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24 décembre 2033






La journée du vingt-quatre décembre a véritablement commencé à cinq heures du matin en Angleterre. En effet, là-bas, plusieurs hommes étaient rassemblés dans une grande salle d'observation dans laquelle ils avaient directement accès à toute la Galaxie.
Depuis sept jours, cinquante hommes sont chacun assis derrière un banc et un ordinateur durant plusieurs heures par jour mais personne ne s'attendait à ce que les choses, déjà chaotiques, empirent davantage.

À cinq heures du matin, alors que certains arrivaient seulement ou d'autres partaient pour se reposer, Clément, un trentenaire écossais qui vivait en Angleterre depuis maintenant cinq ans est arrivé en courant dans la salle en question.

   -Chef, s'est-il exclamé en courant vers Wilfried, il y a un problème!

   -Lequel, mon petit?, a demandé le quinquagénaire avec beaucoup de calme.

Le jeune homme a longuement respiré, comme pour prendre du courage et oser dire ce qui le tracassait, pour prévenir son chef quant à la chose qui lui retournait l'estomac et lui donnait envie de retourner pleurer dans les jupes de sa mère comme lorsqu'il n'avait que cinq ans.

   -Adrian et Jacob observent l'Univers depuis pas mal de temps déjà et viennent de calculer le temps qui restaient avant que la Lune ne s'écrase sur nous; ils sont arrivés à la conclusion qu'il ne restait plus que seize heures, s'est affolé le jeune scientifique astronome. Tout sera détruit vers vingt-trois heures.

Une lueur de désespoir et d'effroi à traverser les yeux de l'homme de cinquante ans qui a réussi à ne jamais montrer aucun de ses sentiments publiquement tout le long de sa vie.
Dans n'importe quelle autre situation, Clément aurait réagi et noté cette information dans un coin de sa tête mais pour le coup, il était beaucoup trop paniqué que pour être capable d'en rire.

Il a fallu plusieurs instants pour que l'érudit ne se remette de ses émotions et ne parvienne à répondre à son employé. Il l'a remercié et a dit qu'il prenait cela en compte, que les heures seraient changées sur les différents compteurs quelques instants plus tard.

Clément a fait les cent pas dans l'énorme salle sombre où un écran géant était placé ainsi que plusieurs hommes qui y travaillaient. Il n'avait pas énormément de choses à perdre mais cette mort et ce compte à rebours lui faisaient atrocement peur.

Vers six heures trente, le trentenaire en question n'était plus le seul à avoir ce ressenti infernal.
Effectivement, à six heures vingt-sept exactement, tout le monde a été prévenu quant au changement de programme dramatique et beaucoup ressentaient cela comme une petite voix qui leur disait: "Si tu comptais sur cette dernière soirée pour que ça soit l'apogée de ta vie, tu t'es trompé, mon pote".
C'était horrible comme sensation de se rendre compte de la proximité de la fin alors que nous avons encore plusieurs années devant nous.

C'est affreux de se dire que dans quelques heures à peine, ça serait notre heure, ainsi que celle de tous les êtres que l'on aime ou que l'on a aimés. Les plus optimistes voient cela comme une merveilleuse chance, de quitter le Monde en même temps que leurs proches tandis que tous les autres ne cessent d'en pleurer.

Personne, ou bien qu'un nombre minime de terriens, n'avait prévu de finir l'année 2033 de cette manière, de ne même pas pouvoir fêter la nouvelle année comme il se devait, comme c'était prévu depuis près de trois cent jours déjà.

Malgré tout, ça ne s'était pas passé comme dans la tête des gens. Le dix-huit décembre, la pire nouvelle possible a été annoncée et a fait l'effet d'un médicament trop volumineux à avaler d'un seul coup, sans même un peu d'eau pour aider. C'était véritablement atroce, que ça soit pour les veufs de quatre-vingt ans qui étaient excessivement proches de la fin, les parents de cinquante ans, les étudiants qui fêtaient seulement leurs vingt-deux ans ou les enfants de six ans qui apprenaient à peine à écrire en lettres attachées. Tout le monde était au même niveau.

On aurait pu dire avec humour que tous les pays du Monde faisaient dorénavant partie d'un régime communiste vu qu'il n'y avait plus aucune différence entre les richesses, les races ou les religions. Tout le monde était au plus bas. Et personne n'avait envie de fêter la veille de Noël, sachant que ça serait une soirée où trop de larmes couleraient, des révélations fuseraient et que le stress serait là pour crisper même les muscles du plus insensible des hommes.

