1 ➵ 𝘀𝗽𝗿𝗶𝗻𝗴 𝗱𝗮𝘆 • 𝗯𝘁𝘀

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↻ 𝑀𝑖𝑠𝑠 𝑦𝑜𝑢
𝑆𝑎𝑦𝑖𝑛𝑔 𝑡𝘩𝑖𝑠 𝑚𝑎𝑘𝑒𝑠 𝑚𝑒 𝑚𝑖𝑠𝑠 𝑦𝑜𝑢 𝑒𝑣𝑒𝑛 𝑚𝑜𝑟𝑒
𝑀𝑖𝑠𝑠 𝑦𝑜𝑢
𝐸𝑣𝑒𝑛 𝑡𝘩𝑜𝑢𝑔𝘩 𝐼'𝑚 𝑙𝑜𝑜𝑘𝑖𝑛𝑔 𝑎𝑡 𝑦𝑜𝑢𝑟 𝑝𝘩𝑜𝑡𝑜
𝑇𝑖𝑚𝑒'𝑠 𝑠𝑜 𝑐𝑟𝑢𝑒𝑙, 𝐼 𝘩𝑎𝑡𝑒 𝑢𝑠
𝑆𝑒𝑒𝑖𝑛𝑔 𝑒𝑎𝑐𝘩 𝑜𝑡𝘩𝑒𝑟 𝑓𝑜𝑟 𝑜𝑛𝑐𝑒 𝑖𝑠 𝑛𝑜𝑤 𝑠𝑜 𝘩𝑎𝑟𝑑 𝑏𝑒𝑡𝑤𝑒𝑒𝑛 𝑢𝑠

𝙙𝙚́𝙘𝙚𝙢𝙗𝙧𝙚 𝟮𝟬𝟮𝟯
𝙦𝙪𝙚𝙡𝙦𝙪𝙚 𝙥𝙖𝙧𝙩 𝙙𝙖𝙣𝙨 𝙡𝙖 𝙘𝙖𝙢𝙥𝙖𝙜𝙣𝙚 𝙟𝙖𝙥𝙤𝙣𝙖𝙞𝙨𝙚


La gare était presque vide.

Ce n'était pas étonnant, compte tenu de l'heure tardive qu'affichait l'immense pendule suspendue au-dessus des panneaux d'affichage. La grande aiguille rejoignait presque sa petite sœur en dessous de l'imposant 12 qui dominait tous les autres chiffres.

À part Minho, seul un homme d'affaire nerveux et une mamie somnolente occupaient les lieux. Trois personnes, donc, qui attendaient le dernier train. Quatre, si on comptait le petit caniche de la mamie, un tout jeune chiot qui aboyait de temps à autre sur une quelconque poussière flottant dans l'air.

Encore une fois, rien de surprenant : la gare était loin d'être fréquentée, même en pleine journée. Elle n'était qu'une modeste station de campagne, et le village le plus proche se trouvait à des kilomètres de là. Rares étaient les trains qui y stoppaient, et quand c'était le cas, pas plus d'une ou deux personnes montaient ou descendaient. Il n'y avait pas grand-chose à faire dans le coin, après tout, aucun emploi, aucune activité.

Mais pour ceux qui ne pouvaient se permettre de payer un loyer dans une grande ville, les bourgades alentours étaient très prisés, et cette gare leur était nécessaire afin de rejoindre de plus grands axes et d'arriver sur le lieu de travail. C'est pour ça qu'elle n'avait pas été fermée, malgré les insistances de certains promoteurs pour établir de gigantesques centres commerciaux à la place.

Malgré sa petite taille, elle était bien entretenue et fonctionnelle. Il y avait le guichet, seulement ouvert trois jours dans la semaine, un distributeur automatique de billets, un autre de boissons et de snacks, des bancs, tout ce dont on pouvait avoir besoin quand on attendait un train. À travers les grandes portes fenêtres vitrées qui donnaient sur le quai, on avait un aperçu de la nuit noire qui semblait s'étendre indéfiniment. Un faible croissant de lune se faisait voir, de temps en temps, entre deux nuages, et le reste n'était qu'un million d'étoiles éparpillées, parmi lesquelles seuls les yeux entrainés pouvaient repérer des constellations. On était au début de l'hiver ; les nuits étaient déjà glaciales, et les voyageurs patients étaient bien contents de pouvoir trouver refuge au chaud tout en admirant la vue.

