Sixième jour

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23 décembre 2033

Je suis arrivée au Studio principal de Bruxelles alors qu'il était à peine huit heures et pourtant, déjà tous mes collègues s'y trouvaient. Il y régnait une ambiance assez tendue; tout le monde courait aux quatre coins de chaque pièce.
Manon et Édouard présentaient déjà le journal ludique de six à neuf heures et semblaient être les seuls à prendre un peu de bon temps. Tous les autres étaient d'une humeur massacrante et d'un stress inexplicable.

Je suis allée vers la salle commune où nous déjeunons chaque midi pour y déposer mes affaires et me servir une tasse de café. Je savais que j'en aurai besoin pour faire face au peu de joie qu'il y avait dans tout le Studio.

Je n'ai même pas eu le temps d'accrocher ma grosse gabardine au porte-manteau qu'Elodie me fonçait déjà dessus. Elle avait l'air absolument paniquée et vu ses cernes, elle avait dû dormir autant que moi, et pour tout avouer, je n'avais réussi à fermer les yeux que pendant trois heures.

   -Janaelle, c'est la Lune!, s'est-elle écriée, sans raison.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle hausse autant la voix donc j'ai sursauté et ai renversé la moitié du café que je venais de me préparer.
Je savais que la journée serait longue mais j'aurais préféré qu'elle commence d'une manière différente.
J'ai rapidement demandé à ma collègue et amie de se calmer et de s'installer sur l'une des chaises en plastique autour de la table afin de pouvoir nettoyer la bêtise que je venais de faire sans qu'elle ne me saute dessus.

   -Tu as bien dormi, cette nuit, Elodie?, ai-je changé de sujet pour qu'elle se calme.

   -Oui, pourquoi me demandes-tu cela?, semblait-elle désarçonnée par ce genre de questions.

   -Parce que je n'ai presque pas dormi, pour ma part et je me demandais si c'était aussi le cas pour toi.

Ma réponse laissait à désirer, je l'admettais mais j'avais envie de recevoir une réponse à ce sujet pour mon information personnelle et aussi pour calmer l'énervement dont elle faisait preuve depuis, au moins, une dizaine de secondes. Il n'était que huit heures du matin et elle pouvait bien comprendre que je n'étais pas assez motivée que pour déjà entendre des cris et des plaintes.

  -Tu es sortie?, a-t-elle changé de sujet par elle-même.

Je connaissais assez bien Elodie que pour savoir que la vie des autres est quelque chose qui l'intéressait assez pour la tenir en haleine durant plusieurs minutes et bizarrement, c'était exactement ce que j'attendais.

   -Non, il y a juste mon ami... Yorgen, tu connais Yorgen? Il me semble que je t'en ai déjà parlé, ai-je commencé un monologue avant de lui expliquer la raison pour laquelle je n'avais pas dormi.

Elle a hoché de la tête, s'en souvenant vaguement. Il m'était déjà arrivé de lui en parler quelques fois mais ça ne semblait pas lui avoir marqué l'esprit. Ça ne m'a pas empêchée de continuer mon explication.

   -Il aime jouer au dur mais ne semble pas supporter cette fin du Monde et tout le stress que cela engendre. Il est venu chez moi, pour la deuxième fois de la semaine, pour se calmer durant le courant de nuit.

   -En parlant de fin du Monde, justement, a-t-elle repensé à ce qu'elle voulait me dire premièrement, nous avons reçu plus de détails.

   -Ça a l'air de te retourner l'estomac, ai-je constaté. Explique-moi.

Durant quelques instants, elle a hésité alors que cinq minutes auparavant, un flot de paroles sortait de sa bouche sans qu'elle ne puisse s'arrêter.
C'était bizarre et drôle à la fois. Et j'en aurais bien rigolé avec elle si ce qu'il se passait n'était pas si grave. Rire de la fin du Monde n'est peut-être pas la chose la plus appropriée pour le moment.