Personne n'a véritablement travaillé ce jour-là; les boulangers ont pu dormir jusque sept heures du matin, les professeurs ont pu laisser tomber leur correction d'examen et même les médecins et infirmiers n'étaient pas sollicités. Tout le monde allait mourir ce soir-là alors que ça soit du cancer, d'une crise cardiaque, d'un accident de voiture ou à cause de la Lune, le résultat final serait le même.

Les seules personnes qui ont dû user de leur métier durant la journée du vingt-quatre décembre ont été celles faisant partie de la troupe de Wilfried et Adrian.
C'était malheureux pour eux, mais c'étaient les risques du métier atypique qu'ils avaient choisi d'exercer.

A Bruxelles, les choses étaient différentes mais l'atmosphère bien semblable à n'importe quel autre pays  concerné. La nouvelle avait été accueillie par des hurlements, des pleurs ou des coups de rage dans les meubles. Aucun habitant du plat pays, comme dans tous les autres de la Planète d'ailleurs, n'était heureux d'apprendre une chose si atroce, si injuste.

Plus d'une cinquante bruxellois se sont donnés la mort, d'une balle dans la tête, en s'attachant au plafond avec une corde solide, en sautant du haut d'un immeuble, quelques instants après avoir appris qu'ils allaient quand même mourir.
Ceux qui avaient agi de cette manière étaient une minorité, mais quand même assez nombreux pour que l'on en parle au journal de huit heures du matin.

Cette vague de suicides était aussi triste, aussi révoltante, qu'effrayante.
Ça c'était passé si rapidement, et personne n'aurait imaginé qu'un nombre pareil de terriens craquerait avant la fin.

En ce qui concernait tous les autres qui avaient décidé de survivre jusqu'à la fin du Monde, les choses étaient différentes. Certains ont décidé de passer la soirée enfermés chez eux, soit seuls, soit accompagnés de leur famille, mais une majorité a fait le choix de se déplacer jusqu'à Bruxelles pour aller voir le grand spectacle dont tout le monde parlait depuis un gros mois.
Vers dix-sept heures, ces quelques belges ont pris de leur temps pour se préparer afin de sortir sous leur meilleur jour: autant mourir avec classe.

Une petite heure plus tard, la salle de spectacle a commencé à se remplir.
Lothaire est arrivé bien en avance, en compagnie de sa soeur enceinte et de son beau-frère. Ce dernier avait l'air intrigué par les quelques peintures accrochées au mur; il était donc parti longer les murs pour aller les regarder de plus près. Luce est restée auprès de son petit frère, lui tenait fermement le bras et faisait de son mieux pour ne pas déjà exploser en sanglots.

    -Détends-toi, Luce, je suis là, a-t-il tenté de la détendre, tout va bien se passer.

    -Je te rappelle que d'ici cinq heures, la plupart des gens de cette salle seront couchés à terre et baigneront dans leur propre sang.

    -Rassure-toi, tu en feras probablement partie, a-t-il lancé sans aucun tact.

Ces paroles n'ont évidemment pas plu à la trentenaire qui aurait bien lâché le bras de Lothaire si son époux se trouvait dans les parages, mais elle n'avait aucune idée de l'endroit où il pouvait se trouver, donc elle ne s'est pas séparée de son frangin.
Elle s'en est même attachée davantage, de peur qu'il parte à son tour.

   -Lothaire, ramène-moi chez moi, a-t-elle demandé telle une petite fille. Je meurs de mal au ventre et n'ai pas envie de rester ici.

Le jeune homme a attrapé la main de sa soeur et lui a promis qu'il ne la quitterait pas de toute la soirée, mais qu'elle devait absolument rester là-bas.

    -Il n'y a aucune raison de s'en faire.

Alors qu'il mentait à son aînée, Alystair, son ancien colocataire a fait son apparition. Il portait un costume bleu qui lui allait à merveille et avait un sourire Colgate collé au bord des lèvres. C'était à se demander s'il vivait dans le même Monde de tous ces malheureux dont la vie allait bientôt prendre un tournant catastrophique.

Alystair a salué son vieil ami et a tendrement embrassé la joue de la femme enceinte; il ne lui a pas fallu longtemps pour remarquer sa tristesse dans ses yeux.

    -Veuillez que je vous invite à venir boire une petite coupe de Champagne au bar, ma jolie, a poliment dit Alystair à la jeune femme qu'il connaissait depuis une bonne dizaine d'années.

Cette dernière n'a pas refusé mais lui a rappelé l'état dans lequel elle se trouvait en lui montrant simplement son ventre. Alystair s'est senti confus mais n'a pas abandonné l'idée pour autant; il voulait vraiment qu'elle se change les idées.

