2 ➵ 𝗶 𝗹𝗼𝘃𝗲𝗱 𝘆𝗼𝘂 • 𝗱𝗮𝘆𝟲

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↻ 𝑅𝑒𝑎𝑙𝑙𝑦 𝐼 𝑙𝑜𝑣𝑒𝑑 𝑦𝑜𝑢
𝐼 𝑗𝑢𝑠𝑡 𝑙𝑜𝑣𝑒𝑑 𝑦𝑜𝑢 𝑡𝑜𝑜 𝑚𝑢𝑐𝘩
𝑇𝘩𝑎𝑡 𝐼 𝑐𝑎𝑛'𝑡 𝑓𝑜𝑟𝑔𝑒𝑡 𝑎𝑏𝑜𝑢𝑡 𝑦𝑜𝑢 𝑒𝑣𝑒𝑛 𝑡𝘩𝑜𝑢𝑔𝘩 𝐼 𝑤𝑎𝑛𝑡 𝑡𝑜
𝑇𝘩𝑎𝑡'𝑠 𝑤𝘩𝑦 𝐼 𝑤𝑎𝑛𝑡 𝑡𝑜 𝑓𝑜𝑟𝑔𝑒𝑡 𝑎𝑏𝑜𝑢𝑡 𝑦𝑜𝑢

𝙙𝙚́𝙘𝙚𝙢𝙗𝙧𝙚 𝟮𝟬𝟮𝟯
𝙩𝙤𝙠𝙮𝙤


Comme tous les midis, le restaurant était plein.

Hommes et femmes profitant de leur pause déjeuner pour décompresser un peu, familles en week-ends, adolescents avec leurs amis, habitués, touristes de passage, il y avait toutes sortes de clients chez les Han. Ce qui était au départ une simple petite affaire familiale avait pris des proportions bien plus grandes, et aujourd'hui, leur restaurant était l'un des plus appréciés de ce quartier de Tokyo. Servant des spécialités coréennes, il faisait l'unanimité des jeunes comme des adultes, la cuisine des parents Han étant un délice pour les papilles.

Jisung, comme à chaque fois à l'heure de pointe, ne savait plus où donner de la tête. Partout, il lui semblait qu'on l'interpellait, et il avait beau passer de tables en tables avec une rapidité hors-normes, il avait l'impression qu'il avait toujours un train de retard. Le vendredi était l'un des jours les plus chargés, l'avaient prévenu ses parents. Tous les lycéens de Tokyo semblaient se donner rendez-vous ici après la fin des cours, et il y avait souvent une queue qui s'étendait jusque dans la rue. Ils étaient même forcés de refuser des clients, le comble ! D'habitude, Jisung ne travaillait ici que les week-ends, mais il avait demandé à ses parents d'échanger ses périodes, afin qu'il puisse se rendre le lendemain au déjeuner organisé par son ancienne école.

Il n'était pas sûr d'y avoir gagné au change. Il pensait que rien ne pourrait être pire que le samedi, il s'était trompé. Il était arrivé il y a deux heures, et il n'avait pas eu un moment pour souffler et boire un verre d'eau, même s'il mourait de soif à force de courir un peu partout. Le mauvais temps n'arrangeait rien : tout le monde était venu se réfugier à l'abri et bien au chaud. Dès qu'une commande était servie, il y en avait une nouvelle à prendre. Il était content, bien sûr, que le restaurant de ses parents marche aussi bien, mais il n'aurait pas été contre deux minutes de pause afin de se reposer. Au moins, cette constante activité évitait à son esprit de trop vagabonder en direction du repas du lendemain, un sujet sur lequel il ne savait pas trop comment se positionner.

Quand il avait reçu la lettre, il avait été surpris, tout d'abord, qu'elle arrive aussi vite. Il savait que les réunions d'anciens élèves avaient lieu cinq ans après l'année du départ de la promotion, mais il n'avait pas l'impression qu'autant de temps avait passé. Peut-être parce qu'il n'avait fait que des choses qu'il aimait, les années avaient filé sans qu'il ne s'en rende compte. Il en avait parlé avec Felix, et lui aussi avait été pris au dépourvu par cette piqûre de rappel, qui n'était pas pour les rajeunir.