   -Je suis arrivée à quatre heures trente du matin car j'étais reléguée pour animer la radio de cinq à six heures et alors que nous discutions encore de la guerre de Russie, Victoria nous a prévenus qu'il y avait du nouveau.

J'ai pris place à ses côtés sans perdre une miette de ce qu'elle disait. J'étais intéressée et voulais être mise tout autant au courant que ceux qui étaient arrivés plus tôt que moi.

   -Adrian et Wilfried, les deux anglais ont finalement réussi à identifier la chose qui va engendrer la mort de plus de sept milliards de personnes.

Depuis qu'il est question de la fin du Monde, je me rends compte qu'il faut profiter de toutes les détails de la vie mais ses paroles m'ont fait l'effet d'une énorme claque dans le visage, comme si elles m'avaient apprise des choses quant au déroulement du reste de la semaine. C'était le cas mais j'avais déjà compris que demain serait le dernier alors pourquoi un détail changeait tout?

   -Et ils disent que c'est la Lune?, ai-je tenté de reprendre mes esprits.

Elle a confirmé à la fin de ma question et je me suis empressée de réagir, trouvant cette information peu fondée.

   -Je ne crois pas vraiment que ça soit une bonne information, ai-je commencé. Si tu veux mon avis, c'est un canular pour calmer les esprits mouvementés qui essaient d'avoir plus de détails depuis le dix-huit.

   -Mais enfin, Janaelle, le fais-tu exprès?, a-t-elle haussé les yeux au ciel. Pourquoi serait-ce un mensonge?

   -Peut-être que ces deux hommes ont toujours rêvé de faire le buzz et que raconter quelque chose d'aussi extraordinaire que cela ne peut que fonctionner. Et ce, dans le Monde entier, ai-je expliqué mon point de vue.

J'étais persuadée que ma façon de voir les choses était correcte. Il était bien trop fou que la Lune quitte sa trajectoire et vienne vers la Terre pour que ça soit vrai. J'étais prête à lancer des paris quant à ce que j'affirmais. Si la Terre allait disparaître, c'était à cause d'un astéroïde ou de je ne sais quoi d'autre mais nullement à cause de la Lune.
Et ça me semblait drôle que mon amie pense une chose pareille, qu'elle croit à cette rumeur presque pathétique.

  -Janaelle, c'est fou que quelqu'un comme toi ait si peu confiance en ce que disent les informations, s'est-elle exclamée, presque choquée.

Je me suis contentée d'hausser les épaules en buvant lentement le second café que je m'étais fait après avoir nettoyé les dégâts faits par le premier.
Elle me regardait d'une manière intense, se faisant certainement violence pour ne pas me mettre une  bonne claque pour me remettre les idées au clair. Ce qu'elle ne savait pas était que mes idées étaient très bien.

Après quelques secondes, je me suis levée et me suis dirigée vers la machine à café pour en faire un pour mon amie. Elle avait vraiment besoin de se calmer et cela aiderait.
Elodie m'observait tandis que je rangeais le sucre à sa place.

   -Tiens, bois ça et calme-toi, ai-je clamé en tendant la tasse blanche à mon amie.

Elle a attrapé ce que je lui tendais et a directement trempé ses lèvres dans le liquide brun. Elle a dégluti presque l'entièreté du contenu avant de poser à nouveau les yeux sur moi. Elle avait l'air tellement en détresse que j'avais envie de la prendre dans mes bras.

  -Janaelle, tu as de la chance de ne pas croire à tout ça, a-t-elle murmuré. Je n'en dors plus.

Elle était tellement adorable, malgré ses quatre ans en plus que moi. En effet, elle était âgée de vingt-huit ans et semblait pourtant si petite, si faible face à tout ce qu'il se passait pour le moment dans la vie.

   -Je n'ai pas envie que tout se détruise et je n'ai surtout pas envie que ma petit soeur meurt. Elle n'a que dix-neuf ans, c'est trop jeune, a-t-elle révélé.