    -Il paraît que leur jus d'orange pressé est divin, a-t-il souri.

Luce a accepté sa proposition suite à ces paroles et ça a largement rassuré Lothaire, comme si un poids énorme disparaissait de ses épaules. En vérité, voir sa soeur dans cet état lui faisait beaucoup de mal et bien qu'il faisait de son mieux pour ne pas le montrer, cette fin du Monde le bouffait de l'intérieur également: il n'avait aucune envie de perdre les quelques êtres qui lui étaient chers.

Les trois adultes sont arrivés devant l'un des cinq bars disponibles et se sont installés au comptoir. Bizarrement, malgré toutes les personnes présentes, il y avait encore de la place pour accueillir une dizaine d'autres qui voulaient y boire un coup.

    -Alors, ton chéri n'est pas venu?, a questionné Alystair pour briser le silence.

    -Si, si, bien sûr mais la peinture le passionne, a-t-elle répliqué. Il est donc parti à la découverte de toutes les oeuvres accrochées un peu partout dans la grande salle.

Après cela, ils ont un peu discuté de tout et n'importe quoi, et ont presque réussi à ôter tout le stress qu'avait Luce en arrivant là-bas une demi-heure plus tôt.

    -J'ai une surprise pour toi, a subitement souri Alystair à l'égard de Lothaire.

Eudoxie était sa surprise. Depuis que l'écrivain lui avait confié qu'il était passionné par la jeune serveuse, l'homme classe s'était lancé comme défi de les mettre à la même rangée- à côté si c'était possible- et de les faire s'embrasser au moins une fois avant que la Lune ne s'approche un peu trop de la Planète bleue.

Pendant que Lothaire essayait de deviner quelle serait sa surprise, cette dernière- Eudoxie, donc- discutait avec Yorgen. Ils n'étaient plus ensemble, enfin, n'échangeaient plus aucune relation privilégiée mais lorsqu'ils se sont remarqués dans la grande salle, ils n'ont pas pu résister au fait de s'approcher l'un de l'autre.
Les choses étaient tendues et la conversation venait bien moins facilement qu'avant que tout ne s'arrête mais peut-être que ça leur faisait du bien à tous les deux de pouvoir se parler.

    -Tu formes enfin un couple avec Camélia?, a-t-elle demandé avec curiosité. 

Le beau blond a haussé les épaules et a dit qu'il n'en savait trop rien. Qu'il n'était pas certain que l'adolescente voyait les choses de cette façon.

   -Mais le lendemain que tu sois partie de chez moi sans même dire au revoir à Viktor, a-t-il fait un clin d'oeil à Eudoxie, je suis allé la chercher à sa répétition de danse et plus tard dans la journée, nous nous sommes embrassés pour la première fois.

La jeune femme de presque trente ans a faussement paru heureuse, alors qu'elle ne pouvait cacher sa jalousie: elle ne ressentait rien de bien étrange pour Yorgen mais était très attachée à lui et se sentait vexée d'avoir été remplacée si rapidement.

   -Tu sais, même si Camélia est là et que je ne peux cacher le fait que je l'aime beaucoup, a repris le jeune garçon, je ne vais jamais oublier tout ce qu'il s'est passé entre nous et la personne que tu m'as fait devenir. Je suis très heureux de tout ce que nous avons échangé, le fait que tu m'aies fait confiance et encouragé dans tous les plans un peu foireus que j'essayais d'entreprendre et surtout de m'avoir proposé de coucher dans l'arrière boutique des Quatre Merveilles.

La rousse a souri de toutes ses dents et a eu une envie folle d'attraper le blond pour le serrer dans ses petits bras. Elle savait que c'était une idée foireuse et qu'elle n'avait pas le droit de lui montrer à quel point elle avait mal vécu leur séparation, bien qu'elle n'était qu'étrangement amicale. Mais pourtant, elle n'a pas résisté et s'est serrée contre lui; ça n'a duré que dix secondes mais ça lui avait fait beaucoup de bien.

    -Tu vas me manquer, Yorgen, vraiment, a-t-elle sincèrement avoué.

Le jeune garçon a souri, a confirmé les paroles de la jolie jeune femme et l'a serrée dans ses bras à son tour. Il n'avait pas envie de mourir maintenant, d'en avoir fini avec la vie et tout le bonheur qui l'attendait dans le futur. Il voulait vivre, avoir une longue conversation avec Eudoxie, embrasser Camélia toute la nuit, remercier Janaelle pour tout ce qu'elle lui avait fait durant leur amitié, répéter à Charlotte, sa soeur aînée, à quel point il regrettait de s'être comporté comme un con, et de gentiment remercier Wendy, la cadette, d'avoir été une soeur si agréable à vivre.
Yorgen regrettait déjà la vie qu'il avait vécue et qu'il n'avait pas toujours mordue à pleines dents.