Il avait accepté immédiatement, bien sûr. Il ne se passait pas un jour sans qu'il ne repense à ses années lycées, et à comment elles avaient contribué à façonner la personne qu'il était aujourd'hui. Il était reconnaissant à tous les professeurs qu'il avait eu de l'avoir encouragé dans la voie qui le passionnait, la musique. C'était grâce à eux qu'il était là où il en était aujourd'hui, et il était content d'avoir une occasion de les remercier pour ça. Et puis, il avait hâte de voir ce qu'étaient devenus certains de ces anciens camarades de classes. Il y avait quelque chose d'excitant à revoir des personnes après un long laps de temps, de voir comment elles avaient évolué. Il était, bien sûr, resté en contact avec ses plus proches amis, et il était déjà au courant de ce qu'eux étaient devenus. Mais qu'en était-il de la jeune fille qui était sa partenaire au labo de chimie ? Du garçon qui avait gagné le prix d'éloquence face à une dizaine d'autres concurrents des plus prestigieux lycées en terminale ? De son voisin de casier ? Tant de vies dont il avait perdu la trace, et qu'il allait pouvoir mettre à jour dans son petit pense-bête mental.

Y'en aurait-il avec des enfants ? Non, pas au bout de cinq ans, ce n'était pas une si longue période quand même, les plus vieux devaient avoir 24 ans, c'était trop jeune pour commencer à fonder une famille, non ? À vrai dire, il n'en savait rien. Lui, en tout cas, se voyait à des milliers d'années lumières d'avoir un mioche sur les bras. Il n'était même pas sûr d'en vouloir un du tout.

C'était assez étrange, la vie. Parfois on s'imaginait avoir un destin tout tracé, et puis quelque chose bousculait toutes nos conventions et nous projetait dans un endroit totalement différent de celui où nous espérions aller. Une rencontre, une réalisation soudaine, et des projets entiers s'écroulaient, tandis que d'autres se mettaient en place. À trente ans, on n'avait pas la vie qu'on s'imaginait avoir à dix-sept. Il faut renoncer à des rêves, se battre pour au final en rater d'autres. Mais lui n'avait pas à se plaindre : il faisait au quotidien ce qui le rendait le plus heureux, de la musique. Si on avait raconté à Jisung à quoi sa vie aurait ressemblé plus tard alors qu'il était encore au lycée, il aurait ri de bon cœur. Lui, rappeur et chanteur ? C'était à l'époque une possibilité de carrière tellement fantasque qu'il n'y croyait même pas réellement. Et pourtant, à présent, il gagnait sa vie grâce à sa musique.

Enfin, une petite partie de sa vie. La plus grosse part, c'était en travaillant dans ce restaurant pendant toutes les vacances scolaires, les soirées et les week-ends.

-La commande de la 6, lui cria sa mère alors qu'il s'emparait de l'assiette encore fumante qu'elle venait de déposer sur le comptoir.

Il zigzagua habilement entre les tables, ses déplacements rendus plus fluides par des années d'expérience. La table 6, contre la vitrine, était occupée par deux jeunes garçons, qui devaient être un peu plus jeunes que lui. Ils portaient l'uniforme du lycée Taniguchi. Jisung souri en déposant le plat devant celui qui n'avait encore rien à manger.

-Merci bien, répondit ce dernier sans quitter son camarade du regard.

Une petite pointe de nostalgie pinça le cœur de Jisung. Il se rappelait des vendredis midis où lui et ses amis allaient manger en ville, encore vêtus de leurs uniformes. Ils se croyaient inséparables à l'époque, destinés à ne jamais se quitter, prêt à aller jusqu'au sommet tous ensemble. Ils nourrissaient les mêmes ambitions à l'égard de la vie. Il leur paraissait inconcevable de grandir.

Même s'il savait qu'il lui restait du travail, il laissa son regard s'échapper par la fenêtre, dévier en direction de son ancien lycée, dont il apercevait l'aile ouest. C'était un endroit où il avait vécu tellement de choses aux côtés de ces huit idiots qui lui servaient d'amis. Il y avait toujours une petite partie de lui qui croyait naïvement qu'ils reviendraient un jour à cette complicité incroyable qui les avaient unis. Réveille-toi, Jisung, pensa-il. Vous êtes tous passés à autre chose. Lui-même était passé à autre chose. Se séparer de ses amis lui avait fait de la peine, mais les années avaient accompli leur devoir et la douleur s'était peu à peu apaisée pour ne lui laisser en mémoire que les bons souvenirs. Il pouvait à présent repenser à sa vie à l'époque sans d'autres émotions qu'une vague nostalgie mêlé à une tendresse infinie.