J'ai cru qu'elle allait se mettre à pleurer donc je me suis empressée de la serrer dans mes bras. Je savais qu'elle n'était pas friande des contacts humains mais devinais aussi que ça lui ferait du bien d'avoir une épaule sur laquelle pleurer en cas de sanglots inattendus.

   -Je sais, je te comprends, ai-je calmement dit. Je n'ai plus grand chose à perdre mais je comprends cette peur qui te bouffe de l'intérieur. Tu devrais mettre tout ça de côté durant les quarante heures qu'il reste et profiter de ta soeur.

Elle avait vécu avec sa cadette et sa mère jusqu'à ses dix ans avant que cette dernière ne quitte leur maison sans prévenir personne à part leur grand-mère. Celle-ci avait prévenu sa fille que c'était débile de faire une chose pareille et qu'elle n'avait plus intérêt à revenir lui demander quoi que ce soit si elle osait laisser tomber ses enfants mais elle l'a fait. Elodie et sa petite soeur ont vécu, dès ce jour-là, chez leur grand-mère et à cause de la vieillesse de cette dernière, mon amie est celle qui s'est occupée de l'éducation de la petite fille. Elle était par conséquent toute sa vie.

  -Il faut que tu lui proposes de venir à la soirée de demain à la grande salle de spectacle de Bruxelles, ai-je proposé à ma collègue.

   -Elle m'a téléphoné hier soir et me l'a proposé d'elle-même, a-t-elle fièrement souri.

   -Tu n'as donc aucune raison de t'inquiéter, Elodie, ai-je tenté de la rassurer.

   -Mais tu ne sembles pas comprendre que c'est la Lune et que ça m'effraie.

Je lui ai dit que tout le monde avait peur de cette destruction de la Terre et ai ajouté que le fait que ça soit la Lune qui démolisse tout ne changeait pas grand chose.
Alors que nous nous apprêtions à rentrer dans un débat, Antoine, notre collègue a poussé la porte de la petite salle de déjeuner pour se faire un café et certainement s'asseoir trois minutes.
Nous nous sommes alors tues et l'avons regardé prendre place calmement en sucrant son café noir.

   -Ça ne va pas, Elodie?, s'est inquiété le trentenaire.

Elle s'est rapidement essuyé les quelques larmes qui s'étaient écrasées sur ses joues et a envoyé un sourire radieux au jeune homme afin qu'il se persuade qu'elle allait bien.

   -Ça va, merci, cette fin du Monde me chagrine simplement, a-t-elle sincèrement avoué.

   -Je comprends, Elodie, a-t-il répliqué, mais je pense qu'il ne faut pas trop y penser. Il faut juste profiter comme si c'étaient les deux derniers jours de colonie.

Cette comparaison a réussi à faire rire ma collègue et ça m'a un peu rassurée.
J'ai espéré qu'elle prendrait les paroles du trentenaire en considération et qu'elle profiterait au lieu de se lamenter. Je comprenais sa réaction mais elle avait, par la même occasion, le don de me taper sur le système et de me rendre folle.

Savoir que nous allons bientôt mourir n'est pas facile à vivre mais je pense qu'on a de la chance. Il est peut-être mieux de perdre la vie en même temps que tous les membres de notre famille et nos amis, plutôt que, comme toutes ces pauvres personnes atteintes de maladies incurables, de quitter le Monde en laissant tous nos proches. Cela était bien plus moche selon moi et j'aurais pu faire part de ma théorie à Elodie mais sa tante avait eu un cancer pendant quelques mois et je ne préférais donc pas ressasser ce vieux mauvais souvenir.

   -Janaelle, ai-je entendu crier du fond du couloir. Dans quinze minutes, tu dois être devant le micro sur le plateau vingt-trois, auprès de Manon et Édouard.