    -Je vais y aller, a continué Eudoxie pour paraître fière, j'ai été invitée et n'aimerait pas me faire passer pour quelqu'un qui arrive trop en retard.

    -Bonne soirée, ma belle, a répondu le jeune homme.

Eudoxie a failli exploser en sanglots car elle savait pertinemment bien que c'était la dernière fois qu'ils se voyaient tous les deux, que ces paroles étaient les dernières qu'ils s'échangeaient et ça lui brisait le coeur.

    -Tu es quelqu'un d'exceptionnel, ne l'oublie pas jusque tout à l'heure. Je t'aime énormément.

    -Tu es tout cela aussi, Yorgen, lui a-t-elle retourné le compliment. Je t'aime beaucoup.

Ensuite, ils se sont lâchement séparés comme pour éviter de se mettre à pleurer comme des adolescents qui rompent à cause de la fin des vacances ou d'un déménagement.
Eudoxie est partie à la recherche d'Alystair et n'a pas vraiment été étonnée de voir Lothaire étant donné que son ami lui en avait parlé plusieurs fois deux jours plus tôt.
Yorgen, lui, est parti chercher son amie métisse prénommée Janaelle. Il avait besoin de discuter avec elle avant que ses soeurs ne débarquent à leur tour.

La jolie femme âgée de seulement vingt-quatre ans portait une magnifique robe jaune qui lui allait parfaitement au teint. Elle attirait davantage les regards et avait déjà réussi à ramener plus de trois curieux qui se sont vautrés en tentant leur chance auprès de la présentatrice qui les a à chaque fois envoyés sur les roses. Pourtant, lorsque son vieil ami a pointé le bout de son nez, elle l'a accueilli avec une joie indescriptible. Ça faisait un moment qu'elle attendait seule avec un verre de Champagne à la main, dans l'espoir qu'une personne riche d'intérêt vienne l'acoster, pas comme tous ces hommes aux pensées étranges.

Une fois devant Yorgen, elle n'a pas pu s'empêcher de replacer sa cravate correctement parce qu'elle était un peu trop de travers à son goût, mais c'était également une façon de se sentir moins seule, d'aller chercher du réconfort dans la chaleur que son ami créait autour de lui.

   -Je suis contente de te voir, n'a-t-elle pas réussi à cacher sa joie. J'ai eu peur que tu fasses partie de toutes ces personnes qui ont trouvé un moyen de mettre fin à leurs jours.

C'était sincère: Janaelle avait longuement cru que Yorgen s'était tiré une balle dans la tête ou avait sauté du haut d'une falaise, et que, par conséquent, ne serait pas présent au soir et ne pourrait pas lui dire au revoir. Ça lui avait brisé le coeur et lui avait même arraché quelques larmes sans raison apparente mais maintenant qu'elle se trouvait en face de lui, elle ne voulait plus jamais le quitter des yeux. Elle voulait qu'il reste éternellement à ses côtés, avec un sourire sur les lèvres.

   -Figure-toi que j'ai survécu à cet effet de mode, a-t-il fait de son mieux pour prendre un air je-m'en-foutiste, mais je t'avoue que je l'aurais fait si je n'avais personne à qui dire au revoir une dernière fois.

Cela était sérieux. Depuis que la fin du Monde faisait partie de son quotidien, le suicide était pour lui une solution envisageable mais Charlotte, Wendy, ses parents, ses amis tels que Janaelle, n'avaient pas quitté son esprit et lui avaient permis de courageusement rester en vie.

    -Je suis heureux de te savoir ici aussi, a-t-il lancé. Tu es quelqu'un de très important pour moi, Janaelle. Et c'est peut-être un peu nul de faire cela seulement maintenant, mais je tiens à te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi, que ça soit durant cette semaine comme durant tout le long de notre amitié.

La métisse a souri, reconnaissante et touchée. Pour lui répondre à tous ces gentilles paroles, elle n'a pas cherché à faire un beau discours mais a plutôt décidé de le prendre dans ses bras assez longtemps que pour qu'il ressente toute l'affection qu'elle avait pour lui.

    -Je savais depuis le début que l'on serait amis jusqu'à la mort, a-t-elle lâché en riant.

Ça n'a pas rendu son cadet hilare mais ça a réussi à lui décrocher un sourire joyeux, et c'était déjà énorme.