En revenant vers la cuisine pour prendre une nouvelle commande, il vérifia l'heure. D'habitude, il n'avait aucun mal à enchaîner plusieurs périodes à suivre, mais aujourd'hui, il n'arrivait pas à se concentrer sur ce qu'il faisait. Sa mère dut s'en rendre compte, car alors qu'il s'approchait, elle lui fit signe d'aller se changer.

-Tu as assez travaillé pour aujourd'hui, vas-y, ajouta-elle avec un clin d'œil. Hun et moi, on va gérer. Le flot commence déjà à se tarir.

Jisung lui adressa un sourire reconnaissant. Sa mère savait toujours détecter quand il n'était pas tout à fait dans son assiette. L'autre serveur, Hun, était ici à plein temps, contrairement à lui. Il était efficace et précis. De plus, il était vrai que l'heure de pointe était passé, il ne serait pas manqué.

Il se dirigea vers les escaliers au fond de la salle, qui menaient à l'appartement au-dessus, afin de pouvoir récupérer ses affaires. C'était ici que vivaient les Han, dans ce modeste quatre pièces constamment empli d'odeur de nourriture. Jisung n'habitait plus avec ses parents, mais étant donné qu'il travaillait au restaurant, il passait encore beaucoup de temps ici. Son ancienne chambre était pleine de vêtements et de bazar à lui, et il dormait encore régulièrement dedans, quand il n'avait pas le courage et l'énergie de rentrer chez lui après le service du soir ou quand il venait tout simplement passer un peu de temps avec ses parents.

Il passa devant la petite table qui se trouvait à l'entrée, celle où on jetait les clés en entrant, celle où se mêlaient pêle-mêle des mouchoirs, des billets, des post-its et des papiers importants. Au milieu du salon trônait une autre table, plus grande, sur laquelle s'étalait un immense puzzle incomplet. C'était une tradition chez eux : il ne pouvait pas se rappeler d'un seul moment dans sa vie où il n'y avait pas eu un puzzle quelque part dans la maison. Ils y participaient tous, chacun au moment qu'il préférait, quelquefois uniquement pour poser une ou deux pièces, parfois pour avancer un pan entier. C'était un travail d'équipe, ils se relayaient, et quand l'un d'eux posait la pièce finale, il appelait les autres pour qu'ils puissent se féliciter, et l'heureux gagnant pouvait choisir le prochain puzzle parmi l'immense collection des Han. Il s'approcha de celui en cours. Il traînait depuis quelques temps celui-là, probablement qu'avec tout le monde au restaurant et depuis qu'ils avaient ouvert un espace pâtisserie, les moments de repos étaient plus rares. Il s'agissait d'un magnifique paysage japonais, avec un temple rouge au milieu d'arbres automnaux. Il se pencha dessus, hésitant quelques minutes avant de réussir à compléter une branche dans le coin gauche. Puis, content d'avoir participé ne serait-ce qu'un peu à leur rituel, il traversa le salon pour entrer dans la salle de bain.

Là, il se déshabilla rapidement avant de mettre son uniforme de serveur au linge sale. Puis, vérifiant que personne n'était là, il passa en sous-vêtements dans les pièces communes pour rejoindre sa chambre à l'opposé de l'appartement. Celle-ci était resté au stade lycéen, contrairement à lui. Les mêmes vieilles photos étaient épinglées au mur depuis cinq ans, les mêmes posters de groupes de musique qu'il n'écoutait plus pour la plupart, les mêmes souvenirs de voyages qui prenaient la poussière sur sa commode. Après le lycée, il avait pris un appartement plus près de sa fac. Pas spécialement à cause de la distance à parcourir, car elle n'était pas très loin d'ici, mais plutôt pour prendre son indépendance et se détacher du cocon familial. Et puis, ça avait été l'occasion de faire une colocation avec Seungmin et Huynjin, et donc de rester en contact avec eux. Chan, lui, avait emménagé avec Changbin, et Felix et Jeongin avait chacun pris un studio étudiant, dans lesquels ils avaient souvent organisés des fêtes où ils se retrouvaient. Puis, le temps passant, chacun était parti faire ses études ailleurs, et Jisung avait fini par trouver un autre appartement, qu'il habitait seul cette fois.

