1. Le chaos

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— Présentez-vous, s'il vous plaît.

— Lou, dix-huit ans.

Elle soupire.

— Mettez-vous face à la caméra, et suivez mes instructions.

La femme indique d'un geste de la main la place que je dois prendre, un mur blanc intimidant en guise de fond de scène. Le parquet craque sous mes pas, je n'ai qu'une envie : m'enterrer six pieds sous terre.

Je prends place devant une caméra maintenue par un trépied. Soudain, je n'ai plus aucune idée de ce que je suis venue foutre dans ce cagibi en plein centre de Paris. Le train vers la capitale, les mensonges à tout le monde. Pourquoi diable m'imposais-je tout ça ?

Je replace maladroitement une boucle brune derrière mon oreille. Je n'ai jamais été aussi mal-à-l'aise, même en sixième, quand j'ai perdu ma culotte de maillot de bain en plein cours de natation.

Aujourd'hui, tout est différent. Le casting pour le rôle de Charlotte représente une opportunité unique de jouer dans une série télévisée. Après tant d'années à en rêver, et des heures à m'entraîner sur les planches du théâtre public de Douglas, m'y voilà enfin. C'est la première audition de toute ma vie et je n'ai aucune envie de me planter. Un échec définirait le reste de ma carrière et me catégoriserait comme la gamine qui rêve de tapis rouge, d'interviews à tout-va et de beaux hôtels. Je ne veux définitivement pas de cette étiquette.

La directrice de casting, imposante à sa manière, me toise d'un œil interrogateur, je devine en son regard qu'elle n'a aucun temps à perdre avec moi.

— Respirez, des centaines de personnes sont passés avant vous et n'en sont pas morts.

Rassurant, merci pour le conseil.

— Mettez-vous de profil.

Je m'exécute, les jambes chancelantes.

— Trois-quarts...

Je sue à grosses gouttes. Ce n'est pas le moment de flancher, pas après tout ce chemin parcouru.

— ... dos.

Le ton de sa voix, trop autoritaire, me fait frissonner.

— ­C'est bon. Remettez-vous face à moi, et quand vous voulez.

J'inspire tout l'air que je parviens à puiser dans cette pièce. À chaque minute qui s'écoule, je ressens un peu plus cette sensation familière qui me donne l'impression que les murs qui m'entourent se rapprochent. J'étouffe. Mes lèvres asséchées peinent à sortir ne seraient-ce que quelques mots depuis le début de l'entretien.

Je me fais violence pour enfin poser mes yeux sur la femme qui me dévisage. Tout, de ses lèvres pincées au carré court, lui donne un air atrocement sévère. Je veux m'enfuir, loin, et ne plus jamais remettre les pieds ici. Tout me passe sous les yeux, je dérive.

— Qu'est-ce que vous attendez ? Je n'ai pas quarante-cinq minutes pour chaque candidat.

C'est le moment de me jeter à l'eau.

Le souffle coupé, je me lance dans la récitation d'un dialogue que j'ai passé des heures à travailler dans le confort de ma chambre. Je ne me suis pas préparée à l'œil de la caméra et je ne sais que faire de toute cette adrénaline qui me dévore. La directrice de casting me donne la réplique d'un ton presque provocateur. Son jeu est parfait, elle maîtrise la scène à la perfection et je n'ai l'air que d'une gamine ridicule, réduite à la honte.

— Comment as-tu osé ? je me mets à hurler, saisie par le caractère foudroyant de mon personnage.

Du tac au tac, elle rétorque :

— Tu m'as trahie, Charlotte ! Tu peux m'expliquer comment tu t'es retrouvée dans le lit de mon mec au beau milieu de la nuit ? Vas-y, donne-moi une explication !

— Je –

Ma gorge se resserre. Trou noir. Charlotte m'a dépassée.

— Je suis désolée.

La quinquagénaire me foudroie du regard. Le rouge envahit mon visage.

— Ce n'est pas dans le texte, souffle-t-elle d'un air lassé.

Mon corps, des pieds au sommet de mon crâne, tremble furieusement. Je grelotte comme une pauvre fille.

— J'ai dit que je suis désolée.

— Je déteste perdre mon temps, sachez-le.

Elle fait tournoyer d'un geste sûr le stylo-bille entre ses doigts et lève les yeux dans ma direction.

