À ce soir

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Aïe. Cette perfusion me fait mal. Je n'ai qu'une envie, l'arracher et hurler "Adieu !" au monde. Oh, il ne faut pas s'en indigner. J'ai fait mon temps, et plus personne sur cette Terre ne se souvient de moi.

Tous ces médecins et infirmiers pensent qu'il faut me conserver le plus de temps possible, garder espoir et persister. Mais à quoi bon ? Je perds la tête, je ne suis plus capable de marcher et respirer de moi-même, et absolument personne ne me pleurera si je me retire.

Certains ont le courage de tenir bon et vivre coûte que coûte, quoi que l'avenir leur réserve. Mais pas moi. Je n'en peux plus de tout ça, toute cette mascarade. Croyez-moi, je suis bien assez vieille et flétrie pour mériter une pause. Je ne suis pas défaitiste ou suicidaire, juste las. Las des tuyaux et des seringues, las des produits chimiques et des médicaments, las des émissions de télé répétitives et monotones et des livres que je ne suis même plus capable de tenir entre mes mains.

Je voudrais tout laisser tomber, et rejoindre André. Mon cher André, que cet accident m'a arraché. Mon tendre André, que je n'ai pas eu le temps de pardonner.

Je ne me rappelle même plus de pourquoi nous nous sommes disputés. Une raison futile et stupide, un ennui du quotidien, sûrement. Mais je me souviens parfaitement de son visage exquis, de sa fantastique voix grave et envoûtante, et de la manière qu'il avait de me dévorer du regard. De ces mêmes yeux bleus passionnés du premier jour comme au dernier.

Mon merveilleux André, le seul que je n'ai jamais aimé.

Je ferme les yeux et me laisse porter par mes songes. Tout doucement, je revis intérieurement ces tendres moments que nous avons partagés à deux. De notre rencontre - dans ce café, dans les années 50 - à notre séparation définitive, il y a déjà une vingtaine de longues et pénibles années, à me demander comment ça se serait passé s'il n'était pas allé travailler.
Je le revois, là, devant moi, toujours aussi beau et pimpant dans son costume noir, mais avec son regard céleste empreint de mélancolie, peiné de ma colère.

Moi, je suis là, avec quelques années de moi, devant l'évier, à faire la vaisselle, en ignorant ces quelques appels et excuses, tentant de me ramener à lui avant de partir à l'usine.
Je voudrais lui dire : "Ne va pas travailler", "Tu vas mourir si tu pars", "Reste avec moi", "Je ne veux pas te perdre à nouveau, André".

Mais que va-t'il se passer, si je le fais ? Va-t-il me croire ? Va-t-il m'écouter ? Va-t-il rester ? Sera-t-il sauvé ? L'accident aura-t-il lieu ? Aurai-je une vie différente, ensuite ? Restera-t-il avec moi quand même ? En voyant que j'ai "prévu" l'avenir, n'aura-t-il pas peur de moi ? Vais-je chambouler l'histoire que je connais ?

Que dois-je faire ? Le retenir ? Ou le laisser partir ?

Il fait un pas de côté, lâchant l'affaire, comprenant que ça ne sert à rien de lutter.
Je laisse tomber l'assiette et l'éponge que j'avais dans les mains. Mon cerveau sature. Mon cœur bat la chamade. Je m'agrippe au rebord de l'évier. Le retenir. Le laisser partir. Le sauver. L'abandonner. Conserver les choses telles qu'elles sont. Risquer de tout chambouler.

Accepter. Refuser.

Allons, c'est pourtant simple. Je n'ai que quelques mots, simples mots, petits mots à prononcer pour mettre fin à mon tourment, qu'une toute petite, petite chose à accomplir pour réparer mon erreur que j'ai ensuite regretté toute ma vie. Qu'une simple phrase, que n'importe-qui est capable de donner à une personne pour lui permettre de poursuivre le cœur léger.

- À ce soir, chérie. Je t'aime.

Grand sourire, yeux pétillants, air rayonnant. Voilà, c'est tout.
Il se tourne vers moi, d'abord déconcerté. Il me dévisage, puis retrouve son air serein. Il m'embrasse sur le haut du front comme il le fait à chaque fois, puis tourne les talons et se rend vers sa mort prochaine. Mais ce coup-ci l'esprit libre, sans aucun regret lui tordant le ventre.

Je le regarde s'éloigner et une larme coule le long de ma joue. Adieu, André. Tu m'attends, d'accord ?

C'est promis, je te rejoins très vite.

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