Il n'était pas le seul à être resté à Tokyo : Felix, Jeongin et Hyunjin étaient toujours là, mais chacun dans des universités différentes, avec des emplois du temps qui leurs permettaient peu de se voir. Chan était parti en Australie depuis deux ans, et ils ne le voyaient que peu souvent, même s'ils s'appelaient régulièrement. Changbin était également entré dans la vie active, et Seungmin finissait un master à Busan, en Corée du Sud. Mais tous seraient présents demain à cette fameuse réunion, sauf Chan évidemment, qui n'allait pas faire l'aller-retour depuis Sydney pour quelque chose d'aussi peu intéressant.

Jisung avait hâte de les voir, et il appréhendait un peu, aussi. Il avait surtout peur qu'ils ne retrouvent pas leur complicité naturelle, qu'ils soient gauches et qu'en rentrant chez eux le soir, ils se disent qu'ils n'avaient vraiment plus rien en commun et que tenter de sauver leur amitié était inutile. Bien sûr, ils ne seraient plus jamais aussi proches qu'ils l'avaient été quand ils se voyaient tous les jours en cours, mais ils n'étaient pas complètement devenus des étrangers, si ? Ou leur bonne entente ne reposait-elle que sur les souvenirs des bons moments qu'ils avaient eus ensemble, et non pas sur le présent ?

Il recommençait à trop penser encore. Dans une tentative de se changer les idées, il termina d'enfiler son sweat et décida de trier un peu le tas d'objets que sa mère avait sorti de la cave et lui avait demandé de ranger. Il était trois heures de l'après-midi, et il avait encore un peu de temps avant de devoir rentrer pour terminer un essai qu'il avait à rendre lundi. Il devait s'en occuper avant le soir, car il avait prévu d'aller manger avec Felix et une amie à lui, puis d'aller au cinéma, et ce week-end il risquait d'être occupé à autre chose.

Quand il estima avoir assez trié pour la journée, il récupéra son sac à dos et dévala l'escalier pour retourner en bas. La salle s'était un peu vidée, et les derniers clients qui mangeaient encore paresseusement n'allaient sûrement pas tarder eux aussi. Il demanda quand même à ses parents s'il pouvait être d'une aide quelconque, mais ils lui assurèrent qu'ils se débrouillaient bien tout seul. Rassuré, Jisung mit son casque sur les oreilles, lança sa playlist et sortit dans les rues de Tokyo.

L'air frais du dehors le fit frissonner. À force de vivre dans la chaleur rassurante du restaurant, il en avait presque oublié que l'hiver approchait. Mais le froid ne le dérangeait pas plus que ça. Au contraire, il avait même hâte que l'air devienne encore plus glacial, afin qu'il puisse neiger. Il adorait la neige.

Tokyo sous la neige était un spectacle particulièrement beau. La ville en général était magnifique, il ne s'en lassait pas. C'est sans doute pour ça que contrairement à ses amis, il n'avait pas souhaité aller étudier autre part. Depuis qu'il était arrivé ici, à l'âge de dix ans, après avoir vécu en Malaisie une grande partie de sa vie, il n'avait pas souhaité vivre ailleurs. Il aimait tous, les immenses buildings illuminés, les milliers de boutiques, les quartiers plus calmes comme celui où ses parents habitaient, ceux avec les superbes temples et les parcs boisés. Il aimait cette impression de faire partie de quelque chose. Il y avait un côté rassurant à voir les gens passer auprès de lui sans même le regarder, être une pièce du puzzle sans avoir d'efforts à faire.

Il marcha jusqu'à une rue principale, retrouvant l'agitation de la ville en même temps qu'il quittait les petites ruelles tranquilles. Il était environ à une vingtaine de minutes à pieds de son appartement. Marcher ne le dérangeait pas, au contraire : il aimait ces moments où il était tout seul avec sa musique dans les oreilles, à la fois coupé du monde et en plein milieu de ce dernier. Il jetait des regards intéressés autour de lui, bien qu'il connaissât par cœur les boutiques devant lesquelles il passait. Un vendeur de fruits, un restaurant de sushis, une boutique de réparation de téléphone, un stand de pâtisseries, une papeterie... Il aurait pu refaire son parcours les yeux fermés.