   -Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, il est maintenant dix-neuf heures et le spectacle va bientôt commencer, s'est fait entendre une voix masculine à travers un micro. Veuillez retrouver vos places afin que la mise en scène puisse commencer dans la meilleure des situations. Merci de votre compréhension, à tout de suite.

Suite à cette demande, le blond a étreint la journaliste et lui a promis de lui payer un verre durant l'entracte. Elle a accepté et en essayant de garder sa peine pour elle, a rendu le câlin au jeune homme.

Pendant ce temps, dans les coulisses, tout le monde courait. La voix du metteur en scène avait prévenu que le spectacle allait bientôt commencer, ce qui voulait dire que dans dix minutes, ceux qui ouvraient les festivités devaient être prêts.
Camélia respirait bruyamment afin de calmer son stress car, bien qu'elle ne passait que quatrième, elle n'était pas le plus à l'aise possible.

    -Ça va, ma belle?, lui a gentiment demandé Eglantine, son entraîneuse.

    -Un peu stressée mais au sinon, tout va bien.

    -Je me demandais, ce matin, mais j'ai oublié de te poser la question. Tu as terminé ton arbre généalogique?, a repris la soixantenaire.

La jeune danseuse a hoché négativement de la tête, pour faire comprendre à la vieille femme qu'elle n'avait malheureusement pas eu le temps de chercher d'autres informations durant les deux derniers jours.
Son père ne voulait pas l'aider et lui avait fait comprendre que ce n'était plus le moment de perdre son temps à ce genre de choses, étant donné que le compteur de la ville arrivait doucement à zéro. Premièrement, Camélia ne voulait pas suivre son conseil mais après réflexion, elle a bien dû avouer qu'il avait raison et qu'il était préférable de profiter des derniers instants avec ses amis plutôt que dans la paperasse.

    -En tout cas, je te félicite d'avoir eu le courage de commencer un jour quelque chose comme ça, a sincèrement dit Eglantine. La famille est probablement la partie la plus importante d'une vie.

Camélia aurait aimé répondre mais justement à cet instant, un homme s'occupant des décors lui a demandée de se déplacer afin de savoir passer plus facilement. Il n'avait pas été très agréable mais il ressentait probablement le stress du spectacle ainsi que celui du compteur, donc elle ne lui en voulait pas vraiment. Pourtant, suite à cela, elle a décidé d'aller patienter dans le vestiaire, dans lequel elle ne gênerait personne et où elle pourrait réfléchir tranquillement.

Malheureusement pour elle, si elle pensait se retrouver seule avec elle-même, son plan a foiré au moment où elle a remarqué que Lyne, la plus jolie des jumelle, s'y trouvait. Elle enfilait ses chaussons, le regard vide et les gestes lents.

    -Ça ne vas pas, Lily?, a demandé Camélia à la jeune fille.

    -Ça va comme avant sa propre mort, a spontanément répondu la belle blonde. Et la mort de tous les membres de sa famille et de toutes les personnes que l'on aime.

Camélia comprenait le malaise de son amie et était entièrement d'accord avec elle mais pensait trouver un peu de soutien chez Lyne, et aurait espéré que ça soit elle qui la rassure et non l'inverse. Ça pouvait paraître un peu égoïste de sa part, mais elle n'aurait pas pu empêcher à cette pensée de germer dans son esprit.

Elles ont discuté durant un petit moment et ont pris beaucoup de plaisir à se remémorer tous les bons moments qu'elles avaient passé ensemble depuis qu'elles se connaissaient, comme si c'était leur dernière conversation à deux. Puis, une petite demi-heure plus tard, Tatiana, la jeune femme qui leur donne cours de danse en compagnie d'Eglantine, est venue les prévenir que c'était à leur tour de monter sur scène seulement deux minutes plus tard.

Une fois que les magiciens, qui étaient passés juste avant, semblaient avoir terminé leur numéro et qu'ils étaient en train de déserter la scène, les rideaux ont été tirés. Deux jeunes comédiens ont présenté ce qui allait suivre d'une manière très peu abrégée, dans le but que les danseuses aient le temps de se préparer. Derrière le rideau, ça courait partout et Camélia s'est directement positionnée au deuxième rang, à côté d'Ysaline.

Yorgen était installé sur un siège rouge, à côté de Charlotte, sa soeur aînée et Viktor, son colocataire, et dès qu'il a entendu les mots "danse" et "Tchaikovsky" dans la même phrase, il a deviné que c'était au tour à Camélia de monter sur scène. Il était impatient de la voir danser et de la savoir faire ce qu'il lui plaisait pour la dernière fois.

    -C'est maintenant que rentre en scène ta jolie?, a lancé Viktor en souriant.