J'ai répondu par l'affirmative en criant que ça soit assez audible pour une personne à trois mètres de moi. Comme prévu, Tommy a entendu et est retourné à la régie. Je me suis levée de la table, ai posé un petit baiser sur la joue de la blonde et ai salué Antoine d'un hochement de tête surmonté d'un sourire. Ce dernier m'a souhaité bon courage.

Il fait cela depuis trois ans. À ce moment, parler devant une caméra me stressait encore.
À mes débuts, cela faisait vraiment partie de mes frayeurs mais depuis lors, c'était presque devenu un quotidien, une chose normale.

Je suis rapidement rentrée dans la petite pièce où se trouvait Priscilla et tout son matériel de maquilleuse. Sans que je n'ai à lui demander quoi que ce soit, elle a deviné la raison de ma présence et m'a rapidement maquillée pour me rendre présentable à la caméra.
Il lui a fallu un peu moins de cinq minutes pour rendre mon visage un peu plus lumineux et moins cerné et directement après, je suis allée attendre auprès des caméras, pour que Tommy remarque et note ma ponctualité.

Malheureusement, ce dernier n'a pas réagi à ce sujet et m'a plutôt demandée si j'étais prête pour commencer. J'ai rapidement jeter un coup d'oeil aux différentes fiches posées sur la petite table des "coulisses" avant d'acquiescer. Je savais ce que j'avais à dire depuis le début et bizarrement, parler de la guerre de Russie me plaisait bien plus que ce que je m'apprêtais à révéler aux différents téléspectateurs. Ils étaient tous dans des situations différentes mais allaient tous mourir à cause de la même chose, le même jour.

Trois minutes plus tard, alors que j'attendais sagement le moment où je devais aller près de mes amis, j'ai entendu Manon dire qu'il était l'heure des informations de la journée. J'ai compris que c'était le signal pour me diriger vers eux.

   -Bonjour, Janaelle, m'a accueillie Manon, la trentenaire blonde de sa voix professionnelle. Comment vas-tu?

A partir de là, une petite conversation s'est créée entre nous trois, en restant décents à cause des caméras qui nous empêchaient de raconter franchement la raison de nos cernes.
À mes débuts dans ce milieu professionnel, ça me frustrait de ne pas pouvoir aller faire la bise à mes amis au moment où j'entrais sur le plateau mais avec le temps, des barrières s'étaient naturellement faites.

  -Parle-nous de l'actualité, s'est tourné Édouard vers moi quand il était l'heure exacte pour que je fasse mon travail.

J'ai premièrement parlé des températures qui chutaient de plus en plus en cette fin décembre et au Noël enneigé qu'on allait avoir, ou qu'on aurait dû avoir. J'ai brièvement parlé de la chose habituelle, c'est-à-dire la guerre qui battait son plein depuis des mois et des mois.
Personne ne m'a interrompue durant mon discours à ce sujet. Ce dernier énervait tout le monde car les hommes étaient devenus égoïstes et n'avaient plus grand chose à faire de tout ce qui ne les touchait pas directement.

   -À propos de cette fin du Monde imminente, j'ai quelques détails à ajouter, ai-je avoué à la caméra.

Les deux trentenaires ont joué l'étonnement, alors qu'ils avaient été mis au courant bien avant moi mais tout était parfaitement orchestré pour faire croire aux téléspectateurs que tout le monde apprenait la nouvelle en même temps, qu'on ne les négligeait pas.

   -Nous avons reçu différentes informations dans le courant de la nuit, ai-je commencé. Celles-ci nous sont venues tout droit de la Grande-Bretagne où Adrian Glazeley et Wilfried Farbaney font leurs recherches. Ceux-ci ont réussi à mettre des mots sur ce qu'il est en train de se produire dans notre Univers. En effet, la Lune quitte petit à petit sa trajectoire habituelle et se rapproche de notre Planète bleue.

Manon a fait semblant d'avoir l'air étonnée tandis qu'Édouard retenait ses éclats de rire suite à la réaction de sa collègue.