Il arriva finalement devant son immeuble, un bâtiment sans prétention qui passait inaperçu entre une immense librairie et un bar à chats dans lequel il y avait toujours du monde. Il tapa le digicode, et pénétra dans le hall.

-Ah, te voilà ! J'ai bien cru que tu n'arriverais jamais ! s'exclama une voix qu'il connaissait bien.

En face de lui, Lee Felix lui adressait le petit sourire en coin qui faisait craquer tout le monde autour de lui. Comme à son habitude, il était à tomber. Nonchalamment avachi contre le mur, les mains dans les poches, il émanait de lui une aura d'élégance et de charme qui faisait bien des ravages parmi la gent féminine. Ses cheveux blonds étaient négligemment ramenés sur le côté, et quelques mèches tombaient devant ses yeux. Une coiffure qui donnait l'impression qu'il venait tout juste de se réveiller, mais Jisung ne s'y trompait pas et savait qu'il mettait des heures à parvenir à un tel résultat. Sous son blouson kaki et son jean noir slim, on devinait les formes du corps mince et musclé que le jeune danseur s'appliquait à conserver grâce à un entrainement quotidien et un régime strict. La seconde d'après, il sourit à Jisung de toutes ses dents, et de petites rides se formèrent sous ses yeux, le rendant si mignon que le brun eut envie de le prendre dans ses bras et de le protéger.

Il restait un mystère pour Jisung : comment pouvait-il à la fois être si sexy et si adorable, avec le même visage ? Il n'était pas le seul à se poser cette question : la dualité de Lee Felix était une légende dans leur ancien lycée. Au-delà de son apparence, il pouvait parler d'une voix grave et rauque à se damner, et juste après amuser la galerie en imitant des personnages de dessins animés aux cris suraigus.

Pour ne rien gâcher, en plus d'être drôle, mignon et tout simplement magnifique, il avait un cœur en or. Il distribuait des compliments à tous ceux qui croisaient son chemin, avait toujours quelque chose de gentil à dire et ne lésinait pas sur les encouragements. C'était sans doute pour toutes ces raisons qu'il était le meilleur ami de Jisung.

-Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonna-il en refermant la porte derrière lui. Je pensais qu'on se retrouverait au restau avec Jiwoo.

-Elle ne peut pas se libérer finalement, son prof d'art lui a donné un travail à rendre dans deux jours, elle doit se grouiller si elle veut le finir à temps. Et du coup, vu qu'on devait passer l'aprèm' ensemble, j'avais plus rien à faire, alors je me suis dit que j'allais venir chez toi.

-Tu vas être déçu, moi aussi j'ai un travail à finir, le prévint Jisung en commençant à monter les escaliers.

Felix lui emboîta le pas, en jetant son chewing-gum dans la poubelle au passage. Le brun habitait au cinquième étage, et il n'y avait pas d'ascenseur.

-Qu'est-ce que vous avez tous à travailler en ce moment ? grogna-il.

-Écoute, je sais bien que c'est pas dans ton habitude, mais y'en a d'entre nous qui veulent réussir dans la vie.

-Oi ! Je bosse, tu sais !

Il tenta d'attraper Jisung pour se venger, mais ce dernier esquiva l'attaque avec brio et Felix faillit tomber dans l'escalier, déclenchant le rire du brun. Vexé, il se jeta sur lui pour le chatouiller. S'ensuivit une cavalcade ponctuée de rires et de hurlements stridents, alors que les deux amis se poursuivaient jusqu'au cinquième étage. Vingt-trois ans ou pas, ils étaient toujours les mêmes gosses que quand ils s'étaient rencontrés en seconde.

-J'espère que personne ne faisait la sieste, haleta Jisung une fois à l'intérieur de son appartement.

-J'espère aussi, ricana Felix en se laissant tomber sur le canapé. Aouch, il est toujours aussi peu confortable.

-J'ai pas d'argent pour en racheter un, et même si j'en avais, ce n'est pas dans un canapé que je le mettrais.

