Ma respiration eut un raté. Les traits de mon visage se durcirent à nouveau. Devant moi se tenait Ethan Fields, le seul et l'unique, en chair et en os. Il reprit d'un ton faussement lassé :

" - Si tu veux bien te donner la peine de me suivre. 

- Pourquoi ferais-je une chose pareille ? 

- Tyler a mentionné que tu n'étais pas...facile à convaincre, je vois, pour cela j'ai chargé mes hommes de faire quelques recherches sur toi et ton passé assez douteux. Ce sont de très bons détectives privés, les plus qualifiés de cet état. J'ai une dette envers Tyler, et il m'a demandé de te protéger donc je suis bien obligé de m'exécuter, ceci n'empêche pas de bien connaître ceux à qui j'ai affaire.

- Et donc ? Qu'allez-vous me révéler qui pourrait s'avérer utile pour moi ? 

- Bradley Adams, ses correspondances avec ce certain Wallace, j'ai quelques petites choses intéressantes à ce propos. Je compte bien régler cette dette au plus vite, alors suis-moi, si ce n'est pas en toute courtoisie, ce sera ces hommes habillés en noir là-bas qui t'emmèneront. " dit-il en plongeant un regard vers le coin de la pièce.

Quatre hommes, vêtus entièrement de noir jetaient des regards observateurs à l'encontre des gens peuplant le bar. Je me tortillai sur le tabouret, sans pourtant montrer ma faiblesse grandissante. Ces détectives privés avaient-ils trouvés quelques chose à propos  de la source même de mes problèmes ? Il ne me le dira que si je le suis. Je me levai tranquillement, lui laissant payer l'addition, un homme de sa richesse pouvait se le permettre et attendis à l'extérieur. Il ouvrit la porte d'un land rover, je m'attendais à plus coûteux pour un tel mafieux, il sembla le remarquer :

" - Quand on est si influent, le mieux est de passer pour un simple citoyen, la discrétion avant toute chose. Maintenant monte, je n'ai pas la journée. 

Je m'exécutai avec calme, même si c'était seulement une façade car en réalité mon cerveau bouillonnait. 

- Quelle est la nature de cette dette envers Tyler ?

- Je lui laisse le soin de te l'expliquer, plus tard. " répliqua-t-il.

Je voyais que j'avais affecté son humeur, il perdait patience, je décidai de ne plus parler du voyage, ce que je fis sans difficulté. Je ne savais même pas où je me rendais, enfin où on m'emmenait plutôt. Tyler m'avait mis dans les ennuis, je savais me débrouiller seule, je n'avais pas besoin d'un mafieux comme allié de circonstance. Je détallai rapidement Ethan Fields, assis à la place du mort, son visage dur ne m'était pas inconnu mais je ne pouvais dire pourquoi. Le 4x4 s'arrêta dans une cour dont l'enceinte était enfermée par de grands murs, le lierre encombrait la plupart de leurs pans, certaines vieilles pierres s'effritaient à la suite du passage du temps. Un des gardes vint prendre mon sac à dos, je le suivis pour ne pas abandonner mon seul et unique bien matériel. Je zigzaguais à travers la vieille bâtisse, bien à l'abri des regards indiscrets, j'arrivais dans une chambre à la décoration très simple. Je contemplais un joli tableau illustrant le port de la Nouvelle-Orléans. L'homme balança nonchalamment mon sac sur le lit, il ferma la grande fenêtre et m'intima :

" - Fields ne veut pas que tu sortes.

- Alors je vais restée enfermée dans cette chambre ?! 

- Il y a une bibliothèque et des ordinateurs. 

- Génial... Je suis en prison. 

Il ajouta :

- Les repas sont bien meilleurs. Fields sera intransigeant car il veut régler sa dette, essaie de ne pas attirer sa colère trop vite. " m'informa-t-il.

Je pris ses paroles en considération. J'ouvris la fenêtre par l'angoisse de l'enfermement, je détestais cette sensation où mon corps est privé de la liberté de ses mouvements. Il fallait que je sorte d'ici. Que je prévienne Elizabeth, que je fuie le plus loin possible. Mais fuir maintenant serait idiot et je le savais. Fields et "ses hommes en noir" s'y attendaient, ils devaient me surveiller, il me fallait mieux attendre qu'ils me pensent en accord avec eux. Je rejoignis donc la pièce où se situait l'ordinateur et contactai Tako, je lui demandai s'il avait recroisé les hommes qui me recherchaient et s'il avait pu hacker Bradley Adams, l'homme de main du dénommé Wallace. J'avais quelques connaissances en piratage informatique mais Tako était bien plus doué que moi dans ce domaine. De jour en jour, ma détermination à retrouver le meurtrier de mes parents et le commanditaire de leur meurtre faiblissait, je le sentais même si tout mon être me criait de poursuivre les recherches. Je ne parvenais à aucune piste depuis la découverte de ce Wallace, peut-être que Fields pourrait m'être utile après tout. J'explorais la maison, elle était vide, hormis quelques hommes en noir qui déambulaient ici et là. Je trouvais l'homme à qui j'avais parlé tout-à-l'heure, il ne semblait pas si méchant alors je décidai de lui soutirer des informations (et de lui faire part du fait que j'avais terriblement faim) :

" - J'ai très faim, j'ai repéré un très bon restaurant créole au coin de la rue, je pourrais y faire un tour. 

- L'espoir fait vivre. 

- Si vous m'accompagnez, il n'y a pas de danger, non ? Comme ça je pourrais le semer discrètement, pensai-je.

Il haussa les sourcils et répondit : 

- Je vais commander un plat en emporter. 

- Fields m'a promis des informations en échange de ma venue ici, j'aimerais les entendre maintenant. 

- Tu les auras lorsqu'il l'aura décidé. 

-  Vous êtes tous ses marionnettes, vous, les hommes vêtus de noir ou quoi ? Vous êtes d'accord avec tout ce qu'il fait ? 

- Non, je suis d'accord avec le salaire qu'il me verse, tout n'est pas rose dans cette ville, les gens comme nous finissent mal et souvent en prison, c'est le seul boulot bien payé à qui j'ai pu accéder et la police ne se mêle pas de nos affaires.

- Vous travaillez pour lui depuis longtemps ? Une discussion banale le ferait peut-être oublier sa  fidèle discrétion énervante. 

- Depuis mes vingt-cinq ans. 

- Donc si vous avez dans les trente-cinq ans, vous devez avoir connu un certain Tyler, grand, brun ? 

- Tyler Reynolds. Oui. 

- Pourquoi Fields lui-doit quelque chose ? 

- Secret professionnel. 

- C'est pas vrai... " râlai-je en partant.

Ces hommes étaient véritablement muets, ma parole. Personne ne pouvait m'aider ici, je retournais dans "ma" chambre, et consultai mes e-mails. Tako avait répondu il y a quelques secondes, il était en train d'essayer de pirater les données de Bradley Adams où il pourrait trouver le lieu où Wallace envoyait ses directives. Cela prendrait juste du temps, encor. Je pris le temps de lui demander pourquoi Ethan Fields lui devait un service. Il me répondit qu'il ne savait pas. J'étais bien avancée. Je me levai pour regarder à travers la fenêtre, la nuit tombait et mon moral, lui, dégringolait.