   -Et combien de temps indique le compteur, Janaelle, à l'heure actuelle?, m'a questionné l'homme pour éviter tout fou rire.

   -Alors, mon cher Édouard, il reste actuellement trente-neuf heures au compteur mais je ne pense pas que ça devrait nous arrêter pour faire ce que nous avons à faire, ai-je décidé d'encourager toutes les personnes comme Elodie qui nous écoutaient. Les secondes, les minutes et les heures qui passent devraient justement nous encourager de faire ce que nous n'avons jamais osé accomplir. Allez embrasser votre vieil ami qui vous fait tourner la tête depuis des siècles, achetez-vous ces chaussures rouges à deux cent euros que vous rêvez de porter, et surtout dites aux personnes de votre entourage que vous les aimez, quitte à mettre votre rancune de côté.

  -Merci beaucoup, Janaelle, m'a sincèrement remerciée Manon.

Je sentais qu'elle avait accueilli mes paroles avec sagesse, comme si je lui avais appris quelque chose sur elle-même. Elle devait certainement aussi avoir beaucoup de peine par rapport à ses deux petites soeurs.
Tout le monde avait énormément de peine mais personne ne le montrait de la même manière. On serait peut-être étonnés de connaître les pensées d'Édouard à ce sujet.

Nous avons échangé quelques mots à propos de ces deux derniers jours et avons fait la publicité de l'énorme soirée du vingt-quatre décembre avant que je ne quitte le plateau pour laisser la place à Antoine qui allait parler de sport et qui avait préparé un petit quelque chose plein d'humour pour alléger l'atmosphère déprimante.

Je suis retournée auprès d'Elodie qui s'était déplacée vers son bureau personnel le temps de mon intervention sur le plateau vingt-trois. Elle pianotait nerveusement sur les touches de son téléphone et tapait du pied en même temps.
Normalement, il est déconseillé, voire presqu'interdit de toucher à son portable durant les heures de travail. En tout cas, le patron répétait qu'il était préférable de se couper du Monde, de notre entourage, de notre vie privée durant plusieurs heures afin d'être plus efficace au travail.

Néanmoins, depuis six jours, plus personne ne semblait respecter cette consigne. Nous étions semblables à des adolescents dissipés mais au contraire des professeurs, Nicolas, le chef, comprenait et acceptait. Lui-même avait des enfants vivant à plusieurs kilomètres de Bruxelles et avait besoin d'en avoir des nouvelles assez souvent.

J'ai pris place sur la chaise en face du bureau de la jeune femme et l'est longuement observée alors qu'elle écrivait un message. Elle avait certainement remarqué que ce n'était que moi car, dans le cas inverse, elle aurait rangé son smartphone, par réflexe.

J'ai remarqué que ses traits étaient tirés mais moins qu'ils ne l'étaient une heure plus tôt. Elle semblait s'être calmée et vraiment moins stressée. Soit Antoine avait trouvé les mots justes pour qu'elle cesse de se faire un sang d'encre, soit elle s'était raisonnée d'elle-même et était parvenue à se détendre, à prendre ses sentiments par la main.

Durant une petite heure, je suis restée dans son bureau. Nous étions chacune sur notre ordinateur afin de trouver des informations intéressantes pour le lendemain et en même temps, nous parlions de choses bien plus agréables que la pluie et le bon temps. Ça nous a permis de nous remémorer les quelques années vécues ensemble sous ce même toit, comme si l'une de nous allait quitter le pays le lendemain et qu'on ne se reverrait plus jamais. C'était un peu le cas mais avec une atmosphère bien plus malsaine.

À dix heures quarante, je me suis levée, lui ai embrassé la joue et ai quitté le Studio. En effet, j'avais fini jusque dix-neuf heures trente, heure à laquelle je devais venir présenter le dernier journal de la journée.