Il posa son sac à dos par terre et se précipita à la cuisine pour prendre un verre d'eau. Il mourait de soif, n'ayant pas pensé à boire quand il était au restaurant.

-Tu m'en ramènes un ? quémanda le blond depuis le fond du canapé.

Quelques minutes plus tard, Jisung revenait avec un paquet de chips et le verre d'eau demandé. Il n'avait pas eu le temps de ranger, et des vêtements s'amoncelaient sur les meubles, côtoyant des piles de papier qu'il n'avait pas pris le temps de trier et des objets divers qu'il ne savait pas où caser. Un appartement d'étudiant, en somme. Reconnaissable à son bazar et au nombre de plats sales dans l'évier.

-Pour vous servir, s'inclina-il avant de le rejoindre en choisissant comme siège un des deux poufs qui gisaient près de la table basse.

Ils se turent quelques instants, occupé à manger les chips. Puis le brun se tourna vers son ami, qu'il n'avait pas vu depuis plus d'une semaine.

-Ça va bien, toi ?

-Tranquille. J'ai un concours de danse contemporaine dans trois semaines, c'est un peu la panique en cours, mais sinon ça va. Et toi ?

-Pas de soucis majeurs.

Felix hocha la tête, mais il semblait vouloir ajouter autre chose. Au fond de lui, Jisung savait très bien de quoi est-ce que le blond voulait lui parler. Il avait cru qu'ils réussiraient peut-être à éviter le sujet, mais Felix était trop curieux pour ça. Il finit par poser la question qui lui brûlait les lèvres :

-Pas trop stressé à propos de demain ?

Ils y étaient. Jisung se mordit la lèvre, pas sûr de la réponse qu'il allait lui donner. Il pouvait feinter, prétendre qu'il ne voyait pas de quoi il voulait parler. Voyons, pourquoi serais-je stressé de revoir mes amis de lycée ? Mais il n'avait pas de doutes sur ce que le blond sous-entendait. Il abdiqua, lâchant sa réponse dans un soupir :

-Tu penses vraiment qu'il viendra ?

-Je ne sais pas, Sungie. Mais il y a une chance que oui.

-Il a disparu sans rien dire il y a plus de cinq ans. Pour ce qu'on en sait, il pourrait très bien être mort, ou à l'autre bout de la planète. Qu'est-ce qui le conduirait à revenir subitement ? Il n'a plus rien qui le rattache ici.

Autrefois, il aurait prononcé ces mots avec amertume, mais plus maintenant. Il avait grandi, et les plaies que le départ du jeune homme avait laissé en lui avaient cicatrisé. Ce n'était plus une douleur aigüe qui lui venait quand il y pensait, et qui lui déchirait le cœur, simplement une petite pointe de tristesse. Il avait tourné la page, et il s'en portait bien mieux depuis. Ça n'avait pas été facile, mais avec du temps et l'aide de ses amis, il s'était reconstruit, et il pouvait maintenant en parler sans sentir les larmes lui brûler les yeux.

-Ses parents ont dû recevoir la lettre comme nous tous, et où qu'il soit, ils ont dû le prévenir, insista Felix.

-À moins qu'ils aient changé d'adresse, fit Jisung en haussant les épaules. En autant de temps, il a pu se passer plein de choses.

-Toi, tu aimerais qu'il soit là ?

Évidemment jaillit dans l'esprit de Jisung presque en même temps que bien sûr que non !. Il se détestait d'avoir encore ce genre de contradictions alors même qu'il se félicitait d'être passé à autre chose. Mais il avait beau ne plus penser à lui constamment, une petite partie de lui se demandait quand même ce qu'il était devenu et pourquoi il les avait quittés aussi soudainement. C'était naturel, après tout, de se poser ce genre de questions, non ? On n'oublie pas aussi facilement son premier amour, surtout quand il a disparu d'un coup, ne laissant qu'un vide immense dans le cœur de ceux pour qui il comptait.

Lee Minho... Le nom résonnait dans la mémoire de Jisung avec le même effet qu'une chanson familière dont on avait oublié les paroles. Il pouvait se le remémorer en train de rire, de lui parler, de lui faire des câlins, mais ces images sonnaient faux, vides. Il manquait quelque chose, l'essence même de son être. Il l'avait vu il y a trop longtemps pour vraiment s'en rappeler.