Yorgen s'est contenté de sourire pour répondre à cette question rhétorique car justement à cet instant, les rideaux se sont ouverts pour faire apparaître une trentaine de jeunes filles portant toutes des tutus bleus.

Lorsque Luce a vu cela, elle n'a pas pu contenir ses larmes et s'est mise à pleurer comme une enfant. Aurélien n'y était pas attentif, parce que c'était un gars minable, alors que Lothaire a directement attrapé la main de sa soeur. Il savait qu'elle était peinée d'avoir attendu huit mois pour rien, qu'elle n'aurait jamais la chance de prendre son petit bébé entre ses bras frêles, ni même de le bercer avec tendresse. Elle se rendait compte maintenant que jamais elle n'aura l'occasion d'enfiler à sa petite fille la robe de princesse qu'elle avait aimé mettre des milliers de fois lorsqu'elle était gamine, et cela lui déchirait le coeur.

    -Elle vit en toi depuis presque huit mois, a commencé Lothaire pour rassurer sa soeur et calmer sa peine. Elle ne t'a jamais vue, certes, mais je suis persuadé qu'elle t'aime déjà énormément.

Luce lui a serré la main un peu davantage et lui a fait comprendre qu'elle l'aimait beaucoup, qu'elle était heureuse de l'avoir comme petit frère:  cela pouvait paraître étrange mais depuis le dix-huit décembre, toutes les raisons étaient bonnes pour complimenter ses proches ou même les inconnus sans raison apparente.

L'orchestre a commencé à jouer le lac des cygnes, les filles à danser comme elles l'avaient répété et Eudoxie, sous les conseils d'Alystair, a changé de place pour se retrouver à côté de Lothaire. Ce dernier l'a tout de suite remarquée et s'est senti vachement con. Il ne savait pas quoi faire et n'osait nullement réagir.
Lothaire n'avait jamais su quoi faire dans ce genre de situations et c'était certainement l'une des raisons principales pour laquelle il vivait seul depuis pas mal d'années déjà.

Heureusement, cette fois, il a eu de la chance car Eudoxie est quelqu'un de plutôt entreprenant et n'est pas du genre à hésiter à faire quoi que ce soit, surtout pas avec un garçon.
Néanmoins, elle n'a rien fait avant un bon moment, comme si la présence d'Alystair l'en empêchait: pourtant, c'était ce dernier qui avait demandé à la jeune femme d'agir de cette manière avec son ami écrivain, et elle n'avait à aucun moment refusé.

Après un long moment d'hésitation, Eudoxie a décidé de converser avec Lothaire par rapport au fait que c'était un bon client des Quatre Merveilles:

      -En tout cas, je vous y ai vu plusieurs fois lorsque j'y travaillais encore, a-t-elle assuré.

Lothaire a confirmé et s'est senti plutôt flatté qu'elle se rappelle de lui. Il s'est alors dit qu'il ne rêvait peut-être pas et qu'il y avait vraiment un jeu de regards entre eux deux. Pourtant, il n'a fait aucune remarque à ce sujet, de peur que sa soeur ne l'entende ou même qu'Eudoxie ne s'en rappelle plus: il n'avait aucune envie de se sentir con et seul à ce moment, alors qu'il serait bientôt mort.

À cet instant, alors qu'il n'était que vingt heures quarante-huit, Janaelle, assise sur le côté droit de la scène, a levé les yeux. Elle a fait cela par curiosité, comme elle a toujours eu l'habitude de poser les yeux un peu partout lorsqu'elle va au théâtre, mais cette fois-là, elle a remarqué quelque chose d'horrible.
La jeune journaliste a remarqué que des morceaux de plafond tombaient sur la scène et que les danseuses continuaient à danser malgré tout. Cette situation la stressait. Elle n'a pas pu s'empêcher de se lever et de marcher jusqu'à l'endroit où Yorgen avait pris place avec ses amis et sa famille. Elle lui a demandé de venir car il y avait un problème: il l'a suivie et une fois dans l'allée séparant la rangée centrale de sièges et celle du milieu, il a levé la tête à son tour.

    -Ils m'ont dit de dire vingt-trois heures, s'est exclamée Janaelle de but en blanc.

     -Il y a probablement un problème, a dit Yorgen pour rassurer son amie ainsi que lui-même. Il n'y a aucune raison que ça soit cela maintenant.

Camélia, par contre, était persuadée que c'était la fin, que c'était le moment où les choses prenaient le tournant dramatique que l'on promettait depuis une semaine. Elle dansait sans s'arrêter mais elle se rendait bien compte que les petits morceaux de bois qui lui tombaient dessus n'étaient pas quelque chose de normal. De plus, elle était prête à parier qu'elle ressentait une vibration qui partait du bout de ses orteils et s'arrêtait aux racines de ses cheveux attachés. Cela n'était pas qu'une impression parce qu'elle voyait bien que plusieurs de ses amies ne tenaient plus correctement sur leurs pieds.