J'ai marché jusqu'à la gare et suis directement montée dans le métro qui m'a déposée près de chez moi. Là-bas, j'avais encore quelques mètres à faire à pieds avant d'entrevoir mon appartement.
Plus je m'en approchais, plus j'étais persuadée que quelqu'un attendait sur les escaliers, devant la porte.
J'ai premièrement pensé que c'était quelqu'un pour l'un autre locataire du petit immeuble mais une fois en face du bâtiment, je me suis rendue compte que ce n'était personne d'autre que Yorgen. Ce dernier portait enfin un long pantalon ainsi qu'un veste mais tremblait tout de même à cause du froid.

  -Qu'est-ce que tu fous là, Yorgen?, l'ai-je directement interrogé.

Il ne m'a pas répondu. Je n'y ai pas fait attention et suis tout de suite allée ouvrir la porte d'entrée avant de lui ordonner de me suivre. Il s'est levé et sans aucune hésitation, il a monté les escaliers juste derrière moi.

   -Ça ne va toujours pas?, me suis-je inquiétée en me dirigeant vers le troisième étage.

Il n'a toujours pas répondu. J'étais alors persuadée que quelque chose le tracassait, ou du moins tournoyait dans sa petite tête. J'ai alors pensé que la meilleure solution était de le laisser respirer quelques minutes, le temps qu'il se réchauffe avec un café et d'attendre le moment propice pour commencer à lui poser différentes questions.

Comme prévu, je ne lui ai pas adressé la parole durant plusieurs minutes d'affilé. Petit à petit, je remarquais, à la manière dont se soulevait sa cage thoracique, qu'il se calmait. Une fois qu'il avait repris une respiration tout à fait normale, je me suis permise de lui demander une nouvelle fois comment il allait et une nouvelle fois, il ne m'a pas répondu, ou du moins pas directement à cette question.

   -Janaelle, tu ne veux pas que l'on aille prendre un bain?, a-t-il demandé avec innocence.

Cette question m'a fortement surprise au point de me faire devenir silencieuse et immobile. Je trouvais cette demande vraiment malsaine. J'étais quelqu'un de pudique et n'avais aucune envie de me déshabiller devant lui.

   -Je ne te demande pas cela pour te voir nue, Janaelle, a-t-il commencé à se défendre. Je m'en fous. Tu me laisses tout aussi indifférent que mes soeurs, j'ai juste besoin de me baigner dans de l'eau tiède pour me ...

   -Tu as fait tout ce chemin à pied pour cela, Yorgen?, l'ai-je durement calmé. Tu as une douche chez toi, tu sais. Et je ne suis pas assez riche pour payer la facture d'eau des autres.

J'ai été un peu désagréable mais je pensais que je valais quand même un peu plus que cela à ses yeux. De plus, je le trouvais drôlement culotté d'oser me proposer une chose pareille.

   -Ne t'énerve pas, Janaelle, a-t-il murmuré. Je n'ai absolument aucune mauvaise idée derrière la tête mais je comprends ta réticence. Excuse-moi.

Je n'ai pas répondu et ai ramené à la cuisine la tasse qu'il venait de vider pour me calmer.
Je n'avais réellement aucune envie de me prendre la tête avec lui un peu plus d'un jour avant de mourir.
En revenant de la petite pièce violette, je l'ai regardé dans les yeux, avec un air de défi, comme si j'avais longuement réfléchi à sa question durant mes deux minutes d'absence.

   -OK, allons nous laver dans ce cas, ai-je clamé.

Il semblait sur ses gardes mais je n'avais malheureusement aucun plan derrière la tête pour lui faire regretter cette idée.

Une fois tous les deux dans la baignoire avec assez d'eau moussante que pour lui cacher mon corps quand même protégé par un vieux bikini, je lui ai reposé une dernière fois la même question:

    -Comment vas-tu, Yorgen?

Cette fois-ci, il ne l'a pas esquivée et a réfléchi afin d'y répondre correctement.