-Je sais pas, finit-il par lâcher en un soupir. Je pense que oui, mais d'un côté, s'il arrivait devant moi comme si de rien n'était, j'imagine que je n'aurais qu'une envie, lui coller une baffe.

-Si c'est le cas, c'est huit baffes qu'il se prendra, ricana Felix, mais sa voix était amère.

Jisung eut un pauvre sourire. Il aurait voulu le détester, de teinter ainsi ses souvenirs d'amertume. C'était lui qui avait le plus souffert de la disparition de Minho. Au lycée, ils étaient inséparables, toujours fourrés ensemble. Il ne se passait pas une seule journée sans qu'ils ne se parlent, et même leurs rares disputes ne duraient pas dans le temps. Il avait naïvement pensé qu'ils resteraient ensemble pour toujours. Mais les rêves qu'on nourris à l'adolescence sont rarement ceux qui se réalisent finalement. Même si on l'avait prévenu que les amours de cet âge perduraient rarement dans le temps, il s'était persuadé que lui et Minho seraient l'exception. Quand il y repensait, il avait pitié de lui-même.

-Ça ne sert à rien de trop espérer, conclut Jisung en reprenant des chips. C'est quasiment sûr qu'il ne viendra pas.

-On ne sait jamais, fit le blond en haussant les épaules. J'aurais bien aimé lui reparler. J'aimais bien être avec lui.

-Et moi donc ! Je pense que je n'arriverais jamais à retrouver quelqu'un avec qui je pourrais être autant complice. Je t'ai toi, et Jeongin et Hyunjin, évidemment, mais ce n'est pas pareil et ça ne pourra jamais être pareil. C'est comme si Minho et moi... Enfin, c'est ridicule, mais je pensais...

Il avait beau être conscient de l'absurdité qu'il allait sortir, il y croyait quand même un petit peu. Felix attendait qu'il termine sa phrase, les sourcils haussés. Jisung sentit le rouge lui monter aux joues comme s'il avait encore quinze ans.

-Je pensais qu'on était ... Enfin, tu vois, des âmes-sœurs...

Il garda les yeux fixés sur le visage de son ami, s'attendant à le voir éclater de rire après une réflexion aussi niaise. Mais curieusement, il hocha la tête.

-On le pensait tous, tu sais. On n'avait jamais vu deux personnes qui allaient aussi bien ensemble. Quand vous étiez tous les deux, c'est comme si vous étiez sur un autre monde auquel on n'avait pas accès. Dès le premier jour, ça se sentait, il y avait quelque chose entre vous. C'était presque imperceptible, mais là malgré tout.

-Sérieux ? Vous ne me l'avez jamais dit...

-On voyait pas vraiment l'intérêt quand vous étiez ensemble. Puis après le départ de Minho, on a dû te ramasser à la petite cuillère, pas vraiment le moment pour placer ce genre de réflexion.

-Tu m'étonnes... Pendant des mois, j'ai vu partout des trucs qui me faisaient penser à lui, je passais mes journées à pleurer comme un gosse... J'espère qu'il avait une bonne raison pour partir, tiens...

Jisung s'allongea sur le canapé et leva ses yeux au plafond comme s'il pouvait y déceler la réponse à cette question. Ce n'était pas la première fois qu'il se la posait, mais il n'avait jamais trouvé d'explications qui le satisfaisait.

-Si jamais il vient pas demain... C'est vraiment qu'on n'aura plus aucune chance de le revoir, pas vrai ? murmura-il si bas que Felix l'entendit à peine.

Il en voulait, à cette foutu réunion, de réveiller en lui un espoir qu'il avait mis de longues années à éteindre. S'il ne venait pas demain, il allait devoir recommencer son travail de deuil. Colère, déni, tristesse, acceptation... Il était déjà passé par toutes les étapes, et il n'avait pas vraiment envie de les revivre. Il allait de l'avant maintenant, il devait cesser de se focaliser sur un hypothétique futur qui n'arriverait probablement jamais. Mais d'un côté, s'il le voyait arriver, qui sait comment il réagirait ?

-On verra bien, conclut-il avec un soupir.

Qu'il vienne ou pas demain, il ne sortirait pas indemne de la journée.

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