C'était un spectacle magnifique. Minho ne se lassait jamais de la nuit. Elle était fascinante et mystérieuse, changeante et surprenante. Quand on pensait la connaître, elle arrivait à vous prendre au dépourvu. Tout paraissait toujours plus exalté la nuit. Comme si le soleil qui s'évanouissait emportait avec lui toute la pudeur dont les humains s'enroulaient le jour et ne laissait plus que des corps haletants à la recherche de ce qui leur manquait le plus. Avec l'obscurité tombaient les barrières des tabous et des non-dits, les limites imposés et les murs des Surmoi. Les mots venaient aux lèvres plus facilement, les corps se touchaient plus souvent une fois protégés par l'ombre. La nuit dénudait les humains de leurs protections naturelles, elle les laissait effrayé de la moindre des ombres qui paraissait suspecte, mais elle offrait le confort de l'anonymat, la liberté de se laisser à être pleinement soi-même pour quelques heures.

Elle pouvait revêtir tellement d'aspects différents. Tantôt complice des corps qui s'embrassaient, veilleuse pour ceux qui n'arrivaient pas à dormir, effrayante pour les enfants qui croyaient voir des monstres se dissimuler dans ses replis sombres. Minho l'aimait pour chacune de ses facettes. Il avait appris à la connaître, au fil du temps : il était insomniaque, et elle l'avait accompagné dans ces heures passées à tourner en rond et à maudire le marchand de sable.

C'est pourquoi il prenait un train aussi tard : il savait qu'il serait resté éveillé de toute manière. Il était habitué. Demain soir ce serait pareil, et le jour d'après aussi. Il luttait contre le sommeil en cours, mais une fois la nuit tombée, il était incapable de le retrouver.

Il n'en avait pas toujours été ainsi. Minho savait précisément à quelle période de sa vie il avait commencé à avoir du mal à s'endormir, et il ne tenait pas à s'en rappeler. Quelle importance ? Ce n'est pas comme s'il allait pouvoir y changer quelque chose maintenant, des années après.

Pourtant, la quiétude des lieux aurait été propice à un petit somme. Il régnait un silence presque absolu, si on oubliait les petits bruits de la nuit, ceux qui sont présents la journée, mais auquel on ne fait vraiment attention que lorsque tout le brouhaha de la vie se tait. Dans un coin, le distributeur de boissons grésillait doucement, comme un vieux papi assoupi. Quelque part, un robinet gouttait, et le son se répercutait dans toute la pièce. Dans les murs, un liquide semblait glouglouter, il devait s'agir du chauffage. Minho était assis sur le banc le plus proche de ce dernier, il sentait la chaleur s'en échapper. Malgré le fait qu'il soit emmitouflé dans un manteau, une écharpe autour de son cou, ce n'était pas superflu.

Il jeta un œil au tableau annonçant les horaires. D'ici quelques minutes, le train arriverait en gare. Il décida de profiter de ce laps de temps pour prendre un peu l'air. Il se leva, sous l'œil morne de l'homme à l'attaché-case qu'il supposait être un businessman, et ouvrit la porte-fenêtre donnant sur le quai. Aussitôt, le froid le saisit, malgré les couches de vêtements qu'il portait. Il expira, et de la buée sortit de sa bouche, une vision qui le ramena des années en arrière, alors qu'il prétendait être en train de fumer avec ses amis d'enfance. Il fit un pas, et s'étonna de sentir quelque chose craquer sous sa chaussure. Il baissa les yeux, et sentit un sourire paresseux s'étirer sur ses lèvres quand il constata qu'il s'agissait d'une fine couche de neige, qui recouvrait tout le sol autour de lui. C'était presque pitié de marcher dedans, tant elle était belle dans son immaculée blancheur. Il referma la porte derrière lui, sentant le soulagement de l'homme à qui le courant d'air frais n'avait pas dû plaire, et resta planté devant la porte, incapable de se résoudre à gâcher ce miracle de la nature.

Les premières neiges de la saison. Il n'avait pas vu les flocons tomber ; il avait dû être occupé à ce moment-là, sur son téléphone ou aux toilettes. Il avait hâte que ça recommence, il adressa un vœu silencieux à qui l'entendrait pour y avoir droit avant que le train n'arrive. Voir la neige tomber du ciel provoquait chez lui une excitation enfantine, et faisait resurgir des bribes de souvenirs en vrac, des cris joyeux quand il ouvrait les volets pour découvrir un jardin blanc, des batailles de boules de neiges entre voisins, des sculptures toutes plus fantasques les unes que les autres, mais que ses parents appréciaient comme s'il s'agissait d'œuvres d'art mondialement connues.