Néanmoins, elles étaient là et devaient gérer comme les musiciens sur le Titanic: continuer aussi longtemps que possible. Camélia n'a pas essayé de quitter la scène ou n'a pas osé se dégonfler, jusqu'à ce qu'elle n'entende un hurlement dans le public. Ce dernier venait de Yorgen ainsi que d'une femme dont elle ne reconnaissait pas la voix.
Elle a à peine eu le temps de se rendre compte que ces mots lui étaient adressés qu'une partie du plafond, qui devait peser une bonne centaine de kilos, s'est écrasée au sol à une vitesse incroyable. Après cela, ça a été la panique: la musique s'est arrêtée sur le coup et toutes ses amies danseuses ont accouru vers elle. 

Julia a directement remarqué le fait que son amie avait la jambe droite coincée sous ce qu'il venait de tomber, et il était probablement sûr que cette jambe était cassée, voire qu'elle ne répondrait plus jamais. Camélia pleurait de douleur, alors que deux minutes plus tôt, elle était encore en train de danser avec délicatesse et joie- ou du moins, presque.

Un quadragénaire est monté sur la scène à toute vitesse, prétextant être médecin et dans les allées de sièges, plus personne n'était calmement assis: c'était la panique.

Luce ne voulait plus bouger du siège sur lequel elle était installée alors Aurélien et Lothaire essayaient d'être le plus convaincants possible afin de parvenir à ce qu'elle se lève et quitte la salle de théâtre avec eux, comme l'avait fait une bonne partie du public suite à l'accident du toit.

    -Je veux accoucher maintenant, a-t-elle bêtement dit sans vraiment réfléchir.

Aurélien lui a répondu que ce qu'elle disait n'avait aucun sens, que c'était même complètement débile. Lothaire, connaissant le manque de tact de son beau-frère, n'a pas relevé les paroles de ce dernier et a décidé de s'occuper lui-même de la situation. Il s'est approché de son aînée, lui a attrapé la main et l'a regardée dans les yeux.

    -Je comprends que tu veuilles que tout cela se fasse maintenant, a-t-il commencé, mais je ne pense pas que ça soit la solution. Premièrement, nous n'avons rien pour provoquer l'accouchement, deuxièment ça te ferait trop souffrir et troisièmement, il faut que nous partions d'ici.

    -Je veux voir mon bébé, a-t-elle fait la capricieuse.

Elle a commencé à pleurer comme une enfant, à donner des coups violents dans son ventre, à hurler sans raison. Elle aurait même été prête à se positionner comme elle aurait dû le faire si elle était en train d'accoucher. Heureusement, son frère a réussi à l'arrêter à temps, et a fait de son mieux pour la remettre sur le droit chemin.

Il l'a attrapée par le bras et a réussi à ce qu'elle se lève du siège dans lequel elle était installée depuis un moment déjà. En se levant, elle a remarqué une tâche humide sur la chaise rouge et elle a été folle de joie de savoir que c'était la poche des eaux qui s'était brisée sans qu'elle ne s'en rende compte.

   -Non, je ne vais pas t'aider à donner naissance à ce gosse, s'est écrié Lothaire face aux regards suppliants de sa soeur. Tu n'as pas mal pour le moment et il faut que nous essayons de nous éloigner de tout ce danger.

Derrière, Eudoxie et Alystair se sont échangés un regard: leur ami ne semblait pas comprendre que le résultat serait pareil peu importe où il allait se cacher. Toute la Terre était touchée par cette catastrophe, bordel.

En sachant que son bébé se pointait, Luce était bizarrement plus volontaire et acceptait l'idée de son frère.

Yorgen, lui, avait accouru vers Camélia en compagnie de Janaelle. Ils se sont tous les deux approchés de la jeune fille de moins de vingt ans et ne la quittaient pas des yeux. Elle avait tellement mal à la jambe qu'elle était incapable de prononcer n'importe quel mot. Elle se contentait de pleurer et de prier Dieu pour que cette souffrance soit abrégée le plus vite possible.
Janaelle a donné l'idée de soulever la chose qui lui broyait la jambe avec l'aide de son ami et de plusieurs personnes qui se trouvaient aux alentours.

