévaler les joues pâles et parsemer de taches de rousseur de Gaby. Elle sanglote, ses épaules tressautent, elle ne lâche pas la vitre des yeux. Son poing est serré sur son genou et elle finit par fermer les paupières.

Ne sachant pas trop quoi faire pour la réconforter, je sors la première chose qui me passe par la tête :

— Je pourrais le faire à la place de Dave.

Elle ne tourne pas la tête vers moi, mais je vois son front se plisser.

— De quoi parles-tu ?

— Je sais que je ne serais pas un bon père, je ne suis pas assez patient pour ça, ta fille risquerait sa vie si tu devais la mettre entre mes mains. Mais je pourrais t'aider à lui trouver un prénom. On pourrait regarder ensemble ces blogs débiles et dresser une liste tout aussi débile des noms que tu aimes bien. Ou alors, on pourra l'appeler Alex et l'affaire est réglée.

Cette fois, elle pivote vers moi.

— Alex ?

— C'est un prénom unisexe. Donc si ton bébé se sent homme ou non binaire, bah... il sera quand même à l'aise avec son prénom.

Ses lèvres frémissent quand elle refoule un sourire.

— Alex ne me plait pas, mais l'idée du prénom unisexe, si.

Je lui fais un clin d'œil et, cinq minutes plus tard, gare ma voiture à quelques mètres de son immeuble. Je m'extirpe de son véhicule et attends que Gaby en fasse autant pour lui tendre ses clés, qu'elle glisse dans son sac. Elle semble un peu plus calme que tout à l'heure et essuis les larmes sur ses joues du revers de la main, faisant comme si elles n'avaient jamais existé. Le chagrin demeurera toujours, mais je sais qu'elle finira par se faire à l'idée qu'une vie sans Dave est une meilleure vie. Même si ses sentiments pour elle étaient sincères, ils n'étaient pas assez fort pour qu'il reste auprès d'elle. Gaby mérite mieux.

Après avoir vérifié si Océane m'a envoyé un message — vu l'heure, elle est sûrement déjà chez Eden —, j'offre mon bras à Gaby pour qu'elle s'y appuie. Aucun romantisme ici, j'ai tout simplement peur qu'elle s'écroule au bout de quelques pas : elle semble complètement lessivée.

Nous avons parcouru plus de la moitié de la distance quand le ciel nous tombe sur la tête.

Je cligne lentement des yeux, espérant naïvement que je suis victime d'une hallucination, mais non. J'ai beau fermer et rouvrir les yeux comme un con, je vois toujours Dave tenter d'après la main de ma sœur.

— Hélène, s'il te plaît ! lui dit-il d'un ton presque suppliant. Tu ne peux pas faire ça, ce n'est pas une bonne idée.

Je remarque alors que leurs deux voitures sont là. Celle de ma sœur est mal stationnée, mais ce n'est pas une surprise. Ce qui est étonnant ce sont les yeux humidifiés d'Hélène. Elle a le visage baigné de larmes, mais elle fusille quand même Dave avec toute la haine du monde. À mes côtés, Gaby est silencieuse, mais elle pousse un petit cri quand Dave s'approche de ma sœur pour l'envelopper dans ses bras.

Dans ses putains de bras.

Ma sœur tente de le repousser, mais abandonne en se rendant compte que c'est peine perdue : il s'accroche à elle comme un singe à sa branche, avec le désespoir d'un homme amoureux. J'ai l'impression qu'on vient de m'enfoncer un poing dans le ventre. L'air quitte mes poumons et je recule d'un pas. Ma petite sœur pose son front sur l'épaule de mon ancien meilleur ami et éclate en sanglots.

Comme nous sommes assez proches d'eux, nous pouvons entendre tout ce qu'ils se disent :

— Tu aurais dû me le dire, souffle Hélène en secouant la tête. Tu aurais dû me dire que tu avais une copine et qu'elle était enceinte ! Je me sens si sale, Dave.

Elle pose ses mains sur son torse et, cette fois, réussit à le repousser. Il ne tente pas de le rattraper. Et il ne tente pas non plus de se défendre. Mais existe-t-il seulement des raisons pouvant excuser l'infidélité ?

— J'aurais dû croire Xavier dès le début au lieu de te chercher des excuses. J'ai préféré te croire toi plutôt que mon frère, crache-t-elle en repoussant ses cheveux en arrière. Je suis trop bête, vraiment trop bête. Putain, j'ai l'impression d'avoir été prise pour une conne. (Il lève une main pour la toucher, mais elle fait un bond en arrière.) Ne me touche pas. Tu ne me feras pas changer d'avis, Dave. Je vais aller voir ton ex-copine et lui dire la vérité. Et après, j'irais en parler avec mon frère parce que j'en ai marre de faire semblant devant lui. J'en ai marre de mentir à tout le monde pour toi.

Dave enfonce une main dans ses cheveux. Il est de dos, mais je peux bien imaginer son visage se décomposer de trouille.

— Je suis désolé, Hélène. Je n'ai jamais voulu que cela arrive, je n'ai jamais souhaité vous faire du mal, ni à Gaby et surtout pas à toi.

Je jette un bref regard en direction de Gaby. Elle est blême.

Hélène éclate d'un rire jaune en enroulant ses bras autour de sa taille.

— Tu aurais dû y penser avant de m'embrasser et me faire espérer que quelque chose était possible entre nous. Rien ne peut être construit sur de l'infidélité, Dave.

C'est drôle qu'elle lui fasse la morale alors que, de son côté, elle a trompé Matthew avec lui.

Dave accuse le coup en reculant d'un pas. Il murmure alors quelque chose que nous ne pouvons pas entendre et Hélène secoue tristement la tête. Il pousse un soupir et remonte dans sa voiture. Il attend quelques secondes avant de démarrer, comme pour s'assurer que ma sœur ne change pas miraculeusement d'avis et décide de lui sauter dans les bras pour l'embrasser. Mais ça n'arrive pas, alors il s'en va.

Et Hélène lève la tête.

Le regard droit vers nous.

Ses yeux s'écarquillent.

Je lui fais un signe de la tête et Gaby, un doigt d'honneur. 

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