Décidément, il était gâté ce soir, entre la magnifique nuit étoilée et la neige. Il avait l'impression qu'il y avait une éternité qu'il n'avait pas senti la caresse des flocons sur son nez. Il adorait les flocons. Il trouvait fascinant leur variété de formes, la beauté des détails sculptés en miniatures, leur éphémérité. C'était à la fois magnifique et immensément triste de voir une si sublime petite chose disparaître à jamais, fondue avec des milliers d'autres. Il y avait quelque chose de bouleversant à assister à ça, l'impression ridicule de manquer quelque chose d'important, un sentiment indéfinissable qui tordait un peu le cœur et conférait aux paysages enneigés une nostalgie palpable. Voir la neige tomber, c'était assister en direct à la fugacité avec laquelle les choses passaient. Un instant, on avait ce flocon dans la main, et l'instant d'après, c'était une goutte d'eau qui s'y était substitué. Pendant un bref instant, on prenait conscience de toute la brièveté de l'existence.

À peine l'avait-il formulé que son souhait fut exaucé : en une fraction de seconde, des paillettes blanches voletaient, de plus en plus nombreuses, portées par le vent, tout autour de lui. Il tendit les mains, ravi. Il songea qu'il devait avoir l'air un peu bête, tout adulte qu'il était, de s'enthousiasmer pour des choses aussi naturelles que des flocons tombant du ciel. Mais il n'y avait personne pour le voir : il tournait le dos aux seules personnes qui aurait pu le juger. Il laissa libre cours à sa joie, un large sourire éclairant son visage. Il avait l'impression qu'il n'avait pas souri ainsi depuis longtemps.

Le paysage prenait des allures de contes de fées. Partout où il posait les yeux, la neige tourbillonnait, dansant un ballet qui paraissait savamment orchestré. Les rails furent bientôt recouverts, ainsi que le bout de ses chaussures. Le train aurait sûrement du retard à cause du temps. Peu lui importait : là où il allait, il n'y avait personne pour l'accueillir de toute manière. Personne ne savait qu'il allait venir, personne ne s'imaginait qu'il viendrait.

Il entendit le chuintement de la porte coulissante derrière lui, et ferma les yeux une demi-seconde, comme un remerciement pour les quelques moments de bonheur qui lui avaient été procuré, avant que sa petite bulle ne fût définitivement brisée :

-Fais pas chaud, hein ? déclara l'homme à l'attaché-case.

Il se posta à la gauche de Minho, et ce dernier regarda d'un mauvais œil les empreintes qu'il venait de laisser dans la neige blanche.

-Je me demande si la grand-mère va se réveiller avant que ce foutu train arrive. Je ferais peut-être bien d'aller voir, au cas-où.

Il sortit une cigarette de sa poche et fit claquer son briquet afin de l'allumer.

-Ne vous dérangez pas, j'y vais, rétorqua Minho, qui fit demi-tour pour réintégrer la chaleur du hall.

Il était agacé par la présence de l'homme, qui gâchait tout. Il aurait voulu préserver la magie encore un peu. Il en avait bien besoin, en ce moment.

À l'intérieur, la petite mamie était toujours sur son banc, appuyée contre sa canne, on ne voyait pas son visage. Son chien montait fièrement la garde, et il gronda quand Minho s'approcha.

-Grand-mère ? appela-il. Grand-mère, vous êtes réveillée ?

-Hmm ? sursauta la vieille dame. Oh pardon, jeune homme, il semblerait que je me sois assoupie quelques instants.

Elle lui adressa un sourire édenté, et il se sentit lui-même sourire en retour. Il était comme ça : il y avait des êtres qui attirait naturellement sa sympathie, et d'autres dont il se méfiait sans raison valable. Cette mamie ne lui inspirait que des bonnes choses, contrairement à l'homme dehors qui était pile le genre d'individu qu'il méprisait. Le genre d'individu qui le faisait penser à son père.

-Vous voulez que je vous aide à vous lever ? suggéra-il, tendant déjà les mains.

Elle secoua la tête, et, s'aidant de sa canne, parvint à se mettre debout.

-Vous êtes bien aimable, mon petit. Mais ne vous occupez pas de moi, vous allez rater le train : le voilà qui arrive !

En effet, la sirène caractéristique de la locomotive se fit entendre, bientôt suivi d'un long son de freinage strident alors que les wagons ralentirent pour finalement stopper complètement. Minho resta malgré tout aux côtés de la vieille dame, en parti pour échapper à l'homme, en parti parce qu'elle était sympathique comme tout et qu'il n'était pas contre un peu de chaleur dans son cœur. Ils montèrent dans le train ensemble, et il la suivit jusqu'aux premières places qu'ils virent. Ils n'eurent pas à aller bien loin : peu de gens voyageaient à cette heure. Le compartiment était seulement occupé par un homme âgé, qui paraissait très fatigué, avec des vêtements rapiécés et une barbe qui lui mangeait la moitié du visage.