Alors qu'ils parvenaient à ôter cela, le plafond entier qui se trouvait au-dessus de la scène s'est effrondé. Ça s'est passé vite, sans réel bruit préventif. Juste des cris lorsqu'il est arrivé sur le sol.
Sous le poids de cela, la trentaine de personnes qui se trouvaient sur scène ont perdu la vie. Que ça soit le médecin, Eglantine, toutes les danseuses, la journaliste qui avait prévenu tout le monde durant une semaine quant à l'évolution de la catastrophe, Yorgen, ils ont tous été tués.

Charlotte, une dizaine de mètres plus loin, n'a manqué aucun détail de la scène qui venait de se produire et s'est mise à pleurer comme une gamine. Elle venait de perdre son petit frère avec qui elle avait repris contact seulement quelques jours plus tôt. Heureusement, Wendy n'a rien vu, et pensait encore son frère en vie. C'était égoïste mais ça rassurait Charlotte, qui était persuadée que ça donnerait la force à sa petite soeur pour essayer de sortir de cet endroit qui tombait en ruines.

Le grand mur de droit s'est effrondé à son tour en prenant avec lui la vie d'une centaine de personnes. Luce avait de plus en plus besoin d'accoucher mais de moins en moins envie que son bébé ne vive cela. Elle a alors fait de son mieux pour surpasser les contractions, qui étaient probablement arrivées à cause du stress d'ailleurs, et qui devenaient presqu'insupportables.

Alystair, lui, a essayé de se diriger vers l'autre côté de la pièce mais n'est jamais revenu de son aventure, pour prévenir les autres quant au fait qu'il avait trouvé un passage par lequel il était possible de passer. En effet, en courant vers la sortie, les sièges en hauteur ont été détruits et il se trouvait justement en-dessous de ceux-ci.

Il ne restait plus que Lothaire et Eudoxie. Luce a décidé de ne plus bouger, et s'est assise à terre pour montrer sa résignation. Aurélien, lui, aussi lâche que possible, s'est excusé mais n'a pas eu le courage de gentiment rester à ses côtés. Il a préféré essayer de sauver sa peau, sans se préoccuper de son épouse et de leur futur enfant.

Lothaire, effrayé et en colère, a arrêté Aurélien dans son élan et l'a asséné de coups très forts. Il lui hurlait dessus avec rage, comme il aurait aimé le faire des milliers de fois dans le passé. Maintenant qu'il en avait l'occasion, il a vidé toute sa haine sur le premier concerné.

Pendant ce temps, Luce s'est faite tuer. Rien ne lui était tombé dessus mais un mètre devant elle, un type s'est suicidé et une balle est partie probablement en étant mal visée: elle a reçu dans la gorge. Elle n'a pas été tuée sur le coup, mais voyant qu'il souffrait, le coupable de ce coup de feu en a lancé un deuxième vers elle afin de l'achever avant de s'occuper de lui-même.

Lorsque l'écrivain a remarqué sa soeur couchée à terre et le fait que ça soit la faute d'Émile, l'époux de la personne pour qui il travaillait, ça lui a empêché de respirer quelques instants.

Eudoxie était toujours aussi belle et encore à ses côtés, comme si elle ne le quittait plus. Néanmoins, il semblait s'en foutre. Tout ce qui l'importait était de se donner la mort avant que la Lune ne le fasse pour lui. Il s'est donc déplacé jusqu'à Émile et a attrapé le fusil qui traînait à ses pieds et qu'il avait dû embarquer avec lui, comme s'il prévoyait son suicide dans le courant de la soirée.

Le garçon de vingt-sept l'a regardé longuement, dans l'espoir qu'une dernière balle s'y trouve.

   -Je n'ai plus rien à perdre, Eudoxie, a-t-il prononcé.

Elle non plus, elle lui a dit. Seul son père et son frère étaient des êtres importants à ses yeux mais ils étaient probablement déjà morts à cette heure-là. Elle était donc également prête à mettre fin à ses jours par elle-même. Elle a doucement embrassé les lèvres de Lothaire avant de lui attraper la main.

   -Tue-moi et ensuite, suicide-toi, a-t-elle demandé au jeune homme.

Ce dernier a rapidement vérifié qu'il restait assez de balles pour se permettre ce genre de choses et heureusement pour lui, le fusil en contenait encore quatre.
Alors, pendant que les derniers murs se détruisaient et que les dernières personnes en mouraient, Lothaire a osé faire ce que la jeune femme lui avait demandé.

Il a tiré une balle dans le coeur de l'ancienne serveuse avant de diriger le flingue vers lui. Il l'a placé à l'intérieur de sa bouche, a compté jusqu'à trois et a appuyé sur la détente.

À vingt-trois heures dix-huit, la Terre a entièrement été détruite.

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