1 - La marmotte

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Assise sur un banc, les écouteurs dans les oreilles, j'essaie de fermer les yeux un moment, d'oublier, de tout faire taire. Les gens autour de moi, que je ne connais pas forcément, leurs discussions intimes qui viennent s'imposer à mes oreilles, les bruits de pas.

Mon pied tape le rythme rapide de la batterie, et je m'enferme dans ma petite bulle personnelle, où les seules choses que j'autorise à exister sont mes pensées, embrumées par la fraîcheur de l'air matinal et l'heure trop précoce, et la musique, violente et tellement agréable, apaisante.

De longues minutes passent sur ce petit banc, qui n'est pourtant pas si petit puisque je parviens facilement en mettant mes mains sous mes cuisses, à ne pas toucher le sol de mes pieds. Ce n'est pas grand chose, ce n'est même rien, mais je suis bien plus à l'aise quand je peux balancer mes jambes librement, comme un souvenir de quand je le faisais alors que je n'avais pas besoin de mes mains pour me surélever. En un sens, je plains les personnes grandes, qui perdent cette possibilité beaucoup trop tôt.

Quand je ferme les yeux, il fait encore nuit dans mes paupières, dans ma tête. Rien ne me précipite, je peux même faire comme si je n'étais pas assise sur un banc, et rêver de rêver, tout simplement. C'est comme des volets mais qui pourtant, ne me laissent pas croire à une véritable nuit à cause de la lumière sur le mur qui est derrière mon banc. Une lumière artificielle, jaune, qui agresse les yeux.

Bam. Bam bam. Bam. Bam bam bam, fait la batterie, et je tape en même temps sur ma cuisse de la pulpe de mes doigts.

L'air frais passe sur mon visage, effleure ma peau, et soulève mes cheveux qui n'abritent plus ma nuque. Il faudrait que je prenne une écharpe, il ne fait plus aussi froid qu'avant. Ces derniers temps, le temps amorce l'hiver qui approche à grand pas, tel un immense bonhomme de neige qui tend vers nous sa grosse main cotonneuse et nous souffle dessus parce qu'on ne parle pas le même langage

Mais je ne peux pas rester indéfiniment assise bien confortablement sur mon banc de bois dur, et bientôt, avant que je ne puisse me préparer mentalement à m'éveiller au monde extérieur, une personne arrive et prend place à côté de moi.

- Bonjour Aline, comment ça va ? me demande Roxanne en posant son sac à ses pieds.

Les yeux ouverts, je me suis tournée vers celle qui est depuis plusieurs années celle que je peux considérer comme ma meilleure amie.

- Super, et toi ?

- Impec, comme d'habitude.

C'est une conversation banale, mais j'apprécie toujours autant sa présence à mes côtés. C'est comme si je ramenais mon oreiller au lycée, pour garder tout mon confort et la chaleur de mon lit. Elle dérive vite sur un autre sujet, qui la passionne : un livre qu'elle a tout juste commencé, et dans lequel une marmotte se fait trancher, ce qu'elle définit comme étant une expérience unique.

- C'est normal, puisqu'on ne peut se faire trancher en deux qu'une seule fois, noté-je, pragmatique.

- Je ne te parle pas de ça, mais de l'expérience de lecture ! rectifie-t-elle en riant. On a le point de vue de la marmotte, et c'est ça qui est unique !

Je ris à mon tour, amusée par son entrain et ma propre bêtise. Puis elle me détaille en quoi c'est si extraordinaire, et, alors que je l'écoute avec attention, je l'observe exposer ses idées avec de grands mouvements de bras, comme si elle pouvait toucher la marmotte en question dans l'air.

Elle est particulièrement bien habillée aujourd'hui, alors je me dis qu'elle doit voir Oriana ce soir, après les cours. Ça expliquerait la jupe noire qu'elle porte, ainsi que sa veste en jean immense, que je vois être portée par mes deux amies, alternativement. C'est comme une garde alternée, mais pour une veste et pas pour des enfants, ce qui est déjà beaucoup moins embêtant.

- Et tu vois, on a quand même des pensées cohérentes et un peu... primitives de la marmotte, continue-t-elle.

- La marmotte pense ? lui demandé-je, étonnée.

- En quelque sorte, ce n'est pas vraiment penser, c'est plus comme laisser agir son instinct mais en décrit, explicite-t-elle. Comme quand tu fais quelque chose naturellement, comme ouvrir une porte pour entrer dans une pièce, mais si on met une personne dans ta tête qui pendant que tu fais ça, elle va quand même décrire un minimum ce qui se passe, non ?

J'acquiesce, avec un sourire en coin. Cette discussion n'a aucun sens, mais au moins, elle m'amuse beaucoup, comme Roxanne en fait. La brune a l'air de beaucoup rire de ma mine perdue.

- Mais dans ce cas, l'instinct est censé favoriser la survie, non ? insisté-je.

- Oui ?

- Alors pourquoi parfois on se prend le cadre de la porte ?

Et ça y est, j'ai perdu Roxanne, qui, pliée de rire sur mon petit banc, ne parvient plus à s'en remettre pour me donner une réponse. Quoi ? C'était logique, non ? Je suppose que je ne serais jamais une marmotte intelligente alors.

Ma musique est silencieuse, mes écouteurs rangés dans la poche de mon sac de cours, mais je n'en ai plus besoin, car je ne peux plus m'isoler dans ma bulle. Celle-ci s'est étendue au banc tout entier, mais est pleine de trous, comme un emmental, d'où me parviennent les regards interloqués des autres adolescents qui se risquent à rester dehors un matin d'octobre.

Mais je ne m'en préoccupe pas, je souris aussi fort que je le veux, et tapote le dos de mon amie. Quand enfin elle parvient à reprendre la parole, je peux voir dans ses yeux sombres une étincelle. Ou peut-être que c'est juste la lumière artificielle dans ses pupilles.

- Aline, parfois, tu es un peu bizarre, soupire-t-elle.

- Tu ne te prends jamais de cadre de porte ? Parce que je ne réfléchis pas quand je le fais.

- Mais ça, c'est juste parce que tu es maladroite, les marmottes c'est pas pareil !

Et s'il existait des marmottes maladroites ? Des marmottes qui ne sont pas de merveilleuses constructrices de barrages, et qui font des barrages avec plein de trous de fromage ?

Une nouvelle fois, la brune se moque de moi, gentiment bien sûr, puis elle reprend son sac à dos, et se lève pour partir. Il est déjà l'heure d'aller en cours, alors, beaucoup moins enthousiaste, je saisis la bretelle de mon sac rouge, et je la suis pour entrer dans les grands bâtiments. Une nouvelle journée est sur le point de commencer, une journée de cours, plus ou moins passionnants, et de récrés, beaucoup plus distrayantes généralement.

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