Minho déposa son gros sac de voyage dans les rangements prévus à cet effet et parcourut les sièges disponibles du regard. Il avait beau aimer la solitude, il trouvait ça un peu idiot de laisser la grand-mère seule pour aller quelques mètres plus loin.

-Vous permettez que je m'asseye ici ? demanda Minho en indiquant la place voisine de celle où la vieille dame venait de se mettre.

-Bien sûr, mon chou, allez-y ! fit-elle, guillerette comme une petite fille.

Il la remercia d'un signe de la tête et s'assit. Bien vite, elle reprit sa sieste, et il se retrouva de nouveau livré à lui-même, avec comme seules compagnes ses pensées. Elles tourbillonnaient dans sa tête, formant un méli-mélo auquel il n'arrivait pas à donner de sens concret. C'en était ainsi depuis qu'il avait reçu cette fameuse enveloppe, et il n'avait eu que de brèves périodes de répit pour y réfléchir à tête reposée. Il en avait pour environ une heure dans ce train : c'était l'occasion de faire du tri dans tous les sentiments qui se mélangeaient dans son cœur.

Bien qu'il la connaisse par cœur maintenant, il ressortit la lettre de la poche de son manteau. Son état montrait qu'elle avait été froissée, dépliée, repliée un nombre incalculable de fois. Un élégante écriture cursive indiquait l'adresse de l'expéditeur, le lycée Taniguchi de Tokyo, et l'adresse du destinataire, la sienne. En dessous, le message était clair et concis :

Lee Minho,

Vous êtes invité, ainsi que l'ensemble de vos ex-camarades de classe, à la réunion annuelle des anciens élèves du lycée Taniguchi. Cette année, c'est la promotion 2015 qui est à l'honneur, comme cela fait cinq ans que votre scolarité s'est achevée ici. Le traditionnel repas partagé aura lieu le 13 décembre, à la salle des fêtes Kirishima, à partir de 11h30. Si vous êtes disponible, merci de retourner le coupon suivant indiquant votre présence avant le 24 novembre.

Cette lettre avait fait remonter à la surface une partie de sa vie qu'il pensait avoir effacée à jamais. Une fois diplômé du lycée, il avait déménagé et commencé une toute nouvelle vie, qui était encore la sienne aujourd'hui et qui le satisfaisait pleinement, abandonnant tous ceux qu'il avait connu à l'époque. Cinq années avaient passés, et il avait enterré très profond dans sa mémoire tout ce qui se rapportait de près ou de loin à ses études secondaires. Avant que cette lettre n'arrive, il n'y avait pas repensé depuis un bon bout de temps.

Il avait longuement pesé le pour et le contre avant de renvoyer sa réponse. Il aurait été si facile d'oublier cette réunion, de jeter la lettre et de reprendre le cours de sa vie, tirant définitivement un trait sur la personne qu'il avait été avant. Mais curieusement, lui qui n'était pourtant pas nostalgique de nature, il s'était senti incapable de faire comme s'il n'avait jamais reçu cette invitation. Il avait tenté de la mettre de côté, de ne plus y penser, mais elle lui revenait constamment à l'esprit, et il avait fini par craquer, par renvoyer le coupon en annonçant qu'il viendrait. Depuis qu'il avait posté sa réponse, il ne cessait de se demander s'il avait vraiment pris la bonne décision, s'il n'aurait pas mieux fait de rester tranquillement chez lui au lieu de s'aventurer dans un lieu qui ne le laisserait définitivement pas indifférent.

En quittant le lycée, il s'était forgé une carapace, bloquant ses sentiments afin de pouvoir s'éloigner de ceux qui avaient compté pour lui sans trop souffrir. Il avait eu du mal à s'en détacher complètement, mais il était finalement parvenu à vivre sans regrets, et maintenant ses efforts étaient réduits à néant par cette réunion stupide. Il le savait, il allait être submergé d'émotions contradictoires à l'instant où il allait poser le pied dans cette fichue salle des fêtes. Toutes ces années à s'occuper l'esprit n'auraient servi à rien, finalement. Il allait replonger tête la première dans tout ce qu'il avait voulu supprimer de sa vie.

Il poussa un soupir. Décidément, il n'arrivait pas à trouver de bons côtés à ces retrouvailles forcés. Pourquoi n'avait-il pas pu jeter cette lettre, bon sang ?