— Vous savez ce que je pense des personnes qui se présentent sans connaître un texte, mademoiselle ?

— Je suis désolée, répétai-je.

— Ce que j'en pense, c'est que vous êtes incapable. Je vous suggère de revoir sérieusement vos projets. Peut-être que le monde des finances vous ira à merveille.

Elle a raison. Je me suis comportée comme une incapable. Mais plus jamais je ne veux être réduite à la terreur à cause d'une personne qui se croit délibérément supérieure à moi. Je n'aime pas ces grandes personnes et je déteste profondément avoir dix-huit ans.

— La porte de sortie est sur votre gauche, bonne journée.


Absorbée par l'ampleur de mes émotions, je me laisse tomber sur le sol, un peu plus loin en sortant. Mes jambes fébriles allongées sur le béton et mon dos contre un mur froid de l'imposant bâtiment parisien, je me repasse la scène en boucle. Je n'ai pas fait mes preuves, j'ai manqué de contrôle. Je me suis ridiculisée d'une manière grossière. Je m'effondre, étourdie par la déception, sous l'œil désintéressé des piétons.

Quelqu'un vient me saisir par les épaules. Je sursaute, surprise. Les yeux rivés sur le trottoir, je n'ai pas vu qui que ce soit s'approcher de moi. Il a des mains larges et sûres d'elles. Je lève les yeux vers cet étrange homme.

Il n'a pas plus de mon âge, c'est certain. Ses cheveux écrasés par le gel sont plaqués sagement sur le côté ; il m'évalue d'un air orgueilleux.

— Ça ne va pas fort, par ici, me dit-il en guise de bonjour.

Je ne lui prête qu'à moitié attention. Je n'aime pas sa manière de s'imposer à moi.

— Tu as passé le casting, c'est ça ? insiste-t-il.

— Ouais.

— Je m'appelle Sébastien, arrête de pleurer, dis. Tout le monde sait que c'est une conne.

Il me fixe avec une drôle d'insistance ; sa présence me met terriblement mal-à-l'aise. Du coin de l'œil, je le vois plaquer ses cheveux d'un geste sûr. Il m'en a fallu peu pour discerner une arrogance certaine en lui, quelque chose qui ne me plaît pas. Peut-être qu'il ne s'agit que de ma méfiance envers la gent masculine qui me fait sentir ainsi. Peut-être que c'est juste un gars sympa qui est venu me réconforter et que ce n'est pas si grave qu'il passe un peu de temps avec moi. Qu'ai-je de mieux à faire, de toute façon ?

— Lou, c'est ça ? reprend-il en fronçant les sourcils. J'ai vu ton prénom sur la liste de passage, je suis passé juste avant toi.

— Ah, oui.

Je sèche mes larmes du bout de mon mouchoir froissé, mais mon cœur ne redescend pas, prêt à exploser dans ma poitrine. J'enlève ma veste pour la poser sur mes genoux. Je suis vite rattrapée par les courants d'air d'une fin de mois d'octobre. Je ne me rhabille pas. Ça me fait du bien.

L'étrange Sébastien tend brusquement la main vers mon visage. Je recule, désemparée. Mes yeux se posent enfin sur lui. Sa gueule de fils à papa, le genre de mec à qui on n'a pas assez dit non.

— Eh, tu fais quoi là ? je m'énerve.

Il avance encore sa main pour saisir mon visage de force. Son regard s'assombrit en un clin d'œil.

— Allez, moi je veux bien de toi, Lou. Moi, je peux t'emmener au sommet.

Son ton a changé. Il me fait peur.

— Enlève ta main de mon visage, et rentre chez toi. Ta mère t'attend sûrement avec un bon poulet rôti.

Je le repousse violemment, il perd l'équilibre avant de retomber sur ses pattes comme un vulgaire chat d'égouts. Peut-être qu'il n'a pas apprécié le clin d'œil envers sa mère, je l'ai déstabilisé. Ne trouvant plus rien à dire, il se relève pour cracher à mes pieds et ne tarde pas à s'enfuir à grands pas. Le rêve parisien. Je n'ai plus aucune idée du monde auquel j'appartiens, comme s'il m'échappait. Je reste plantée là, au milieu de la rue, dans l'espoir qu'une météorite me tombe sur la gueule. Rien n'a plus de sens. C'est donc ça, le chaos.

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