    -Pour le moment, je déprime comme ça ne m'est encore jamais arrivé, m'a-t-il avoué avec honte.

Je savais que j'allais avoir affaire à une personne avec le même état d'esprit, la même vision des choses qu'Elodie. Cette dernière était dans la même situation que mon ami sans être capable de se rendre compte que ça ne servait à rien, que ça ne faisait que pourrir ses dernières heures.
J'espérais de tout mon coeur que le grand blond serait plus optimiste que ma collègue, qu'il parviendrait à se remettre rapidement en question et à commencer profiter de ses derniers moments.

    -Je suis inquiet pour Charlotte et Wendy, pour chaque membre de ma famille et même pour moi-même. J'ai peur pour Camélia, Eudoxie, pour Zach et Vik, pour toi. Je suis effrayé au point d'être incapable de fermer les yeux pendant la nuit.

   -Au moins, ça te permet de vivre chacune des heures qu'il te reste, ai-je tenté de voir le bon côté des choses. Et puis, c'est normal d'avoir peur.

Il a plongé sa main dans l'eau et a créé des petites vagues plusieurs fois comme si ces dernières rendraient ses pensées moins tourmentées. Je ne me suis pas moquée de son comportement étrange car je me rendais parfaitement compte que ça le calmait.

   -Je sais que c'est normal d'avoir peur, même Viktor a peur et Dieu sait à quel point rien ne le touche habituellement, a-t-il souri. Le seul problème est que ça me bouffe toute mon énergie pour être heureux le temps restant.

  -Je comprends et je sais qu'en-dessous de ta carapace de tombeur, tu es quelqu'un de très sensible, voire peureux mais si tu veux un conseil d'ami, cesse d'y penser. C'est plus facile à dire qu'à faire, je le conçois mais au moins ça ne te gâchera pas tes dernières heures sur cette jolie Terre.

Il ne s'est pas mis à pleurer mais a baissé les yeux pendant plusieurs secondes.

   -Tu as raison, a-t-il fini par dire. Je crois que...

Justement à cet instant, mon portable s'est mis à retentir. Je me suis empressée de quitter la baignoire pour aller le chercher. Quand j'ai vu le nom de ma vieille voisine de palier, j'ai rapidement décroché pour savoir ce qu'elle avait à me dire.

   -Allô, Floriane, comment vas-tu?, ai-je engagé la conversation.

J'ai entendu à sa voix qu'elle était fatiguée mais pas parce qu'elle se faisait un sang d'encre au point de ne plus dormir mais parce qu'elle préférait passer une grande partie de ses nuits les yeux plongés dans les différents albums photos de sa famille- je n'inventais rien, elle me l'avait dit en début de semaine, après qu'elle ait suivi le journal de huit heures présenté par mes soins.

   -Oh, oui, je viendrai avec plaisir boire un café avec toi tout à l'heure mais mon ami d'enfance est chez moi, pourrait-il m'accompagner?

Elle a accepté avec enthousiasme, heureuse d'avoir la possibilité de rencontrer l'une des personnes de mon entourage. Je l'ai remerciée avant de raccrocher.

Yorgen, qui avait tout entendu, était sorti de l'eau entre-temps et était emmitouflé dans une grande serviette de bain bleue. Il s'est rapidement séché et s'est changé tandis que je suis allée dans ma chambre pour enfiler tranquillement des vêtements corrects.

Au bout de quinze minutes, nous étions tous les deux prêts à sortir de mon petit habitat et de traverser le couloir pour aller sonner chez Floriane.

   -Tu vas voir, cette femme va te redonner envie de vivre intensément ces derniers jours, ai-je souri au grand blond, en pensant au bonheur que cette femme partageait avec les autres.

🔶J A N A E L L E🔶

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Je m'excuse encore pour tout ce retard. J'espère que ce chapitre vous aura plus.
Le dernier arrivera plus rapidement que celui-ci.

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