Au fond de lui, il avait bien une petite idée. Mais elle n'était pas pour lui plaire, et il refusait de l'admettre. Il se mentait à lui-même, mais la vérité, c'est qu'il était déchiré. Il y avait une personne qu'il souhaitait revoir autant qu'il souhaitait éviter, et aucun côté n'ayant pu l'emporter sur l'autre, il avait pris la décision d'y aller quand même, en se disant qu'il pourrait toujours changer d'avis le jour-même, chose qui ne serait pas possible s'il ne rendait pas le papier indiquant sa présence. Il était curieux à propos de cette personne. Qu'était-elle devenue pendant toutes ces années ? Avait-elle trouvé quelqu'un avec qui partager sa vie, depuis que Minho avait disparu du paysage ? Habitait-elle toujours à Tokyo ?

Maintenant que la porte de ses souvenirs était ouverte, elle ne semblait pas vouloir se refermer, et chaque pensée en amenant une autre, des morceaux de sa vie de l'époque lui revenait aux moments où il s'y attendait le moins, causant son cœur à se contracter douloureusement. Il avait parfois l'impression d'étouffer devant la force avec laquelle des flash-backs le heurtaient. Il avait cru avoir tourné la page ? Il avait simplement recalé tout cela dans un coin de son cerveau en pensant que ça suffirait à se préserver du manque et de la nostalgie, mais il n'avait fait que repousser l'échéance, et maintenant il se reprenait en pleine face cinq ans de déni.

Il avait adoré ses années de lycée, vraiment. C'est là qu'il avait rencontré les personnes qui avaient le plus comptés dans sa vie. Ces mêmes personnes qu'il avait jeté comme des mouchoirs usagés, sans un mot, sans une explication, simplement en cessant de leur parler du jour au lendemain. Il ne regrettait pas ce qu'il avait fait ; il n'avait pu faire autrement à l'époque. Mais ça n'enlevait en rien la douleur de les revoir s'animer dans ses souvenirs, de pâles copies des êtres humains qu'ils étaient, qu'ils avaient été, mais toujours aussi souriants, même si le temps passé les avait dépouillés de leurs vives couleurs dans la mémoire de Minho. Ils lui apparaissaient comme une photographie ancienne, et il avait presque envie de leur sourire en retour, même si aujourd'hui plus aucun d'eux ne voudraient probablement lui adresser la parole.

Ils n'avaient pas compris, au début. Ils avaient continué de lui envoyer des messages, de l'appeler, de lui dire qu'ils s'inquiétaient, de lui demander s'il allait bien. Il n'avait répondu à aucun d'entre eux, même pas au plus insistant, celui dont il avait été le plus proche. Il avait été un parfait connard, et le pire c'est qu'il en avait conscience.

Il ne savait vraiment pas pourquoi il allait à cette réunion. Si jamais ils venaient aussi, ils allaient... À vrai dire, il n'avait aucune idée de la réaction qu'ils allaient avoir. Mais il verrait bien assez tôt : dans maintenant onze heures, il devrait être sur place. Il n'y avait d'ailleurs pas que la réaction de ses anciens amis qui était impossible à prévoir : lui-même ne savait pas comment il allait réagir face à eux. Surtout face à lui... Han Jisung.

Rien que de penser à son prénom faisait remonter à la surface une nouvelle vague de souvenirs, tous plus déchirants les uns que les autres. Il y avait un temps où seulement de la joie et de l'amour le parcourait à l'évocation de ce nom. Aujourd'hui, ces deux émotions étaient teintées d'amertume, de tristesse, de remords et de peine. Et surtout, de manque. Jisung lui manquait horriblement, tellement qu'il avait l'impression qu'un trou béant avait pris la place de son coeur. Minho n'avait jamais aimé quelqu'un comme il avait aimé Jisung. Formuler cela, même si ce n'était que dans sa tête, lui coûtait. Il ne s'ouvrait pas facilement aux autres, seule une petite bande de huit personnes avaient réussi à percer ses défenses, dont Jisung. Et c'était précisément ces sept personnes qu'il avait rejeté de sa propre volonté, et qu'il allait revoir tout à l'heure après cinq années sans nouvelles.

Il remit la lettre dans sa poche, et se massa les tempes, encore plus perdu qu'il ne l'était avant sa petite introspection. Il n'allait probablement jamais réussir à se stabiliser sur une seule émotion ; il devait accepter qu'il serait un bazar de doutes et de contradictions, au moins jusqu'à ce fameux repas.

La seule certitude qu'il avait, c'était qu'il ne sortirait pas indemne de cette journée.

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